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12/10/2022 | FRANCE | N°21/000641

France | France, Cour d'appel de Saint-Denis-de-la-Réunion, 06, 12 octobre 2022, 21/000641


ARRÊT No22/
SP

R.G : No RG 21/00064 - No Portalis DBWB-V-B7F-FPTF

S.E.L.A.R.L. SELARL [C] [N]

C/

[R]
[T]
[I]
[I]
S.C.P. SCP BARET / ETHEVE / VALERY / RIVIERE / BOST-BENCH AA / GILLOT / KIN SIONG-LAW KOUN

COUR D'APPEL DE SAINT - DENIS

ARRÊT DU 12 OCTOBRE 2022

Chambre commerciale

Appel d'une décision rendue par le TRIBUNAL MIXTE DE COMMERCE DE SAINT-PIERRE en date du 09 NOVEMBRE 2020 suivant déclaration d'appel en date du 14 JANVIER 2021 RG no 2018003422

APPELANTE :

S.E.L.A.R.L. [C] [N]
[Adresse 8]
[Lo

calité 12]
Représentant : Me Eric LEBIHAN de la SAS GetP LEGAL, avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION

INTIMÉES :

Madame [...

ARRÊT No22/
SP

R.G : No RG 21/00064 - No Portalis DBWB-V-B7F-FPTF

S.E.L.A.R.L. SELARL [C] [N]

C/

[R]
[T]
[I]
[I]
S.C.P. SCP BARET / ETHEVE / VALERY / RIVIERE / BOST-BENCH AA / GILLOT / KIN SIONG-LAW KOUN

COUR D'APPEL DE SAINT - DENIS

ARRÊT DU 12 OCTOBRE 2022

Chambre commerciale

Appel d'une décision rendue par le TRIBUNAL MIXTE DE COMMERCE DE SAINT-PIERRE en date du 09 NOVEMBRE 2020 suivant déclaration d'appel en date du 14 JANVIER 2021 RG no 2018003422

APPELANTE :

S.E.L.A.R.L. [C] [N]
[Adresse 8]
[Localité 12]
Représentant : Me Eric LEBIHAN de la SAS GetP LEGAL, avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION

INTIMÉES :

Madame [W] [R]
[Adresse 9]
[Localité 13]
Représentant : Me Laurent LABONNE, avocat au barreau de SAINT-PIERRE-DE-LA-REUNION

Madame [F] [T]
[Adresse 9]
[Localité 13]

Madame [D] [I]
[Adresse 9]
[Localité 13]

Madame [A] [I]
[Adresse 10]
[Localité 13]

S.C.P. SCP BARET / ETHEVE / VALERY / RIVIERE / BOST-BENCH AA / GILLOT / KIN SIONG-LAW KOUN
[Adresse 7]
[Localité 12]
Représentant : Me Abdoul karim AMODE de la SELARL AMODE et ASSOCIES (SELARL), avocat au barreau de SAINT-PIERRE-DE-LA-REUNION

DATE DE CLÔTURE : 15/11/2021

DÉBATS : en application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 06 avril 2022 devant Madame PIEDAGNEL Sophie, Conseillère, qui en a fait un rapport, assistée de Madame Nathalie BEBEAU, Greffière, les parties ne s'y étant pas opposées.

Ce magistrat a indiqué, à l'issue des débats, que l'arrêt sera prononcé, par sa mise à disposition au greffe le 06 juillet 2022 prorogé par avis au 12 octobre 2022.

Il a été rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Président : Madame Sophie PIEDAGNEL, Conseillère
Conseiller : Madame Pauline FLAUSS, Conseillère
Conseiller : Madame Magali ISSAD, Conseillère

Qui en ont délibéré

Arrêt : prononcé publiquement par sa mise à disposition des parties le 12 octobre 2022.

* * *

LA COUR

Par acte notarié en date du 18 septembre 2017, Mme [W] [M] [R] (Mme [R]) a fait donation en nue-propriété à sa fille, Mme [F] [G] [T] et ses petites-filles [A] [I] et [D] [I], de deux immeubles cadastrés section EK no[Cadastre 4] et [Cadastre 5] et section BW no[Cadastre 3] commune du [Localité 13].

Par jugement en date du 31 octobre 2017, le tribunal mixte de commerce de Saint Pierre de la Réunion a prononcé la liquidation judiciaire de Mme [R] et fixé la cessation des paiements au 1er juin 2017.

