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22/07/2022 | FRANCE | N°16/001091

France | France, Cour d'appel de Saint-Denis-de-la-Réunion, 04, 22 juillet 2022, 16/001091


ARRÊT No22/392
MI

No RG 16/00109 - No Portalis DBWB-V-B7A-EVIO

[P]

C/

[N]
Commune COMMUNE DE [Localité 11]

[W]
[P]

RG 1èRE INSTANCE : 14/01048

COUR D'APPEL DE SAINT- DENIS

ARRÊT DU 22 JUILLET 2022

Chambre civile TGI

Appel d'une décision rendue par le TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE SAINT PIERRE en date du 09 octobre 2015 RG no: 14/01048 suivant déclaration d'appel en date du 25 janvier 2016

APPELANT :

Monsieur [D] [P]
[Adresse 10]
[Localité 1]
Représentant : Me Marie NICOLAS de la SE

LARL ALQUIER et ASSOCIÉS, avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION

INTIMEES :

Madame [I] [N]
[Adresse 8]
[Localité 11]
Représentant : Me ...

ARRÊT No22/392
MI

No RG 16/00109 - No Portalis DBWB-V-B7A-EVIO

[P]

C/

[N]
Commune COMMUNE DE [Localité 11]

[W]
[P]

RG 1èRE INSTANCE : 14/01048

COUR D'APPEL DE SAINT- DENIS

ARRÊT DU 22 JUILLET 2022

Chambre civile TGI

Appel d'une décision rendue par le TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE SAINT PIERRE en date du 09 octobre 2015 RG no: 14/01048 suivant déclaration d'appel en date du 25 janvier 2016

APPELANT :

Monsieur [D] [P]
[Adresse 10]
[Localité 1]
Représentant : Me Marie NICOLAS de la SELARL ALQUIER et ASSOCIÉS, avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION

INTIMEES :

Madame [I] [N]
[Adresse 8]
[Localité 11]
Représentant : Me Ben ali AHMED, avocat au barreau de SAINT-PIERRE-DE-LA-REUNION

COMMUNE DE [Localité 11]
[Adresse 7]
[Localité 11]
Représentant : Me Mickaël NATIVEL de la SELAS SOCIETE D'AVOCATS MICKAEL NATIVEL, avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION

PARTIE INTERVENANTE :

Madame [K] [J] [W] épouse [P]
[Adresse 9]
[Localité 1], représentant : Me Marie NICOLAS de la SELARL ALQUIER et ASSOCIÉS, Postulant, avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION

Madame [M] [P]
[Adresse 2]
[Localité 1], représentant : Me Marie NICOLAS de la SELARL ALQUIER et ASSOCIÉS, Postulant, avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION

CLÔTURE LE : 09 décembre 2021

DÉBATS : En application des dispositions de l'article 804 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 11 Mars 2022 devant la Cour composée de :

Président : Monsieur Patrick CHEVRIER, Président de chambre
Conseiller : Madame Pauline FLAUSS, Conseillère
Conseiller : Madame Magali ISSAD, Conseillère

Qui en ont délibéré après avoir entendu les avocats en leurs plaidoiries.

A l'issue des débats, le président a indiqué que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition le 10 juin 2022 puis prorogé au 22 Juillet 2022.

Greffier : Madame Alexandra BOCQUILLON, ff.

ARRÊT : prononcé publiquement par sa mise à disposition des parties le 22 Juillet 2022.

* * * * *

LA COUR

Exposé du litige

Monsieur [D] [P] a acquis, en 1996, la propriété d'une parcelle cadastrée BW [Cadastre 3] sur la commune de [Localité 11], contiguë à celle de Madame [I] [N], cadastrée BW [Cadastre 6].

Madame [N] a fait édifier sur sa parcelle une maison selon permis de construire en date du 25 octobre 2005.

Se plaignant d'une modification de l'écoulement des eaux pluviales, attribuée à la Commune de [Localité 11], qui aurait pour conséquence d'inonder son terrain, Madame [I] [N] a, par requête en date du 16 janvier 2009, saisi le Tribunal administratif de SAINT-DENIS en indemnisation des préjudices subis, en remise en état de sa propriété et en organisation de travaux propres à remédier au trouble à dire d'expert.

