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12/10/2022 | FRANCE | N°21/001531

France | France, Cour d'appel de Saint-Denis-de-la-Réunion, 06, 12 octobre 2022, 21/001531


ARRÊT No22/
SP

R.G : No RG 21/00153 - No Portalis DBWB-V-B7F-FP2E

S.A.S. SAS [S] ACVF

C/

S.A.S. VINDEMIA SERVICES

COUR D'APPEL DE SAINT - DENIS

ARRÊT DU 12 OCTOBRE 2022

Chambre commerciale

Appel d'une décision rendue par le TRIBUNAL MIXTE DE COMMERCE DE SAINT-DENIS-DE-LA-RÉUNION en date du 30 NOVEMBRE 2020 suivant déclaration d'appel en date du 04 FEVRIER 2021 RG no

APPELANTE :

S.A.S. SAS [S] ACVF
[Adresse 4]
[Localité 1]
Représentant : Me Norman GODON-PATEL, avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION



INTIMÉE :

S.A.S. VINDEMIA SERVICES
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentant : Me Jacques BELOT de la SELAS FIDAL, avocat au ba...

ARRÊT No22/
SP

R.G : No RG 21/00153 - No Portalis DBWB-V-B7F-FP2E

S.A.S. SAS [S] ACVF

C/

S.A.S. VINDEMIA SERVICES

COUR D'APPEL DE SAINT - DENIS

ARRÊT DU 12 OCTOBRE 2022

Chambre commerciale

Appel d'une décision rendue par le TRIBUNAL MIXTE DE COMMERCE DE SAINT-DENIS-DE-LA-RÉUNION en date du 30 NOVEMBRE 2020 suivant déclaration d'appel en date du 04 FEVRIER 2021 RG no

APPELANTE :

S.A.S. SAS [S] ACVF
[Adresse 4]
[Localité 1]
Représentant : Me Norman GODON-PATEL, avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION

INTIMÉE :

S.A.S. VINDEMIA SERVICES
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentant : Me Jacques BELOT de la SELAS FIDAL, avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION

DATE DE CLÔTURE : 15/11/2021

DÉBATS : en application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 06 avril 2022 devant Madame PIEDAGNEL Sophie, Conseillère, qui en a fait un rapport, assistée de Madame Nathalie BEBEAU, Greffière, les parties ne s'y étant pas opposées.

Ce magistrat a indiqué, à l'issue des débats, que l'arrêt sera prononcé, par sa mise à disposition au greffe le 06 juillet 2022 prorogé par avis au 12 octobre 2022.

Il a été rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Président : Madame Sophie PIEDAGNEL, Conseillère
Conseiller : Madame Pauline FLAUSS, Conseillère
Conseiller : Madame Magali ISSAD, Conseillère

Qui en ont délibéré

Arrêt : prononcé publiquement par sa mise à disposition des parties le 12 octobre 2022.

* * *

LA COUR

Dans le cadre de son activité de fabrication de steaks hachés surgelés, la SAS [S] ACVF (société [S]) a vendu à la SAS Jestin, spécialisée dans le commerce de produits surgelés, des steaks hachés pour la somme de 40.912,80 euros, suivant facture du 30 juillet 2018, laquelle les a revendu à la SAS Vindémia Services (société Vindémia) alors qu'elle restait devoir la somme de 25.912,80 euros.

La société Jestin a fait l'objet d'un redressement judiciaire le 2 octobre 2018, converti en liquidation judiciaire.

Se plaignant de ce que la société Jestin n'a pas honoré le paiement de sa facture et a revendu la marchandise à la société Vindémia au mépris de la clause de réserve de propriété, par acte d'huissier en date du 15 mars 2019, la société [S] a fait assigner la société Vindémia devant le tribunal mixte de commerce de Saint Denis de la Réunion aux fins de paiement.

Par acte d'huissier en date du 21 août 2019, la société Jestin a assigné à fin de mise en cause et dénonciation d'acte de procédure Me [A] [N], es qualité de liquidateur judiciaire de la société Jestin.

