La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

13/05/2022 | FRANCE | N°20/006051

France | France, Cour d'appel de Saint-Denis-de-la-Réunion, 04, 13 mai 2022, 20/006051


ARRÊT No22/
PF

No RG 20/00605 - No Portalis DBWB-V-B7E-FLL4

[K] [L] [A]

C/

[K] [L] [A]
[K] [L] [A]
[K] [L] [A]
[K] [L] [A]
S.C.I. [K] [L] [A]

RG 1èRE INSTANCE : 18/02806

COUR D'APPEL DE SAINT- DENIS

ARRÊT DU 13 MAI 2022

Chambre civile TGI

Appel d'une décision rendue par le TJ HORS JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP DE SAINT-PIERRE en date du 14 février 2020 RG no: 18/02806 suivant déclaration d'appel en date du 27 mars 2020

APPELANT :

Monsieur [U] [K] [L] [A]
[Adresse 8]
[Localité 11]
ReprÃ

©sentant : Me Jean claude DULEROY, avocat au barreau de SAINT-PIERRE-DE-LA-REUNION

INTIMES :

Monsieur [P] [K] [L] [A]
[Adresse 6]
[Localité 11]...

ARRÊT No22/
PF

No RG 20/00605 - No Portalis DBWB-V-B7E-FLL4

[K] [L] [A]

C/

[K] [L] [A]
[K] [L] [A]
[K] [L] [A]
[K] [L] [A]
S.C.I. [K] [L] [A]

RG 1èRE INSTANCE : 18/02806

COUR D'APPEL DE SAINT- DENIS

ARRÊT DU 13 MAI 2022

Chambre civile TGI

Appel d'une décision rendue par le TJ HORS JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP DE SAINT-PIERRE en date du 14 février 2020 RG no: 18/02806 suivant déclaration d'appel en date du 27 mars 2020

APPELANT :

Monsieur [U] [K] [L] [A]
[Adresse 8]
[Localité 11]
Représentant : Me Jean claude DULEROY, avocat au barreau de SAINT-PIERRE-DE-LA-REUNION

INTIMES :

Monsieur [P] [K] [L] [A]
[Adresse 6]
[Localité 11]
Représentant : Me Iqbal AKHOUN de la SELARL IAVOCATS et PARTNERS, avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION

Madame [Z] [K] [L] [A]
[Adresse 6]
[Localité 11]
Représentant : Me Iqbal AKHOUN de la SELARL IAVOCATS et PARTNERS, avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION

Madame [J] [O] [K] [L] [A]
[Adresse 6]
[Localité 11]
Représentant : Me Iqbal AKHOUN de la SELARL IAVOCATS et PARTNERS, avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION

Madame [D] [K] [L] [A]
[Adresse 10]
[Localité 5]
Représentant : Me Iqbal AKHOUN de la SELARL IAVOCATS et PARTNERS, avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION

S.C.I. [K] [L] [A]
[Adresse 3]
[Localité 11]
Représentant : Me Bernard VON PINE, avocat au barreau de SAINT-PIERRE-DE-LA-REUNION

CLÔTURE LE : 09 septembre 2021

DÉBATS : En application des dispositions de l'article 804 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 11 Février 2022 devant la Cour composée de :

Président :Monsieur Patrick CHEVRIER, Président de chambre
Conseiller :Madame Pauline FLAUSS, Conseillère
Conseiller :Madame Magali ISSAD, Conseillère

Qui en ont délibéré après avoir entendu les avocats en leurs plaidoiries.

A l'issue des débats, le président a indiqué que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition le 08 avril 2022 puis prorogée au 13 Mai 2022.

Greffier: Madame Alexandra BOCQUILLON, ff.

ARRÊT : prononcé publiquement par sa mise à disposition des parties le 13 Mai 2022.

* * *

LA COUR

[B] [K] [L] [A] est décédé le [Date décès 1] 2015, laissant pour lui succéder son épouse Mme [J] [O] [E] et ses enfants :
- [Z] [K] [L] [A]
- [P] [K] [L] [A]
- [D] [K] [L] [A].

