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12/10/2022 | FRANCE | N°20/021161

France | France, Cour d'appel de Saint-Denis-de-la-Réunion, 06, 12 octobre 2022, 20/021161


ARRÊT No22/
SP

R.G : No RG 20/02116 - No Portalis DBWB-V-B7E-FOOY

S.A. BANQUE FRANCAISE COMMERCIALE OCEAN INDIEN

C/

[M]

COUR D'APPEL DE SAINT - DENIS

ARRÊT DU 12 OCTOBRE 2022

Chambre commerciale

Appel d'une décision rendue par le TRIBUNAL MIXTE DE COMMERCE DE SAINT-PIERRE DE LA REUNION en date du 16 NOVEMBRE 2020 suivant déclaration d'appel en date du 01 DECEMBRE 2020 RG no 2020001325

APPELANTE :

S.A. BANQUE FRANCAISE COMMERCIALE OCEAN INDIEN
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représentant : Me Cécile BENTOLILA de la

SCP CANALE-GAUTHIER-ANTELME-BENTOLILA, avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION

INTIMÉE :

Madame [P] [M]
[Adresse 2]
...

ARRÊT No22/
SP

R.G : No RG 20/02116 - No Portalis DBWB-V-B7E-FOOY

S.A. BANQUE FRANCAISE COMMERCIALE OCEAN INDIEN

C/

[M]

COUR D'APPEL DE SAINT - DENIS

ARRÊT DU 12 OCTOBRE 2022

Chambre commerciale

Appel d'une décision rendue par le TRIBUNAL MIXTE DE COMMERCE DE SAINT-PIERRE DE LA REUNION en date du 16 NOVEMBRE 2020 suivant déclaration d'appel en date du 01 DECEMBRE 2020 RG no 2020001325

APPELANTE :

S.A. BANQUE FRANCAISE COMMERCIALE OCEAN INDIEN
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représentant : Me Cécile BENTOLILA de la SCP CANALE-GAUTHIER-ANTELME-BENTOLILA, avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION

INTIMÉE :

Madame [P] [M]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représentant : Me Isabelle SIMON, avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION

DATE DE CLÔTURE : 15/11/2021

DÉBATS : en application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 06 avril 2022 devant Madame PIEDAGNEL Sophie, Conseillère, qui en a fait un rapport, assistée de Madame Nathalie BEBEAU, Greffière, les parties ne s'y étant pas opposées.

Ce magistrat a indiqué, à l'issue des débats, que l'arrêt sera prononcé, par sa mise à disposition au greffe le 06 juillet 2022 prorogé par avis au 12 octobre 2022.

Il a été rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Président : Madame Sophie PIEDAGNEL, Conseillère
Conseiller : Madame Pauline FLAUSS, Conseillère
Conseiller : Madame Magali ISSAD, Conseillère

Qui en ont délibéré

Arrêt : prononcé publiquement par sa mise à disposition des parties le 12 octobre 2022.

* * *

LA COUR

Suivant contrat de prêt professionnel no65950 du 27 février 2016, la SA Banque Française Commerciale Océan Indien (la BFCOI ou la banque) a consenti à la SARL Odalyna Beauty dont la gérante est Mme [P] [M] un prêt professionnel d'un montant de 62.000 euros remboursable en 84 mensualités d'un montant de 861,81 euros hors assurance et assorti d'un TEG de 6,3 % destiné à financer l'acquisition de matériel pour son activité de bar à ongles.

Suivant acte sous seing privé du 8 avril 2016, Mme [P] [M] s'est portée caution solidaire dans la limite de la somme de 35.200 euros couvrant le paiement du principal, des intérêts et le cas échéant des pénalités ou intérêts de retard pour la durée de sept ans.

Suivant jugement du tribunal mixte de commerce de Saint-Pierre du 22 mai 2019, la SARL Odalyna Beauty a été placée en sauvegarde, convertie en liquidation judiciaire le 7 novembre 2019.

La BFC OI a déclaré sa créance à hauteur de la somme de 45.676,13 euros le 3 décembre 2019 auprès du liquidateur.

Suivant lettre recommandée avec accusé de réception reçue le 14 décembre 2019, la caution de Mme [M] a été actionnée par la BFCOI.

