La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

28/08/2024 | FRANCE | N°23/02533

France | France, Cour d'appel de Rouen, 1ère ch. civile, 28 août 2024, 23/02533


N° RG 23/02533 - N° Portalis DBV2-V-B7H-JNON







COUR D'APPEL DE ROUEN



1ERE CHAMBRE CIVILE



ARRET DU 28 AOUT 2024









DÉCISION DÉFÉRÉE :



22/00711

Tribunal judiciaire de Dieppe du 22 mai 2023





APPELANT :



Monsieur [V] [Y]

né le 10 juin 1974 à [Localité 8]

[Adresse 5]

[Localité 9]



représenté et assisté par Me Rose-Marie CAPITAINE, avocat au barreau de Dieppe

substituée par Me Sophie CATTELETr>




INTIME :



Monsieur [R] [F] [N] [Z]

né le 31 décembre 1953 à [Localité 10]

[Adresse 6]

[Localité 9]



représenté et assisté par Me Virginie LE BIHAN de la SELARL NOMOS AVOCATS, avocat au barreau de Dieppe substitué...

N° RG 23/02533 - N° Portalis DBV2-V-B7H-JNON

COUR D'APPEL DE ROUEN

1ERE CHAMBRE CIVILE

ARRET DU 28 AOUT 2024

DÉCISION DÉFÉRÉE :

22/00711

Tribunal judiciaire de Dieppe du 22 mai 2023

APPELANT :

Monsieur [V] [Y]

né le 10 juin 1974 à [Localité 8]

[Adresse 5]

[Localité 9]

représenté et assisté par Me Rose-Marie CAPITAINE, avocat au barreau de Dieppe

substituée par Me Sophie CATTELET

INTIME :

Monsieur [R] [F] [N] [Z]

né le 31 décembre 1953 à [Localité 10]

[Adresse 6]

[Localité 9]

représenté et assisté par Me Virginie LE BIHAN de la SELARL NOMOS AVOCATS, avocat au barreau de Dieppe substituée par Me Claire MENARD

COMPOSITION DE LA COUR  :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 17 avril 2024 sans opposition des avocats devant Mme WITTRANT, présidente de chambre, rapporteur,

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour composée de :

Mme Edwige WITTRANT, présidente de chambre

Mme Magali DEGUETTE, conseillère

Mme Anne-Laure BERGERE, conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Mme Catherine CHEVALIER

DEBATS :

A l'audience publique du 17 avril 2024, où l'affaire a été mise en délibéré au 3 juillet 2024, date à laquelle le délibéré a été prorogé au 28 août 2024

ARRET :

CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 28 août 2024 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

signé par Mme WITTRANT, présidente de chambre et par Mme CHEVALIER, greffier présent lors de la mise à disposition.

*

* *

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

'

Par acte notarié du 12 avril 2016, M. [R] [F] [N] [Z] a fait l'acquisition de deux parcelles de terrain cadastrées AE [Cadastre 2] et AE [Cadastre 4], [Adresse 7] à [Localité 9]. Il a constaté dans un bâtiment édifié contre le mur de la maison voisine appartenant à'M. [V] [Y] et situé sur ce chemin la présence d'une fenêtre ouverte dans ce mur.'Un procès-verbal de constat d'huissier a été dressé le 21 avril 2016.

'

Par lettre recommandée avec avis de réception du 29 août 2016, M. [N] [Z] a demandé à M. [Y] de supprimer cette fenêtre ainsi que le tuyau d'évacuation de gaz de sa chaudière débouchant sur son terrain. Ces demandes ont été formées par huissier de justice le 9 février 2018 en vain.

'

Par acte d'huissier du 25 septembre 2018, M. [N] [Z] a fait assigner M. [Y] devant le tribunal d'instance de Dieppe afin essentiellement d'obtenir la suppression de cette ouverture et du tuyau sous astreinte. Par jugement du 16 octobre 2020, le tribunal d'instance de Dieppe a ordonné une expertise': l'expert a déposé son rapport le 20 avril 2022.