Ceux-ci sont ainsi venus aux droits de [B] [K] [L] [A], associé au titre de 3196 des 25.000 parts (12,78%) de la SCI [K] [L] [A] (CKS), cogérée depuis 1999 par M. [K] [L] [A] [U] et M. [K] [L] [A] [K] [S].

La SCI CKS est propriétaire à St Joseph des biens immobiliers suivants:
- [Adresse 9], une maison inoccupée
- [Adresse 7], un immeuble loué à différentes enseignes détenues notamment par les sociétés SELS (Leader Price) SARL Brico Saint-Joseph (BSJ, exploitant Weldom);
- [Adresse 4], un immeuble inoccupé;
-[Adresse 2], un immeuble comportant notamment à l'étage, un appartement occupé à titre gratuit par Mme [T] [K] [L] [A] et au rez-de-chaussée des surfaces commerciales.

Par acte d'huissier du 5 octobre 2016, Mme [J] [O] [E] et ses enfants [Z], [P] et [D] [K] [L] [A], dénommés ci-après les consorts [K] [L] [A], ont assigné en référé la SCI CKS et obtenu, par ordonnance de référé du 23 novembre 2016, la condamnation sous astreinte de cette dernière à leur communiquer la copie des statuts, des trois derniers bilans comptables, des titres de propriété des immeubles et des baux concernant les immeubles lui appartenant.

Une mesure d'expertise, confiée à M. [Y], destinée à évaluer les actifs immobiliers de la société CKS était également ordonnée par le juge des référés.

Par jugement du 8 septembre 2017, le juge de l'exécution du tribunal de Saint-Pierre a liquidé l'astreinte à la somme de 33.000 euros et constaté que les documents visés dans l'ordonnance de référé avaient été communiqués le 25 août 2017.

L'expert judiciaire [M], désigné en remplacement de M. [Y], a déposé son rapport le 9 novembre 2017. Il évaluait les actifs immobiliers de la SCI à la somme de 5,8 millions d'euros.

Par actes d'huissier des 21 et 26 septembre 2018, les consorts [K] [L] [A] ont assigné devant cette même juridiction la SCI et M. [U] [K] [L] [A], son gérant depuis 1999, sur le fondement de l'action ut singuli et en indemnisation de leur préjudice personnel pour rupture de l'égalité entre les actionnaires à raison de fautes de gestion imputées à ce dernier à raison notamment d'absence de mise en location de locaux, d'absence d'encaissement ou minoration de certains loyers, dont ceux de BSJ, et de l'occupation à titre gratuit d'un appartement.

Par jugement du 14 février 2020, le Tribunal judiciaire de Saint-Pierre a statué en ces termes :
-Dit que les demandes présentées par Mme [J] [O] [E] et ses enfants [Z], [P] et [D] [K] [L] [A] afférentes aux périodes postérieures au 25 août 2012 ne sont pas prescrites et qu'ils sont fondés à agir, dans l'intérêt de la SCI [K] [L] [A], et ce dans les limites de la prescription quinquennale,
-Dit que M. [U] [K] [L] [A] a commis, en qualité de gérant, des fautes de gestion préjudiciables à la SCI [K] [L] [A] et le condamne à payer à cette société la somme de 823.024,20 euros,
-Condamne M. [U] [K] [L] [A] à verser aux demandeurs la somme de 4000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile,
-Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire du présent jugement,
-Déboute les parties du surplus de leurs prétentions,
-Met les dépens à la charge de M. [U] [K] [L] [A];

Par déclaration du 27 mars 2020 M. [K] [L] [A] [U] a interjeté appel du jugement.

