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21/06/2022 | FRANCE | N°20/019841

France | France, Cour d'appel de Saint-Denis-de-la-Réunion, 04, 21 juin 2022, 20/019841


Arrêt No
PC

R.G : No RG 20/01984 - No Portalis DBWB-V-B7E-FOGW

[L]

C/

S.A.S. SOCIÉTÉ DE NÉGOCIATION ACHAT DE CRÉANCES CONTENTI EUSES (NACC)
Caisse LA CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE L A REUNION

COUR D'APPEL DE SAINT-DENIS

ARRÊT DU 21 JUIN 2022

Chambre civile TGI

Appel d'une ordonnance rendue par le JUGE DE L'EXECUTION DE SAINT-DENIS en date du 08 OCTOBRE 2020 suivant déclaration d'appel en date du 12 NOVEMBRE 2020 rg no: 19/00084

APPELANT :

Monsieur [O] [T] [H] [Y] [W]
[Adresse 2]
[Adresse 2

]
Représentant : Me Pierre HOARAU,avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION

INTIMEES :

S.A.S. SOCIÉTÉ DE NÉGOCIATION AC...

Arrêt No
PC

R.G : No RG 20/01984 - No Portalis DBWB-V-B7E-FOGW

[L]

C/

S.A.S. SOCIÉTÉ DE NÉGOCIATION ACHAT DE CRÉANCES CONTENTI EUSES (NACC)
Caisse LA CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE L A REUNION

COUR D'APPEL DE SAINT-DENIS

ARRÊT DU 21 JUIN 2022

Chambre civile TGI

Appel d'une ordonnance rendue par le JUGE DE L'EXECUTION DE SAINT-DENIS en date du 08 OCTOBRE 2020 suivant déclaration d'appel en date du 12 NOVEMBRE 2020 rg no: 19/00084

APPELANT :

Monsieur [O] [T] [H] [Y] [W]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représentant : Me Pierre HOARAU,avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION

INTIMEES :

S.A.S. SOCIÉTÉ DE NÉGOCIATION ACHAT DE CRÉANCES CONTENTI EUSES (NACC) La Société de Négociation Achat de Créances Contentieuses (NACC) SAS au capital de 9.032.380 €, immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de Paris sous le no B 407 971 111, dont le siège social est [Adresse 3], représentée par son Directeur Général Délégué, en exercice, domicilié es qualité audit siège
venant aux droits de la Caisse d'Epargne CEPAC, banque coopérative régie par les articles L.512-85 et suivants du Code monétaire et financier - SA à directoire et Conseil d'Orientatin et de Surveillance au capital de 759 825 200 €, ayant son siège social [Adresse 16] - 775 559 404 RCS de Marseille - Intermédiaire en assurance, immatriculé à PORTAS sous le numéro 07 006 180 – Titulaire de la carte professionnelle "transactions sur immeubles et fonds de commerce sans perception de fonds effets ou valeurs" no A06-4122 délivrée par la Préfecture des Bouches du Rhône garantie par la CEGC - [Adresse 1], venant aux droits de la Banque de la Réunion à la suite d'une fusion-absorption entre la Banque de la Réunion et la Caisse d'Epargne (CEPAC)
en vertu d'un acte de cession de créances sous seing privé du 26 juin 2017 déposé au rang des minutes de Maître [S] [K], notaire à [Localité 15], le 30 août 2017

[Adresse 3]
[Adresse 3]
Représentant : Me Amina GARNAULT, avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION

Caisse LA CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE L A REUNION La CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE LA REUNION (CRCAMR), société civile coopérative à capital variable régie par les dispositions des articles L 512-20 à L 512-24 du code monétaire et financier, immatriculée au RCS de Saint-Denis sous le no D 312 617 046, dont le siège social est [Adresse 14], représentée par Monsieur [P] [E], Directeur Général, nommé à cette fonction aux termes d'une délibération du Conseil d'Administration en date du 24 septembre 2018.
[Adresse 14]
[Adresse 14])
Représentant : Me Amina GARNAULT,avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION

DÉBATS : en application des dispositions des articles 778, 779 et 905 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 15 Mars 2022 devant la cour composée de :
Président : Monsieur Patrick CHEVRIER, Président de chambre
Conseiller : Madame Pauline FLAUSS, Conseillère
Conseiller : Madame Magali ISSAD, Conseillère

Qui en ont délibéré après avoir entendu les avocats en leurs plaidoiries.