Par actes d'huissier en date du 26 octobre 2018, la SELARL [C] [N], es qualité de liquidateur de Mme [R] exerçant sous l'enseigne « Chez [W] » (le liquidateur) a fait assigner Mme [R] et la SCP Michel Baret - Jean-François Thève - Jacques Valéry – Anne Rivière – Anne Bost-Benchaa - Pascal Gillot - Dorine Kin Siong-Law Koun, notaires associés (la SCP) devant le tribunal mixte de commerce de Saint Pierre de la Réunion statuant aux fins de voir prononcer la nullité de la donation intervenue le 18 septembre 2017.

Par actes d'huissier en date du 18 avril 2019, le liquidateur a fait assigner en intervention forcée Mmes [T] et [I].

Par jugement mixte en date du 17 août 2020, le tribunal mixte de commerce de Saint Pierre de la Réunion a déclaré l'action des parties demanderesses recevable et ordonné la réouverture des débats afin de permettre la comparution personnelle des parties.

C'est dans ces conditions que, par jugement rendu le 9 novembre 2020, le tribunal mixte de commerce de Saint Pierre de la Réunion a :
-débouté la SELARL [C] [N] prise en la personne de Me [C] [N] es qualité de liquidateur de Mme [G] [K] [R] de sa demande de nullité de la donation intervenue le 18 septembre 2017 aux termes de laquelle Mme [W] [M] [R] faisait donation en nu-propriété à sa fille, Mme [F] [G] [T] et ses petites-filles, [A] [G] [P] [I] et [D] [I] de deux immeubles cadastrés section EK no[Cadastre 4] et [Cadastre 5] et section BW no[Cadastre 3] commune du [Localité 13] (974)
-dit n'y avoir lieu à déclarer le jugement opposable à la SCP Michel Baret - Jean-François Thève - Jacques Valéry - Anne Rivière - Anne Bost-Benchaa - Pascal Gillot - Dorine Kin Siong-Law Koun, notaires associés
-condamné la SELARL [C] [N] prise en la personne de Me [C] [N] es qualité de liquidateur de Mme [G] [K] [R] aux dépens de l'instance, y compris les frais de greffe taxés et liquidés à hauteur de 234,27 euros
-dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.

Par déclaration au greffe en date du 14 janvier 2021, le liquidateur a interjeté appel de cette décision.

Dans ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 8 avril 2021, le liquidateur demande à la cour de :
-dire et juger l'appel de la SELARL [C] [N] recevable et bien fondé
En conséquence
-réformer en toutes ses dispositions le jugement entrepris
Statuant à nouveau
Vu l'article L632-1 1o du code de commerce
-constater que la période suspecte de la liquidation judiciaire de l'entreprise individuelle [W] [M] [R] s'étend du 1er juin 2017 au 31 octobre 2017
-constater que la donation dressée aux bons soins de la SCP est intervenue à la date du 18 septembre 2017, soit pendant la période suspecte
-en conséquence, la nullité étant de plein droit
-dire et juger comme nulle et de nullité absolue la donation précitée
-dire et juger que le présent jugement sera opposable à la SCP
-dire n'y avoir lieu à frais irrépétibles
-statuer ce que de droit quant aux dépens, dont distraction au profit de l'Avocat aux offres de droit.

Dans ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 14 juin 2021, Mme [R] demande à la cour de :
-confirmer le jugement querellé dans toutes ses dispositions
-condamner la SELARL [N] à payer à Mme [R] la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers frais et dépens de l'appel.

Dans ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 02 juillet 2021, la SCP demande à la cour de :
Vu les articles 910-4 alinéa 1 et 562 du code de procédure civile, de :
-constater que la cour d'appel ne fut saisie d'aucun chef du jugement entrepris
-dire et juger que la cour d'appel n'a pas été saisie de l'appel du jugement du tribunal mixte de commerce de Saint-Pierre du 9 novembre 2020 (RG no 2018/003422).
A titre subsidiaire
D'une part
Vu les articles L632-1-I et L.632-4 du code de commerce
Vu l'article 122 du code de procédure civile ;
D'autre part
Vu l'article 55 de la constitution ;
Vu l'article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (Droit au respect de la vie privée et familiale : « l. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale »)
Vu l'article 1er du protocole additionnel no1 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (Protection de la propriété : «Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. »)
Vu la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme sur le principe de proportionnalité
Vu la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne sur le principe de proportionnalité
Vu la jurisprudence de la Cour de cassation sur le contrôle de proportionnalité
-confirmer le entrepris dans toutes ses dispositions
-condamner la SELARL [C] [N], en son nom propre, à verser 7.000 euros à la SCP Baret – Ethève – Valéry – Rivière – Bost Benchaa – Gillot – Kin Siong-Law Koun, aujourd'hui dénommée SELAS Les Notaires du front de mer, au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers frais et dépens d'appel.