Par jugement en date du 1er octobre 2009, le Tribunal administratif de SAINT-DENIS a décidé que:
- les conclusions dirigées contre les voisins personnes physiques de Madame [I] [N] et les conclusions indemnitaires dirigées contre la Commune de [Localité 11] pour voie de fait sont portées devant une juridiction incompétente pour en connaître,
- le surplus des conclusions de la requête de Madame [I] [N] est rejeté.

Suivant ordonnance en date du 2 juillet 2010, le Juge des Référés du Tribunal de grande instance de SAINT-PIERRE a, à la demande de Madame [I] [N], ordonné une expertise et commis à cet effet Monsieur [C] qui a déposé son rapport le 22 février 2011.

Madame [I] [N] a, par acte d'huissier en date des 25 et 26 août 2012, fait assigner Monsieur [P] et la Commune de [Localité 11] devant le tribunal de grande instance de SAINT-PIERRE aux fins de faire réaliser les travaux nécessaires pour mettre fin à cette situation d'inondation et de voir réparer ses préjudices.

Par ordonnance en date du 27 juin 2013, le juge de la mise en état a déclaré la juridiction judiciaire incompétente compte tenu de la mise en cause de la Commune de [Localité 11].

Madame [N] a alors saisi le Tribunal des Conflits qui, par décision en date du 10 mars 2014, a déclaré la juridiction judiciaire compétente en ce qui concerne le litige l'opposant à Monsieur [P] et a rejeté sa requête concernant le litige l'opposant à la Commune de [Localité 11] en soulignant que, si le Tribunal administratif de SAINT-DENIS s'est déclaré incompétent pour la voie de fait, il a, dans le même jugement daté du 1er octobre 2009, rejeté la demande de Madame [N] relative à la mise en cause de la responsabilité de la Commune de [Localité 11], de sorte que les parties ne se trouvent pas confrontées à une double déclaration d'incompétence.

Par jugement en date du 9 octobre 2015, le tribunal de grande instance de SAINT-PIERRE a :
-mis hors de cause la commune de [Localité 11],
-condamné Madame [N] à mettre son chéneau métallique en conformité avec les règles d'urbanisme,
-condamné Monsieur [D] [P] à élaguer les branches des arbres empiétant sur le fonds de Madame [I] [N],
-rejeté les demandes relatives aux velux de Madame [I] [N],
-dit que la responsabilité de Monsieur [P] est engagée sur le fondement des articles 640 et 1382 du Code civil, et fixé à 40 % le ratio de sa part dans la répartition des préjudices subis par Madame [I] [N],
-dit que la responsabilité de Madame [I] [N] est engagée sur le même fondement et fixé à 60 % le ratio de sa part dans la réparation de ses préjudices,
-condamné Monsieur [D] [P] à faire réaliser dans son mur les ouvertures nécessaires pour que cet ouvrage ne constitue plus un obstacle à l'écoulement des eaux de ruissellement,
-rejeté la demande de Madame [I] [N] au titre de la réalisation de la canalisation de 600 mm au niveau de la servitude de passage,
-condamné Monsieur [D] [P] à payer à Madame [I] [N] les sommes de 2.912,00 € au titre du préjudice tenant aux remontées d'humidité, de 14.000,00 € au titre du préjudice de jouissance et de 3.200,00€ au titre de son préjudice moral,
-rejeté la demande de Monsieur [D] [P] relative à son préjudice moral,
-ordonné l'exécution provisoire seulement pour la condamnation de Monsieur [D] [P] à faire réaliser les ouvertures dans son mur de clôture,
-dit qu'il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,
-condamné Madame [I] [N] et Monsieur [D] [P] aux dépens de l'instance, à raison de 60% pour la première et de 40% pour le second.

Par déclaration au Greffe de la Cour d'Appel de SAINT-DENIS en date du 25 janvier 2016, Monsieur [D] [P] a interjeté appel de cette décision.

Par arrêt en date du 23 février 2018, la cour d'appel de Saint Denis a déclaré irrecevables les demandes dirigées par Madame [I] [N] contre la Commune de [Localité 11], et, ordonné un complément d'expertise confié à Monsieur [Y] [U], avec mission de décrire précisément les ouvertures à pratiquer sur le mur de Monsieur [D] [P] propres à restituer la servitude d'écoulement des eaux provenant du fonds de Madame [I] [N] et en chiffrer le coût, mesurer l'impact de ces ouvertures sur les fonds inférieurs, dire notamment si la construction effectuée sur le fonds supérieur modifie l'écoulement naturel des eaux et aggrave en conséquence la servitude d'écoulement des eaux, le cas échéant, décrire et chiffrer les travaux à effectuer sur le fonds supérieur propres à éviter et en tout cas à limiter cette aggravation et ayant renvoyé l'affaire devant le Conseiller de la Mise en État pour les conclusions des parties en lecture du rapport d'expertise.