Aux termes de ses dernières conclusions déposées le 9 février 2021, il demande à la Cour de :
- Infirmer le jugement rendu par le Tribunal judiciaire de Saint-Pierre le 14 février 2020 en ce qu'il a fait droit à certaines des demandes présentées par Mme [J] [V] [E] et ses enfants [Z], [P] et [D] [K] [L] [A] et rejeté les siennes;
Et statuant à nouveau,
- Juger irrecevables car prescrites, toutes demandes de Mesdames [J] [O] [E], [K] [L] [A], [Z] [K] [L] [A], [D] [K] [L] [A] et de M. [P] [K] [L] [A], fondées sur des faits antérieurs au 21 septembre 2013.
- Juger qu'il n'a commis aucune faute de gestion préjudiciable à la SCI CKS.
- Juger abusive l'action engagée par Mesdames [J] [V] [E] [K] [L] [A], [Z] [K] [L] [A], [D] [K] [L] [A] et par M. [P] [K] [L] [A].
En conséquence,
- Débouter Mesdames [J] [V] [E] [K] [L] [A], [Z] [K] [L] [A], [D] [K] [L] [A] et M. [P] [K] [L] [A] de leur action ut singuli engagée à son encontre ;
- Les condamner in solidum au paiement de la somme de 20.000 € au titre de son préjudice subi ;
Et y ajoutant,
- Les condamner à lui payer la somme de 6000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
- Les condamner aux entiers dépens de première instance et d'appel.

L'appelant rappelle que le tribunal a rejeté une partie des fautes de gestion alléguées par les consorts [K] [L] [A] et que ces dispositions ne font pas l'objet d'un appel incident.

Il soutient que l'action des consorts [K] [L] [A] est prescrite pour les demandes antérieures au 21 septembre 2013 conformément à l'article 2224 du Code civil, en retenant le délai de cinq années précédant l'assignation. Il souligne que les procès-verbaux des assemblées générales tenues de 1999 à 2015 démontrent que le gérant de la société CKS a communiqué aux associés les loyers des sociétés locataires ainsi que les recettes et charges de l'année écoulée.

Il affirme qu'[B] [K] [L] [A] père et époux des intimés n'a jamais remis en cause le montant des loyers ni la gestion de la société. Il prétend que les allégations des intimés sur une incapacité mentale de M. [B] [K] [L] [A] sont imaginaires et infondées. Il estime alors que la date du 25 août 2012, date de la communication par la SCI CKS des documents aux intimés, ne peut constituer le point de départ du délai de prescription.

M. [U] [K] [L] [A] expose également qu'il n'a commis aucune faute en sa qualité de gérant de la société CKS en raison de la minoration des loyers de la société locataire Brico Saint-Joseph. Il prétend que la jurisprudence constante rejette l'existence d'une faute de gestion imputable aux dirigeants lorsque trois critères sont remplis:
-l'existence d'une politique commune aux différentes sociétés
-l'absence d'avantages indus perçus par les dirigeants
-l'absence de mouvements financiers anormaux entre les sociétés et le dirigeant.

Il affirme que ces trois critères sont réunis en l'espèce, en certifiant que la minoration du loyer de la société BSJ n'excédait par les facultés de la SCI CKS et qu'elle était justifiée par l'intérêt de préserver l'activité de la société BSJ -qui aurait subi une perte d'un montant de 682.301,89 euros sur cinq années cumulées depuis 2013- laquelle comporte des actionnaires communs.

Il avance que cette minoration doit s'analyser en une stratégie globale permettant d'assurer l'ensemble des intérêts patrimoniaux de cette famille. Il ajoute que leur auteur avait approuvé cette minoration, non remise en cause par eux même ensuite et que la présente action n'est qu'une instrumentalisation de la justice dans un litige initial lié au refus des autres actionnaires de la SCI de racheter les parts des consorts [K] [L] [A] au prix qu'ils souhaitent.