A l'issue des débats, le président a indiqué que l'arrêt sera prononcé, par sa mise à disposition le 21 Juin 2022.

Arrêt : prononcé publiquement par sa mise à disposition des parties le 21 Juin 2022.

Greffier : Mme Véronique FONTAINE

EXPOSE DE LA PROCEDURE

Par acte notarié en date du 10 octobre 2008, la BANQUE DE LA REUNION a consenti à la SCI MARIANNE un prêt d'un montant de 470.000 euros, au taux de 6,50 % l'an (hors assurance) afin de financer " la construction d'un atelier de menuiserie et des bureaux ". Ce prêt était garanti notamment par:
- L'affectation hypothécaire sur le droit au bail à construction sur le terrain sis à [Adresse 17] et cadastré [Cadastre 4] et [Cadastre 6] ;
- Un cautionnement personnel et solidaire de Monsieur [O] [T] [H] [Y] [W] et de Madame [C] à concurrence chacun de la somme de 611.000 euros pour une durée limitée à 18 ans.
En complément de ces garanties, la Banque a régularisé plusieurs inscriptions sur les biens des cautions et notamment une inscription d'hypothèque judiciaire définitive de 1er rang (pour sûreté de la somme de 505.467,89 €) sur le bien appartenant à Monsieur [W] situé à [Adresse 18] et cadastré [Cadastre 13].

Alléguant le défaut de paiement des échéances à partir du mois d'août 2010, la BANQUE DE LA REUNION a mis en demeure la SCI MARIANNE de régler les échéances impayées, sous peine de déchéance du terme, par lettre du 15 mars 2011. Puis, par lettre recommandée avec accusé de réception du 7 avril 2011, la Banque a adressé à Monsieur [W] une mise en demeure avant déchéance du terme, pour obtenir le paiement de la somme de 29.132,53 euros, augmentée des intérêts de retard majoré de 3 points, soit 9,50 %.

En l'absence de régularisation, le prêteur a prononcé la déchéance du terme du prêt le 10 juillet 2013.

En suite de cette déchéance du terme, la BANQUE DE LA REUNION a fait délivrer un commandement de payer valant saisie immobilière aux époux [W] le 14 octobre 2013, pour une créance de 591.986,01 euros. Par jugement du 12 juin 2014, le juge de l'exécution près le tribunal de grande instance de Saint Denis a validé cette saisie immobilière en fixant la créance du prêteur à la somme de 519.986 euros. Puis, par jugement du 11 septembre 2014, le bien saisi a été adjugé à la Banque poursuivante pour un montant de 48.000 euros, en l'absence d'enchérisseur.

La créance a alors été cédée à la société NACC par acte sous seing privé en date du 26 juin 2017.

Suivant acte Maître [T] [M], Huissiers de Justice associés à [Localité 20] en date du 23 juillet 2019, la société NACC, venant aux droits de la CAISSE D'EPARGNE CEPAC, succédant elle-même aux droits de la BANQUE DE LA REUNION, a alors fait délivrer à Monsieur [W] un commandement de payer valant saisie du bien immobilier situé sur la Commune de [Localité 21] (REUNION), [Adresse 2], cadastré Section [Cadastre 7], [Cadastre 8], [Cadastre 9], [Cadastre 5], [Cadastre 10], [Cadastre 11] et [Cadastre 12]. Ce commandement a été publié le 20 septembre 2019 au Service de la publicité foncière de Saint-Denis sous la référence Volume 2019 S numéro 86.

Le créancier poursuivant a fait dénoncer le commandement de payer valant saisie à la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE LA REUNION (CRCAMR) le 15 novembre 2019.