Mmes [T] et [I] auxquelles la déclaration d'appel et les conclusions d'appelante ont été signifiées suivant actes en date du 12 avril 2021 (remis à personne), n'ont pas constitué avocat.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est fait expressément référence aux conclusions des parties, visées ci-dessus, pour l'exposé de leurs prétentions et moyens.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 15 novembre 2021 et l'affaire a reçu fixation pour être plaidée à l'audience rapporteur du 6 avril 2022. Le prononcé de l'arrêt, par mise à disposition du greffe, a été fixé au 6 juillet 2022 prorogé au 12 octobre 2022.

SUR CE, LA COUR

A titre liminaire

Il convient de rappeler qu'en application de l'article 954 du code de procédure civile, la cour ne doit statuer que sur les prétentions énoncées au dispositif. Ne constituent pas des prétentions au sens de l'article 4 du code de procédure civile les demandes des parties tendant à voir "constater" ou "donner acte" ou encore "considérer que" voire "dire et juger que" et la cour n'a dès lors pas à y répondre.

Sur l'absence d'effet dévolutif

La SCP soutient en substance que la déclaration d'appel du liquidateur ne respecte pas les exigences de l'article 910-4, alinéa 1, du code de procédure civile en ce que le liquidateur se borne à mentionner les motifs du jugement attaqué, qu'aucune régularisation n'est aujourd'hui possible, et, qu'en application de l'article 562 du même code, la dévolution n'a pas opéré.

Le liquidateur ne fait valoir aucune observation.

Sur quoi,

La SCP se fonde, notamment, sur l'article 910-4 du code de procédure civile aux termes duquel :
« A peine d'irrecevabilité, relevée d'office, les parties doivent présenter, dès les conclusions mentionnées aux articles 905-2 et 908 à 910, l'ensemble de leurs prétentions sur le fond. L'irrecevabilité peut également être invoquée par la partie contre laquelle sont formées des prétentions ultérieures.
Néanmoins, et sans préjudice de l'alinéa 2 de l'article 802, demeurent recevables, dans les limites des chefs du jugement critiqués, les prétentions destinées à répliquer aux conclusions et pièces adverses ou à faire juger les questions nées, postérieurement aux premières conclusions, de l'intervention d'un tiers ou de la survenance ou de la révélation d'un fait. »

La cour constate que cet article concerne la recevabilité des conclusions et non la déclaration d'appel.

En tout état de cause,

Aux termes de l'article 901 du code de procédure civile :
La déclaration d'appel est faite par acte, comportant le cas échéant une annexe, contenant, outre les mentions prescrites par les 2o et 3o de l'article 54 et par le cinquième alinéa de l'article 57, et à peine de nullité :
1o La constitution de l'avocat de l'appelant ;
2o L'indication de la décision attaquée ;
3o L'indication de la cour devant laquelle l'appel est porté ;
4o Les chefs du jugement expressément critiqués auxquels l'appel est limité, sauf si l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible.
Elle est signée par l'avocat constitué. Elle est accompagnée d'une copie de la décision. Elle est remise au greffe et vaut demande d'inscription au rôle.

Selon l'article 562 du même code :
« L'appel défère à la cour la connaissance des chefs de jugement qu'il critique expressément et de ceux qui en dépendent.
La dévolution ne s'opère pour le tout que lorsque l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible. »

Il en résulte que les mentions prévues par l'article 901, 4o, du code de procédure civile doivent figurer dans la déclaration d'appel, laquelle est un acte de procédure se suffisant à lui seul.

Aux termes de l'article 542 du même code : « L'appel tend, par la critique du jugement rendu par une juridiction du premier degré, à sa réformation ou à son annulation par la cour d'appel. »

Il en résulte que :
-lorsque la déclaration d'appel tend à la réformation du jugement sans mentionner les chefs de jugement critiqués
-l'effet dévolutif n'opère pas en l'absence d'énonciation expresse des chefs de jugement critiqués dans la déclaration d'appel qui sollicite seulement la réformation
-la cour d'appel n'est saisie d'aucun litige et n'a pas à confirmer la décision attaquée, sauf indivisibilité de l'objet du litige.