Dans ses dernières conclusions, la société Jestin a demandé au tribunal la condamnation solidaire de Me [N], es qualité et de la société Vindémia à lui payer les sommes de 25.912,80 euros en principal et 6.000 euros au titre des frais irrépétibles, et ce, sous le bénéfice de l'exécution provisoire.

Me [N], es qualité a conclu au débouté des prétentions de la société Jestin et sollicité une indemnité de procédure de 3.000 euros.

La société Vindémia a fait de même et sollicité la somme de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles.

C'est dans ces conditions que, par jugement rendu le 30 novembre 2020, le tribunal mixte de commerce de Saint Denis de la Réunion a :
-débouté la SAS [S] ACVF de ses demandes
-l'a condamnée à payer à Me [N] et à la SAS Vindémia à chacun la somme de 1.500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile
-laissé les dépens à sa charge, dont frais de greffe taxés et liquides à la somme de 85.30 euros TTC.

Par déclaration au greffe en date du 4 février 2021, la société [S] ACVF a interjeté appel de cette décision.

Dans ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 12 novembre 2021, la société [S] demande à la cour, au visa des article L624-18 du code de commerce et 2367 du code civil, de :
-infirmer le jugement entrepris dans toutes ses dispositions
-dire et juger que la société Jestin n'a pas réglé la société [S] du prix de vente des marchandises vendues
-dire et juger que la marchandise vendue appartient à la société [S] en vertu de la clause de réserve de propriété contenue dans les Conditions Générales de Vente de la requérante, et sa contrepartie c'est-à-dire la créance de son prix
-dire et juger que la société Vindémia, sous acquéreur, n'a pas versé le prix de vente à la société Jestin en liquidation judiciaire
-dire et juger que la société [S] est titulaire des créances qui sont nées de la revente des produits impayés sous réserve de propriété conformément aux conditions générales de vente
En conséquence
-débouter la société Vindémia de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions
-dire que la société Vindémia est redevable du prix des marchandises directement entre les mains de la société [S]
-condamner la société Vindémia à payer à la société [S] la somme de 25.912,80 euros correspondant à la partie du prix des produits non encore réglée
-ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir
-condamner la société Vindémia à la somme de 6.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Dans ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 17 juillet 2021, la société Vindémia demande à la cour de :
-débouter la société [S] de sa demande en ce qu'elle est dirigée à l'encontre de la société Vindémia
-confirmer le jugement entrepris
-sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, condamner la société [S] à payer à la société Vindémia la somme de 3.000 euros outres les dépens.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est fait expressément référence aux conclusions des parties, visées ci-dessus, pour l'exposé de leurs prétentions et moyens.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 15 novembre 2021 et l'affaire a reçu fixation pour être plaidée à l'audience rapporteur du 6 avril 2022. Le prononcé de l'arrêt, par mise à disposition du greffe, a été fixé au 6 juillet 2022 prorogé au 21 septembre 2022.

SUR CE, LA COUR

A titre liminaire

Il convient de rappeler qu'en application de l'article 954 du code de procédure civile, la cour ne doit statuer que sur les prétentions énoncées au dispositif. Ne constituent pas des prétentions au sens de l'article 4 du code de procédure civile les demandes des parties tendant à voir "constater" ou "donner acte" ou encore "considérer que" voire "dire et juger que" et la cour n'a dès lors pas à y répondre.