'

Par jugement contradictoire du 22 mai 2023, le tribunal judiciaire de Dieppe a :

- condamné M. [Y] à supprimer la fenêtre ouverte dans le mur de sa salle de bains et à remettre le mur en l'état dans un délai de deux mois à compter de la signification du jugement,'

- dit que passé ce délai, il serait redevable d'une astreinte d'un montant de 50 euros par jour de retard pendant une période maximale de 6 mois,'

- rejeté la demande de M. [N] [Z] tendant à ce que M. [Y] soit condamné sous astreinte à procéder à la suppression du débord de son toit,'

- rejeté la demande de M. [Y] tendant à ce qu'il soit ordonné à M. [N] [Z] de procéder à ses frais et sous astreinte à la destruction de ses bâtiments empiétant sur sa propriété et à remettre en état le mur privatif et les sols de sa propriété,

- rejeté la demande de M. [Y] en paiement de dommages et intérêts pour résistance abusive,

- condamné M. [Y] aux entiers dépens de l'instance ainsi qu'aux frais de l'expertise judiciaire,

- condamné M. [Y] à verser la somme de 800 euros à M. [N] [Z] au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,'

- dit n'y avoir lieu à ordonner l'exécution provisoire de la décision.

'

Par déclaration reçue au greffe le 19 juillet 2023, M. [Y] a formé appel de la décision.

'

EXPOSE DES PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

'

Par dernières conclusions notifiées le 27 février 2024,'M. [V] [Y]'demande à la cour au visa des articles 545, 1240 et suivants, 1199 et 2251 du code civil, de :

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il l'a :

. condamné à supprimer la fenêtre ouverte dans le mur de sa salle de bains et à remettre le mur en l'état dans un délai de deux mois à compter de la signification du jugement,'

. dit que passé ce délai, il serait redevable d'une astreinte d'un montant de 50 euros par jour de retard pendant une période maximale de 6 mois,'

. rejeté sa demande tendant à ce qu'il soit ordonné à M. [N] [Z] de procéder à ses frais et sous astreinte à la destruction de ses bâtiments empiétant sur sa propriété et à remettre en état le mur privatif et les sols de sa propriété,

. rejeté sa demande en paiement de dommages et intérêts pour la résistance abusive,

. l'a condamné aux entiers dépens de l'instance, ainsi qu'aux frais de l'expertise judiciaire,

. l'a condamné à verser la somme de 800 euros à M. [N] [Z] au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

statuant à nouveau,

- constater que les bâtiments de M. [N] [Z] perpendiculaires au mur privatif de sa maison d'habitation empiètent sur la propriété de M. [Y],

- constater que M. [N] [Z] ne peut se prévaloir d'aucune prescription acquisitive pour les bâtiments existants sur sa propriété et empiétant sur sa propriété,'

- constater que M. [N] [Z] s'est engagé dans son titre de propriété à démolir à ses frais les bâtiments existants,

en conséquence,

- ordonner et condamner M. [N] [Z] à procéder à ses frais à la destruction de ses bâtiments empiétant sur la propriété de M. [Y] et à la remise en état du mur privatif et des sols de la propriété de M. [Y] et assortir l'obligation de destruction et de remise en état des lieux d'une astreinte de 200 euros par jour de retard à compter de la signification de l'arrêt à intervenir,'

- condamner M. [N] [Z] à lui payer la somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice pour résistance abusive à démolir les bâtiments litigieux,'

- dire et juger si la fenêtre litigieuse doit être supprimée, qu'elle ne pourra l'être qu'après respect préalable par M. [N] [Z] de son obligation de démolition des bâtiments existants empiétant sur la propriété de M. [Y] et après remise en état par ses soins du mur privatif de la maison de M. [Y],

à titre subsidiaire si la prescription acquisitive était retenue,

- constater que par son engagement à démolir à ses frais les bâtiments existants, M. [N] [Z] a renoncé à se prévaloir de la prescription acquise,'

- constater que les bâtiments de M. [N] [Z] perpendiculaires au mur privatif de la maison d'habitation de M. [Y], empiètent sur la propriété de M. [Y],'

en conséquence,

- ordonner et condamner M. [N] [Z] à procéder à ses frais à la destruction de ses bâtiments empiétant sur la propriété de M. [Y] et à la remise en état du mur privatif et des sols de la propriété de M. [Y] et assortir l'obligation de destruction et de remise en état de lieux d'une astreinte de 200 euros par jour de retard à compter de la signification de l'arrêt à intervenir,