En l'espèce, l' « objet/portée de l'appel » la déclaration d'appel est ainsi rédigé :
« Appel à l'encontre du Jugement rendu par le TMC de Saint Pierre le 9 novembre 2020 ; en ce qu'il a considéré, au visa de l'article L631-1 du Code de Commerce qu'une donation intervenue en période suspecte peut faire l'objet d'une annulation alors qu'elle doit faire l'objet d'une annulation, s'agissant en effet d'une nullité de droit obligatoire et non pas une nullité facultative ; En ayant refusé d'annuler une donation en période suspecte alors qu'il n'avait pas la faculté d'appréciation à ce titre, le Premier Juge a violé l'article L631-1 précisé. En ce qu'il ne pas ordonné la suspension de la procédure en cours jusqu'à la vente parfaire du bien immobilier pour lequel Mme [A] [I] a déclaré vouloir se rendre acquéreur, ainsi que le versement des fonds à la SELARL [N] en déboutant d'office le demandeur de son action, en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à déclarer le jugement non opposable à la SCP BARET en ce qu'il a condamné la Selarl [N] aux dépens et frais d'instance. »

Ainsi, la déclaration d'appel est conforme aux dispositions de l'article 901 du code de procédure civile en ce qu'elle comporte « les chefs du jugement expressément critiqués auxquels l'appel est limité », en ce que le jugement rendu par le TMC de Saint Pierre le 9 novembre 2020 a débouté « d'office le demandeur de son action », « dit n'y avoir lieu à déclarer le jugement non opposable à la SCP BARET » et « condamné la Selarl [N] aux dépens et frais d'instance ».
La déclaration d'appel de la société Foncière 2001 visant les différents chefs de jugement qu'elle entend critiquer, la cour en est saisie.

Dans ces conditions, la SCP ne pourra qu'être déboutée de sa demande tendant à voir constater que la cour n'est saisie d'aucun chef du jugement entrepris.

Sur la nullité de la donation du 18 septembre 2017 en période suspecte

Le liquidateur soutient en substance que la donation a été consentie en période suspecte et que la nullité est de droit et non pas simplement facultative : elle s'impose en conséquence au juge sans que ce dernier n'ait de faculté d'appréciation en ce domaine.

Mme [R] expose qu'elle n'a jamais voulu soustraire un élément d'actif à la liquidation judiciaire puisque lorsque le dossier de donation a été ouvert à l'étude du Notaire elle ignorait qu'elle serait amenée à déposer une déclaration de cessation des paiements et à solliciter la liquidation judiciaire. En réalité, elle a fait un AVC en 2015 et souffre depuis d'une « maladie grave et invalidante » qui nécessite « plusieurs hospitalisations » ainsi qu'un suivi spécialisé régulier tous les 2 à 3 mois, avec régulièrement des examens d'imagerie (justifié par un certificat médical du docteur [L] daté du 6 octobre 2018). Voyant son état de santé décliner la concluante a pensé à ses petites filles, qui sont sans emploi, et à sa fille, qui est femme de ménage, et a consulté la SCP de Notaires pour avoir une estimation du montant des droits de succession à régler en cas de décès. Elle a constaté que sa fille et ses petites filles n'auraient jamais eu les moyens de régler les droits de succession (plus de 75.000 euros) et, sur les conseils de son notaire, elle a opté pour une donation de son vivant en réglant elle-même, avec ses maigres économies, les droits de mutation. Parallèlement son état de santé l'empêchait de travailler et les deux salariés de son « snack-bar », avec lesquels elle était en conflit pour avoir été violentée par eux, en ont profité pour se servir tant dans la caisse que dans le stock. Sur les conseils de son avocat elle a déposé une déclaration de cessation des paiements. Elle est toujours propriétaire d'une maison à usage d'habitation située à [Localité 14] valorisée par le notaire à 285.000 euros. Elle a proposé la vente de cette maison au liquidateur, sa valeur étant largement supérieure au passif de liquidation ce qui permet de désintéresser intégralement les créanciers et de payer les frais de procédure. Cela permet aussi de mettre sa fille et ses petites-filles à l'abri de la tourmente.
Si Mme [R] ne nie pas le caractère impératif de l'article L632-1 du code de commerce, pour autant, elle soutient que dans l'arrêt [Z] contre [H] du 15 juillet 1964, la CJUE a déclaré que le droit issu des institutions européennes s'intègre aux systèmes juridiques des États membres qui sont obligés de le respecter : ainsi le droit européen a alors la primauté sur les droits nationaux de sorte que si une règle nationale est contraire au droit européen, les autorités des États membres doivent appliquer le droit européen ; cette primauté du droit européen sur les droits nationaux est absolue.
Mme [R] considère qu'avec la vente de son bien immobilier situé à [Localité 14], le liquidateur dispose d'une procédure plus proportionnée et adaptée pour parvenir à son objectif, à savoir, désintéresser les créanciers.
Elle estime que c'est à juste titre que le tribunal a considéré que le droit européen devait primer sur le droit national dès lors qu'il était démontré que la vente de sa maison était en cours et que le prix proposé permettait non seulement au liquidateur de désintéresser tous les créanciers mais aussi de laisser un reliquat pouvant être récupéré par elle.
Mme [R] ajoute que l'annulation des donations aurait des conséquences manifestement excessives sur la situation de ses enfants et petits enfants puisque la succession a été volontairement partagée de son vivant, car ceux-ci ne pourront jamais s'acquitter des droits de succession après dévolution successorale, ses dernières économies ayant permis de payer les droits de mutation. Elle fait encore remarquer que la liquidation judiciaire de son entreprise est totalement impécunieuse alors qu'une annulation des donations supposerait, outre les frais de publicité foncière, l'exercice d'une procédure de licitation vente à la barre du juge de l'exécution statuant en matière de saisie immobilière, procédure particulièrement coûteuse, de l'ordre de 6.000 à 10.000 euros, somme dont le liquidateur ne dispose pas.