Aux termes de ses dernières conclusions déposées le 7 juillet 2021, la SCI [K] [L] [A] demande à la cour de :
- Infirmer le jugement rendu par le Tribunal Judiciaire de Saint-Pierre en date du 14 février 2020 en ce qu'il a fait droit pour partie aux demandes des consorts [K] [L] [A]
Statuant à nouveau,
-Débouter les Consorts [K] [L] [A] de toutes leurs demandes, fins et conclusions.
- les condamner à la somme de 5.785 597 euros au titre des dommages et intérêts.
-les condamner à la somme de 5000 euros au titre de l'article 700 du CPC.

La SCI prétend que la prescription en cours est triennale conformément à l'article 223-23 du code de commerce et non pas quinquennale.

Elle expose qu'aucune faute n'est rapportée s'agissant de la minoration des loyers de la société BSJ, ni même une quelconque preuve de M. [U] [K] [L] [A] cherchant à dissimuler ou à cacher des informations aux associés ou lui créer. Elle affirme que la preuve d'actes anormaux de gestion n'est pas apportée et qu'elle ne résulte ni du rapport de M. [M], qui prend position sur la valeur des immeubles, ni sur l'expertise privée AFYM qui ne leur est pas opposable.

Elle souligne que rien n'interdisait aux consorts [K] [L] [A], en leurs qualités d'associés d'inscrire à l'ordre du jour les différentes problématiques litigieuses mais qu'ils ne l'ont pas fait. Elle avance que le montant du loyer de la société BSJ était connu de tous les associés et n'a jamais donné lieu à une quelconque contestation ou procédure. Elle précise que la baisse des loyers constituait une décision collégialement prise, contradictoirement encadrée et approuvée par l'ensemble des associés. Elle certifie avoir toujours mis en oeuvre les décisions collectives des associés, et dans le respect de l'esprit familial de la société.

Aux termes de leurs dernières conclusions déposées le 6 août 2020, M. [K] [L] [A] [P] et Mesdames [K] [L] [A] [Z], [J] [O] [E] et [D] demandent à la cour de :
- Dire l'appel recevable mais mal fondé
- Confirmer le jugement entrepris;
- Condamner M. [U] [K] [L] [A] à payer aux intimés la somme de 6.000 euros sur le fondement de l'article 700 du CPC et aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Les consorts [K] [L] [A] soutiennent que M. [U] [K] [L] [A] a abusé de l'état de faiblesse de son frère, affecté d'un handicap de 80% avec des conséquences sur le plan psychiatrique et psychologique pour lui faire signer des documents. Ils font valoir que les dissimulations du gérant ont été révélés suite à la communication des bilans sous astreinte, le 25 août 2017, et qu'ainsi les demandes postérieures au 25 août 2012 ne sont pas touchées par une quelconque prescription.

Ils prétendent que la responsabilité civile du gérant de la SCI CKS envers la société et les requérants est indiscutable conformément aux articles 1850 et 1843-5 du Code civil.

Les consorts [K] [L] [A] avancent que M. [U] [K] [L] [A] a commis des actes anormaux de gestion tels que la minoration de loyers de la société BSJ. Ils soulignent que le gérant de Weldom (SARL BSJ) est le fils de l'appelant, et qu'ainsi les loyers ont été minorés dans l'intérêt personnel de la société Weldom et de son gérant à leur détriment et celui de la SCI. Ils relèvent l'aveu judiciaire de M. [U] [K] [L] [A] qui confirme avoir minoré des loyers et de confirmer le jugement en ce qui concerne sa condamnation au paiement de la somme de 823.024,20 euros.

Ils réitèrent leurs différents griefs développés en première instance sur les actes anormaux de gestion imputés à M. [U] [K] [L] [A] et estiment alors le préjudice de la SCI à 5.046.197, 71 euros et leur préjudice personnel à 739.399, 29 euros.

Pour plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, il convient de se reporter à leurs écritures ci-dessus visées figurant au dossier de la procédure en application de l'article 455 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 9 septembre 2021.

