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16/11/2021 | FRANCE | N°19/029591

France | France, Cour d'appel de Saint-Denis-de-la-Réunion, 02, 16 novembre 2021, 19/029591


AFFAIRE : No RG 19/02959 - No Portalis DBWB-V-B7D-FJES
Code Aff. :L.C ARRÊT N
ORIGINE :JUGEMENT du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de Saint-Denis en date du 31 Octobre 2019, rg no 17/00332

COUR D'APPEL DE SAINT-DENIS
DE LA RÉUNION

CHAMBRE SOCIALE
ARRÊT DU 16 NOVEMBRE 2021

APPELANTE :

SARL GROUP ELEC prise en la personne de son gérant en exercice
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentant : Me Rechad PATEL, avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION

INTIMÉ :

Monsieur [A] [T] [L]
[Adresse 3]
[Localité 5

]
Représentant : M. [A] Denis PARINET, défenseur syndical ouvrier

Clôture : 6 septembre 2021

DÉBATS : En application...

AFFAIRE : No RG 19/02959 - No Portalis DBWB-V-B7D-FJES
Code Aff. :L.C ARRÊT N
ORIGINE :JUGEMENT du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de Saint-Denis en date du 31 Octobre 2019, rg no 17/00332

COUR D'APPEL DE SAINT-DENIS
DE LA RÉUNION

CHAMBRE SOCIALE
ARRÊT DU 16 NOVEMBRE 2021

APPELANTE :

SARL GROUP ELEC prise en la personne de son gérant en exercice
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentant : Me Rechad PATEL, avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION

INTIMÉ :

Monsieur [A] [T] [L]
[Adresse 3]
[Localité 5]
Représentant : M. [A] Denis PARINET, défenseur syndical ouvrier

Clôture : 6 septembre 2021

DÉBATS : En application des dispositions des articles 805 et 905 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 28 septembre 2021 en audience publique, devant Laurent CALBO, conseiller chargé d'instruire l'affaire, assisté de Monique LEBRUN, greffière, les parties ne s'y étant pas opposées.

Ce magistrat a indiqué à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé, par sa mise à disposition au greffe le 16 NOVEMBRE 2021 ;

Il a été rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Président :Alain LACOUR
Conseiller:Suzanne GAUDY
Conseiller :Laurent CALBO

Qui en ont délibéré

ARRÊT : mis à disposition des parties le 16 NOVEMBRE 2021

* *
*

LA COUR :

Exposé du litige :

M. [A] [T] [L] (le salarié) a été embauché par la société [H] Réunion en qualité d'ouvrier professionnel selon contrat à durée indéterminée ayant pris effet le 23 juin 2011.

Suite à l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire le 8 juillet 2015 à l'égard de la société [H] Réunion, convertie le 22 juillet suivant en liquidation judiciaire, M. [L] a été licencié pour motif économique.

Par jugement du 1er juin 2017, devenu définitif, le conseil de prud'hommes de Saint-Denis de la Réunion, après avoir jugé que le contrat de travail de M. [L] s'était poursuivi au profit de la société Group Elec (la société), qui n'était pas partie à l'instance, a fixé la créance du salarié au passif de la liquidation judiciaire de la société [H] Réunion à un montant de 559,22 euros au titre de la prime d'ancienneté, somme avancée par l'AGS, et a rejeté les autres demandes dont celle relative à l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Saisi le 20 juillet 2017 par M. [L] qui demandait notamment de dire son licenciement sans cause réelle et sérieuse consécutivement au transfert de son contrat de travail et de condamner la société à lui payer un rappel de salaire et à l'indemniser de ses préjudices consécutifs à la rupture de son contrat, le conseil de prud'hommes de Saint-Denis de la Réunion, par jugement du 31 octobre 2019, après avoir constaté le transfert d'activité de la société [H] Réunion vers la société Group Elec, a condamné cette dernière à lui payer les sommes de 13 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et 500 euros au tire des frais non répétibles.

Appel de cette décision a été interjeté par la société par acte du 25 novembre 2019.

