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26/11/2021 | FRANCE | N°19/000451

France | France, Cour d'appel de Saint-Denis-de-la-Réunion, 04, 26 novembre 2021, 19/000451


ARRÊT No21/566
PF

No RG 19/00045 - No Portalis DBWB-V-B7D-FDOE

[K]

C/

[F]
[H]
S.A.S. CLINIQUE DURIEUX
Organisme CAISSE GENERALE DE SECURITE SOCIALE DE LA REUNION
Organisme CAISSE LOCALE DÉLÉGUÉE POUR LA SÉCURITÉ SOCIALE DE S TRAVAILLEURS INDÉPENDANTS

Caisse PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DU PUY DE DOME

RG 1èRE INSTANCE : 17/02393

COUR D'APPEL DE SAINT- DENIS

ARRÊT DU 26 NOVEMBRE 2021

Chambre civile TGI

Appel d'une décision rendue par le TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE SAINT PIERRE en date du 14 déce

mbre 2018 RG no: 17/02393 suivant déclaration d'appel en date du 12 janvier 2019

APPELANTE :

Madame [P] [V] [J] [K]
[Adresse 3]
[Lo...

ARRÊT No21/566
PF

No RG 19/00045 - No Portalis DBWB-V-B7D-FDOE

[K]

C/

[F]
[H]
S.A.S. CLINIQUE DURIEUX
Organisme CAISSE GENERALE DE SECURITE SOCIALE DE LA REUNION
Organisme CAISSE LOCALE DÉLÉGUÉE POUR LA SÉCURITÉ SOCIALE DE S TRAVAILLEURS INDÉPENDANTS

Caisse PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DU PUY DE DOME

RG 1èRE INSTANCE : 17/02393

COUR D'APPEL DE SAINT- DENIS

ARRÊT DU 26 NOVEMBRE 2021

Chambre civile TGI

Appel d'une décision rendue par le TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE SAINT PIERRE en date du 14 décembre 2018 RG no: 17/02393 suivant déclaration d'appel en date du 12 janvier 2019

APPELANTE :

Madame [P] [V] [J] [K]
[Adresse 3]
[Localité 11]
Représentant : Me Georges-andré HOARAU de la SELARL GEORGES-ANDRE HOARAU ET ASSOCIES, avocat au barreau de SAINT-PIERRE-DE-LA-REUNION

INTIMES :

Monsieur [L] [I] [F]
[Adresse 1]
[Localité 12]
Représentant : Me Cécile BENTOLILA de la SCP CANALE-GAUTHIER-ANTELME-BENTOLILA, avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION

Madame [Z] [Y]
[Adresse 5]
[Localité 9]
Représentant : Me Marie BRIOT, avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION

S.A.S. CLINIQUE DURIEUX
[Adresse 1]
[Localité 12]
Représentant : Me Robert CHICAUD, avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION

CAISSE GENERALE DE SECURITE SOCIALE DE LA REUNION
[Adresse 4]
[Localité 10]
Représentant : Me Philippe BARRE de la SELARL PHILIPPE BARRE, avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION

CAISSE LOCALE DÉLÉGUÉE POUR LA SÉCURITÉ SOCIALE DE S TRAVAILLEURS INDÉPENDANTS
[Adresse 2]
[Localité 8]
Représentant : Me Marie LOUTZ, avocat au barreau de SAINT-PIERRE-DE-LA-REUNION

PARTIE INTERVENANTE :

CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DU PUY DE DOME
Service Juridique - pole national RCT T1
[Adresse 6]
[Localité 7], représentant : Me Marie LOUTZ, avocat au barreau de SAINT-PIERRE-DE-LA-REUNION

CLÔTURE LE : 11 mars 2021

DÉBATS : En application des dispositions de l'article 804 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 10 Septembre 2021 devant la Cour composée de :

Président :Monsieur Patrick CHEVRIER, Président de chambre
Conseiller :Madame Pauline FLAUSS, Conseillère
Conseiller :Mme Magali ISSAD, Conseillère

Qui en ont délibéré après avoir entendu les avocats en leurs plaidoiries.