Puis, par exploit d'huissier en date du 12 novembre 2019, la société NACC a fait assigner Monsieur [W] devant le-juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Saint-Denis aux fins de vente forcée du bien saisi.

Par jugement d'orientation contradictoire en date du 8 octobre 2020, le juge de l'exécution a statué en ces termes :
DEBOUTE Monsieur [W] de sa fin de non-recevoir tirée de la prescription,
CONSTATE que la SA NACC agit en vertu d'un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible,
VALIDE la saisie procédure,
MENTIONNE que la créance de la SA NACC est de 575.302,63 euros (principal, frais, intérêts et autres accessoires),
ORDONNE la vente forcée des biens figurant au commandement de payer valant saisie immobilière publié le 23 septembre 2019 au Service de la publicité foncière de Saint-Denis sous la référence Volume 2019 S no 86,
DIT qu'il y sera procédé, dans les conditions prévues au cahier des conditions de vente, à l'audience d`adjudication du 28 janvier 2021 à 8 heures 30 à la barre du tribunal judiciaire de Saint-Denis (?)

Monsieur [W] a interjeté appel de la décision par déclaration déposée par RPVA au greffe de la cour le 12 novembre 2020.

L'appelant a fait assigner à jour fixe la société NACC et la CRCAMR par actes d'huissier en date du 25 novembre 2020, selon autorisation du premier président délivrée sur requête le 19 novembre 2020, ayant précisé que la date limite de l'assignation était fixée au 26 novembre 2020 à peine de caducité de la présente ordonnance. L'assignation a été déposée au greffe de la cour le 27 novembre 2020

L'affaire a été examinée à l'audience du 15 mars 2022 après de multiples renvois à la demande des parties.

***

Aux termes de ses dernières conclusions déposées par RPVA le 15 novembre 2021, Monsieur [W] demande à la cour de :
Dire et juger que son appel est parfaitement fondé et réformer le jugement du juge de l'exécution de Saint-Denis du 8 octobre 2020 en toutes ses dispositions.
I- Avant dire droit,
Enjoindre la NACC venant aux droits de la Banque de la Réunion d`avoir à produire le dossier de solvabilité des cautions lors de la passation de l'acte du 10 octobre 2008.
Enjoindre la NACC d`avoir à produire la lettre prononçant la déchéance du terme du prêt en cause.
Enjoindre la NACC d'avoir à expliquer la " créance actualisée en principal au 26 juin 2017 à 440.177,64 euros.
II - A défaut,
Vu les articles L 311-2 et suivants du Code des Procédures Civiles d'Exécution,
Vu le Code de la Consommation notamment les articles L 218-2 et suivants et L 332-1 et suivants,
Dire et juger que l'action de la NACC est prescrite,
Dire et juger que la caution dont l'exécution est demandée est nulle et de nul effet.
Dire et juger que la NACC et le CRCAMR ne peuvent se prévaloir de la caution donnée par M. [W] en raison de son caractère disproportionné par rapport aux ressources et au patrimoine du concluant.
Dire et juger que la NACC ne justifie pas d'une créance déterminée, liquide et exigible à l'encontre de M. [W] [O].
Déclarer caduc le commandement de payer valant saisie immobilière du 23 juillet 2019,
III - En tout état de cause.
Dire et juger que la carence de la Banque dans la vérification de la solvabilité des cautions engage sa responsabilité de nature contractuelle.
Condamner en conséquence la NACC reprenant les droits de la CEPAC à payer la somme de 470.177,64 euros ;
Condamner la Société NACC au paiement de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles.
Subsidiairement,
Voir autoriser l'appelant à vendre amiablement le bien en cause pour un prix de 170.000 euros.
Rejeter toutes demandes autres ou contraires, notamment de vente forcée dudit bien.

