N° RG 23/03410 - N° Portalis DBV2-V-B7H-JPKJ
COUR D'APPEL DE ROUEN
CH. CIVILE ET COMMERCIALE
ARRET DU 29 AOUT 2024
DÉCISION DÉFÉRÉE :
2022003698
Tribunal de commerce de Rouen du 03 octobre 2023
APPELANTE :
Société NORMAFI
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentée par Me Yannick ENAULT de la SELARL YANNICK ENAULT-GREGOIRE LECLERC, avocat au barreau de Rouen, et assistée par Me Nicolas BARRABE, avocat au barreau de Rouen, plaidant
INTIMEES :
Madame le procureur général près la cour d'appel de Rouen
Palais de Justice
[Adresse 5]
[Localité 3]
Régulièrement avisée
Me [K] [Y] agissant en lieu et place de Me [M] [B] ès qualités de mandataire judiciaire et de commissaire à l'exécution du plan de la SARL NORMAFI
[Adresse 2]
[Localité 4]
représenté par Me Simon MOSQUET-LEVENEUR de la SELARL LEXAVOUE NORMANDIE, avocat au barreau de Rouen, et assisté par Me Pierre MORTIER, avocat au barreau de Rouen
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 07 mai 2024 sans opposition des avocats devant Mme FOUCHER-GROS, présidente, rapporteur.
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour composée de :
Mme FOUCHER-GROS, présidente
M. URBANO, conseiller
Mme MENARD-GOGIBU, conseillère
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Mme RIFFAULT, greffière
MINISTERE PUBLIC :
Auquel l'affaire a été régulièrement communiquée.
DEBATS :
A l'audience publique du 07 mai 2024, où l'affaire a été mise en délibéré au 29 août 2024.
ARRET :
CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 29 août 2024, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
signé par Mme FOUCHER-GROS, présidente et par Mme RIFFAULT, greffière.
*
* *
EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE
La société Normafi était une entreprise de travaux de peinture dont M. [I] était le dirigeant. N'ayant pas trouvé de successeur, il a vendu le fonds de commerce de la société à la société Sipdeg Peinture Ravalement avec effet au 1er janvier 2012.
La transaction ne portait pas sur l'intégralité des marchés en cours au 1er janvier 2012 et des dispositions ont été prises pour permettre à la société Normafi de terminer les chantiers non repris. Du fait de l'impossibilité pour la société Normafi de mener à bien le recouvrement de ses créances, sur assignation d'un fournisseur, elle a été placée en redressement judiciaire 1e 18 décembre 2012. Me [C] [O] a été désigné mandataire judiciaire.
Par jugement du 23 septembre 2014, le tribunal de commerce de Rouen a arrêté un plan de redressement sur une durée de sept ans afin de permettre au dirigeant de mener les actions nécessaires au recouvrement des créances de la société Normafi. Ce jugement a pris acte de l'engagement du gérant de limiter les dépenses annuelles de la société à la somme maximale de 5.000 € ainsi que de ne percevoir aucune rémunération. Il prévoyait aussi le remboursement des sommes dues au dirigeant et à ses sociétés après la bonne fin du plan d'apurement du passif.
Me [C] [O] a été nommé en qualité de commissaire à l'exécution du plan et la société Normafi devait lui fournir, dans les deux mois suivant la fin de chaque semestre, une situation comportant toutes les informations économiques, comptables et sociales de l'entreprise.
Le tribunal a prévu que les dividendes seraient remis, au moyen de versements trimestriels, entre les mains du commissaire à l'exécution du plan, également désigné séquestre répartiteur des sommes à recevoir.
La société Normafi a interjeté appel de cette décision, uniquement en ses dispositions relatives aux créances dc son dirigeant et en ce qu'elle a limité a 5.000€ par an le montant de ses dépenses.
Par arrêt du 3 décembre 2015, la cour d'appel de Rouen a fait droit à la demande en indiquant que Monsieur [I] et ses sociétés devaient être traités à égalité avec l'ensemble des autres créanciers et a renvoyé l'affaire devant le tribunal de commerce de Rouen pour élaboration d'un plan d'apurement du passif intégrant les créances concernées.