Par acte d'huissier en date du 3 mars 2020, la BFCOI a fait assigner Mme [M] devant le tribunal mixte de commerce de Saint Pierre de la Réunion aux fins de condamnation à lui payer les sommes de 35.200 euros majorées des intérêts de retard au taux légal à compter de la mise en demeure du 10 décembre 2019 et 2.500 euros au titre des frais irrépétibles.

Mme [M] a conclu au débouté des prétentions de la BFCOI et sollicité, à titre reconventionnel la condamnation de cette dernière à lui verser les sommes de 1.000 euros à titre de dommages-intérêts et 3.000 euros au titre des frais irrépétibles.

C'est dans ces conditions que, par jugement rendu le 16 novembre 2020, le tribunal mixte de commerce de Saint Pierre de la Réunion a :
-débouté la SA Banque Française Commerciale Océan Indien (BFCOI) de sa demande en paiement dirigée contre Mme [P] [M]
-débouté Mme [P] [M] de sa demande de dommages et intérêts
-condamné la SA Banque Française Commerciale Océan Indien (BFCOI) à payer à Mme [P] [M] la somme de 1.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile
-condamné la SA Banque Française Commerciale Océan Indien (BFCOI) aux dépens de l'instance, y compris les rais de greffe taxés et à liquides à hauteur de 66,22 euros.

Par déclaration au greffe en date du 1er décembre 2020, la BFC OI a interjeté appel de cette décision.

Dans ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 7 juillet 2021, la BFCOI demande à la cour, au visa des articles 1103, 1221, 1231-6 et 2288 du code civil et 15, 16 et 673 du code de procédure civile, de :
A titre principal
-annuler le jugement entrepris
-condamner Mme [M] à verser à la BFCOI la somme de 35.200 euros en exécution de son engagement de caution du 8 avril 2016, majorée des intérêts de retard au taux légal à compter de la mise en demeure du 10 décembre 2019
A titre subsidiaire
-infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la BFCOI de ses demandes, condamné la BFCOI à payer à Mme [M] la somme de 1.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et condamné la BFCOI aux dépens
-condamner, en conséquence, Mme [M] à verser à la BFCOI la somme de 35.200 euros en exécution de son engagement de caution du 8 avril 2016, majorée des intérêts de retard au taux légal à compter de la mise en demeure du 10 décembre 2019
En tout état de cause
-débouter Mme [M] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions
-condamner Mme [M] à verser à la BFCOI la somme de 3.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile
-condamner Mme [M] aux dépens de la première instance et de l'appel.

Dans ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 28 juin 2021, Mme [M] demande à la cour de :
Rejetant toutes conclusions contraires comme injustes ou mal fondées
-statuer ce que de droit sur la recevabilité de l'appel
-débouter la BFCOI de l'ensemble de ses demandes relatives à la nullité du jugement de première instance
Au fond
-confirmer la décision entreprise en toutes ses dispositions
Y Ajoutant,
-condamner la BFCOI au paiement de la somme de 3.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est fait expressément référence aux conclusions des parties, visées ci-dessus, pour l'exposé de leurs prétentions et moyens.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 15 novembre 2021 et l'affaire a reçu fixation pour être plaidée à l'audience rapporteur du 6 avril 2022. Le prononcé de l'arrêt, par mise à disposition du greffe, a été fixé au 6 juillet 2022 prorogé au 12 octobre 2022.

SUR CE, LA COUR

A titre liminaire

D'une part, il y a lieu de préciser qu'il sera fait application des dispositions du code civil dans leur version antérieure à l'entrée en vigueur de l'ordonnance no2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve de l'obligation dans la mesure où l'engagement de caution a été pris avant l'entrée en vigueur de la réforme.

D'autre part, le jugement déféré doit être d'ores et déjà confirmé en ce qu'il a débouté Mme [M] de sa demande de dommages et intérêts, cette disposition n'étant pas discutée en cause d'appel par l'intéressée qui a conclu à la confirmation dudit jugement en toutes ses dispositions.