L'appelant affirme en premier lieu que la NACC n'a produit aucune lettre prononçant la déchéance du terme. Non seulement il est impossible de vérifier le quantum de la créance réclamée mais il n'est pas possible d'avoir la date de la première échéance impayée du prêt en cause alors que Monsieur [W] est recherché en qualité de caution solidaire d'une SCI familiale pour l'achat d'un bien immobilier dont la destination n`a pas d'importance, la SCI n'ayant pas d'activité professionnelle. Ainsi, le délai de prescription de l'action entre le professionnel et la personne physique est bien de deux ans. Ce délai est expiré depuis longtemps.

Selon l'appelant son engagement comme caution était disproportionné par rapport à sa capacité financière. Il précise que la Banque n`a produit aucun élément du dossier de prêt, la loi lui faisant pourtant obligation de vérifier la solvabilité dc la caution. Monsieur [W] plaide qu'à l'époque du prêt il avait un revenu de 2.000 euros par mois dans le cadre d`une société liquidée et que son épouse travaillait à l'ARAST pour un salaire de 1.300 euros par mois. Sur le plan patrimonial, le concluant était propriétaire d'un terrain familial pour avoir racheté les parts de ses frères et s?urs, d'une valeur de 23.644 euros et d*un autre terrain d`une valeur de 45.200 euros vendu en 2014 au prix de 48.000 euros. Or, son engagement portait sur une somme globale de 765.000 euros avec un capital prêté au départ de 470.000 euros et une échéance mensuelle de plus de 4.000 euros.

***

Aux termes de ses dernières conclusions responsives et récapitulatives d'intimée, déposées par voie électronique le 1er mars 2022, la société NACC demande à la cour de :
DIRE ETJUGER Monsieur [W] mal fondée en son appel.
L'EN DEBOUTER, `
DEBOUTER Monsieur [W] de ses griefs et de sa nouvelle demande au titre des dommages et intérêts.
A titre principal,
ORDONNER la vente amiable du bien pour un montant minimum de 170.000€ dans le délai impératif de six mois.
A titre subsidiaire,
CONFIRMER en toutes ses dispositions le jugement d'orientation rendu par le Tribunal Judiciaire de Saint Denis le 8 octobre 2020,
Dans tous les cas,
CONDAMNER Monsieur [W] à payer à NACC la somme de 10.000 € au titre des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile ainsi qu'aux entiers dépens d'appel.

La société NACC soutient que sa créance n'est aucunement prescrite alors que la prescription biennale dont tente de se prévaloir Monsieur [W] n'est pas applicable en l'espèce, s'agissant d'un prêt à une personne morale, la SCI LA MARINANNE, à destination professionnelle.
Il est en effet destiné à financer la "construction d'un atelier de menuiserie et des bureaux"(tel que cela ressort de l'acte notarié lui-même) sur un terrain à [Localité 19]. La Banque bénéficiait d'ailleurs d'un nantissement sur le droit au bail à construction consenti à la SCI LA MARIANNE (page 2 de de l'acte notarié de prêt). Or, l'article L 137-2 du code de la consommation, dans sa version en vigueur au moment de l'acte de prêt et de cautionnement, vise exclusivement les consommateurs. Cette notion de " consommateur " est, depuis l'entrée en vigueur de la loi du 2014-344 du 17 mars 2014, strictement définie comme n'incluant que les personnes physiques. Les personnes morales, même sans activité professionnelle, ne peuvent se prévaloir de la prescription biennale. Or, c'est à la société SCI LA MARIANNE et non pas à Monsieur [W] simple caution, que le prêt a été consenti.
La société NACC considère que le premier juge a légitimement débouté Monsieur [W] du grief de disproportion de l'engagement de la caution en retenant que ce dernier s'est abstenu de rapporter la preuve, dont il supporte la charge, de la disproportion entre son engagement de caution et de sa capacité d'y faire face. Selon l'intimée, Monsieur [W] maintient devant la Cour un tel argument et afin de palier à sa propre carence, tente de renverser la charge de la preuve demandant avant dire droit à ce qu'il soit communiqué le dossier de solvabilité des cautions. Par ailleurs, Monsieur [W] a consenti son engagement de caution personnelle et solidaire dans le cadre d'un acte notarié. Il a donc bénéficié des conseils éclairés et des avertissements d'un notaire avant de s'engager. Il était en conséquence parfaitement informé de la portée de son engagement de caution, selon la société NACC qui affirme que les tous derniers éléments versés aux débats sur les revenus de Monsieur [W] et Madame [C] sont inopérants alors qu'ils restent particulièrement taisant sur leur patrimoine immobilier dont elle produit la liste et la valorisation. La société NACC fait observer que Monsieur [W] est gérant de plusieurs sociétés : la SCI LA MARIANNE (locations de terrains et biens immobiliers), la société KASABWA CONSTRUCTIONS (Travaux de Charpente), la société REUNION INDUSTRIE BOIS (Travaux de Charpente). Monsieur [O] [W] est également mandataire de la société FIBRES SA (sciage et rabotage du bois). En tout état de cause, sans prendre en considération les revenus de monsieur [W] et de Madame [C], qu'ils se refusent à communiquer le patrimoine immobilier de ces derniers suffit lui seul à faire face aux engagements de caution qu'ils ont souscrits.