A l'issue des débats, le président a indiqué que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition le 26 Novembre 2021.

Greffier: Madame Alexandra BOCQUILLON, ff.

ARRÊT : prononcé publiquement par sa mise à disposition des parties le 26 Novembre 2021.

* * * * *

LA COUR

EXPOSE DU LITIGE :

Mme [K], alors âgée de 42 ans et mère de 5 enfants nés par césarienne, a été opérée à la Clinique Durieux le 10 février 2014, par le Dr [F] pour une récidive d'éventration et une hernie abdominale sur une cicatrice, après une rachianesthésie pratiquée par le Dr [Y].

Dans les heures puis dans les jours ayant suivi, Mme [K] perdait la sensibilité de sa jambe gauche puis définitivement l'usage de celle-ci, avec un ressenti de douleurs récurrentes et importantes.

Par ordonnance du 8 avril 2015, le juge des référés de [Localité 13] saisi par Mme [K], a ordonné une expertise judiciaire confiée au Dr [C], lequel déposait son rapport le 23 décembre 2016.

Par actes d'huissier en date des 1er août et 1er septembre 2017, Mme [K] [P] a fait assigner la SAS Clinique Durieux, le Dr [F] [T], le Dr [Y] [Z], et la CGSSR devant le tribunal de grande instance de St Pierre aux fins d'obtenir réparation de son préjudice.

Le RSI est intervenu volontairement à l'instance, Mme [K] relevant du régime des travailleurs indépendants.

Par jugement du 14 décembre 2018, le tribunal a :
- débouté Mme [K] [P] de ses demandes,
- rejeté toutes les autres demandes;
- condamné Mme [K] [P] aux dépens.

Suivant déclaration enregistrée au greffe de la cour du 12 janvier 2019, Mme [K] a formé appel du jugement.

Par déclaration enregistrée au greffe de la cour le 8 février 2019, la Caisse générale de la sécurité sociale de la Réunion a interjeté appel du même jugement.

Par ordonnance du 10 octobre 2019, les deux affaires ont été jointes et se présentent sous le seul numéro RG 19/00045.

Aux termes de ses dernières conclusions déposées le 31 août 2020, Mme [K] sollicite la Cour de :
- Infirmer le jugement
- Prendre acte de ce que la CGSS sollicite la condamnation solidaire de la Clinique Durieux, du Dr [F] et Dr [Y] à lui verser la somme de 5153,36 euros au titre des débours;
- Prendre acte de ce que la CGSS sollicite la condamnation solidaire de la Clinique Durieux, du Dr [F] et Dr [Y] à lui verser la somme de 1080 euros au titre de l'indemnité forfaitaire ;
- Dire que la somme allouée à la CGSS au titre de l'indemnité forfaitaire ne viendra pas s'imputer sur les sommes allouées à Mme [K] au titre de la réparation de ses préjudices.
Par conséquence, statuant à nouveau,
- Condamner in solidum la Clinique Durieux, le Dr [F] et le Dr [Y] à lui payer la somme de 856 960,90 euros décomptée comme suit :
. Tierce personne temporaire 27 324,00 euros
. Maintenance et renouvellement des appareils 16 205,56 euros
. Aménagement de véhicule 10 581,71 euros
. Aménagement de logement 76 787,27 euros
. Incidence professionnelle 137 002,78 euros
. Tierce personne permanente 274 384,58 euros
. Déficit fonctionnel temporaire 12 875,00 euros
. Souffrances endurées 15 000,00 euros
. Déficit fonctionnel permanent 136 800,00 euros
. Préjudice esthétique 30 000,00 euros
. Préjudice d'établissement 50 000,00 euros
. Préjudice sexuel 50 000,00 euros
. Préjudice d'agrément 20 000,00 euros
- Dire que ces sommes seront majorées des intérêts de droit à compter de la date de la décision à intervenir, avec capitalisation des intérêts échus à compter de cette même formalité ;
- Condamner in solidum la Clinique Durieux, le Dr [T] [F] et le Dr [Z] [Y] à lui payer la somme de 5000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile;
- Condamner in solidum la Clinique Durieux, le Dr [T] [F] et le Dr [Z] [Y] aux entiers dépens d'instance,
- Déclarer l'arrêt à intervenir commun et opposable à la CGSS et à la Caisse Locale déléguée pour la sécurité sociale des travailleurs indépendants;
- Rejeter la demande en indemnisation pour procédure abusive du Dr [Y].