Sur l'annulation du jugement sollicitée par la banque

Selon la banque le principe du contradictoire consacré par les articles 15 et 16 du code de procédure civile et les exigences de l'article 673 du même code ont été violés et, par conséquence, la cour doit annuler le jugement dont appel et trancher l'ensemble du litige conformément à l'effet dévolutif de l'appel prévu à l'article 562 du même code.
Elle soutient qu'en cours de première instance, elle n'a été destinataire que d'un seul jeu de conclusions de Mme [M], à savoir ses conclusions no1 notifiées le 22 juin 2020 car dûment remises à la barre, lors de l'audience et datées et signées à cette occasion par son conseil et accompagnées de ses pièces numérotées de 1 à 7.
Elle fait valoir qu'elle n'a jamais reçu en première instance les conclusions no2 de Mme [M] ni ses nouvelles pièces numérotées de 8 à 22.
Elle considère que l'intimée méconnaît manifestement l'article 673 du code de procédure civile lequel régit précisément la notification directe des actes entre avocats, à savoir la remise de conclusions et pièces contre décharge qui est une obligation légale tendant notamment au respect du contradictoire.
Elle précise que l'adresse « [Courriel 4] » n'est pas l'adresse mail professionnelle de Me [B] [V], associée de la SCP Canale Gauthier Antelme [V] Clotagatide : les adresses mail de Me [V] et de la SCP Canale sont inchangées depuis de nombreuses années à savoir [Courriel 3] et [Courriel 5].
Elle soutient encore que l'oralité des débats devant le tribunal mixte de commerce de Saint-Pierre ne saurait effacer l'absence de notification des conclusions no2 de Mme [M] et de ses pièces no8 à 22 et ajoute qu'il n'y a pas eu de plaidoirie de sorte qu'elle n'a pas eu connaissance des arguments développées dans les conclusions no 2 de Mme [M], ni de ses quinze nouvelles pièces et n'a pas été en mesure d'y répliquer.
Enfin, elle argue que le code de procédure civile n'effectue pas de distinction entre les procédures orales et écrites s'agissant des notifications entre avocats.

Selon Mme [M], ses conclusions no2 et les pièces visées ont bien été communiquées à la banque et le principe du contradictoire n'a pas été violé : elles ont été adressées à l'adresse « [Courriel 4] » qui était l'adresse enregistrée dans le logiciel du cabinet dans la mesure où elle avait été utilisée dans de précédentes affaires et utilisée pour l'envoi des premières conclusions.
Elle fait valoir que le principe d'oralité consiste à exiger des parties qu'elles présentent leurs prétentions oralement à l'audience, que l'oralité touche toutes les demandes susceptibles d'être formulées par les plaideurs et que le juge ne peut statuer que sur les demandes qui ont été formulées oralement.
Elle considère que dans la mesure où il est constant que l'affaire a été débattue oralement en audience publique et que chaque partie a pu exposer ses arguments et discuter des arguments et pièces adverses, le principe du contradictoire a été respecté.
Elle ajoute qu'aucune disposition du code de procédure civile n'impose aux parties de s'échanger leurs conclusions contre décharge signée, les parties devant uniquement respecter le principe du contradictoire.
Elle soutient que les articles 671 et suivants visés par l'établissement bancaire visent uniquement les modalités de communications applicables à la procédure écrite et non la procédure orale, dans le cadre de laquelle la communication des écritures et pièces se fait par tout moyen, or, il a parfaitement été démontré que les conclusions no2 et les pièces visées ont été communiquées sur la même adresse électronique que les conclusions no1 que la banque reconnaît avoir reçu.

Sur quoi,

D'une part,

Aux termes de l'article 542 du code de procédure civile modifié par le décret no2017-891 du 6 mai 2017 : "L'appel tend, par la critique du jugement rendu par une juridiction du premier degré, à sa réformation ou à son annulation par la cour d'appel."

L'appel-annulation ne peut sanctionner qu'une irrégularité dans la procédure d'élaboration du jugement. Il est soumis au droit commun de l'appel.

Il sanctionne une irrégularité caractérisée et particulièrement grave de la part de la juridiction tels que le non-respect des droits de la défense ou la méconnaissance de l'étendue de son pouvoir de juger.

Il n'est possible que sur démonstration d'un excès de pouvoir du juge.

D'autre part,

Dans les procédures écrites avec représentation obligatoire, les conclusions sont notifiées par « acte du palais », c'est-à-dire dans la forme des notifications entre avocats (articles 815 et 961 du code de procédure civile).

Aux termes des articles 671 et 674 du même code, les notifications entre avocats se font, soit par signification, soit par notification directe.

Selon l'article 672 du même code : « La signification est constatée par l'apposition du cachet et de la signature de l'huissier de justice sur l'acte et sa copie avec l'indication de la date et du nom de l'avocat destinataire ».

Selon l'article 673 du même code : « La notification directe s'opère par la remise de l'acte en double exemplaire à l'avocat destinataire, lequel restitue aussitôt à son confrère l'un des exemplaires après l'avoir daté et visé ».