* *

Vu les dernières conclusions notifiées par la société le 2 mai 2021 ;

Vu les dernières conclusions notifiées par M. [L] le 26 février 2021 ;

L'ordonnance de clôture est intervenue le 6 septembre 2021.

Pour plus ample exposé des moyens des parties, il est expressément renvoyé, par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, aux conclusions susvisées ainsi qu'aux développements infra.

Sur ce :

Sur le transfert du contrat de travail :

Selon l'article L.1224-1 du code du travail, « Lorsque survient une modification dans la situation juridique de l'employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société de l'entreprise, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l'entreprise. ».

En l'espèce, M. [L] fait valoir que le contrat de travail qui le liait à la société [H] Réunion, a été transféré au profit de la société.

Il appartient au salarié d'établir le transfert d'une entité économique autonome au profit de la société, c'est-à-dire constituée par un ensemble organisé de personnes et d'éléments corporels ou incorporels poursuivant un objectif économique propre.

A l'appui de sa demande, M. [L] argue en substance de la gérance des deux sociétés ayant une activité similaire par la même personne, de l'abandon de la première au profit de la seconde, du transfert de plusieurs contrats, de l'utilisation de mêmes moyens humains et matériels et de la réembauche de certains salariés par la société.

La société objecte notamment que rien n'interdit à un même gérant de diriger plusieurs sociétés, son siège social ayant été transféré en juin 2015. Elle soutient que son gérant n'a pas abandonné la société [H] Réunion mais qu'il appartenait à l'autre co-gérant de diriger l'entreprise après sa démission. Elle ajoute que la simple reprise de marchés ne peut caractériser un transfert d'activité dans la mesure où les moyens des deux sociétés étaient distincts et les carnets de commande différenciés.

En premier lieu, la société, gérée par M. [B], a débuté son exploitation le 2 janvier 2014 tandis que la société [H] Réunion, co-gérée par M. [B] et M. [G], avait antérieurement débuté son activité le 2 mars 2007 (pièces 1 et 2 / appelante).

Les deux sociétés, dont l'activité a trait aux installations électriques, possédaient le même établissement principal sis [Adresse 1], et ce jusqu'au 15 juin 2015 (pièce 21 / appelante).

Or, pour apprécier le transfert de l'entité économique autonome, il convient de se placer à la date du 4 mai 2015, jour de la démission de M. [B] de ses fonctions de co-gérant de la société [H] Réunion (pièce 12 / appelante) et point de départ de ce que le salarié analyse comme un abandon par le dirigeant de cette société au profit de la seconde avec transfert de son activité.

Il est constaté qu'à cette date, les deux sociétés, dont M. [B] était soit le co-gérant majoritaire soit le seul gérant, exploitaient une activité identique dans les mêmes locaux professionnels.

En deuxième lieu, M. [B] a démissionné de ses fonctions de co-gérant de la société [H] Réunion pour « convenances personnelles » tout en continuant à effectuer certains actes de gestion pour le compte de cette personne morale.

Au vu des pièces produites au débat, les actes de gestion de la société [H] Réunion étaient en effet signés par M. [B], co-gérant majoritaire. Contrairement à ce que soutient la société, la décision de M. [B] de quitter ses fonctions sans préavis n'était pas sans conséquence pour la société [H] Réunion puisque l'autre co-gérant n'était pas en mesure d'en assurer la direction sans période transitoire.

De plus, alors qu'il n'avait plus la qualité de dirigeant pour avoir notifié sa démission, M. [B] a fait procéder le 29 mai 2015 à la fermeture d'un compte bancaire de la société [H] Réunion (pièce 13 / appelante), sans qu'il soit justifié par la société de la position débitrice du compte et de l'existence d'autres comptes pour assurer le fonctionnement de l'entreprise.