Sur la demande en paiement

Au visa des articles L624-18 du code de commerce et 2367 du code civil, la société [S], spécialisée dans la transformation et la conservation de viande de boucherie, expose qu'elle vend ses steaks hachés surgelés à la société Jestin, spécialisée dans le commerce de gros de produits surgelés, laquelle les revend à son tour à des supermarchés dans ces territoires et assure l'acheminement des marchandises et que, selon facture en date du 30 juillet 2018 no18070783, elle a vendu à la société Jestin des steaks hachés de b?uf et des burgers surgelés pour un prix total de 40.912,80 euros, or, à ce jour, la société Jestin n'a procédé au règlement qu'à hauteur de 15.000 euros de sorte que sa créance subsiste pour la somme de 25.912,80 euros.
La société [S] soutient qu'au mépris de la clause de réserve de propriété des marchandises, stipulée à son profit dans les conditions générales de vente (article 5) qui figurent au dos de chaque document contractuels et qui sont par ailleurs parfaitement claires et lisibles, la société Jestin a vendu les steaks hachés à son client, la société Vindémia (entreprise de grande distribution opérant notamment sur l'île de la Réunion et disposant de plusieurs hypermarchés répertoriés sous plusieurs enseignes), alors qu'elle savait qu'elle n'en avait pas la propriété et la société Vindémia a accepté de les prendre alors qu'elle savait pertinemment, du fait notamment des mails du 31 août 2018 et du 21 septembre 2018 et des courriers qui lui ont été adressés, que la marchandise appartenait toujours à la société [S].
La société [S] fait valoir que la revendication du prix des marchandises entre les mains du sous-acquéreur suppose la réunion de trois conditions ici réunies :
-le sous-acquéreur doit avoir reçu les marchandises « en nature » c'est-à-dire dans leur état initial : la société Vindémia a reçu de la société Jestin la marchandise du container livré par la société [S] à la société Jestin contenant des viandes hachées surgelées ; la marchandise livrée à la société Vindémia est identique à celle livrée à la société Jestin
-le vendeur ne doit pas avoir cédé sa créance sur le sous-acquéreur avant que ce dernier ait été mis en possession des marchandises : la société Vindémia reconnaît elle-même qu'elle est redevable du prix des marchandises qu'elle a acquise de la société Jestin, ce qui démontre bien que la société Vindémia n'a procédé à aucun règlement au profit de la société Jestin ; la société Vindémia avait par ailleurs été avertie par la société [S] de l'existence de la clause de réserve de propriété et du non-paiement de la société Jestin
-le prix de revente ne doit pas avoir été réglé au vendeur intermédiaire avant que celui-ci n'ait été mis en procédure collective.
La société [S] argue que la clause de réserve de propriété a suspendu le transfert de propriété jusqu'au complet paiement de telle sorte qu'elle est restée propriétaire des marchandises conformément à l'article 2367 du code civil.
La société [S] soutient encore que du fait de la revente de la société Jestin à la société Vindémia alors que la première n'a pas réglé le prix de vente à [S] et que la seconde a pris possession des steaks hachés surgelés en vue de leur commercialisation mais n'a pas réglé non plus le prix de vente à la société Jestin, la société [S] est en droit de recouvrer le prix de vente directement entre les mains du sous-acquéreur, la société Vindémia, sans que le liquidateur judiciaire ne puisse intervenir ; les marchandises lui appartenant, la société Vindémia est redevable du prix d'achat directement envers elle et non la société Jestin qui ne dispose d'aucuns droits sur ces marchandises.
La société [S] ajoute qu'il est démontré que la société Vindémia avait bien acheté et pris possession des steaks hachés surgelés et reproche aux premiers juges d'ajouter une condition à la loi puisque la revendication du prix de vente n'impose pas de démontrer que les marchandises se retrouvent en nature dans le patrimoine de l'acheteur initial à la date d'ouverture de sa procédure collective, contrairement à la revendication des marchandises.

La société Vindémia Services fait valoir qu'elle n'a pas acquis de marchandises de la société [S], cette société du Groupe Vindémia n'ayant pas vocation à procéder aux achats.
La société Vindémia soutient que la société [S] fonde des demandes sur la clause de réserve de propriété figurant dans ses conditions générales de vente, or, cette clause est inopposable à la société Jestin faute d'avoir exercé l'action en revendication dans les délais prescrits. Elle ajoute que la marchandise ayant été revendue bien avant que l'appelante ne se manifeste, la revendication des biens était impossible.
La société Vindémia estime avoir toujours été de bonne foi : elle souhaitait simplement éviter de s'exposer a un double paiement et en déduit que la mauvaise foi du sous acquéreur n'étant pas caractérisé, la revendication ne pouvait donc pas concerner les marchandises et ne porter que sur le prix.
La société Vindémia argue enfin que le fondement de la revendication du prix de revente est fondé sur la subrogation réelle, soumise à des conditions qui, en l'espèce, font défaut :
-la clause de réserve de propriété ne lui est pas opposable
-le bien dont le prix est revendiqué doit exister en nature entre les mains du sous-acquéreur, or, la marchandise était vendue depuis longtemps lorsque la société [S] s'est manifestée.