* * * * *

MOTIFS

Sur l'étendue de la saisine de la cour

Vu l'article 954 du code de procédure civile ;

A titre liminaire, comme le relève l'intimé, il est à observer que, au dispositif de leurs dernières conclusions, les consorts [K] [L] [A] n'ont pas sollicité la réformation des dispositions du jugement ayant rejeté le surplus de leurs demandes.

La cour est dès lors saisie des seules dispositions du jugement ayant rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription et prononcé la condamnation de M. [U] [K] [L] [A].

En particulier, la cour n'est pas saisie de l'ensemble des griefs initialement formés à l'encontre de M. [U] [K] [L] [A] au titre des actes anormaux de gestion, pour lesquels la demande indemnitaire des consorts [K] [L] [A] a été rejetée par le premier juge.

De même, elle n'est pas davantage saisie des demandes indemnitaires des consorts [K] [L] [A] au titre d'un préjudice personnel, dont le premier juge les a déboutés.

Les moyens développés par les consorts [K] [L] [A] à raison de ces griefs ou préjudices allégués sont donc sans portée.

La cour est ainsi saisie de la seule action ut singuli des consorts [K] [L] [A] à raison de la minoration de loyer qu'aurait accordé M. [U] [K] [L] [A] en sa qualité de gérant de la SCI CKS à la SARL BSJ et de la fin de non-recevoir tirée de la prescription de celle-ci pour la période postérieure au 25 août 2012.

Sur la prescription de l'action des consorts [K] [L] [A]

Vu l'article 2224 du code civil, lequel dispose que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer;

En premier lieu, l'action ut singuli, diligentée par les consorts [K] [L] [A] à l'encontre de M. [U] [K] [L] [A] en sa qualité de gérant de la SCI CKS sur le fondement de l'article 1843-5 du code civil est une action civile au titre de laquelle les dispositions susvisées relatives à la prescription quinquennale de droit commun sont applicables, non les dispositions spéciales du code de commerce prescrivant un délai triennal d'action à peine de prescription pour les litiges de nature commerciale.

En second lieu, la loi prescrit le point de départ du délai de prescription de l'action au jour où l'origine du dommage est connue du titulaire du droit.

En l'espèce, les consorts [K] [L] [A] font grief à M. [U] [K] [L] [A] de n'avoir fait régler à la SARL CKS qu'un loyer d'environ 6.000 euros alors que la valeur locative est estimée par l'expert judiciaire à plus de 20.000 euros mensuels.

Comme le fait observer M. [U] [K] [L] [A], mention de ce montant des loyers est précisé sur les procès-verbaux des assemblées générales. [B] [K] [L] [A], présent aux assemblées générales de la SCI CKS jusqu'à son décès en février 2015, de même les autres associés de la SCI également présents, ne pouvaient ignorer la minoration des loyers pratiquée pour les années antérieures à 2015. L'action ut singuli des associés de la SCI CKS est donc prescrite au titre des loyers antérieurs à 2010. Les éléments médicaux versés aux débats (pièces 14 à 20 consorts), qui attestent d'un affaiblissement de [B] [K] [L] [A] (arrêt de travail de mi-décembre 2014 à fin janvier 2015) et d'un syndrome dépressif sont insuffisants à caractériser le fait que [B] [K] [L] [A] aurait perdu sa lucidité et ait été dans l'impossibilité d'agir du fait de sa maladie.

Par ailleurs, il n'est pas contesté par les consorts [K] [L] [A], non présents aux assemblées générales de la SCI en 2016, 2017, 2018 (pièces 22 à 24 appelant), qu'ils aient été destinataires des procès-verbaux y afférent.

La minoration des loyers réglés par la SARL BJS étant mentionnée par l'expert judiciaire comme "manifeste" (pièce 25 consorts), ils ont été en mesure de connaitre cette minoration à compter de l'assemblée générale du 4 janvier 2016.

En conséquence de l'ensemble de ce qui précède, l'action ayant été introduite à savoir le 21 septembre 2018, c'est à bon droit que les premiers juges ont jugé que les faits postérieurs au 25 août 2012 n'étaient pas prescrits et que leur action était recevable.