Dans un temps contemporain, la société a par ailleurs bénéficié du transfert d'un contrat signé par la société [H] Réunion concernant l'opération [E]. En effet, par courriel du 27 mai 2015 (pièce 5 / intimé), la société a sollicité le changement du nom de l'entreprise en charge de cette opération, de [H] à Group Elec. Si l'appelante explique que cette reprise de chantier est intervenue en raison de la défaillance de la société [H] Réunion, cette demande est manifestement venue à sa seule initiative et non à l'initiative du maître d'ouvrage de l'opération [E], M. [B] n'ayant au surplus plus qualité à cette date pour renoncer au nom de la société [H] Réunion au contrat antérieurement signé par cette dernière.

Enfin, alors même que la société [H] Réunion déclarait un chiffre d'affaires de 3 150 373 euros pour l'année 2014 (pièce 18 / intimé) et qu'elle communiquait encore le 17 avril 2015 (pièce 8 / intimé), suite à une demande de la société Spag, un devis concernant des travaux d'électricité à effectuer au sein de la résidence Lady pour un montant de 60 733 euros, elle ne pourra faire face à ses engagements (pièce 8 / intimé) et sera placée en redressement judiciaire deux mois après la démission de M. [B], la procédure étant convertie en liquidation judiciaire quinze jours plus tard, ce qui atteste de l'impact désastreux de la décision de ce dernier sur la pérennité de l'entreprise.

Dans le même temps, la société bénéficiera d'une augmentation de son chiffre d'affaires de 275 503 euros en 2014 à 1 651 918 euros en 2015 (pièces 22 à 24 / appelante).

Il est donc constaté que le co-gérant majoritaire de la société [H] Réunion a quitté précipitamment ses fonctions en favorisant à cette occasion les seuls intérêts de la société avec des conséquences désastreuses pour la société [H] Réunion.

En troisième lieu, il résulte de plusieurs courriels versés au débat que les sociétés [H] Réunion et Group Elec bénéficiaient d'un secrétariat commun avec une unique adresse courriel dénommée « [H] » (pièces 5 et 19 / intimé).

Si la société objecte que, contrairement à ce que soutient M. [L], les moyens humains et matériels n'étaient pas partagés par les deux entreprises, elle ne justifie, à la date du transfert d'activité allégué, ni du détail de ses propres actifs, ni des salariés déclarés par ses soins aux organismes sociaux, les attestations produites par la société, qui ne sont pas accompagnées des pièces d'identité de leur signataire, étant dépourvues de toute force probante.

D'ailleurs, M. [A] [N] [G], ancien co-gérant de la société [H] Réunion détenteur de 25 % des parts sociales, atteste (pièce 20 / intimé) en ces termes : «  j'étais sous la responsabilité de M. [B] qui me donnais les ordres sur la priorité des chantiers et des travaux à faire. Il était courant que j'intervienne sur les chantiers Group Elec malgré que je n'avais aucun lien avec cette société. Comme par exemple, le chantiers mosaïque sur Tampon ont été plusieurs de la société [H] a travailler sur le chantiers (monsieur [V] [W]) sans aucun contrat de sous-traitance. Après la liquidation judiciaire j'était dans l'obligation de lui ordonner de retourner les véhicules de [H] qui était avec les ouvriers du Groupe Elec. Malgré sa démission, monsieur [B] avait toujours le véhicule du [H] en sa posetion. Je précise que Mme [C] [U] s'occupait à la fois de la comptabilité et facturation de la société Group Elec et [H] ».

Au vu des pièces produites et notamment des contrats et courriels adressés par le secrétariat suivant les directives de M. [B], ce dernier apparaît également comme le seul commercial des deux sociétés.

Le salarié justifie, de surcroît, de l'élaboration de plans par un des salariés de la société [H] Réunion au profit de la société (pièce 12 / intimé). Si cette dernière prétend qu'elle avait recours ponctuellement à des personnels de la société [H] Réunion contre facturation, elle n'en justifie nullement, la pièce 6 produite à cette fin n'étant qu'un simple tableau et non une pièce comptable. En tout état de cause, cette circonstance, à supposer établie, ne rapporte pas la preuve des moyens humains et matériels que la société aurait personnellement détenus, antérieurement à la date du transfert en litige.