L'appelante rappelle que conformément à l'article L1142-1 du code de la santé publique, les professionnels de santé et les établissements sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins en cas de faute.

Elle soutient que la responsabilité des médecins libéraux au titre de l'exécution du contrat de soin qui les lie au patient, n'est pas de nature à exonérer l'établissement de santé privé de la responsabilité qu'il encourt en raison des fautes commises dans l'organisation de son service.

Elle considère que la Clinique Durieux est responsable car n'a pas mis à disposition le personnel soignant pour assurer le suivi postopératoire conformément aux données acquises de la science.

Elle ajoute que la responsabilité des médecins doit également être engagée.

En effet, elle précise tout d'abord, qu'elle a subi un dommage résidant dans l'impossibilité de bouger sa jambe gauche.

Elle estime ensuite, que plusieurs fautes ont été commises par les médecins:
-dans la prise en charge de l'anesthésie car les soins n'ont pas été attentifs et consciencieux et qu'il y a un manquement à leur devoir de se renseigner avec précision sur l'état de la santé de la patiente.
-dans la pose de la péridurale
-sur le suivi postopératoire et notamment dans le manque de coordination entre les différents médecins.

L'appelante affirme qu'un lien de causalité entre l'intervention et son préjudice est caractérisé.

Aux termes de ses conclusions déposées le 8 février 2021, la Caisse Primaire d' Assurance Maladie du Puy de Dôme venant aux droits et obligations du RSI et de la CLDSSTI sollicite la cour de :
- Infirmer le jugement et statuant à nouveau:
- Condamner in solidum la Clinique Durieux et les Drs [Y] et [F] à payer à la Caisse Primaire d'Assurance Maladie du Puy de Dôme :
.la somme de 8 002,57 € en remboursement des prestations en nature prise en charge (DSA), avec intérêts de droit à compter des présentes, sous réserve des prestations non connues à ce jour et de celles qui pourraient être versées ultérieurement, avec anatocisme,
.la somme de 1091 € au titre de l'indemnité forfaitaire de l'article L.376-1 in fine du Code de la Sécurité Sociale.
. Dire et juger que la Caisse Primaire d'Assurance Maladie du Puy de Dôme exerce son recours en ce qui concerne les prestations en nature prises en charge, sur le poste dépenses de santé actuelles (DSA) qui sera fixé à la somme de 9337,56 €.
- Condamner in solidum la Clinique Durieux et des Drs [Y] et [F] à payer à la Caisse Primaire d'Assurance Maladie du Puy de Dôme la somme de 3000 € sur le fondement de l'article 700 du CPC;
- Condamner in solidum la Clinique Durieux et des docteurs [Y] et [F], aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître Marie Loutz en application des dispositions de l'article 699 du CPC.

L'intimée soutient que son intervention volontaire est recevable car elle assure le rôle de centre national du Recours contre Tiers pour les indépendants.

Elle fait valoir que le tiers responsable doit lui verser une créance définitive qui s'établit à la somme de 8002,57 € correspondant aux frais d'hospitalisations, médicaux et pharmaceutiques.

Elle précise que les postes de préjudice sur lesquels elle exerce son recours sont les postes dépenses de santé actuelles (DSA) qui seront fixés à la somme de 9337,56 €.

Elle ajoute que le tiers lui est également redevable des frais irrépétibles et relève que ceux-ci peuvent être cumulés avec l'indemnité forfaitaire.