La SCP argue principalement que la sanction prévue à l'article L632-1-I du code de commerce doit céder au principe de proportionnalité consacré par la cour de justice de l'union européenne, sauf à porter une atteinte excessive au droit au respect de la vie privée et familiale et au respect des biens.

Sur quoi,

D'une part,

Il résulte de l'article L632-1 du code de commerce, dans sa rédaction issue de l'article 56 de l'ordonnance no2014-326 du 12 mars 2014 que :
« I. -Sont nuls, lorsqu'ils sont intervenus depuis la date de cessation des paiements, les actes suivants :
1o Tous les actes à titre gratuit translatifs de propriété mobilière ou immobilière;
2o Tout contrat commutatif dans lequel les obligations du débiteur excédent notablement celles de l'autre partie ;
3o Tout paiement, quel qu 'en ait été le mode, pour dettes non échues au jour du paiement ;
4o Tout paiement pour dettes échues, fait autrement qu 'en espèces, effets de commerce, virements, bordereaux de cession visés par la loi no 81-1 du 2 janvier 1981 facilitant le crédit aux entreprises ou tout autre mode de paiement communément admis dans les relations d'affaires ;
5o Tout dépôt et toute consignation de sommes effectués en application de l'article 2075-1 du code civil (1), a défaut d'une décision de justice ayant acquis force de chose jugée ;
6o Toute hypothèque conventionnelle, toute hypothèque judiciaire ainsi que l'hypothèque légale des époux et tout droit de nantissement ou de gage constitués sur les biens du débiteur pour dettes antérieurement contractées ;
7o Toute mesure conservatoire, à moins que l'inscription ou l'acte de saisie ne soit antérieur à la date de cessation de paiement ;
8o Toute autorisation et levée d 'options définies aux articles L225-177 et suivants du présent code ;
9o Tout transfert de biens ou de droits dans un patrimoine fiduciaire, à moins que ce transfert ne soit intervenu à titre de garantie d'une dette concomitamment contractée ;
10o Tout avenant d'un contrat de fiducie affectant des droits ou biens déjà transférés dans un patrimoine fiduciaire à la garantie de dettes contractées antérieurement à cet avenant ;
11 o Lorsque le débiteur est un entrepreneur individuel à responsabilité limitée, toute affectation ou modification dans l'affectation d'un bien, sous réserve du versement des revenus mentionnés à l'article L526-18, dont il est résulté un appauvrissement du patrimoine visé par la procédure au bénéfice d'un autre patrimoine de cet entrepreneur ;
12o La déclaration d'insaisissabilité faite par le débiteur en application de l'article L526-1.
II. -Le tribunal peut, en outre, annuler les actes a titre gratuit visés au 1 o du I et la déclaration visée au 12o faits dans les six mois précédant la date de cessation des paiements ».