***

Pour plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, il convient de se reporter à leurs écritures ci-dessus visées figurant au dossier de la procédure en application de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

La cour rappelle, à titre liminaire, qu'elle n'est pas tenue de statuer sur les demandes de " constatations " ou de " dire et juger " qui ne sont pas, hors les cas prévus par la loi, des prétentions en ce qu'elles ne sont pas susceptibles d'emporter des conséquences juridiques mais constituent, en réalité, les moyens invoqués par les parties au soutien de leurs demandes.

Sur la fin de non-recevoir titrée de la prescription de l'action en paiement :

Aux termes de l'article L. 311-2 du code des procédures civiles d'exécution, tout créancier muni d'un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible peut procéder à une saisie immobilière dans les conditions fixées par le présent livre et par les dispositions qui ne lui sont pas contraires du livre 1er.

Aux termes de l'article L. 137-2 du code de la consommation, issu de la loi No 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile, l'action des professionnels, pour les biens ou les services qu'ils fournissent aux consommateurs, se prescrit par deux ans.

Monsieur [W] invoque ces dispositions, pour soutenir que l'action de la société NACC est prescrite.

Si ce texte était bien en vigueur lors de la conclusion des contrats de prêt et de cautionnement, il est incontestable que la BANQUE DE LA REUNION, en consentant un prêt professionnel à la SCI MARIANNE, personne morale, a obtenu la garantie personnelle des cautions, dont Monsieur [W], sans leur avoir fourni aucun service au sens de l'article L. 137-2, devenu L. 218-2 du code de la consommation et alors que la personne morale emprunteuse ne peut bénéficier des dispositions protectrices du code de la consommation..

Il s'en déduit que la prescription biennale édictée par le code de la consommation est inapplicable à l'action en paiement de la société NACC.

Le jugement querellé doit être confirmé de ce chef.

Sur la disproportion de l'engagement de la caution :

Vu l'article L. 341-4 du code de la consommation, devenu L. 332-1, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 14 mars 2016 rédigé comme suit : "Un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation".

La disproportion manifeste du cautionnement s'apprécie au regard de la capacité de la caution à faire face, avec ses biens et revenus, non à l'obligation garantie, selon les modalités de paiement propres à celle-ci, mais au montant de son propre engagement.

Cependant, il appartient à la caution, personne physique, qui entend se prévaloir du caractère manifestement disproportionné du cautionnement à ses biens et revenus, lors de la souscription de son engagement, d'en apporter la preuve.

Il incombe ensuite au créancier professionnel qui entend se prévaloir d'un contrat de cautionnement manifestement disproportionné lors de sa conclusion aux biens et revenus de la caution, personne physique, d'établir qu'au moment où il l'appelle, le patrimoine de celle-ci lui permet de faire face à son obligation.