Aucune des parties n'a saisi le tribunal à cet effet.
Sur la période de décembre 2015 à octobre 2020, la société Normafi a versé la somme de 338.l5l,15 € au titre des dividendes, permettant à Me [C] [O] de répartir les quatre premiers dividendes. En 2019, la société Normafi n'a pas versé le deuxième dividende.
La société Normafi a saisi le juge commissaire aux fins de voir à titre principal :
- saisir le tribunal de commerce de Rouen aux fins de remplacement de Me [O] ;
- ordonner à Me [O] es qualités de communiquer à la société Normafi le double des factures citées dans son courrier du 13 décembre 2021 ;
- ordonner à Me [O] ès qualités de commissaire à l'exécution du plan de verser à la société Normafi la somme de 220 000 € séquestrée sans autorisation du juge commissaire depuis octobre 2020
Par ordonnance du 29 juin 2022, le juge-commissaire, a :
- demandé au tribunal de statuer sur le remplacement de Me [O] ;
- ordonné à Me [C] [O], es qualités, de remettre à la société Normafi le double de trois factures dont l'ordonnance faisait la liste,
-ordonné à Me [O] de répartir les sommes dont il est dépositaire afin de désintéresser l'ensemble des créanciers et de verser à la société Normafi le solde en résultant.
Sur le deuxième point, le juge commissaire a retenu que « Me [O] est détenteur de la somme de 220 058,98 € et en est le séquestre et répartiteur ; il doit donc exercer les diligences liées à ces fonctions. Cette somme est suffisante pour couvrir le passif admis et Me [O] devra donc désintéresser l'ensemble des créanciers et restituer à la société Normafi le solde en résultant».
Par courrier du 5 Juillet 2022, Me [O] a exercé un recours contre cette décision en tant qu'elle lui ordonne de remettre des doubles de factures et de répartir les fonds.
Par courrier du 7 juillet 2022, la société Normafi a formé un recours contre l'ordonnance du juge-commissaire sur la seule disposition de l'ordonnance ordonnant à Me [O], es qualités, de répartir les sommes dont il est dépositaire afin de désintéresser l'ensemble des créanciers et de verser à la société Normafi le solde en résultant.
Par jugement du 10 janvier 2023, le tribunal de commerce de Rouen a fait droit à la demande de la société Normafi concernant le remplacement du mandataire judiciaire et du commissaire à l'exécution du plan de la société Normafi et a nommé la SELARL [M] [B], prise en la personne de Me [M] [B] en qualité de mandataire judiciaire et commissaire à l'exécution du plan de la société Normafi.
Par jugement du 31 janvier 2023, le tribunal de commerce de Rouen a constaté le remplacement du mandataire judiciaire et du commissaire à l'exécution du plan, décidé qu'il convenait d'entendre la SELARL [M] [B] et ordonné la réouverture des débats.
Par jugement en date du 3 octobre 2023, le tribunal de commerce de Rouen a :
- débouté la société Normafi de sa demande de restitution de la somme de 220 000 euros,
- infirmé l'ordonnance du 29 juin 2022 en ce qu'elle a ordonné à Maître [O], ès qualités, de répartir les fonds dont il est dépositaire afin de désintéresser l'ensemble des créanciers et de verser à la société Normafi le solde en résultant,
- laissé les dépens, liquidés à la somme de 70,20 euros à la charge de la société Normafi.
La société Normafi a interjeté appel de ce jugement par déclaration du 16 octobre 2023.
Par ordonnance du 7 décembre 2023, le président du tribunal de commerce de Rouen a mis fin à la mission de la Selarl [M] [B] et désigné en remplacement la SELARL [K] [Y] prise en la personne de Me [K] [Y]
Par acte du 22 décembre 2023, la SARL Normafi a assigné en intervention forcée la SELARL [K] [Y], désigné en qualité de mandataire judiciaire au redressement judiciaire de la société Normafi et de commissaire au plan d'apurement du passif aux lieu et place de la SELARL [M] [B].