En dehors des procédures écrites où la notification des conclusions est réglementée, elles peuvent être communiquées par tout moyen, notamment par courrier ou par télécopie, voire par courrier électronique.

En l'espèce, il n'est pas contesté que les conclusions no2 ainsi que les pièces ont été communiquées le 6 avril 2020 par courriel à l'adresse personnelle de Me [V], avocate de la banque, comme l'avait été les premières conclusions qui, certes, avaient été en outre déposées et visées par le greffe, étant remarqué que :
-la procédure est orale devant le tribunal mixte de commerce
-l'audience s'est tenue le 5 octobre 2020
-le jugement mentionne bien les demandes et moyens de chaque partir dans l'exposé du litige, même s'il renvoie « pour plus ample exposé des faits, des prétentions et moyens des parties » « aux écritures régulièrement déposées au greffe et auxquelles elles se sont référées lors de l'audience des débats, conformément à l'article 455 du code de procédure civile »
-les parties n'ont pas sollicité l'autorisation de formuler les prétentions et les moyens par écrit prévue à l'article 861 du code de procédure civile impliquant une communication par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ou par notification entre avocats.

Dans ces conditions, Mme [M] établissant la communication desdites conclusions et pièces, et ce, bien avant la date de l'audience publique, la demande tendant à annuler le jugement dont appel ne pourra qu'être rejetée.

Sur la demande principale

Selon la banque, l'ensemble des sommes dues au titre du prêt professionnel no65950 sont devenues exigibles au jour du jugement de conversion de la procédure de sauvegarde de l'EURL Odalyna Beauty en liquidation judiciaire rendu le 7 novembre 2019, outre une indemnité forfaitaire contractuelle égale à 7% du capital restant dû, soit la somme totale de 45.676,13 euros se décomposant comme suit :
-4.423,75 euros correspondant aux cinq échéances de remboursement des mois de juin à octobre 2019
-46,36 euros au titre des intérêts de retard
-38.510,30 euros correspondant au capital restant dû au 07 novembre 2019
-2.695,72 euros (7% x 35.510,30) au titre de l'indemnité forfaitaire contractuelle.
Elle soutient que, conformément à l'article 1103 du code civil, Mme [M] est dans l'obligation de régler ses dettes et ce, dans la limite de la somme de 35.200 euros.
S'agissant de l'absence de disproportion du cautionnement, la banque fait valoir que conformément à la jurisprudence constante de la Cour de cassation, le créancier est en droit de se fier aux informations qui lui sont fournies par la caution sur sa situation patrimoniale ; il n'est pas tenu de les vérifier en l'absence d'anomalies apparentes, or, en l'espèce, Mme [M] a signé une fiche de renseignements, en faisant précéder sa signature de la mention manuscrite suivante : « Je certifie sincères et exacts les renseignements fournis sur les deux pages » dans laquelle elle indique posséder un placement auprès du Crédit Agricole d'un montant de 16.318 euros et des valeurs mobilières d'un montant de 35.000 euros, soit un patrimoine mobilier d'un montant total de 51.318 euros et n'avoir aucune charge.
Elle dément avoir eu connaissance du fait que les placements de Mme [M] étaient affectés à la création de son entreprise au jour de la souscription du cautionnement et du fait que la valeur mobilière déclarée consistait en un véhicule automobile.
Elle ajoute que, dans le cadre d'un virement, l'établissement bancaire destinataire des fonds n'a pas connaissance du type de compte bancaire sur lequel se trouvait initialement les fonds et que, la voiture étant un élément du patrimoine, sa dépréciation ultérieure importe peu puisque, conformément à l'article L332-1 du code de la consommation, la disproportion alléguée s'apprécie à la valeur des biens de la caution au jour de la signature de son engagement.
Elle fait encore valoir que Mme [M] ne produit à aucun moment un état de ses placements auprès du Crédit Agricole qui démontrerait que ceux-ci étaient réduits à néant le 8 avril 2016, jour de la souscription de son engagement de caution et qu'elle ne démontre pas non plus que ses valeurs mobilières déclarées pour un montant 35.000 euros n'existaient plus au jour de son engagement de caution et en déduit qu'elle pouvait valablement se fonder sur les déclarations de l'intimée pour retenir qu'au regard du montant des placements et valeurs mobilières déclarés pour un montant total de 51.318 euros, le cautionnement souscrit dans la limite de la somme de 35.200 euros n'apparaissait pas, au jour de sa signature, disproportionné.