Aux termes de ses dernières conclusions déposées le 25 juillet 2019, la CGSSR sollicite la cour de :
- Infirmer la décision querellée
- Condamner solidairement la Clinique Durieux, le Dr [F] et le Dr [Y] à payer à la CGSSR la somme de 5153,36 euros correspondant aux débours détaillés avec intérêts.
- Condamner solidairement la Clinique Durieux, le Dr [F] et le Dr [Y] à payer à la CGSSR l'indemnité forfaitaire de 1080 euros par application de l'article L376-1 du Code de la Sécurité Sociale.
- Condamner solidairement les mêmes à la somme de 1000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens dont distraction au profit de la SELARL Philippe Barre.

La CGSSR soutient que l'article L376-1 du code de la Sécurité Sociale l'autorise à demander aux tiers responsables et appelés en garantie, le remboursement des prestations payées à Mme [K].

Aux termes de ses dernières conclusions déposées le 17 septembre 2020, la SAS Clinique Durieux sollicite la cour de :
- Recevoir l'appel de Mme [K], mais le dire non fondé, la concernant;
Par voie de conséquence,
- confirmer le jugement querellé.
- S'entendre condamner Mme [P] [K] à payer à la SAS Clinique Durieux la somme de 5000 € au titre des frais irrépétibles et à supporter les dépens.
Subsidiairement, et pour autant que l'appel de Mme [K] prospère,
- débouter la Caisse Locale déléguée pour la Sécurité Sociale des Travailleurs Indépendants venant aux droits et obligations du RSI) et la CGSSR de leurs demandes pécuniaires dépourvues de preuve.

La Clinique Durieux rappelle son rôle qui consiste à mettre à la disposition du médecin-chirurgien et du médecin anesthésiste, la salle d'opérations, le matériel adéquat et le personnel paramédical. Elle précise que sa responsabilité ne peut être engagée que sur la base de cette mise à disposition.

Elle expose que les docteurs [F] et [Y] sont intervenus auprès de Mme [K] aux fins d'exercer leur art. Elle souligne qu'ils ne sont pas liés par un contrat avec elle puisqu'ils exercent à titre libéral et doivent donc répondre de leurs actes individuellement. Elle précise que les docteurs [F] et [Y] ne lui ont pas reproché quelconque défaillance dans la mise à disposition de l'infrastructure, du mobilier et du personnel. Elle estime que Mme [K] ne caractérise pas l'état de désorganisation du service anesthésie en précisant qu'il relève de la compétence et de la responsabilité du médecin anesthésiste.

Elle considère que le rapport de l'expert [C] conclut à la présence d'un aléa thérapeutique.

Sur l'intervention volontaire du régime social des indépendants, la Clinique Durieux sollicite de la Cour sa mise hors de cause et d'ordonner une fin de non-recevoir. Elle considère que les créances demandées par la Caisse Locale déléguée pour la Sécurité Sociale des Travailleurs Indépendants ne sont pas prouvées.

Aux termes de ses dernières conclusions déposées le 9 septembre 2020, le Dr [T] [F] sollicite la cour de :
- Confirmer le jugement du Tribunal de Grande Instance de Saint-pierre du 14 décembre 2018 ;
- Débouter en conséquence Mme [K] de l'intégralité de ses demandes fins et conclusions dirigées à son encontre ;
- Débouter la CGSS de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions dirigées à son encontre ;
- Débouter la Caisse Primaire Maladie Du Puy de Dôme venant aux droits et obligations de la Caisse Locale Déléguée pour la Sécurité Sociale des Travailleurs Indépendants de ses demandes, fins et conclusions dirigées à son encontre ;
- Condamner Mme [K] et la CGSS à lui verser une somme de 5000 € sur le fondement de l'article 700 du CPC.
- La Condamner aux entiers dépens.

Le Dr [F] fait valoir que Mme [K] ne démontre pas l'existence d'un manquement dans sa prise en charge chirurgicale qui serait à l'origine de son dommage.