Sur quoi,

La société [S] fonde sa demande sur l'article L624-18 du code de commerce et l'article 2367 du code civil aux termes duquel :
« La propriété d'un bien peut être retenue en garantie par l'effet d'une clause de réserve de propriété qui suspend l'effet translatif d'un contrat jusqu'au complet paiement de l'obligation qui en constitue la contrepartie.
La propriété ainsi réservée est l'accessoire de la créance dont elle garantit le paiement. »

Selon l'article L624-18 du code de commerce : « Peut être revendiqué le prix ou la partie du prix des biens visés à l'article L624-16 qui n'a été ni payé, ni réglé en valeur, ni compensé entre le débiteur et l'acheteur à la date du jugement ouvrant la procédure. Peut être revendiquée dans les mêmes conditions l'indemnité d'assurance subrogée au bien. »

La société [S] fonde donc sa demande sur les « droits du vendeur de meubles, des revendications et des restitutions » (section III) du livre VI consacré aux difficultés des entreprises et plus précisément du titre II traitant de la sauvegarde et du chapitre IV relatif à la détermination du patrimoine du débiteur, comportant les articles L624-9 à L264-18, qui sont applicables au redressement judiciaire en application de l'article L631-18 et à la liquidation judiciaire en application de l'article L641-14.

Pour rappel, le droit pour le propriétaire de faire reconnaître son droit de revendication à la procédure est subordonné à des conditions de fond et de procédure.

Ainsi, le revendiquant doit prouver sa qualité de propriétaire et établir que le bien revendiqué existe en nature dans le patrimoine du débiteur, au jour de l'ouverture de la procédure.

Selon l'article L622-6 alinéas 1er et 5, dès l'ouverture de la procédure de sauvegarde, il est dressé un inventaire du patrimoine du débiteur ainsi que des garanties qui le grèvent. Cet inventaire, remis à l'administrateur et au mandataire judiciaire, est complété par le débiteur par la mention des biens qu'il détient susceptibles d'être revendiqués par un tiers.Il s'agit d'une formalité obligatoire.

L'action en revendication exercée par le vendeur d'un bien vendu sous réserve de propriété n'est possible que si ce bien se trouve « en nature » dans le patrimoine du débiteur au moment de l'ouverture de la procédure collective.

La charge de prouver que les biens revendiqués, restés en la possession du débiteur lors du redressement judiciaire de l'exécution du plan de continuation, n'existe plus en nature au jour du prononcé de la liquidation judiciaire, incombe au liquidateur représentant la société débitrice en l'absence de la formalité obligatoire de l'inventaire. Il s'agit d'une présomption simple que le débiteur ou le liquidateur, en cas d'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire, peut tenter de détruire.

Un inventaire incomplet, sommaire ou inexploitable équivaut à une absence d'inventaire obligatoire prévu par l'article L622-6.

L'article L631-9 relatif à la procédure de redressement judiciaire renvoie à l'article 622-6.

Pour revendiquer des marchandises en se fondant sur une clause de réserve de propriété, il convient de démontrer que cette clause, acceptée par le débiteur, a été établie dans un écrit au plus tard au moment de la livraison. L'acceptation par l'acheteur n'a pas à être écrite et ne requiert pas nécessairement sa signature, elle peut résulter de l'exécution du contrat en connaissance de cause. (article 2367 du code civil et article L624-16 du code de commerce)

Quand le bien a été vendu mais que le prix n'a pas été payé par le sous-acquéreur avant le jugement d'ouverture (article L624-18), le droit de revendication se reporte sur la créance du prix de vente, qui est subrogée au bien revendu, et l'existence en nature du bien revendu s'apprécie au jour de la délivrance du bien au sous-acquéreur.