Ainsi, l'article L632-1, I 1o du code de commerce sanctionne par la nullité de plein droit les libéralités intervenues entre la cessation des paiements et l'ouverture de la procédure. Ce sont tous les actes à titre gratuit qui sont annulables, y compris le cautionnement, la résiliation volontaire, et surtout la remise de dette.

Les nullités de droit sont obligatoires pour le juge et leurs causes sont limitativement énumérées. Dès lors que l'acte rentre dans l'énumération de l'article L632-1 du code de commerce, il doit être annulé par le tribunal. Cette sanction se justifie par la nature de l'acte commis qui est présumé fait en fraude des droits des créanciers et de l'entreprise.

Outre les actes annulables de plein droit, peuvent être annulées les libéralités consenties dans les six mois précédant la cessation des paiements. (article L632-1 II) : cela concerne tous les actes à titre gratuit translatifs de propriété mobilière ou immobilière ainsi que la déclaration d'insaisissabilité faite par le débiteur en application de l'article L526-1.

Par ailleurs, aux termes de l'article L632-2 du même code : dans sa rédaction issue de l'article 89 de l'ordonnance no2008-1345 du 18 décembre 2008 :
« Les paiements pour dettes échues effectués à compter de la date de cessation des paiements et les actes à titre onéreux accomplis à compter de cette même date peuvent être annulés si ceux qui ont traité avec le débiteur ont eu connaissance de la cessation des paiements.
Tout avis à tiers détenteur, toute saisie attribution ou toute opposition peut également être annulé lorsqu'il a été délivré ou pratiqué par un créancier à compter de la date de cessation des paiements et en connaissance de celle-ci. »

Peuvent ainsi également être annulés les paiements pour dettes échues, les actes à titre onéreux et les avis à tiers détenteur, saisies-attribution ou oppositions, dès lors que le tiers était au courant de la cessation des paiements de leur débiteur.

L'existence d'un préjudice causé au débiteur et aux créanciers n'est pas une condition nécessaire ; pour autant, le liquidateur doit justifier d'un intérêt pour agir et que cet intérêt est exprimé par la finalité donnée par la loi à l'action en nullité : la reconstitution du patrimoine du débiteur.

La période suspecte est celle qui s'étend de la date de la cessation des paiements jusqu'à celle du jugement d'ouverture et, très précisément, à partir de la première heure du jour où est fixée la date de la cessation des paiements.

La date de la cessation des paiements est fixée provisoirement par le tribunal qui a ouvert la procédure après avoir sollicité les observations du débiteur et ne peut être antérieure de plus de 18 mois à la date du jugement, conformément aux dispositions de l'article L631-8.

L'article L632-4 du même code précise que « L'action en nullité est exercée par l'administrateur, le mandataire judiciaire, le commissaire à l'exécution du plan ou le ministère public. Elle a pour effet de reconstituer l'actif du débiteur. »

L'action du liquidateur n'est soumise à aucun droit de prescription.

D'autre part,

Le principe de proportionnalité repose sur l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen suivant lequel la loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires.

À côté du respect de la vie privée, du domicile et de la correspondance, le respect des biens est aussi assuré par le protocole no 1 amendé par le protocole no 11 de la Convention européenne, au profit des personnes physiques ou morales. À ce titre est interdite la privation du droit de propriété pour une autre cause que l'utilité publique et dans des conditions prévues par la loi et par les principes généraux du droit international.

Il en résulte la nécessité d'assurer un équilibre entre les besoins de l'intérêt général et les droits privés des individus et, en conséquence, de veiller au rapport proportionné entre les moyens employés et le but poursuivi.

L'importance du principe de proportionnalité permet au juge judiciaire d'écarter des dispositions légales jugées contraires à l'exigence de proportionnalité dont la valeur est supérieure.

Le code de commerce distingue les actes et les paiements conclus ou effectués pendant la période suspecte, en prévoyant la nullité de droit des actes et des paiements irréguliers par nature, et l'annulation facultative des actes et des paiements réguliers, si ceux qui ont traité avec le débiteur ont eu connaissance de la cessation des paiements (article L632-2).