Mme [M] considère qu'elle rapporte la preuve de la disproportion de son engagement de caution par rapport à ses revenus et ses biens au moment de son engagement et de l'insuffisance de son patrimoine lorsqu'elle a été recherchée par le créancier.
Elle fait valoir que, s'agissant du placement auprès du Crédit Agricole d'un montant de 16.318,00 euros, cette somme a servi à régler le montant du capital social s'élevant à 10.000 euros, ainsi que les frais liés au début d'activité de la société et notamment les frais administratifs, honoraires de constitution de la société, frais d'architecte, de licence de marque « BEAUTYBAR ONE», etc. , or, la banque ne pouvait l'ignorer dans la mesure elle a communiqué ces éléments à la gestionnaire du dossier de prêt :« Pour la licence et les redevances en PJ la facture Proforma.», de sorte que ces sommes ne pouvaient légitimement être considérées comme un élément de son patrimoine
Elle soutient que concernant les valeurs mobilières d'un montant de 35.000 euros, elles correspondaient à la valeur de son véhicule de marque Toyota RAV4 à la date de souscription de l'engagement de caution, acquis un an plus tôt par le couple, or, elle avait interrogé l'établissement de crédit sur ce point, dans la mesure où le questionnaire de solvabilité de la caution manquait de clarté, de sorte que la banque ne pouvait ignorer qu'elle avait reporté la valeur de son véhicule, à cette époque, sur la fiche de renseignement de la caution et compte tenu de la forte décote d'un véhicule automobile, la banque ne pouvait valablement considérer qu'il s'agit d'un élément de patrimoine permettant de garantir l'engagement de caution.
Elle ajoute qu'à ce jour, sa situation ne s'est pas améliorée : sa société a été liquidée et elle est actuellement en contentieux avec le bailleur du local commercial ; elle perçoit des allocations Pôle Emploi à hauteur de 1.071 euros par mois, augmentées d'une contribution à l'entretien et à l'éducation de ses enfants à hauteur de 400 euros ainsi que des allocations CAF d'un montant de 546,55 euros ; elle est séparée de son compagnon et a la résidence principale de ses deux enfants ; ses charges mensuelles s'élèvent à 2.327 euros.

Sur quoi,

Pour rappel, dans la mesure où la BFC OI est un créancier professionnel, les dispositions du code de la consommation sont applicables à l'engagement de caution de Mme [M].

Il résulte des dispositions de l'article 2296 alinéa 1er (ancien) du même code civil que :
« La solvabilité d'une caution ne s'estime qu'eut égard à ses propriétés foncières, excepté en matière de commerce ou lorsque la dette est modique.
On n'a point égard aux immeubles litigieux ou dont la discussion deviendrait trop difficile par l'éloignement de leur situation. »

Par ailleurs, en vertu des dispositions des articles L332-1 et L343-4 du code de la consommation (aujourd'hui abrogés par l'ordonnance du 15 septembre 2021 et intégrés au code civil) « Un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation. »

Ces dispositions s'appliquent à toutes les cautions, averties ou non, à condition qu'elle soit une personne physique, au cautionnement présentant un caractère commercial et à tout créancier professionnel.

La disproportion manifeste du cautionnement s'apprécie au regard de la capacité de la caution à faire face, avec ses biens et revenus, non à l'obligation garantie, selon les modalités de paiement propres à celle-ci, c'est à dire aux mensualités des prêts, mais au montant de son propre engagement. Il est tenu compte de l'endettement global de la caution y compris celui résultant d'engagements de caution, quand bien même ces engagements de caution auraient été déclarés disproportionnés, à condition qu'il s'agisse de cautionnements antérieurement souscrits mais il ne peut être tenu compte d'un cautionnement antérieur que le juge déclare nul et qui est ainsi anéanti rétroactivement.

C'est la caution qui supporte la charge de la preuve de démontrer que son engagement de caution était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, le code de la consommation n'imposant pas au créancier professionnel de vérifier la situation financière de la caution lors de son engagement.

La caution qui a rempli, à la demande de la banque, une fiche de renseignements relative à ses revenus et charges annuels et à son patrimoine, dépourvue d'anomalies apparentes sur les informations déclarées, ne peut, ensuite, soutenir que sa situation financière était en réalité moins favorable que celle qu'elle a déclarée au créancier. Ainsi, la banque n'a pas de vérification à faire sur les informations données par la caution dans une fiche que la caution certifiée exacte et signée en l'absence d'anomalies apparentes et peut les opposer sauf à intégrer des charges qu'elle ne pouvait ignorer.