L'ordonnance de clôture a été rendue le 5 mars 2024.
EXPOSE DES PRETENTIONS
Vu les conclusions du 8 avril 2024, auxquelles il est renvoyé pour exposé des prétentions et moyens de la société Normafi qui demande à la cour de :
- réformer le jugement du tribunal de commerce de Rouen du 3 octobre 2023 en ce qu'il a :
- débouté la société Normafi de sa demande de restitution de la somme de 220 000 euros,
- laissé les dépens à la charge de la société Normafi,
Et statuant à nouveau,
- déclarer nul l'engagement pris le 13 juillet 2020 par la société Normafi de verser à Maître [O] es-qualité les sommes reçues de la BTP Banque en exécution du protocole d'accord conclu entre elle et les sociétés PNSA, Normafi et CEPRA le 13 juillet 2020,
- condamner Maître [Y], es-qualités de mandataire judiciaire de Normafi, à verser à Normafi la somme 220 000 euros,
- condamner Maître [Y], es-qualités de mandataire judiciaire aux dépens de première instance et d'appel.
La société Normafi soutient que :
*le protocole d'accord avec la société BTP Banque ne prévoyait pas que la somme de 220 000 € devait être remise à Me [O]. C'est par un acte distinct, que la société Normafi s'est engagée à la lui reverser. Cet acte doit être annulé en application de l'article 1143 du code civil parce qu'il a été obtenu par Me [O] sous la contrainte et par chantage ;
*en l'absence de nouveau plan ordonné par le tribunal de commerce, Me [O] ne pouvait répartir de dividendes. Me [O] et Me [B] ne disposaient d'aucun motif pour consigner cette somme ;
*en confisquant les 222 000 €, Me [O] a empêché la société Normafi de bénéficier des dispositions de l'article L631-16 du code de commerce ;
*la demande de Normafi s'adresse au mandataire judiciaire, donc à présent, à Me [Y], qui ne peut exciper de l'absence de qualité de Me [O] ou Me [B] pour répartir les fonds.
Vu les conclusions du 28 décembre 2023, auxquelles il est renvoyé pour exposé des prétentions et moyens de Maître [K] [Y], es qualités de mandataire judiciaire et de commissaire à l'exécution du plan de redressement de la société Normafi, qui demande à la cour de :
- confirmer le jugement du tribunal de commerce de Rouen en date du 03 octobre 2023 en ce qu'il a :
- débouté la société Normafi de sa demande de restitution de la somme de 220 000 euros,
- infirmé l'ordonnance du 29 juin 2022 en ce qu'elle a ordonnée à Me [O], ès qualités, de répartir les fonds dont il est dépositaire afin de désintéresser l'ensemble des créanciers et de verser à la société Normafi le solde en résultant,
- laissé les dépens à la charge de la société Normafi,
En tout état de cause,
- débouter la société Normafi de l'intégralité de ses demandes fins et conclusions,
- condamner la société Normafi à payer à Maître [K] [Y], membre de la SELARL [K] [Y], es qualité de mandataire judiciaire et de commissaire à l'exécution du plan de redressement de Normafi, la somme de 3000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
-condamner la société Normafi aux entiers dépens.
Me [Y] soutient que :
*la somme de 220 000 € a été remise à Me [O] en exécution d'un protocole d'accord du 13 juillet 2023 signé avec la société BTP ; la société Normafi n'apporte aucun élément permettant d'en contester utilement la validité ;
*Me [O] et Me [B] n'ont plus qualité pour répartir les fonds ;
*l'article R621-21 du code de commerce ne donne nullement le pouvoir au juge commissaire d'enjoindre au commissaire à l'exécution du plan à répartir les dividendes.
Vu les conclusions du 26 février 2024 du ministère public qui demande à la cour de :
- confirmer la décision entreprise.