Ces dispositions sont justifiées par la nécessité d'annuler les actes et les paiements ayant appauvri le patrimoine du débiteur qui se trouvait déjà en cessation des paiements et par le principe d'égalité des créanciers et ce, en vu de reconstituer le patrimoine.

Pour la Cour de cassation, cette action n'est pas contraire aux principes ayant valeur constitutionnelle tels que l'égalité devant la loi, la responsabilité, le respect des droits et de la liberté contractuelle, la clarté et l'intelligibilité de la loi ou encore la protection du droit de propriété.

En l'espèce, par acte notarié en date du 18 septembre 2017, Mme [W] [M] [R] a consenti au profit de Mme [F] [G] [T], Mme [A] [G] [P] [I] et Mme [D] [I] (mineure au moment de la donation pour être née le [Date naissance 1] 2004) les donations suivantes en nue-propriété :
-à concurrence de droits indivis pour 13/20èmes au profit de Mme [T] et pour 13/20ème au profit de Mme [D] [I] : un terrain sur lequel est édifié une maison d'habitation situé [Adresse 9] au [Localité 13] cadastrée section EK no[Cadastre 4] et [Cadastre 5], d'une valeur en toute propriété de 130.000 euros
-à concurrence de droits indivis pour 13/20èmes au profit de Mme [T] et pour 13/20ème au profit de Mme [A] [I] : un terrain sur lequel sont édifiées deux maisons d'habitation situé [Adresse 11] [Adresse 9] au [Localité 13] cadastrées section BW no2309, d'une valeur en toute propriété de 290.000 euros.

La nullité sollicitée par la SELARL [C] [N], es qualité de liquidateur de Mme [R], est une nullité de plein droit, s'agissant d'une donation en nue-propriété.

La SCP produit au dossier, notamment, les échanges de courriels entre l'étude notariale et le liquidateur dont il ressort que :
-le liquidateur a indiqué être favorable à la proposition d'achat d'un des biens appartenant à Mme [R] par sa petite-fille pour un prix de 100.000 euros (mail du 30 septembre 2020) la SCP indiquant : « cette vente permettrait de clôturer le dossier d'endettement de Madame [R], qui est une personne âgée et ayant une santé fragile ».
-le compromis de vente lui a été transmis le 1er octobre 2020
-à la demande du liquidateur, l'étude notariale a établi un avenant faisant mention des conditions suspensives de l'obtention de l'avis favorable du parquet et de l'autorisation du juge-commissaire ainsi qu'une procuration au nom de la SELARL [C] [N], représentée par [C] [N], mandataire judiciaire.

Enfin, Mme [R] verse aux débats, notamment, le compromis de vente en date du 1er octobre 2020 par lequel elle vend, sous réserve de l'accomplissement des conditions stipulées dans l'acte à Mme [A] [G] [P] [I] une parcelle de terrain sur lequel sont édifiées deux maisons d'habitation, située [Adresse 6]) cadastré section HM no[Cadastre 2], actuellement loué à Mme [V] [Y] pour trois ans moyennant un loyer mensuel hors charge de 550 euros, au prix de 100.000 euros

En l'état, comme le relève à juste titre les premiers juges, il est constant que :
-l'acte de donation est intervenu le 18 septembre 2017 alors que la liquidation judiciaire de Mme [R] pour son activité de restauration rapide était prononcée le 31 octobre 2017 avec une cessation des paiements fixée au 1er juin 2017
-le placement du débiteur en liquidation judiciaire emporte son dessaisissement au profit du liquidateur
-il appartient au liquidateur de reconstituer l'actif du débiteur au besoin en utilisant la voie judiciaire et en engageant des procédures en annulation
-la donation litigieuse est intervenue en période suspecte.

La cour constate que :
-aucun des éléments produits ne permet d'établir que Mme [R] a engagé des démarches dès 2016 en vue de répartir son patrimoine
-ladite donation en nue-propriété à ses fille et petites filles concerne deux terrains situés au [Localité 13] sur lesquels sont édifiées trois maisons d'habitation ; elle a été consentie le 18 septembre 2017, soit, non seulement en pleine période suspecte, mais surtout moins deux mois avant le prononcé de la liquidation judiciaire
-le compromis de vente produit au dossier concerne un troisième terrain sur lequel est édifiées deux maisons d'habitation situé sur la commune de [Localité 14] et est soumis l'obtention de l'avis favorable du parquet et de l'autorisation du juge-commissaire.