L'engagement de caution conclu par une personne physique au profit d'un créancier professionnel ne doit pas être manifestement disproportionné aux biens et revenus déclarés par la caution, dont le créancier, en l'absence d'anomalies apparentes, n'a pas à vérifier l'exactitude.

Enfin, la sanction de la disproportion manifeste de l'engagement de la caution prive le contrat de cautionnement d'effet à l'égard du créancier.

En l'espèce, l'engagement de caution de Monsieur [W] portait sur la somme de 611.000 euros au titre d'un prêt de 470.000 euros moyennant un taux d'intérêt annuel de 6,50 %.

Pour alléguer la disproportion de son engagement, Monsieur [W] produit les bulletins de paye de décembre 2007 et décembre 2008 de Mme [W], l'avis d'imposition sur les revenus de 2007 et 2008.

Selon ces bulletins de salaire, Madame [R] [W] percevait un revenu net imposable cumulé de 17.496,22 euros pour l'année 2007 et de 18.030,52 euros pour l'année 2008.

L'avis d'imposition sur les revenus de 2008 du couple confirme cette somme pour Madame et permet de relever que Monsieur [W] percevait un revenu net global de 31.635 euros pour l'année 2008.
Le couple a aussi déclaré des revenus de capitaux mobiliers pour 16.800 euros et des revenus fonciers nets pour 56.865 euros.

A ces ressources, il est nécessaire d'ajouter le patrimoine immobilier évoqué par la Banque.

Selon l'acte de donation-partage, dressé les 21 décembre (2007) et 14 février 2008 (pièce No 1 de l'appelant), dont seule la page 5 a été produite, le bien donné avait une valeur de 23.644,70 euros, s'agissant d'une parcelle de terrain comprenant une construction située à [Adresse 22].
Madame [R] [C], future épouse [W], avait acquis en 2004 une parcelle de terrain de 815 m² située à [Localité 21] (pièce No 2 de l'appelant) au prix de 45.200 euros.

Enfin, l'appelant verse aux débats deux actes notariés établissant qu'il a vendu deux biens immobiliers lui appartenant le 6 novembre 2020 (pièce No 8) et selon promesse de vente du 10 novembre 2021 (pièce No 9), pour les sommes respectives de 50.000 euros et de 170.000 euros, le prix de ces ventes ayant été perçu par la société NACC en raison de l'inscription de son privilège sur chacun des biens.

La société NACC verse aux débats la fiche de renseignements confidentiels remplie par Monsieur [O] [W] le 19 août 2008 et celle de Madame [R] [W] remplie le même jour.

Selon ces fiches, Monsieur [W] a déclaré disposer de la somme de 27.000 euros au titre de ses ressources professionnelles, être propriétaire de quatre biens immobiliers représentant une valeur totale de 486.220 euros tandis qu'il devait supporter un endettement au titre de trois prêts pour un total actualisé d'environ 69.300 euros.

Son épouse a déclaré un revenu professionnel annuel de 17.496 euros et la propriété de deux biens immobiliers dont une maison pour un total de 245.200 euros, ce dernier bien lui procurant un revenu foncier de 7.800 euros. Madame [W] déclarait aussi un emprunt à solder pour la somme de 9.945,13 euros à cette date.

Sachant que Monsieur et Madame [W] étaient les deux seuls associés de la SCI MARIANNE pour laquelle ils se sont portés cautions solidaires, la cour retient qu'il n'existait pas de disproportion manifeste entre l'engagement du couple et le montant maximal à garantir au titre du prêt professionnel consenti à la SCI MARIANNE puisque le patrimoine déclaré par les cautions au mois d'août 2008 s'approchait du montant envisagé dans les actes d'engagement, soit 611.000 euros.

La BANQUE DE LA REUNION n'avait donc commis aucune faute ni aucun manquement à son obligation de conseil envers les cautions. La demande de dommages et intérêts dirigée contre la NACC à ce titre doit donc être rejetée.

En conséquence, il convient de confirmer le jugement entrepris de ce chef.