- condamner M. [N] [Z] à lui payer la somme de 3 000 euros, à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice pour résistance abusive à démolir les bâtiments litigieux,'

à titre infiniment subsidiaire,

- constater que M. [N] [Z] a manqué à ses obligations contractuelles en ne démolissant pas les bâtiments existants empiétant sur sa propriété,'

- constater que ce manquement lui a causé un dommage et que M. [N] [Z] a ainsi engagé sa responsabilité délictuelle à son égard,'

- condamner en conséquence M. [N] [Z] à lui verser la somme de

10 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice,'

en tout état de cause,

- débouter M. [N] [Z] de l'ensemble de ses demandes,

- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a rejeté la demande de M. [N] [Z] tendant à ce que M. [Y] soit condamné sous astreinte à procéder à la suppression du débord de son toit,'

- condamner M. [N] [Z] à payer à M. [Y] la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,'

- condamner M. [N] [Z] aux entiers dépens de première instance et d'appel.

'

Concernant la demande adverse de suppression de la fenêtre litigieuse, il expose qu'il a acquis son bien implanté sur les parcelles cadastrées AE [Cadastre 1] et [Cadastre 3] par acte notarié des 22 et 23 août 2000 auprès des consorts [T] qui le tenaient par héritage de leurs parents ayant acheté l'immeuble par acte notarié des 11 et 14 septembre 1954'; que lors de travaux importants de réhabilitation en 2001, il a découvert l'ancienne fenêtre existant dans le mur alors rebouchée et n'a fait que la réaménager en posant un bâti'; qu'il peut se prévaloir d'une servitude de vue conventionnelle, les travaux ayant été réalisés sous les yeux des anciens propriétaires'; qu'il dispose de témoignages concernant l'antériorité de cette fenêtre et qu'en toute hypothèse, lors de la visite des lieux pour acheter le bien, l'intimé n'a pu que constater son existence sans pouvoir désormais critiquer son implantation au regard de l'acquisition de la prescription trentenaire. Il sollicite en conséquence l'infirmation de la décision entreprise.

'

Concernant l'enlèvement des bâtiments litigieux empiétant sur sa propriété, il rapporte au visa des dispositions de l'article 545 du code civil que l'empiétement constitue une atteinte au droit de propriété'; qu'en l'espèce, les anciens propriétaires du bien de M. [N] [Z] ont édifié sans autorisation, ni permis de construire un bâtiment à usage de stockage, puis un bâtiment à usage de toilettes extérieures, sur le mur privatif de sa propriété.'

'

Il relève notamment que l'expert judiciaire a examiné les titres de propriétés': il a indiqué que son mur 'est clairement privatif' et que les deux constructions empiètent sur sa propriété de 40 cm pour en conclure à l'obligation de M. [N] [Z] de détruire à ses frais les bâtiments existants du fait de leur empiétement sur la propriété voisine.

'

Il relève qu'aucune prescription acquisitive ne peut être retenue en l'espèce, retenant qu'aucune autorisation n'avait été donnée aux anciens propriétaires pour construire les bâtiments litigieux et rapportant des attestations énonçant que ces bâtiments ont toujours été source de conflits, qu'ainsi la possession continue et non interrompue émanant de l'article 2261 du code civil ne peut être démontrée.'

'

Il souligne à titre subsidiaire, si la cour retenait la prescription acquisitive au profit de M. [N] [Z], que c'est en toute connaissance de cause que ce dernier s'est engagé à démolir les bâtiments existants'; qu'il est mentionné dans le titre de propriété de M. [N] [Z] du 12 avril 2016, 'qu'il existe sur la parcelle (...) Des bâtiments à démolir et qu'il a été convenu que l'acquéreur démolira à ses frais les bâtiments existants, ce qu'il a accepté''; qu'il s'agit dès lors d'une obligation de démolition de portée générale qui ne concernait pas uniquement les anciens propriétaires.

Il ajoute également que ce faisant, M. [N] [Z] a renoncé de façon expresse à se prévaloir éventuellement de toute prescription acquise.