La sanction du caractère manifestement disproportionné de l'engagement de la caution est l'impossibilité pour le créancier professionnel de se prévaloir de cet engagement.

Il incombe au créancier professionnel qui entend se prévaloir d'un contrat de cautionnement manifestement disproportionné lors de la conclusion aux biens et revenus de la caution, personne physique, d'établir que, au moment où il l'appelle, le patrimoine de celle-ci lui permet de faire face à ses obligations.

En l'espèce, selon « contrat de prêt professionnel no65950 » du 27 février 2016, la BFCOI a consenti à la SARL Odalyna Beauty un prêt d'un montant de 62.000 euros au taux nominal fixe de 4,5% l'an (TEG 6,3%) remboursable en 84 mensualités pour financer partiellement des travaux et acquérir du matériel pour la création d'un bar à ongle d'un coût total de 117.000 euros, garantie par un nantissement du fonds de commerce et un cautionnement personnel, solidaire et indivisible de Mme [M], gérant de la société Odalyna Beauty.

Selon « cautionnement solidaire et indivisible », paraphé, signé et portant les mentions manuscrites légales, Mme [M] s'est porté caution de la société Odalyna Beauty à hauteur de 35.200 euros sur 7 ans.

La société Odalyna Beauty a été placé en sauvegarde par jugement en date du 22 mai 2019.

Le 24 juillet 2019, la BFCOI a déclaré sa créance auprès de la SELARL Franklin Bach pour un montant de 45.057,30 euros.

Par jugement en date du 7 novembre 2019, la procédure de sauvegarde a été convertie en liquidation judiciaire et la BFCOI a déclaré sa créance auprès du liquidateur pour un montant de 45.676,13 euros le 3 décembre 2019.

Par courrier recommandé avec demande d'avis de réception daté du 10 décembre 2019 (pli non réclamé), la BFCOI a actionné Mme [M] en sa qualité de caution de la société Odalyna Beauty et mis en demeure Mme [M] de régler la somme de 35.200 euros sous quinzaine.

La BFCOI verse au débats les « renseignements confidentiels sur personne physique appelée à donner une caution » signée par Mme [M] le 9 septembre 2015 et portant la mention manuscrite « je certifie sincères et exacts les renseignements fournis sur les deux pages » dont il ressort qu'à la rubrique « patrimoine mobilier » il est indiqué :
-placement 16.318€ CA
-valeur mobilière 35.000€
-la case « revenu mensuel du travail » est laissée blanche
-le « passif » ne comporte aucun élément.

Mme [M] produit au dossier, notamment :
-les statuts de la société
-les justificatifs de la libération du capital social effectuée auprès de la BFCOI
-le relevé de compte société
-la facture pour la licence de marque Beautybar One : 11.400 euros
-le virement architecte auprès du Crédit Agricole : 1.500 euros
-la facture d'annonce légale : 67,05 euros
-courriels de Mme [M] donnant ordre au Crédit Agricole de procéder au virement de la somme de 2.000 euros auprès de la BFCOI les 10, 16 et 18 mars 2016
-courriel du 9 septembre 2015 dans lequel Mme [M] demande à sa conseillère BFCOI, notamment : « Pour la fiche caution, je suis désolée mais je ne sais pas si elle est correctement remplie en particulier la partie « sûreté » où je ne vois pas vraiment ce que demandez, s'agit-il de mes biens personnels ? Véhicules ?. ? »
-la carte grise du véhicule automobile Toyota Rava

S'agissant de sa situation socio-profesionnelle, Mme [M] verse aux débats, notamment :
-une attestation de paiement Pôle Emploi du 13 novembre 2015 faisant état, notamment d'une allocation d'aide au retour à l'emploi (ARE) de 1.307,61 euros au 5 mai 2015
-un justificatif d'impôt sur le revenu (impôt 2015 sur les revenus 2014) faisant mention de traitement et salaire pour 18.011 euros (soit 1.500,92 euros par mois)
-un avis de situation déclaration à l'impôt sur le revenu 2017 (revenus 2016) ne faisant état d'aucun revenu
-une ouverture de droit à l'allocation ARE du 30 juillet 2020 à raison de 35,70 euros net par jour pendant 215 jours
-une attestation de la caisse d'allocation familiale (CAF) du 14 mars 2020 faisant état d'une allocation de logement versées à la SEM Aménage dévelop équipe pour 425 euros et des allocations familiales sous conditions de ressources de 131,55 euros pour [E] et [T] [F] ainsi qu'une retenue de 49 euros
-un appel de charges de copropriété de 653,77 euros pour le premier trimestre 2020
-frais de garde d'enfant pour 352 euros pour le mois de février 2020.