Le 20 janvier 2020, le rapport d'expertise a été déposé.

Par conclusions d'incident déposées par RPVA le 6 juillet 2020 par Madame [K] [J] [P], née [W], et Madame [M] [P], ont saisi le conseiller de la mise en état aux fins d'ordonner la réouverture des opérations d'expertise.

Par ordonnance d'incident en date du 06 avril 2021, le conseiller de la mise en état a :
-Rejeté la demande de réouverture des opérations d'expertise;
-Réservé les dépens de l'incident qui suivront le sort de l'instance au fond.
-Renvoyé l'affaire à l'audience de mise en état.

Le 09 décembre 2021 la clôture de l'instruction a été ordonnée.

MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES :

Dans leurs conclusions d'appelant notifiées par RPVA le 04 novembre 2021, Madame [K] [P] et Madame [M] [P] demandent à la cour de :
In limine litis :
- Rejeter comme irrecevables l'ensemble des demandes présentées par Madame [N] dans ses dernières conclusions,
Puis,
- Infirmer le jugement en date du 09 octobre 2015 ;
Statuant au fond ;
A titre principal :
-Débouter Madame [N] de ses prétentions ;
Subsidiairement, si la Cour devait suivre le rapport de Monsieur [U] en ce qu'il précise la nature des trous à réaliser sur le mur (ex) [P] :
-Condamner Madame [N] à financer ou faire réaliser les trous dans le mur, ainsi que les aménagements hydrauliques complémentaires prescrits par Monsieur [U] au chapitre 2.4 de son rapport sur les parcelles BW [Cadastre 3], BW [Cadastre 4] et BW [Cadastre 5] pour rétablir l'écoulement naturel initial ;
En tout état de cause ;
-Condamner Madame [N] à payer aux Consorts [P] la somme de 6 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.

* * * * *

Dans ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 14 octobre 2021 Madame [N] demande à la cour de :
-Constater que la parcelle de terrain cadastrée a été vendue par feu [P],
En conséquence,
-Entendre dire et juger que Madame [P] n'a aucun intérêt à agir dans la présente procédure,
Sur le fond
-Infirmer le jugement querellé en toutes ses dispositions
-Enjoindre à la Commune de [Localité 11] de procéder aux travaux conseillés par l'Expert et à tout autre de nature à faire cesser l'arrivée massive d'eau vers la propriété de Madame [N];
-Assortir cette injonction de parfaite exécution des travaux d'une astreinte de 500 € par jour de retard qui prendra effet trois mois après la signification de la décision à intervenir, afin de laisser à la Commune le temps de s'exécuter ;
-Dire et juger que la Commune de [Localité 11] sera tenue d'une obligation de résultat, de sorte que seule la résolution intégrale du problème pourra mettre fin à l'astreinte ;
-Enjoindre à Monsieur [P] de pratiquer une ouverture dans son mur afin d'assurer un écoulement normal des eaux ;
-Assortir cette obligation d'une astreinte de 50 € par jour qui prendra effet un an après la signification de la décision à intervenir ;
-Condamner solidairement la Commune de [Localité 11] et Monsieur [P] à verser à Madame [N] la somme de 9 000 € au titre des travaux relatifs aux remontées d'humidité ;
-Condamner solidairement la Commune de [Localité 11] et Monsieur [P] à verser à Madame [N] la somme de 26 400 € au titre de son trouble de jouissance (somme à parfaire arrêtée au 22 juillet 2012) ;
-Condamner solidairement la Commune de [Localité 11] et Monsieur [P] à verser à Madame [N] la somme de 20 000 € au titre des dommages et intérêts ;
-Enjoindre Monsieur [P] d'élaguer ses arbres situés à proximité du fonds de Madame [N] ;
-Assortir cette obligation d'une astreinte de 30 € par jour de retard qui prendra effet dix jours après la signification de la décision à intervenir ;
-Condamner solidairement la Commune de [Localité 11] et Monsieur [P] à verser à Madame [N] la somme de 4 000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civil ainsi qu'aux entiers dépens incluant les frais d'expertise ;
-Ordonner l'exécution provisoire nonobstant appel et sans caution de la décision à intervenir ;
A titre infiniment subsidiaire ;
-Confirmer le jugement querellé ;
En tous les cas, rejeter l'ensemble des demandes de Madame [P].