'

Pour défendre sa demande au titre de la résistance abusive de M. [N] [Z] à démolir à ses frais les bâtiments litigieux, il souligne que Me [C] lui avait adressé le 19 avril 2018 un courrier afin de lui rappeler qu'il devait se remettre dans les limites de sa propriété, effectuer la remise en état d'origine du mur et nettoyer la parcelle, relevant également qu'une lettre du maire de la commune ne l'avait pas davantage fait réagir.'

'

S'agissant de l'application de l'article 1199 du code civil, il ne conteste pas qu'il n'apparaît pas officiellement comme partie dans la signature du contrat de vente dont a bénéficié M. [N] [Z]. Cependant relevant que M. [N] [Z] s'était engagé devant notaire à démolir les bâtiments empiétant sur sa propriété, il lui avait accordé verbalement le jour de la signature des actes de vente un délai de 2 ans pour le faire, délai amplement dépassé à ce jour.

'

Il relève que si la cour estimait qu'il était tiers au contrat, il serait alors bien fondé à solliciter l'octroi de dommages et intérêts, du fait en l'espèce de l'existence d'un manquement contractuel concernant le non-respect de la démolition des bâtiments par M. [N] [Z].

'

Concernant le rejet de la demande de suppression du débord de la toiture, cache-moineaux et gouttière présentée par M. [N] [Z], il souligne que le cabinet Euclyd géomètre-expert démontre clairement que le débord de gouttière tel qu'il apparaît sur le plan de délimitation établi n'empiète aucunement sur la propriété de M. [N] [Z].'''''''''''''''''''''''''''''''''''''''''''''''''

'

Par dernières conclusions notifiées le 27 novembre 2023,'M. [R] [F] [N] [Z] demande à la cour de :'

- déclarer M. [Y] recevable mais mal fondé en son appel et le débouter de ses demandes, tant principales que subsidiaires,

- le recevoir en son appel incident, le déclarer recevable et bien-fondé,

en conséquence,

- confirmer en toutes ces dispositions le jugement entrepris hormis sur le rejet de la demande de suppression du débord de la toiture de M. [Y] sur son fonds,

statuant à nouveau,

- condamner M. [Y] à supprimer sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la signification de l'arrêt à intervenir le débord de toiture, cache-moineaux et gouttière de son immeuble débordant et empiétant sur son fonds,

- condamner M. [Y] à lui régler la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de première instance, et ceux exposés en cause d'appel et en ce compris les honoraires de l'expert judiciaire M. [B].

'

Concernant la suppression de la fenêtre litigieuse, il relève que l'existence de'la fenêtre n'est pas mentionnée dans l'acte de vente de M. [Y], rapportant qu'il n'est d'ailleurs pas fait mention d'une salle de bains mais exclusivement d'un cellier. De plus, il affirme que l'existence même de cette fenêtre prétendument antérieure à l'année 2000 est contredite par les constatations de l'expert judiciaire dans son rapport définitif du 18 avril 2022.'

'

Il retient également que cette fenêtre nouvellement créée par M. [Y] dans son mur privatif a été installée en méconnaissance des dispositions légales des articles 678 et 680 du code civil, l'expert judiciaire relevant notamment en l'espèce que la 'distance entre le nu du mur et la propriété de M. [N] [Z] était inférieure à 1m90 et que l'ouverture ainsi créée par M. [Y] constituait une vue droite'.'

'Sur la prescription acquisitive, il relève que si la construction des bâtiments empiétant sur le terrain de M. [Y] n'a pas pu être précisément datée par l'expert judiciaire, il est possible de constater l'existence de ces derniers sur des photos aériennes de l'IGN datées de 1963 et 1977. Ils existent depuis plus de 30 ans et en conséquence, comme l'a retenu le tribunal judiciaire de Dieppe, il est bien fondé à se prévaloir de la prescription acquisitive.

A titre subsidiaire, il conteste l'existence d'une renonciation au bénéfice de la prescription acquisitive': il retient que l'acte de vente reçu le 12 avril 2016 ne contient aucune renonciation expresse de sa part à se prévaloir'de la prescription acquisitive. Il contient seulement l'engagement de démolir à ses frais les bâtiments situés sur la parcelle AE [Cadastre 2], mais comme il a été retenu par le tribunal judiciaire de Dieppe, il n'est pas établi qu'il ait été informé à la date de la signature de l'acte de vente portant l'engagement visé que la prescription acquisitive était acquise, de sorte qu'il ne s'est pas engagé à démolir ces bâtiments en connaissance de cause.'