Il indique qu'elle ne parvient pas à démontrer l'existence d'une faute qui lui serait imputable.

Il rappelle que même s'il y a une intervention conjointe au bloc opératoire entre le chirurgien et le médecin anesthésiste, chacun restent individuellement et personnellement responsable des actes qu'ils réalisent.

Il ajoute qu'en cause d'appel, Mme [K] ne formule plus de critiques sur l'intervention chirurgicale.

Il rappelle que le rapport d'expertise du Dr [D] et du Professeur [A] n'est pas contradictoire à son égard. Il considère que le manque de précision sur le suivi post opératoire soulevé par ces derniers ne permet pas de démontrer l'existence d'une faute personnelle de sa part, à l'origine du dommage.

Il expose également que la Caisse Générale de la sécurité sociale ne démontre pas par la production d'éléments médicaux objectifs qu'il aurait commis une faute à l'origine du dommage de la patiente.

Il relève que la Caisse Primaire d'assurance Maladie du Puy de Dôme ne motive pas ses demandes et ne se livre pas à la démonstration d'une potentielle faute de sa part.

Aux termes de ses dernières conclusions déposées le 7 septembre 2020, le Dr [Y] sollicite la Cour de :
- Confirmer le jugement du Tribunal de Grande Instance de Saint-Pierre du 14 décembre 2018
- Constater l'absence de toute faute commise par le Dr [Y] dans la prise en charge de Mme [K];
- Constater l'absence de tout lien de causalité entre la prise en charge réalisée par le Dr [Y] et les séquelles actuelles décrites par Mme [K];
- Débouter Mme [K], la CGSSR et la Caisse Locale Déléguée des Travailleurs Indépendants de l'ensemble de leurs demandes telles qu'elles sont dirigées à son encontre ;
- Condamner Mme [K] et la CGSSR à lui payer la somme de 3000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile;
- Condamner Mme [K] aux entiers dépens de l'instance.

Le Dr [Y] fait valoir que la CGSSR et la Caisse local ne motivent pas leur appel.

Elle considère que Mme [K] ne procède que par affirmations et ne produit aucun élément permettant de contester les 4 rapports d'expertise déposés dans cette affaire.

Elle soutient qu'aucune responsabilité ne peut être retenue à son encontre, en l'absence de toute faute et de lien de causalité direct et certain entre la réalisation de la rachianesthésie et les séquelles actuelles de Mme [K], ce qui ressort tant du dossier médical que les différents rapports d'expertise réalisés.

Pour plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, il convient de se reporter à leurs écritures ci-dessus visées figurant au dossier de la procédure en application de l'article 455 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 11 mars 2021.

MOTIFS DE LA DECISION.

A titre liminaire, il y a lieu de constater que la situation de Mme [K] a fait l'objet de quatre rapports d'expertise produits devant la cour par les parties :
- un pré-rapport d'expertise judiciaire du Dr [R], chirurgien orthopédique à l'hopital Félix Guyon de St Denis, établi le 11 juin 2015 sous réserve d'investigations complémentaires (pièce 1 [Y]) ;
- une expertise judiciaire réalisée par le Dr [N], chirurgien urologue, établi le 23 septembre 2016, avec avis d'un sapiteur anesthésiste, le Dr [S], du 3 novembre 2016 (pièce 4 [K]);
- une expertise sur pièces du 24 novembre 2017 réalisée par le Dr [U], neurologue psychiatre, à la demande de la présidente de la Commission de conciliation et d'indemnisation de l'Ile de la Réunion (pièce 5 [K]) ;
- une seconde expertise déposée le 15 avril 2018 par le Dr [D], expert en réanimation médicale et infectiologie et le Pr [A], neurochirurgien, à la demande de la présidente de la Commission de conciliation et d'indemnisation de l'Ile de la Réunion (pièce [K]).

Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique, ". I - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute".