* * * * *

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est fait expressément référence aux conclusions des parties, visées ci-dessus, pour l'exposé de leurs prétentions et moyens.

MOTIFS :

Sur le défaut d'intérêt à agir :

Dans le dispositif de ses conclusions, Madame [N] demande à ce qu'il soit dit et jugé que Mesdames [P] n'ont aucun intérêt à agir dans la présente procédure dans la mesure où Monsieur [P] est décédé et que la propriété a été vendue.

La cour rappelle qu'elle n'est pas tenue de statuer sur les demandes de « constatations » ou de « dire et juger » qui ne sont pas, hors les cas prévus par la loi, des prétentions en ce qu'elles ne sont pas susceptibles d'emporter des conséquences juridiques mais constituent, en réalité, les moyens invoqués par les parties au soutien de leurs demandes.

Il sera toutefois fait observer que Madame [K] [P], sa veuve et Madame [M] [P], sa fille, en leur qualité d'ayants-droits de feu Monsieur [D] [P], disposent d'un intérêt à agir contre un jugement ayant prononcé la condamnation de ce dernier, indépendamment de toute considération de la propriété du terrain.

La fin de non-recevoir doit être rejetée.

Sur l'irrecevabilité des demandes nouvelles :

Aux termes de l'article 566 du code de procédure civile, les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire.

Mesdames [P] concluent à l'irrecevabilité des demandes nouvelles présentées par Madame [N] sans pour autant les préciser.

Il sera toutefois fait observer que par arrêt en date du 23 février 2018, la cour a ordonné un complément d'expertise, que les demandes qui sont formulées sont l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire des premières demandes formulées devant les premiers juges et du complément d'expertise ordonné par la cour.

Dès lors ces demandes ne sauraient être analysées comme des demandes nouvelles.

En conséquence, Mesdames [P] sont déboutées de leur demande d'irrecevabilité des demandes formulées en appel par Madame [N].

Sur les demandes dirigées à l'encontre de la commune de [Localité 11] :

La cour fait observer que par arrêt mixte en date du 23 février 2018, la cour d'appel de Saint Denis a déclaré irrecevables les demandes dirigées par Madame [N] contre la Commune de [Localité 11].

Cet arrêt qui n'a pas été frappé d'un pourvoi, a autorité de la chose jugée.

Dès lors, il n'y a pas lieu de statuer sur les demandes de condamnation de la commune de [Localité 11].

Sur la demande d'élagage des arbres :

La demande ayant déjà été accueillie en premier instance sans être contestée par les intimées, il n'y a donc pas lieu de statuer sur ces prétentions en appel.

Sur les travaux sur le mur affecté par les remontées d'eau :

Madame [N] sollicite la condamnation de la commune de [Localité 11] et de Monsieur [P] au paiement de la somme de 9 000 € au titre des travaux relatifs aux remontées d'humidité.

L'expert [C], dont les constatations ne sont pas contestées sur ce point, relève en page 7 de son rapport : « pour régler le problème d'humidité du mur de la case créole, il est nécessaire de rendre le soubassement coté propriété Mme [N] et imperméabiliser tout le pignon même coté. A mon sens, l'humidité du mur n'est pas consécutive à la canalisation mise en oeuvre par Madame [N] mais est consécutive au fait que de tout temps l'eau des parcelles située en amont s'est écoulée le long de ce mur. ».

Dans la mesure où les demandes formulées par cette dernière à l'encontre de la commune de [Localité 11] sont irrecevables et que la cause du désordre constaté n'est pas imputable à Monsieur [P], Madame [N] sera déboutée de sa demande.

Sur les responsabilités encourues suites aux inondations de la propriété de Madame [N] par fortes pluies :

Suivant l'article 1382 du code civil devenu 1240 du code susvisé, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

Aux termes de l'article 640 du code civil « Les fonds inférieurs sont assujettis envers ceux qui sont plus élevés à recevoir les eaux qui en découlent naturellement sans que la main de l'homme y ait contribué.
Le propriétaire inférieur ne peut point élever de digue qui empêche cet écoulement.
Le propriétaire supérieur ne peut rien faire qui aggrave la servitude du fonds inférieur. ».