'

A titre infiniment subsidiaire, s'agissant du manquement à l'obligation contractuelle du fait de la non-démolition des bâtiments allégués par M. [Y], il soutient que ce dernier n'est pas partie au contrat de vente qu'il a conclu avec les consorts [L] les 24 mars et 12 avril 2016.

La seule mention à l'acte visant M. [Y] se rapporte à une 'constitution de servitude' au profit du fonds dominant': cette servitude non aedificandi n'était absolument pas une contrepartie d'une obligation de démolition du bâtiment empiétant sur le fonds du propriétaire voisin.

'

Concernant l'appel incident tendant à la suppression du débord de toit, il fait valoir que le plan topographique dressé par le cabinet Euclyd géomètre-expert établit sans contestation possible l'empiètement constitué par ce débord de la toiture de M. [Y].

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 27 mars 2024.

'

MOTIFS'

'

Sur la suppression de la fenêtre litigieuse implantée sur le fonds de M. [Y]

L'article 676 du code civil dispose que le propriétaire d'un mur non mitoyen, joignant immédiatement l'héritage d'autrui, peut pratiquer dans ce mur des jours ou fenêtres à fer maillé et verre dormant. Ces fenêtres doivent être garnies d'un treillis de fer dont les mailles auront un décimètre (environ trois pouces huit lignes) d'ouverture au plus et d'un châssis à verre dormant.

L'article 677 suivant précise que ces fenêtres ou jours ne peuvent être établis qu'à vingt-six décimètres (huit pieds) au-dessus du plancher ou sol de la chambre qu'on veut éclairer, si c'est à rez-de-chaussée, et à dix-neuf décimètres (six pieds) au-dessus du plancher pour les étages supérieurs.

L'article 678 précise qu'on ne peut avoir des vues droites ou fenêtres d'aspect, ni balcons ou autres semblables saillies sur l'héritage clos ou non clos de son voisin, s'il n'y a dix-neuf décimètres de distance entre le mur où on les pratique et ledit héritage, à moins que le fonds ou la partie du fonds sur lequel s'exerce la vue ne soit déjà grevé, au profit du fonds qui en bénéficie, d'une servitude de passage faisant obstacle à l'édification de constructions.

L'article 680 ajoute que la distance dont il est parlé dans les deux articles précédents se compte depuis le parement extérieur du mur où l'ouverture se fait, et, s'il y a balcons ou autres semblables saillies, depuis leur ligne extérieure jusqu'à la ligne de séparation des deux propriétés.

Tant le titre de propriété de M. [Y] des 22 et 23 août 2000 que le titre de propriété de M. [N] [Z] du 12 avril 2016 ne vise le bénéfice ou la charge d'une servitude de vue.

La fenêtre litigieuse présente les dimensions suivantes selon rapport d'expertise': le bâti 50 cm sur 60 cm, le carreau 34 cm sur 41 cm. Elle est implantée à 40 cm de la limite de propriété et donne directement sur la propriété voisine. Elle est oscillo-battante et peut s'ouvrir à la française. Le verre est 'non grillagé, non armé et est translucide'', 'opaque' dans les conclusions du rapport de l'expert judiciaire. Elle correspond à la création d'une salle de bains. L'expert n'a pas trouvé de traces matérielles d'une ancienne fenêtre.

Il est acquis aux débats, sur déclaration de M. [Y] assortie de la production d'une facture du 18 mars 2015, et d'un témoin l'ayant aidé à effectuer les travaux d'une part, que l'implantation de la fenêtre litigieuse est intervenue courant 2015, que d'autre part, elle contrevient aux dispositions susvisées sauf à établir l'accord des propriétaires du fonds voisin ou l'acquisition de la servitude par prescription trentenaire.

En premier lieu, M. [Y] invoque le bénéfice d'une servitude de vue conventionnelle. En l'absence d'écrit rédigé en ce sens, il communique des attestations portant les déclarations suivantes':

- celle de ses beaux-parents, M. et Mme [M]

En réalité, l'attestation est formalisée sous la rédaction d'un seul auteur et d'une signature proche de celle de l'époux, M. [W] [M], évoquant la découverte d'une vieille fenêtre cachée dans le mur et l'accord donné par M. [L].