Sur la faute de gestion

Vu les articles 1850 et 1843-5 du code civil;

Au cas d'espèce, l'existence d'une minoration du loyer versé par la SARL BSJ à la SCI CSK n'est pas contestée dans son principe, mais dans son montant et dans le fait que cette minoration constitue une faute de gestion imputable à son gérant, M. [U] [K] [L] [A].

En premier lieu, la cour relève qu'il résulte de l'article 14 des statuts de la SCI (pièce 2 consorts), que relève du pouvoir du gérant les actes tendant à "consentir et accepter tous baux qu'elle (sic) qu'en soit la durée, faire toutes sous-locations et consentir toutes cessions de baux, le tout au prix, charges et conditions qu'ils jugent convenables, faire toutes résiliations avec ou sans indemnité".

a- M. [U] [K] [L] [A], conforté par la SCI, énonce qu'il s'est toutefois borné à exécuter une décision des associés en minorant le loyer versé par la SARL BSJ. Il se réfère ainsi d'une part à la minoration du loyer apparente dans la mention des loyers versés figurants aux procès-verbaux annuels des assemblées générales depuis 2001 et non contestée par les associés ayant approuvé les comptes. Il cite d'autre part plus spécialement le procès-verbal de l'assemblée générale de 2013 de la SARL BSJ, alors gérée par [B] [K] [L] [A], à l'occasion de laquelle "Les associés échangent [...] sur une augmentation du loyer versé à la SCI [K] [L] [A]. La résolution de ces questions est portée à une date ultérieure" (pièce 31).

Cependant, ni le silence des associés de la SCI sur la minoration du loyer, ni le report de la discussion sur une augmentation du loyer à la SCI par des associés d'une société tierce, ne sont de nature à caractériser l'existence d'une décision des associés de la SCI à consentir à la SARL BSJ une minoration du loyer.

b- M. [U] [K] [L] [A] fait ensuite valoir, tout comme la SCI, que cette minoration du loyer ne peut s'analyser comme constitutive d'une faute de gestion dès lors qu'elle prend en compte l'intérêt global des sociétés du groupe familial.

La faute de gestion peut se définir comme l'action ou l'inaction d'un dirigeant dans l'administration générale de la société, manifestement contraire à l'intérêt de cette dernière.

En l'espèce, il résulte des écritures de M. [U] [K] [L] [A] que les parts de la SCI sont réparties entre 10 associés, l'appelant étant majoritaire avec l'usufruit de 8.192 parts des 25.000 parts, les autres associés importants étant ensuite M. [H] [K] [L] [A] (4.796 parts), M. [K] [S] [K] [L] [A] (4.146 parts) puis les consorts [K] [L] [A] (3.196 parts).

Le capital de la SARL BSJ est quant à lui détenu par M. [U] [K] [L] [A] et M. [H] [K] [L] [A] (2750 parts chacun) et par Mme [T] [K] [L] [A] et les consorts [K] [L] [A] (250 parts chacun). Il n'est en outre pas contesté qu'un des co-gérants de la SARL BSJ depuis février 2019, [F] [K] [L] [A], est le fils de M. [U] [K] [L] [A] (pièce 32 appelant).

S'il est exact que la perception d'un loyer minoré de la SARL BSJ par la SCI ne semble pas avoir obéré la situation financière de cette dernière, en revanche, il n'apparait pas que cette privation de revenus de la SCI puisse se justifier par les intérêts de préserver le "groupe familial" dès lors que:
. les société [K] [L] [A] et BSJ n'ont pas d'intérêts capitalistiques entre elles, seuls certains de leurs actionnaires sont communs;
. M. [U] [K] [L] [A] est actionnaire ou associé le plus important dans ces deux sociétés;
. la minoration de ce loyer est constante, flagrante depuis au moins 2001 et invariée à la somme de 6.562,93 euros depuis 2002 (pièces 8 à 23 appelant);

Dans ces circonstances, la faute de gestion de M. [U] [K] [L] [A] à raison de la minoration des loyers des locaux donnés à bail par la SCI à la SARL BSJ est établie et le jugement doit être confirmé en ce qu'il a retenu cette faute.