Les conditions générales de la responsabilité civile extra contractuelle sont :
-l'existence d'un fait générateur,
-l'existence d'un dommage,
-l'existence d'un lien de causalité entre le fait générateur et le dommage.

Il revient à Madame [N] le fondement de la responsabilité délictuelle, de rapporter la preuve d'une faute, d'un préjudice direct et personnel distinct et d'un lien de causalité entre la faute et le préjudice allégué.

L'expert judiciaire [C] relève que les désordres sont essentiellement consécutifs aux arrivées importantes d'eau qui entraînent des déchets et eaux de ruissellement dans le jardin de Madame [N].

En l'espèce, Madame [I] [N], propriétaire du fonds supérieur, reproche à Monsieur [D] [P], propriétaire du fonds inférieur, d'empêcher l'écoulement des eaux en provenance de son terrain en raison de la présence d'un mur tandis que les consorts [P] soutiennent pour leur part que le mur est antérieur à leur installation dans les lieux en 1992 en leur qualité de locataire et que les problèmes d'écoulement des eaux ont pour origine une aggravation de la servitude existante d'écoulement des eaux du fonds supérieur.

L'expert judiciaire [C] relève que « Toutes les eaux de ruissellement en provenance des fonds supérieurs privés passent par le caniveau orienté sur le côté Nord Sud, que ce n'est qu'au niveau du mur de clôture érigé sur la parcelle de Monsieur [P] que le ruissellement des eaux s'effectue dans le sens Est Ouest alors que l'épandage naturel apparaît être nord sud, que le terrain des consorts [P] dont le remaniement semble antérieur à l'achat par les propriétaires actuels est quasiment horizontal et que le mur de clôture érigé sur la parcelle des consorts [P] fait obstacle à l'écoulement naturel initial des eaux de ruissellement. (Page 15).

Selon l'expert « Ces modifications du bassin versant ont augmenté la vitesse d'écoulement des eaux pluviales et limité les capacités d'infiltration dans le sol ce qui a sans conteste aggravé la servitude des fonds inférieurs et en particulier de la propriété de Madame [N] » (page 10).

L'expert judiciaire [C] conclut, s'agissant des responsabilités : « A mon sens, la Mairie de [Localité 11] est responsable des inondations qui affectent la propriété de Mme [N] pour les raisons suivantes :
-Elle a modifié l'écoulement naturel des eaux au niveau de la rue Amiral Courbet et de l'école des [12].
-Elle a accordé un permis de construire à Madame [N] qui ne pouvait en aucun cas satisfaire aux attendus du permis. « selon lesquels le transit des eaux pluviales ne devait ni être entravé, ni modifié. ».

Il sera fait observer que par arrêt en date du 23 février 2018, la cour d'appel de Saint Denis a déclaré irrecevables les demandes dirigées par Madame [N] contre la Commune de [Localité 11].

Les experts judiciaires concluent que le mur de clôture existant entre la parcelle de Madame [N] et celle de Monsieur [P] fait obstacle à l'écoulement naturel Nord Sud initial des eaux. (Page 20 rapport [C], page 14 rapport [U]).

Les consorts [P] à qui il est reproché en leur qualité de propriétaire du fonds servant d'avoir fait obstacle à l'écoulement des eaux, font observer, que Madame [N] a contribué à la réalisation du dommage par les modifications dans l'écoulement des eaux pluviales les exonérant ainsi de leur responsabilité dans la survenance des désordres.

Monsieur [C] a par ailleurs constaté que la construction de la maison de Madame [N] sur toute la largeur de la parcelle forme un obstacle aux écoulements d'eaux pluviales et de ruissellements, qu'une canalisation de diamètre 400 mm a été mise en oeuvre sous la maison, que, si elle permet d'évacuer un débit d'environ 250 à 300 l/seconde soit un débit horaire de l'ordre de 1000 m3 /heure, ce débit reste, lors des très fortes pluies de type cyclonique, insuffisant. « Le passage d'eau n'a donc pas été entravé, il est évidemment modifié car avant la construction l'eau pouvait se répandre sur toute la largeur du terrain ». (Page 17).