Sur la détermination de la créance :

Sur l'absence de courrier prononçant la déchéance du terme :

Vu les articles 6 et 9 du code de procédure civile, 1353 du code civil ;
Vu les articles 1134 et 1184 du code civil dans leur rédaction en vigueur lors de la conclusion du prêt ;

Monsieur [W] [O] plaide que la société NACC est dans l'incapacité de justifier du montant de sa créance alors qu'elle ne produit pas la preuve de la déchéance du terme du contrat de prêt consenti à la SCI MARIANNE et cautionné par lui. Ainsi, il ne justifierait pas d'une créance déterminée, liquide et exigible.

En l'espèce la société NACC produit en pièces No 10 et 11 les lettres recommandées avec accusé réception adressées par la BANQUE DE LA REUNION à la SCI MARIANNE et à Monsieur [O] [W], respectivement en date des 15 mars 2011 et 7 avril 2011.

Le courrier adressé à la SCI MARIANNE met en demeure la société débitrice de régler le solde des échéances impayées sous huit jours, représentant un total de 24.881,72 euros, étant rappelé que les échéances du prêt s'élevaient à la somme de 4.250 euros par mois. Le prêteur y énonce clairement que, passé ce délai, il se verrait contraint de prononcer la déchéance du terme.

Le courrier daté du 7 avril 2011, adressé à Monsieur [W] s'intitule " DERNIER AVIS AVANT DECHEANCE DU TERME - MISE EN DEMEURE ". Il indique à la caution qu'à défaut de régularisation sous quinzaine, la BANQUE DE LA REUNION procédera à la déchéance du terme conformément aux dispositions contractuelles.

La société NACC ne produit pas les courriers informant la SCI MARIANNE et les cautions solidaires de la déchéance du terme.

Cependant, lorsqu'une mise demeure, adressée par la banque à l'emprunteur et précisant qu'en l'absence de reprise du paiement des échéances dans un certain délai la déchéance du terme serait prononcée, est demeurée sans effet, la déchéance du terme est acquise à l'expiration de ce délai sans obligation pour la banque de procéder à sa notification.

En l'espèce, l'acte authentique de prêt ne prévoit pas qu'un courrier prononçant la déchéance du terme soit adressé à l'emprunteur et aux cautions après une mise en demeure d'avoir à régulariser des impayés.

Il reste donc à examiner le décompte produit par la société NACC pour vérifier le montant de sa créance, ce qui relève de l'office du juge.

Sur le décompte de la créance :

Le premier juge a retenu que la créance de la NACC s'élève à la somme totale de 575.302,63 euros en principal, frais, intérêts et autres accessoires.

Selon le décompte de la créance de la SCI MARIANNE au 10 juillet 2013 (pièce No 16 de la NACC), qui est la date de la déchéance du terme retenue par la BANQUE DE LA REUNION, les sommes restant dues à cette date étaient les suivantes :
-Echéances impayées à la date de la déchéance du terme : 148.155,21 €
-Capital restant dû au 10 juillet 2013 (échéance No 53 du tableau d'amortissement) : 378.816,54 €
-Indemnité d'exigibilité (clause pénale de 8 % sur CRD) : 42.157,74 €
-Intérêts de retard sur l'intégralité au taux conventionnel de 6,5% :20.011,74€

TOTAL : 609.599,28 €

La créance cédée par la CEPAC, venant aux droits de la BANQUE DE LA REUNION, s'élevait, selon l'attestation du notaire ayant reçu l'acte le 3 août 2017, à la somme de 620.264,00 euros.

Par courrier en date du 24 janvier 2018, la NACC avait avisé Monsieur [O] [W] qu'elle avait été indemnisée de la somme de 115.432 euros au titre de l'hypothèque conventionnelle qui avait été prise par la CEPAC sur le bail à construction pris en garantie auprès de la SCI MARIANNE (qui était d'ailleurs l'objet du prêt litigieux et des cautionnements en cause).

Puis, cette cession de créance a été signifiée à Monsieur [W] par acte d'huissier délivré le 8 juillet 2019 (pièce No 5 de l'intimée).