MOTIFS DE LA DECISION :
Dans ses dernières conclusions, la société Normafi a abandonné sa demande d'infirmation du jugement entrepris en ce qu'il a infirmé l'ordonnance du 29 juin 2022 en ce qu'elle a ordonné à Maître [O], ès qualités, de répartir les fonds dont il est dépositaire afin de désintéresser l'ensemble des créanciers et de verser à la société Normafi le solde en résultant.
Sur la demande de nullité de l'engagement du 13 juillet 2020 de verser les fonds entre les mains de Me [O] :
Par jugement du 23 septembre 2014 le tribunal de commerce de Rouen a arrêté le plan de redressement par apurement du passif de la société Normafi ; et en autres dispositions désigné Me [O] en qualité de commissaire à l'exécution du plan et dit que les dividendes résultant de l'exécution du plan seront remis, au moyen de versements trimestriels entre les mains du commissaire à l'exécution du plan que le tribunal a également nommé séquestre répartiteur des sommes à recevoir. Ce jugement a fait l'objet d'un appel limité ne comprenant pas cette disposition. Il en résulte que la disposition qui a nommé le commissaire à l'exécution du plan séquestre répartiteur est définitive, même si par arrêt du 3 décembre 2015, la cour a renvoyé l'affaire devant le tribunal de de commerce pour l'élaboration d'un nouveau plan.
Il ressort de l'acte signé le 10 juillet 2020 par la société Banque du Batiment et des Travaux Publics (BTP), le 13 juillet par Me [O] ès qualités de commissaire à l'exécution du plan des sociétés PNSA et Normafi, et le représentant légal des sociétés PNSA, Normafi et CEPRA que la société BTP a accepté de verser une indemnité de 600 000 € se répartissant entre les société PNSA Normafi et Cepra à concurrence respectivement de 330 000 €, 220 000 €, et 50 000 €.
Par acte du 13 juillet 2020, par l'intermédiaire de leur conseil, les sociétés PNSA et Normafi se sont engagées à se dessaisir des sommes reçues dans le cadre du protocole d'accord entre les mains de Me [O], aux fins de leur emploi au règlement immédiat des dividendes dus aux créanciers.
Par jugement du 7 septembre 2020, le tribunal de commerce de Rouen a homologué le protocole d'accord des 10 et 13 juillet 2020.
En premier lieu, la société Normafi, n'allègue aucunement que son consentement a été vicié lors de son acceptation du protocole ni même que le jugement du 7 septembre 2020 a fait l'objet d'un recours.
En second lieu, la société Normafi se borne à alléguer sans en rapporter la preuve que c'est par l'effet d'une contrainte et d'un chantage que son conseil a remis les fonds à Me [O].
La société Normafi sera déboutée de sa demande tendant à voir annuler son engagement de remettre les fonds à Me [O].
Sur la demande de remise des fonds :
Si a l'issue de l'arrêt du 3 décembre 2015, le commissaire à l'exécution du plan ne pouvait plus distribuer de dividendes, il est néanmoins demeuré séquestre répartiteur. Par voie de conséquence, il conserve, dans l'attente de l'élaboration d'un nouveau plan, un motif légitime de conserver les fonds versés.
Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a débouté la société Normafi de ce chef de de demande.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire :
Constate que la société Normafi a abandonné sa demande d'infirmation du jugement du 3 octobre 2022 en ce qu'il a infirmé l'ordonnance du 29 juin 2022 en ce qu'elle a ordonné à Maître [O], ès qualités, de répartir les fonds dont il est dépositaire afin de désintéresser l'ensemble des créanciers et de verser à la société Normafi le solde en résultant ;
Confirme le jugement entrepris pour le surplus de ses dispositions ;
Y ajoutant :
Déboute la société Normafi de sa demande tendant à voir déclarer nul son engagement du 13 juillet 2020 de remettre les fonds à Me [O] ;
Condamne la société Normafi aux dépens en cause d'appel ;
Condamne la société Normafi à verser à la SELARL [K] [Y], es qualités de mandataire judiciaire et commissaire à l'exécution du plan de redressement de la société Normafi, la somme de 2 000 € au titre de ses frais irrépétibles en cause d'appel .
La greffière, La présidente,