Dans le rapport complémentaire déposé le 20 janvier 2020, l'expert [U] relève l'édification en 2018 de nouvelles constructions par Madame [N] sur sa parcelle depuis la première expertise à savoir une cuisine en maçonnerie d'agglos, une terrasse sur vide sanitaire en lames de bois, un mur en maçonnerie de 2,50 m entre la limite sud de la parcelle et un abri de jardin en maçonnerie en agglos complètement clos dans l'angle nord -est du terrain.

Il a conclu que l'abri de jardin édifié en 2018 est de nature à aggraver la servitude d'écoulement des eaux. (Page 13).

Si aux termes de l'article 640 du code civil, le propriétaire inférieur ne peut point élever de digue qui empêche cet écoulement, le propriétaire supérieur ne peut rien faire qui aggrave la servitude du fonds inférieur.

En l'espèce, il n'est pas contesté que des modifications du bassin versant sont intervenues, qu'elles ont augmenté la vitesse d'écoulement des eaux pluviales et limité les capacités d'infiltration dans le sol , que des modifications dans l'écoulement des eaux pluviales sont intervenues à la suite de l'implantation de la maison de Madame [N], qu'une canalisation de diamètre 400 mm a été mise en oeuvre sous la maison, que le passage d'eau a été modifié car il ne peut plus se répandre sur toute la largeur du terrain, qu'un abri de jardin a été édifié par Madame [N] et que la réalisation d'ouverture dans le mur du fonds servant aurait pour conséquences de voir se déverser les eaux en provenance de l'amont directement sur le terrain du fonds servant au risque de lui transférer les désordres actuellement observés sur le terrain de Madame [N].

Madame [N] soutient que le problème vient non pas de l'écoulement des eaux pluviales de sa parcelle qui ont été canalisées par la canalisation qu'elle a installée mais des eaux pluviales de la parcelle en amont et que l'édification du mur chez M. [P] n'a fait qu'aggraver la situation en modifiant le sens anciennement Nord - Sud d'écoulement des eaux vers un sens Est-Ouest.

Selon les consorts [P], le mur préexistait à leur arrivée en 1992, personne ne s'en était plaint jusqu'à ce que Madame [N] modifie la configuration du terrain aggravant ainsi la servitude d 'écoulement des eaux.

Selon l'expert [C] les désordres sont essentiellement consécutifs aux arrivées importantes d'eau qui entraînent des déchets et eaux de ruissellement dans le jardin de Madame [N], mais que pour autant par arrêt en date du 23 février 2018 , la cour a rappelé que la responsabilité de la commune de [Localité 11] avait été écartée par jugement du tribunal administratif de Saint Denis en date du 1er octobre 2019 et déclaré irrecevables les demandes dirigées à son encontre par Madame [N].

Il devra en outre être relevé que :
- l'implantation de la maison sur toute la largeur de la parcelle a modifié ainsi l'écoulement des eaux ainsi que leur épandage sur le terrain ce qui ne pouvait être ignoré de Madame [N] au regard des attendus du permis de construire ;
- la mise en oeuvre par Madame [N] d'une canalisation sous la maison dont le diamètre s'est avéré insuffisant pour évacuer de très fortes pluies de type cyclonique,
- la construction de l'abri de jardin en juin 2018 par Madame [N] qui a aggravé la servitude d'écoulement des eaux (problème auquel cette dernière a remédié en installant une chéneau).

En l'état, il y a lieu de considérer que n'est pas rapportée la preuve de l'existence d'un lien de causalité direct et certain entre le mur édifié sur la parcelle de terrain servant et les dommages subis par Madame [N] propriétaire du fonds supérieur.

Madame [N] sera déboutée de sa demande de condamnation.

Le jugement déféré sera infirmé en qui il a retenu la responsabilité partielle de Monsieur [P] dans la survenance des désordres.

S'agissant de la réalisation d'une ouverture dans le mur du fonds servant :

L'article 702 du code civil stipule que le propriétaire du fonds dominant est soumis à la règle de la fixité de la servitude, qui lui interdit d'apporter à l'état des lieux des modifications entraînant une aggravation de la charge grevant le fonds servant.

Monsieur [C], comme Monsieur [U], considèrent que la réalisation d'ouvertures dans le mur construit sur la parcelle de terrain des consorts [P] aurait pour conséquence de voir se déverser les eaux ainsi canalisées en provenance de l'amont directement sur le terrain de ce dernier au risque de lui transférer les désordres actuellement observés sur le terrain de Madame [N] ».