La revendication du prix de revente spécialement prévue à l'article L624-18 du code de commerce est soumise à la procédure de revendication qui, en vertu des dispositions de l'article L624-9, ne peut être exercée que dans le délai de trois mois suivant la publication du jugement ouvrant la procédure.

L'article L624-9 est applicable au redressement judiciaire (article L631-18) et à la liquidation judiciaire (article L641-14).

La procédure de revendication se déroule en deux phases : une phase extrajudiciaire et une phase judiciaire.

Ainsi, le revendiquant doit former une demande d'acquiescement à une revendication auprès de l'administrateur judiciaire, à défaut d'administrateur, auprès du débiteur ou en cas de liquidation judiciaire, auprès du liquidateur, sous la forme requise par l'article R624-13, à savoir par lettre recommandée avec demande d'avis de réception.

L'acquiescement consiste pour l'administrateur judiciaire (avec l'accord du débiteur), pour le débiteur (avec l'accord du mandataire judiciaire) ou pour le liquidateur, de donner son accord à la demande. L'acquiescement ne se présume pas, il doit être exprès.

A défaut d'acquiescement dans le délai d'un mois, le revendiquant doit déposer sa requête devant le juge-commissaire dans le délai d'un mois à compter de l'expiration du délai de réponse, sous peine d'être forclos. Un recours est possible devant le tribunal de commerce en vertu de l'article R621-21 dans le délai de 10 jours à compter de la communication ou de la notification de l'ordonnance.

L'acquiescement à la demande de revendication ou la décision judiciaire faisant droit à la demande de revendication emporte obligation pour l'organe compétent de restituer le bien revendiqué. La restitution est immédiate et se fait en principe nature. Si la restitution en nature est matériellement impossible, le propriétaire obtient une restitution en valeur.

Enfin, si le propriétaire est forclos ou lorsque sa demande a été rejetée pour des motifs inhérents aux conditions de la revendication, le droit de propriété est inopposable à la procédure collective : le bien devient le gage commun des créanciers.

En outre, le droit de propriété n'est pas transféré au débiteur, ce qui a pour conséquence que le revendiquant forclos ou débouté peut demander la restitution du bien contre le sous-acquéreur en démontrant la mauvaise foi de ce dernier sur le fondement de l'article 2279 du code civil.

En l'espèce, aux termes d'un courriel daté du 26 juin 2018 envoyé à la société [S] (M. [T] [S]) la société Jestin (M. [W] [B]) :
« Le remboursement de notre échéancier suit son cours. Il nous reste une facture à régler. Dans le même temps, notre réorganisation bancaire se poursuit et devrait s'achever fin juillet.
En attendant, je voulais avoir ton accord sur la possibilité de reprendre notre courant d'affaire sur la Polynésie et La Réunion notamment. Pour te mettre « à l'aise » sur notre futur encours, je te propose un règlement à 8 jours date de facture. »

Selon facture no18070783 datée du 30 juillet 2018, la société [S] a vendu à la société Jestin des steak hachés de b?uf et des burger surgelés (total de 22 palettes pour un poids total de 10.484 kg) pour un montant total de 40.912,80 euros, à régler par virement au plus tard le 31 août 2018 (référence : container plomb noE.F. 048380).