Par ailleurs, il n'est pas discuté que la société a proposé, postérieurement à la démission de M. [B], un contrat de travail aux salariés de la société [H] Réunion, refusé par certains en raison de l'absence de reprise d'ancienneté, ce qui confirme l'absence de ressource suffisante détenue par la société pour faire face à son activité.

Il est ainsi établi qu'à la date de la démission de M. [B], la société ne bénéficiait d'aucun local, matériel ou personnel propres, la production d'un carnet de commandes pour l'année 2015 (pièce 7 / appelante) tendant à justifier d'une activité indépendante étant sans emport puisque, comme l'indique le salarié sans être efficacement contredit, les chantiers étaient assurés indifféremment pour le compte de l'une ou l'autre des sociétés avec les seules ressources de la société [H] Réunion.

Il s'évince de ces constations qu'à la date du transfert allégué, la société [H] Réunion et la société Groupe Elec constituaient une seule et même entité économique autonome, constituée d'un ensemble organisé de personnes et de matériels poursuivant un objectif économique propre.

La démission brutale de M. [B] de ses fonctions de co-gérant de la société [H] Réunion ainsi que les décisions prises par ce dernier en faveur de la société et au détriment de la première, ont mis celle-ci dans l'impossibilité de poursuivre son activité et ont conduit au transfert de l'entité économique autonome au seul profit de la société.

Dès lors, le contrat de travail de M. [L], transféré à cette occasion, n'ayant jamais été rompu, l'absence de reprise de la relation de travail par la société produit l'effet d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ; ce qui emporte le débouté de la demande indemnitaire de la société pour action abusive ;
Sur l'indemnisation du salarié :

Vu l'article L.1235-3 du code du travail dans sa version antérieure à l'ordonnance no2017-1387 du 22 septembre 2017 selon lequel «  Si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l'entreprise, avec maintien de ses avantages acquis. 
Si l'une ou l'autre des parties refuse, le juge octroie une indemnité au salarié. Cette indemnité, à la charge de l'employeur, ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois. Elle est due sans préjudice, le cas échéant, de l'indemnité de licenciement prévue à l'article L.1234-9» ;

En l'espèce, M. [L] sollicite la somme de 28 908 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, sur la base d'un salaire de référence de 1 873,12 euros, la société contestant la somme forfaitaire allouée par les premiers juges et sollicitant à titre principal le rejet de cette demande et subsidiairement la réduction des dommages-intérêts à un euro.

Compte tenu de l'ancienneté de M. [L] établie à la date du transfert à trois ans et dix mois, il lui sera alloué, au titre de l'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse qui répare le caractère injustifié de la perte d'emploi, la somme de 14 048,40 euros correspondant à 7,5 mois de salaire.

Le jugement sera infirmé sur ce point.

M. [L] n'ayant pas formé d'autres demandes en cause d'appel, le jugement sera confirmé pour le surplus.

PAR CES MOTIFS :

La cour,

Statuant publiquement, contradictoirement,

Confirme le jugement rendu le 31 octobre 2019 par le conseil de prud'hommes de Saint-Denis de la Réunion sauf en ce qu'il a condamné la société Group Elec à payer à M. [L] la somme de 13 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Statuant à nouveau sur ce point,

Condamne la société Group Elec à payer à M. [L] la somme de 14 048,40 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Y ajoutant,

Déboute la société Group Elec de sa demande pour action abusive ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société Group Elec à payer à M. [L] la somme de 500 euros à titre d'indemnité pour frais non répétibles d'instance ;

Condamne la société Group Elec aux dépens d'appel.

Le présent arrêt a été signé par M. Alain Lacour, président, et par Mme Monique Lebrun, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La greffière,le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Saint-Denis-de-la-Réunion
Formation : 02
Numéro d'arrêt : 19/029591
Date de la décision : 16/11/2021
Sens de l'arrêt : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.saint-denis-de-la-reunion;arret;2021-11-16;19.029591 ?
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