Madame [N] fait valoir que conformément à la solution préconisée par l'expert judiciaire [U], il conviendra de faire franchir aux eaux de pluie le mur de clôture et enfin continuer à les canaliser jusqu'au regard à grille existant à l'angle Sud-Ouest du chalet sur le fonds inférieur à la parcelle BX [Cadastre 3], appartenant au père de M. [L] [O].

La réalisation d'ouvertures dans le mur des consorts [P] ne rétablirait pas la servitude initiale d'écoulement des eaux dont bénéficiait le fonds supérieur du fait des modifications successives qui sont intervenues.

Les travaux préconisés par l'expert [U] supposent la réalisation d'une canalisation Est Ouest franchissant le mur de clôture se poursuivant jusqu'au regard à grille existant à l'angle Sud-Ouest du chalet sur le fonds inférieur à la parcelle BX [Cadastre 3], appartenant à M. [L] [O], lequel n'a pas été appelé dans la cause.

De surcroît, outre les dispositions de l'article 640 du code civil interdisant l'aggravation de la servitude d'écoulement des eaux pluviales sur le fonds servant, Madame [N] sollicite la confirmation d'une obligation de faire, imposée à une personne décédée, pour un fonds vendu à un tiers qui n'est pas dans la cause.

Le jugement déféré sera infirmé sur ce point.

Sur le préjudice moral subi par Madame [N] :

Cette dernière qui se prévaut d'un préjudice moral sollicite la condamnation de la commune de [Localité 11] et de Monsieur [P] au versement de la somme de 20 000 euros au titre du préjudice moral subi.

Dans la mesure où les demandes formulées par cette dernière à l'encontre de la commune de [Localité 11] sont irrecevables et que la responsabilité de Monsieur [P] a été écartée, Madame [N] sera déboutée de sa demande de dommages et intérêts.

Sur les troubles de jouissance :

Madame [N], sur le fondement des dispositions de l'article 1382 du code civil, sollicite la condamnation solidaire de la commune de [Localité 11] et de Monsieur [P] au paiement de la somme de 26 400 euros (somme à parfaire arrêtée au 22 juillet 2012) au titre des troubles de jouissance subis à la suite des inondations subies.

Monsieur [C] a estimé à 200 euros par mois les préjudices subis par Madame [N] et ce, depuis le 22 février 2007, date à laquelle la mairie de [Localité 11] a indiqué ne pas vouloir canaliser les eaux pluviales en aval de la maison.

Dans la mesure où la responsabilité de Monsieur [P] a été écartée, Madame [N], sera déboutée de sa demande de dommages et intérêts.

Sur les autres demandes :

En équité, il ne sera pas fait application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Les dépens de première instance et d'appel seront supportés par Mme [N].

Le jugement déféré sera infirmé sur ce point.

* * * * *

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement par décision contradictoire et en dernier ressort,

DECLARE IRRECEVABLES les demandes de condamnation formulées par Madame [N] à l'encontre de la commune de [Localité 11]

DEBOUTE Mesdames [P] de leur demande d'irrecevabilité des demandes formulées en appel par Madame [N] ;

CONFIRME le jugement déféré en ce qu'il a débouté Monsieur [P] de sa demande de dommages et intérêts, dit n'y avoir lieu à article 700 du code de procédure civile ;

INFIRME pour le surplus ;

STATUANT À NOUVEAU SUR LES CHEFS INFIRMÉS :

DEBOUTE Madame [N] de sa demande de condamnation de Monsieur [P] au paiement des travaux relatifs aux remontées d'humidité sur le mur de la maison créole ;

DEBOUTE Madame [N] de sa demande de condamnation de Monsieur [P] au titre de la servitude des eaux, de sa demande d'exécution d'une ouverture dans le mur du fonds servant, de dommages et intérêts au titre du préjudice moral et au titre des troubles de jouissance ;

DIT n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE Madame [N] aux dépens de première instance et d'appel.

Le présent arrêt a été signé par Monsieur Patrick CHEVRIER, Président de chambre, et par Madame Alexandra BOCQUILLON, faisant fonction de greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LA GREFFIÈRE signé LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Saint-Denis-de-la-Réunion
Formation : 04
Numéro d'arrêt : 16/001091
Date de la décision : 22/07/2022
Sens de l'arrêt : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.saint-denis-de-la-reunion;arret;2022-07-22;16.001091 ?
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