Figure au dos de la facture les conditions générales de ventes (CGV) qui stipulent en leur article 5 « Réserve de propriété » :
« Les produits vendus demeurent la propriété de [S] ACVF jusqu'au paiement intégral du prix, en principal et accessoires. A cet égard, ne constitue pas un paiement au sens de la présente clause, la remise d'une traite, d'un chèque bancaire ou postal ou de toute titre créant une obligation de payer. Le paiement ne pourra être considéré effectué que lors de l'encaissement effectif du prix par [S] ACVF.
Nonobstant la présente clause de réserve de propriété, tous les risques afférents aux produits vendus sont à la charge du client. La créance de [S] ACVF sera automatiquement transportée sur la créance du prix des produits ainsi venus par le client.
Le client cède dès à présent à [S] ACVF toutes créances qui naîtraient de la revente des produits impayés sous réserve de propriété.
En cas de redressement ou de liquidation judiciaire du client, les produits pourront être revendiqués, conformément aux dispositions légales et réglementaires en vigueur.
Le client s'oblige en conséquence à prendre toutes mesures utiles pour préserver ce droit de propriété jusqu'à complet paiement. En sa qualité de détenteur de marchandises, le client en assure, à ses frais, la garde, les risques et la responsabilité dans tous les cas, même en cas de force majeure ou de cas fortuit.
En cas de revendication des marchandises pour non paiement partiel ou total, les produits en stock seront réputés correspondre aux créances impayées.
Le client s'oblige à informer tout tiers, notamment en cas de saisie, du fait que les produits sous clause de réserve de propriété appartiennent à [S] ACVF et à informer [S] ACVF immédiatement de toute saisie ou opérations similaires.
Conformément aux articles L621-122 et L622-14 du code de commerce, nonobstant toute clause contraire, la présente clause de réserve de propriété est opposable au client.
Tous acomptes antérieurement payés resteront acquis dans leur totalité à [S] ACVF à titre de clause pénale. »

Dans un courriel daté du 31 août 2018 envoyé à la société Vindémia (M. [M] [D]), M. [S] écrit :
« Il vient d'être porté à ma connaissance que la société Jestin envisage de vous vendre la marchandise du container qui vous été livré le 29 août 2018 - PONU 290666/4 - contenant des viandes hachées surgelées.
J'attire votre attention sur le fait que cette marchandise nous appartient. La société Jestin ne m' a pas réglé le coût et j'ai donc fait valoir la clause de réserve de propriété.
Je suis donc contraint de vous mettre en demeure de ne pas prendre possession de la marchandise et me tiens à votre disposition pour apporter toutes précisions nécessaires. »

Dans un courriel « URGENT » daté du 21 septembre 2018 adressé à CBELLEGARDE@VINDEMIA.RE, M. [S] indique :
« Nous avons fait valoir la clause de réserve de propriété sur un container reçu de la société Jestin pour défaut de règlement.
Il semble que cette marchandise ait été bloquée sans notre autorisation suite à un contact entre vos services logistiques et la société Jestin.
Je vous demande de ne pas régler le container à la société Jestin et donc de bloquer la facture.
Pouvez-vous SVP prendre contact avec moi sans délai à ce sujet ? »

Un courriel de rappel a été adressé le 24 septembre 2018.

Par courriel en date du 25 septembre 2018, Mme [V] [J] a demandé à M. [S] d'adresser ses mails à [C] [G] et/ou à [Z] [H].

Suivant courrier recommandé avec avis de réception daté du 26 septembre 2018 (réceptionné le 3 octobre 2018), doublé d'un courriel, la société [S], via son conseil, a mis en demeure la société Vindémia de ne pas régler la société Jestin, « laquelle n'est pas propriétaire de la marchandise, affectée par une clause de réserve de propriété », indiquant ne pas être opposée à la recherche d'une solution amiable.

Par courrier recommandé avec accusé de réception daté du 22 octobre 2018 (réceptionné le 23 octobre 2018) la société [S] a déclaré sa créance à titre privilégié auprès de Me [A] [N], mandataire judiciaire de la société Jestin pour un montant de 25.912,80 euros.

La société [S] verse aux débats :
-la facture no18070783 datée du 30 juillet 2018 et les conditions générales de vente
-les courriels et lettre recommandée qu'elle a adressée à la société Vindémia
-sa déclaration de créance et son admission (ordonnance du juge-commissaire du tribunal de commerce de Brest du 19 janvier 2021 rectifiée par décision du 22 mars 2021)
-l'historique des factures de la société Jestin (du 21 juin 2013 au 30 juillet 2013) (122 factures).