Sur le préjudice de la SCI

Dans son rapport déposé en 2017, l'expert judiciaire a évalué la valeur locative des locaux loués par la SARL BSJ à la somme annuelle de 243.000 euros (pièce 25 consorts).

M. [U] [K] [L] [A] se borne à critiquer cette évaluation en exposant que celle-ci aurait dû varier dans le temps mais, sur la période de cinq années retenue par les premiers juges pour estimer le préjudice de la SCI, l'existence d'une variation sensible du loyer n'est pas acquise aux débats.

Compte tenu de la minoration du loyer perçu à la somme de 6.562,93 euros, le manque à gagner de loyer pour la SCI sur une période de cinq ans s'établit donc, comme l'a calculé le premier juge, à la somme de 823.024,20 euros ( 164.604, 84 euros x 5 correspondant à la différence sur cinq ans entre la valeur du loyer qui aurait pu être perçu à son juste prix et le loyer versé).

En revanche, M. [U] [K] [L] [A] est fondé à arguer de ce que le préjudice de la SCI ne consiste qu'en une perte de chance d'avoir pu percevoir un loyer équivalent à la valeur locative estimée par l'expert durant ces cinq années, compte tenu des résultats insuffisants de la SARL BSJ (pièces 25 à 30 appelant) ou du risque de vacance et d'impayé au cas où les locaux étaient loués à un autre locataire.

Eu égard à ces éléments, la perte de chance de la SCI d'avoir pu percevoir un loyer pour les locaux litigieux à la valeur locative estimée par l'expert est de 80%.

Le préjudice de la SCI résultant de la faute de M. [U] [K] [L] [A] est donc de 823.024,20 euros x 80% soit, 658.419,36 euros.

En conséquence, le jugement doit être réformé sur le quantum de la condamnation mise à la charge de M. [U] [K] [L] [A].

Sur la demande au titre de la procédure abusive

Vu l'article 32-1 du code de procédure civile, ensemble l'article 1240 du code civil;

L'action en justice est un droit qui ne dégénère en abus que par malice, mauvaise foi ou erreur équipollente au dol.

En l'espèce, il ne saurait être fait grief aux consorts [K] [L] [A], qui triomphent partiellement en leurs demandes, d'avoir formé une action abusive.

La demande indemnitaire à ce titre par M. [U] [K] [L] [A] doit être rejetée.

Sur les frais irrépétibles et les dépens.

Vu les articles 696 et 700 du code de procédure civile;

M. [U] [K] [L] [A], qui succombe pour l'essentiel, supportera la charge des dépens.

L'équité commande en outre de le condamner à verser aux consorts [K] [L] [A] la somme de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant publiquement et contradictoirement en dernier ressort,

- Confirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a fixé le quantum du préjudice de la SCI [K] [L] [A];

Statuant à nouveau sur ce point,

- Condamne M. [U] [K] [L] [A] à verser à la SCI [K] [L] [A] la somme de 658.419,36 euros;

Y ajoutant,

- Déboute M. [U] [K] [L] [A] de sa demande indemnitaire pour procédure abusive;

- Condamne M. [U] [K] [L] [A] à verser à la somme de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles;

- Condamne M. [U] [K] [L] [A] aux dépens.

Le présent arrêt a été signé par Monsieur Patrick CHEVRIER, Président de chambre, et par Madame Alexandra BOCQUILLON, faisant fonction de greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LA GREFFIÈRELE PRÉSIDENTSIGNE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Saint-Denis-de-la-Réunion
Formation : 04
Numéro d'arrêt : 20/006051
Date de la décision : 13/05/2022
Sens de l'arrêt : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.saint-denis-de-la-reunion;arret;2022-05-13;20.006051 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award