Enfin, le décompte figurant sur le commandement aux fins de saisie-vente délivré par la société NACC à Monsieur et Madame [W] le 18 juillet 2019, mentionne le décompte suivant :
Principal : 440.177,64 €
Intérêts au taux de 6,5 % arrêtés au 21 janvier 2019 : 109.648,96 €
Coût de l'acte : 495,74 €
TOTAL : 550.322,34 €

La société NACC évoque, et produit, un jugement d'orientation en date du 12 juin 2014, qui fixait alors la créance de la BANQUE DE LA REUNION à la somme de 519.986 euros. Toutefois, il n'est pas établi que ce jugement, qualifié par erreur de contradictoire, ait été signifié aux débiteurs et ne soit pas devenu non avenu en réalité.

Ce jugement a néanmoins donné lieu à adjudication par jugement du 11 septembre 2014 avec carence d'enchères, la BANQUE DE LA REUNION s'étant fait recevoir comme adjudicataire pour la somme de 48.000 euros.

Ainsi, face à ces différentes estimations de la créance de l'intimée, le décompte figurant au commandement aux fins de saisie vente n'est pas assez précis pour que la somme fixée en principal soit retenue alors que le décompte des intérêts de retard, de la clause pénale, du capital restant dû, des acomptes perçus et de l'adjudication du 11 septembre 2014 ne sont pas suffisamment précisés dans l'acte pas plus que dans les conclusions de la NACC qui ne produit aucun historique de sa créance.

Comme lorsque seul le montant de la créance du poursuivant demeure à fixer, le juge est tenu de déterminer ce montant et, à cette fin, de faire, s'il y a lieu, les comptes entre les parties, sans pouvoir s'y refuser en se fondant sur l'insuffisance des preuves qui lui sont fournies (CIV ; 2 - 11 mai 2017 - No 16.16.106), la cour ordonne la réouverture des débats afin d'inviter la société NACC à produire un décompte actualisé de sa créance, en retraçant son historique depuis la déchéance du terme, distinguant les intérêts et les frais, et les parties à discuter éventuellement ce décompte.

Sur les demandes de production de pièces par la société NACC :

Compte tenu de ce qui précède, il n'y a pas lieu d'accueillir la demande de production du dossier de solvabilité des cautions lors de la passation de l'acte du 10 octobre 2008 ni de la lettre prononçant la déchéance du terme du prêt en cause.

Cependant, il doit être fait injonction à la société NACC de produire un décompte actualisé de sa créance, en retraçant son historique depuis la déchéance du terme, distinguant les intérêts et les frais.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, en matière civile et en dernier ressort, par mise à disposition au Greffe conformément à l'article 451 alinéa 2 du Code de procédure civile,

REJETTE la demande d'injonction aux fins de communication du dossier de solvabilité des cautions lors de la passation de l'acte du 10 octobre 2008 et de la lettre prononçant la déchéance du terme du prêt en cause ;

CONFIRME le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action en paiement de la société NACC et les demandes relatives aux manquements de la banque à ses obligations ainsi que celle relative à la disproportion de l'engagement de caution ;

AVANT DIRE DROIT,

ORDONNE la réouverture des débats;

FAIT INJONCTION à la société NACC de produire un décompte actualisé de sa créance, en retraçant son historique depuis la déchéance du terme, distinguant les intérêts et les frais ;

INVITE les parties à présenter leurs observations sur ce décompte avant le 31 août 2022 ;

RENVOIE l'examen de l'affaire à l'audience du 20 septembre 2022 à 10 heures 00 ;

RESERVE toutes les autres demandes.

Le présent arrêt a été signé par Monsieur Patrick CHEVRIER, Président de chambre, et par Mme Véronique FONTAINE greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Saint-Denis-de-la-Réunion
Formation : 04
Numéro d'arrêt : 20/019841
Date de la décision : 21/06/2022
Sens de l'arrêt : Réouverture des débats

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.saint-denis-de-la-reunion;arret;2022-06-21;20.019841 ?
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