En l'espèce, il est observé qu'aucune responsabilité n'est recherchée à raison des opérations d'éventration elles-mêmes mais qu'est en cause le geste technique d'installation de l'anesthésie péridurale et, par la suite, le suivi post-opératoire, période durant laquelle s'est manifesté la perte de sensibilité et de contrôle par Mme [K] de sa jambe gauche.

S'agissant de l'anesthésie, Mme [K] fait d'abord grief à la clinique de mal avoir organisé sa prise en charge dès lors que le médecin anesthésiste n'avait pas connaissance de son dossier médical lors de sa prise en charge.

Le défaut de transmission des informations utiles à l'anesthésiste devant prendre en charge Mme [K] pour son opération est retracé par le rapport du Dr [R] (pièce 1 [Y], p. 3/6) et celui du Dr [D] du Pr [A] (pièce 6, p. 9). En revanche, ils mentionnent également que le Dr [Y], qui avait déjà endormi Mme [K] précédemment, est allée rechercher le dossier de Mme [K] et qu'elle a accompli l'anesthésie après avoir consulté celui-ci.

Dans ce contexte, la faute reprochée n'est pas caractérisée.

De même, le moyen tiré de ce que Mme [K] n'aurait pas été correctement informée avant de consentir à l'anesthésie manque en fait, le formulaire d'information sur l'anesthésie et ses risques ayant été signé par Mme [K] lors de la consultation pré-anesthésique ( pièce 1 [K]- dossier médical).

Mme [K] indique ensuite que le geste anesthésique du Dr [Y] n'a pas été accompli dans les règles de l'art.

A ce titre, le Dr [D] et le Pr [A] reproduisent dans leur expertise un extrait des Annales françaises d'Anesthésie et de Réanimation 2007 (pièce 6 [K], p. 26) suivant lequel "L'incidence des complications neurologiques [traumatiques] serait de l'ordre de 3/70 000 APM.

Il existe une association entre la survenue d'une paresthésie au cours de la ponction et le risque de lésions nerveuses persistantes après la levée du bloc.

Cependant, l'incidence des paresthésies survenues au cours de la réalisation du geste est néanmoins beaucoup plus élevée que celle des complications neurologiques persistantes. Chez les patients conscients, les lésions nerveuses traumatiques peuvent s'accompagner de signes évocateurs (paresthésies, douleurs) alertant le praticien qu'il doit interrompre alors le geste en cours (grade C).

Les informations obtenues chez un patient éveillé sont donc des informations essentielles. Il n'est pas recommandé de réaliser une anesthésie périmédullaire chez un patient adulte endormi"

Mme [K] énonce, comme elle l'a fait de manière constante devant les différents médecins experts l'ayant examinée que, lors de l'introduction de l'aiguille puis lors de l'introduction du cathéter, elle avait ressenti une vive douleur, inhabituelle de brulure pour ne pas avoir été ressentie lors des précédentes interventions, descendant jusque dans la cuisse gauche. Elle explique avoir sommé le Dr [Y] d'arrêter son geste, ce qu'elle n'a pas fait.

Cet épisode n'est pas retracé dans le dossier médical de Mme [K] (pièce 1 [K]; pièce 4 [K] p. 18; pièce 6 [K] p. 29). Il n'est ni confirmé, ni infirmé par le Dr [Y].

L'absence de précision sur cet évènement ne permet pas à lui seul de démontrer l'existence d'une difficulté intervenue lors de l'installation de la péridurale.

Aucun des examens ultérieurs ne permet de mettre en exergue une lésion neuronale ou tout autre élément physiologique en lien avec le geste anesthésique de nature à expliquer la paralysie dont souffre Mme [K].

Aussi, le premier examen de scanner et d'IRM du rachis lombaire réalisé le 17 février 2014 ne relevait aucune anomalie particulière, hormis "un hyper signal STIR pouvant témoigner de phénomènes inflammatoires, voire de résidu hématique au niveau des plans sous-cutanés de la région lombaire, à confronter avec la mise en place du cathéter péridural" (cf. pièce 1 [Y], p. 4/6; pièce 4 [K], p.5).