En l'espèce, rien ne permet d'affirmer, comme le fait Mme [M], que la banque était informée de ce que la somme mentionnée dans la fiche de renseignements comme « placement » auprès du Crédit Agricole était consacrée à la création de la société ni que la « valeur mobilière » reportée à la rubrique « valeur mobilière » correspondait à un véhicule, le courriel du 9 septembre 2015 n'étant suivi d'aucune réponse de la part de la banque

Par ailleurs, si Mme [M] n'a reporté aucune somme au titre des revenus mensuels du travail, force est de constater que le justificatif d'impôt relatif aux revenus 2014) faisait mention de traitement et salaire pour 18.011 euros (soit 1.500,92 euros par mois).

Enfin, Mme [M] fait état d'un loyer de 850 euros par mois alors qu'elle verse aux débats un appel de charge de copropriété.

En tout état de cause, Mme [M] qui a indiqué dans la fiche de renseignement, dépourvue de toute anomalie apparente, détenir un patrimoine mobilier d'un montant total de 51.315 euros (16.318 + 35.000) lui laissant un actif net disponible de 51.315 euros, tandis que son engagement de caution s'élevait à une somme bien inférieure de 35.200 euros et ce, en dépit du fait qu'elle ne faisait état d'aucun revenu, étant remarqué qu'elle ne faisait pas davantage référence à la moindre charge.

Dans ces conditions Mme [M] échoue à rapporter la preuve de l'existence d'une disproportion manifeste par rapport à ses biens et revenus lors de la souscription de son engagement de caution.

En conséquence, le jugement déféré doit être infirmé en ce qu'il a débouté la SA Banque Française Commerciale Océan Indien (BFCOI) de sa demande en paiement dirigée contre Mme [P] [M].

Dans ces conditions, il convient, statuant à nouveau, de condamner Mme [M] à verser à la BFCOI la somme de 35.200 euros en exécution de son engagement de caution du 8 avril 2016, majorée des intérêts de retard au taux légal à compter de la mise en demeure du 10 décembre 2019.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Compte tenu de l'infirmation totale du jugement dont appel, il convient de condamner Mme [M] aux dépens de première instance et d'appel et de la débouter de sa demande au titre des frais irrépétibles pour la procédure d'appel.

Le jugement sera également infirmé en ce qu'il a condamné la banque à payer à Mme [M] la somme de 1.000 euros au titre des frais irrépétibles.

Pour autant, aucun élément de la cause tiré de l'équité ou de la situation économique des parties ne commande qu'il soit fait application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, que ce soit en première instance comme en appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, en matière commerciale, par mise à disposition au greffe conformément à l'article 451 alinéa 2 du code de procédure civile ;

DEBOUTE la SA Banque Française Commerciale Océan Indien de sa demande tenant à voir annuler le jugement rendu le 16 novembre 2020 par le tribunal mixte de commerce de Saint Pierre de la Réunion ;

INFIRME en toutes ses dispositions le jugement rendu le 16 novembre 2020 par le tribunal mixte de commerce de de Saint Pierre de la Réunion ;

Et statuant à nouveau

CONDAMNE Mme [P] [M] à verser à la SA Banque Française Commerciale Océan Indien la somme de 35.200 euros en exécution de son engagement de caution du 8 avril 2016, majorée des intérêts de retard au taux légal à compter de la mise en demeure du 10 décembre 2019 ;

Y ajoutant

DIT n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE Mme [P] [M] aux dépens de première instance et d'appel.

Le présent arrêt a été signé par Madame Sophie PIEDAGNEL, Conseillère, et par Madame Nathalie BEBEAU, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LA GREFFIÈRESIGNELA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Saint-Denis-de-la-Réunion
Formation : 06
Numéro d'arrêt : 20/021161
Date de la décision : 12/10/2022
Sens de l'arrêt : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.saint-denis-de-la-reunion;arret;2022-10-12;20.021161 ?
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