La société Vindémia ne produit aucune pièce.

Il résulte de ce qui précède que :
-les sociétés [S] et Jestin étaient en relations d'affaires depuis plusieurs années
-au verso des factures adressées à la société Jestin par la société [S] figurent les CGV qui prévoient, notamment, une clause de réserve de propriété au profit de la société [S]
-la société Vindémia a bien reçu les courriels de la société [S] l'informant de ce que la marchandise qui lui avait été livrée par container par la société Jestin lui appartenait en vertu d'une clause de réserve de propriété, cette dernière n'ayant pas réglé en intégralité la facture du 30 juillet 2018 (courriels et courrier recommandé d'août et septembre 2018)
-la société Jestin a été placée en redressement judiciaire le 2 octobre 2018
-la société [S] a déclaré sa créance auprès du mandataire judiciaire le 22 octobre 2018.

Se fondant sur l'article L624-18 du code de commerce, il appartient donc à la société [S] d'établir qu'elle est propriétaire des biens du fait de l'application de la clause de réserve de propriété.

Cette première condition est remplie dans la mesure où la clause de réserve de propriété, figure dans les conditions générales de vente qui se situent au verso de la facture partiellement réglée et qu'elle a été acceptée par l'acquéreur, en relations d'affaires avec le vendeur depuis plusieurs années, qui a exécuté le contrat, au moins partiellement en prenant possession du container dans lequel se trouvait la marchandise et en réglant une partie du prix.

Il incombe également à la société [S] d'établir que le bien existait en nature au jour de l'ouverture de la procédure collective ouverte à l'égard de la société Jestin.

Or, si les mails échangés entre les sociétés [S] et Vindémia et la dénégation tardive de cette dernière quant à la prise de possession des marchandises établissent la qualité de sous-acquéreur de la société Vindémia, force est de constater que la société [S] échoue à établir que ladite marchandises faisait partie de l'actif de la société Jestin faute d'établir, notamment, la date à laquelle cette vente a eu lieu.

Par ailleurs et en tout état de cause, il n'est pas établi que la société [S] a sollicité l'acquiescement à la revendication desdites marchandises auprès des organes de la procédure collective dans le délai de 3 mois à compter du jour de la publication du jugement d'ouverture.

Le jugement sera par conséquent confirmé en ce qu'il a débouté la SAS [S] ACVF de ses demandes.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

La société [S] succombant, il convient de :
-la condamner aux dépens d'appel
-la débouter de sa demande au titre des frais irrépétibles pour la procédure d'appel
-confirmer le jugement en ce qu'il l'a condamnée aux dépens de première instance
-confirmer le jugement en ce qu'il l'a déboutée de sa demande au titre des frais irrépétibles pour la procédure de première instance.

En revanche, l'équité commande en l'espèce de dire n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Sur l'exécution provisoire

La demande de la société [S] tendant à voir prononcer l'exécution provisoire en appel étant inopérante, elle sera rejetée.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire rendu en dernier ressort, en matière commerciale, par mise à disposition au greffe, conformément à l'article 451 alinéa 2 du code de procédure civile ;

CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement rendu le 30 novembre 2020 par le tribunal mixte de commerce de Saint Denis de la Réunion ;

Y ajoutant

DIT n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

DIT n'y avoir lieu à ordonner l'exécution provisoire ;

CONDAMNE la SAS [S] ACVF aux dépens d'appel.

Le présent arrêt a été signé par Madame Sophie PIEDAGNEL, Conseillère, et par Madame Nathalie BEBEAU, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LA GREFFIÈRE SIGNE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Saint-Denis-de-la-Réunion
Formation : 06
Numéro d'arrêt : 21/001531
Date de la décision : 12/10/2022
Sens de l'arrêt : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.saint-denis-de-la-reunion;arret;2022-10-12;21.001531 ?
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