Pour autant, les différents rapports d'expertise n'établissent pas de lien entre ces dernières constatations et les symptômes présentés par Mme [K] (cf. par ex. pièce 4 [K], p.5: "aucune anomalie exceptée, peut-être, une discrète lame d'hématome sous cutané mais rien n'expliquant la symptomatologie clinique"; pièce 5 [K], "ce qui semble signifier qu'il n'existait aucune anomalie médulaire au niveau de la queue de cheval").

Le rapport d'hospitalisation de Mme [K] en service neurologie du CHU de St Pierre les 18 et 19 février 2014 note des "explorations neurologiques négatives pour une étiologie lésionnelle" (pièce 4 [K], p.6).

De même, les " résultats de l'EMG Électromyogramme] réalisé par le Dr [M] en date du 26 janvier 2015 [...] ne montre pas de lésions périphériques particulières" )pièce 4 [K], p.6(.

Au total, s'il est incontestable, ainsi que le relève le rapport du Dr [S] qu'"on peut affirmer un lien de causalité entre l'intervention dont a bénéficié Mme [K] et le préjudice constaté"( pièce 4 [K]" ou du Dr [C] "cette monoplégie est survenue dans la suites immédiates de l'opération et [...]une forte présomption nous oriente vers la péridurale sans que l'on puisse être formel sur ce point"( même pièce p. 15), aucune cause médicale n'a été mise en évidence pour expliquer les symptômes présentés par Mme [K], précision étant donné que la cause médicamenteuse liée aux produits anesthésiques (pièce 5 [K], p.4/4; pièce 6 p. 27) ou AVC (pièce 4 [K], p.8) ont également été écartés.

Plus spécialement, le Dr [U] dans son rapport p.4 émet l'hypothèse que Mme [K] "ait éprouvé au moment de l'installation de la péridurale une sensation de décharge électrique, phénomène tout à fait banal et sans gravité".

Dans ce contexte, l'existence d'une faute technique du Dr [Y] est insuffisamment établie.

S'agissant du suivi post opératoire de Mme [K], sont mis en exergue par les experts )pièce 4 p. 20, pièce 6 p.26(, les extraits des Annales françaises d'Anesthésie et de Réanimation 2007 suivant lesquels, "Toute la démarche de la recherche d'une complication nerveuse doit être entreprise dès que le patient ne récupère pas un bloc sensitif ou moteur dans un temps correspondant à la durée attendue de son effet )grade C(. Cela impose donc une surveillance neurologique dans la période post-anesthésique )grade C(. L'évaluation neurologique à la sortie de la SSPI est un point important de la surveillance )grade C(. Devant l'apparition d'un trouble neurologique survenant en postopératoire, il convient de rechercher les causes nécessitant un traitement en urgence. Ces causes sont essentiellement liées à une compression nerveuse provoquée par la constitution d'un hématome ou d'une collection d'une autre nature )abcès(.

La prise en charge de ces patients est multidisciplinaire. Un avis neurologique spécialisé dans un délai rapide est souhaitable. Le patient doit être informé de la survenue possible de ce type de complication (obligation légale).

L'information est donnée si possible de manière conjointe par l'anesthésiste et le chirurgien.

La réalisation d'examens neurophysiologiques (électroneuromyogramme et/ou potentiels évoqués somesthésiques et moteurs) est souvent nécessaire. Ces examens doivent être réalisés précocement et répétés. Ils permettent de préciser le niveau de la lésion neurologique, les causes (éventuelle maladie préexistante) et le pronostic. La prise en charge de patients avec une complication neurologique doit être multidisciplinaire, associant une physiothérapie, un soutien psychologique et antalgique".

En l'espèce, il est relevé que Mme [K] énonce sans être contredite que le Dr [Y] ne l'a plus revue après l'intervention chirurgicale, en méconnaissance de son obligation de suivi post-opératoire du patient.