La cour relève également que Mme [R] n'invoquent aucun principe de droit fondamental, son argumentation relevant davantage de l'opportunité et qu'en tout état de cause, elle aurait pu faire valoir ses droits en critiquant la décision, tant en ce qui concerne la date de la cessation des paiements que du prononcé de la liquidation judiciaire.

Par ailleurs, comme le relève à bon droit le liquidateur, la vente du bien proposé en alternative de l'annulation de la donation n'a pas encore été autorisée par le juge-commissaire et sa réalisation concrète et effective comprenant le versement du prix entre les mains de la liquidation judiciaire.

Il résulte de ce qui précède que c'est à tort que les premiers juges ont estimé que la disposition légale n'était pas proportionnée à son objectif.

En conséquence, le jugement déféré doit être infirmé en ce qu'il a :
-débouté la SELARL [C] [N] prise en la personne de Me [C] [N] es qualité de liquidateur de Mme [G] [K] [R] de sa demande de nullité de la donation intervenue le 18 septembre 2017 aux termes de laquelle Mme [W] [M] [R] faisait donation en nu-propriété à sa fille, Mme [F] [G] [T] et ses petites-filles, [A] [G] [P] [I] et [D] [I] de deux immeubles cadastrés section EK no[Cadastre 4] et [Cadastre 5] et section BW no[Cadastre 3] commune du [Localité 13] (974)
-dit n'y avoir lieu à déclarer le jugement opposable à la SCP Michel Baret - Jean-François Thève - Jacques Valéry - Anne Rivière - Anne Bost-Benchaa - Pascal Gillot - Dorine Kin Siong-Law Koun, notaires associés.

Dans ces conditions, il convient, statuant à nouveau, d'annuler la donation intervenue le 18 septembre 2017 aux termes de laquelle Mme [W] [M] [R] faisait donation en nu-propriété à sa fille, Mme [F] [G] [T] et ses petites-filles, [A] [G] [P] [I] et [D] [I] de deux immeubles cadastrés section EK no[Cadastre 4] et [Cadastre 5] et section BW no[Cadastre 3] commune du [Localité 13] (974) et déclarer l'arrêt opposable à la SCP Michel Baret - Jean-François Thève - Jacques Valéry - Anne Rivière - Anne Bost-Benchaa - Pascal Gillot - Dorine Kin Siong-Law Koun, notaires associés.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Le jugement entrepris sera réformé en ses dispositions relatives aux dépens de première instance, en ce qu'il condamné la SELARL [C] [N] prise en la personne de Me [C] [N] es qualité de liquidateur de Mme [R] aux dépens de l'instance, y compris les frais de greffe taxés et liquidés à hauteur de 234,27 euros.

Compte tenu de la nature de la procédure, aucune équité ne justifie d'allouer à l'une ou l'autre des parties une indemnité par application de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens de première instance et d'appel seront supportés par Mme [W] [M] [R].

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire rendu en dernier ressort, en matière commerciale, par mise à disposition au greffe conformément à l'article 451 alinéa 2 du code de procédure civile ;

INFIRME en toutes ses dispositions le jugement rendu le 9 novembre 2020 par le tribunal mixte de commerce de Saint Pierre de la Réunion ;

Et statuant à nouveau

PRONONCE la nullité de la donation intervenue le 18 septembre 2017 aux termes de laquelle Mme [W] [M] [R] faisait donation en nu-propriété à sa fille, Mme [F] [G] [T] et ses petites-filles, [A] [G] [P] [I] et [D] [I] de deux immeubles cadastrés section EK no[Cadastre 4] et [Cadastre 5] et section BW no[Cadastre 3] commune du [Localité 13] (974) ;

DECLARE l'arrêt opposable à la SCP Michel Baret - Jean-François Thève - Jacques Valéry - Anne Rivière - Anne Bost-Benchaa - Pascal Gillot - Dorine Kin Siong-Law Koun, notaires associés ;

Y ajoutant

DIT n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE Mme [W] [M] [R] aux dépens de première instance et d'appel.

Le présent arrêt a été signé par Madame Sophie PIEDAGNEL, Conseillère, et par Madame Nathalie BEBEAU, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LA GREFFIÈRESIGNELA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Saint-Denis-de-la-Réunion
Formation : 06
Numéro d'arrêt : 21/000641
Date de la décision : 12/10/2022
Sens de l'arrêt : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.saint-denis-de-la-reunion;arret;2022-10-12;21.000641 ?
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