Le Dr [S] note dans son rapport, tout comme le Dr [D] et le Pr [A], que le dossier de Mme [K] est taisant sur les suites post-anesthésiques après la sortie de Mme [K] de la salle de réveil. En particulier, il est relevé que les circonstances du retrait du cathéter péridural sont floues, certains experts énonçant un retrait de 48 heures après l'opération, d'autres à J+3 ( pièce 5 [K], p. 2/4) ou encore une désolidarisation spontanée (pièce 4 [K], p. 4). La carence de la clinique dans l'organisation de la surveillance de Mme [K] après son opération est ainsi également établie.

Enfin, il est rappelé que le chirurgien, investi de la confiance de la personne sur laquelle il pratique une opération, est tenu, en vertu du contrat qui le lie à cette personne, de faire bénéficier celle-ci pour l'ensemble de l'opération et ses suites, de soins consciencieux, attentifs et conformes aux données de la science;

Plus spécialement, le Dr [F], au titre de son obligation de prudence dans le suivi post-opératoire, se devait de s'assurer que Mme [K] demeurait sous la surveillance d'une personne qualifiée en matière anesthésique. Aussi, s'il est constant que celui-ci a été le premier et le seul médecin à avoir requis des examens d'exploration face à la persistance de l'absence de mobilisation de la jambe gauche de Mme [K], cette prise en charge intervenue à sept jours de l'intervention est manifestement tardive au regard des préconisations générales sus rappelées.

En conséquence de ce qui précède, l'existence d'une faute commise par les Dr [Y] et [F], ainsi que la Clinique Durieux, dans le suivi post-opératoire de Mme [K] est établi.

En revanche, les médecins experts ayant formé une réserve sur le respect par les intervenants des recommandations pour la pratique clinique de la société française d'anesthésie et de réanimation dans le suivi post-opératoire, tels le Dr [D] et le Pr [A], ne caractérisent aucun préjudice direct pour Mme [K] en lien avec ce retard de prise en charge.

Par ailleurs, Mme [K], qui n'invoque aucune perte de chance de meilleur rétablissement, ne démontre pas qu'une prise en charge plus rapide ou un suivi plus attentionné auraient eu des répercutions favorables sur la situation de sa jambe gauche.

Dès lors, aucune faute en lien avec les préjudices subis par Mme [K] n'est établie.

Le jugement entrepris ayant rejeté les demandes indemnitaires de Mme [K] et des organismes sociaux doit ainsi être confirmé.

Sur la demande indemnitaire au titre de la procédure abusive.

Vu les articles 1240 du code civil et 32-1 du code de procédure civile;

L'action en justice est un droit qui ne dégénère en abus qu'en cas de fraude, malice ou erreur équipollente au dol.

En l'espèce, Mme [Y] ne démontre aucune faute de Mme [K], handicapée à 80% suite à l'opération qu'elle a subie, dans l'action indemnitaire qu'elle a poursuivi.

La demande indemnitaire pour procédure abusive ne peut qu'être rejetée.

Sur les dépens et les frais irrépétibles.

Vu les articles 696 et 700 du code de procédure civile;

Mme [K], qui succombe, supportera les dépens.

L'équité commande de rejeter les demandes formées au titre des frais irrépétibles en appel.

* * * * *

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant publiquement et contradictoirement en dernier ressort,

- Confirme le jugement entrepris;

- Rejette les demandes formées au titre des frais irrépétibles;

- Condamne Mme [K] aux dépens.

Le présent arrêt a été signé par Monsieur Patrick CHEVRIER, Président de chambre, et par Madame Alexandra BOCQUILLON, faisant fonction de greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LA GREFFIÈREsignéLE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Saint-Denis-de-la-Réunion
Formation : 04
Numéro d'arrêt : 19/000451
Date de la décision : 26/11/2021
Sens de l'arrêt : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.saint-denis-de-la-reunion;arret;2021-11-26;19.000451 ?
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