Le document ne fait pas état de la présence des beaux-parents lors de l'échange entre voisins, le témoignage n'étant qu'indirect.

- celle des voisins, M. [X] et Mme [K]

L'attestation n'est pas conforme aux dispositions de l'article 202 du code de procédure civile en ce qu'elle est rédigée par une seule personne non identifiée par rapport aux deux identités déclinées et non signée'; en toute hypothèse, au fond, les déclarants ne précisent au titre de la volonté de M. [L] alors propriétaire du bien désormais propriété de M. [N] [Z],''Avoir vu Mr [Y] venir dans le terrain de Mr [L] avec l'accord de Mr [L] [P] qui était présent à ce moment faire de la maçonnerie sur son mur début d'année 2015'.

- celle de M. [O]

Ce dernier indique avoir participé aux travaux et 'avoir été témoin de la découverte d'une fenêtre derrière l'ancien mur de placo' J'étais présent lorsque Mr [Y] a été voir son voisin Mr [L] [P] pour lui faire part de cette découverte et celui-ci a dit ne pas avoir en sa connaissance cette fenêtre mais qu'il lui donnait son accord verbal pour la conservée et la remplacer par une fenêtre neuve quelques semaines plus tard'''

Cette pièce unique ne permet pas de rapporter la preuve de la volonté de M. [L] alors propriétaire du bien, de consentir une servitude de vue à son voisin opposable aux acquéreurs successifs.

En outre, ce témoignage est peu compatible avec les déclarations faites par M. [A] [T], fils de l'ancien propriétaire du bien de M. [Y] et propriétaire dans le cadre de la succession paternelle, qui dans une attestation du 1er août 2023 versée par l'appelant, fait état de conflits entre les deux familles et qui évoquent à l'époque de ses grands-parents''plusieurs altercations entre mon père et ses frères et la famille [L]'.

En second lieu et de façon lacunaire, sans en évoquer les conditions, M. [Y] se prévaut du bénéfice de la prescription acquisitive de la servitude de vue.

La seule donnée certaine est la création de l'ouverture avec vue sur la propriété voisine courant 2015. Pour soutenir l'antériorité de la fenêtre en faveur de l'acquisition par prescription, et en l'absence de titre permettant d'analyser autrement les faits, M. [Y] invoque également une seule attestation, celle de M. [T] qui outre les oppositions entre les voisins soutient que 'juste avant la vente de la maison à Mr [Y] en 2000 et pour pouvoir vendre la maison, moi mon père et mes oncles avons créé la salle de bain et avons dû condamner la fenêtre puisqu'elle ne pouvait plus ouvrir que dans le bâtiment des [L]. Bien entendu nous n'avons jamais donné notre accord pour boucher la fenêtre aux [L], ni même autorisé la construction du bâtiment qui a toujours été source de conflit entre notre famille et les [L]'.

Cette allégation n'est confirmée par aucune autre pièce du dossier. Aucun état des lieux, établi par un professionnel, ou entre particuliers, ne conforte cette affirmation. Au contraire, l'acte de vente de l'immeuble signé les 22 et 23 août 2000 entre les consorts [T] et M. [Y] décrit le bien comme étant une maison d'habitation construite de plain-pied comprenant''une arrière-cuisine, cuisine, deux chambres.

A la suite maison en état de vétusté.

Cellier, buanderie, garage.

Jardin.'.

Il n'est aucunement fait état d'une salle de bain. Le beau-père évoque les travaux de salle de bain effectués par son gendre comme M. [O] qui a participé à des 'travaux de rénovation de sa salle de bain en février 2015 et avoir été témoin de la découverte d'une fenêtre derrière l'ancien mur en placo'. Si les aïeux des consorts [T], vendeurs de M. [Y], possédaient le bien depuis 1954, aucun autre témoignage ne caractérise l'existence de la vue donnant sur la propriété de M. [N] [Z] au cours de plusieurs décennies.

En conséquence, la preuve de l'existence d'une vue directe durant trente ans n'est pas rapportée de sorte que la servitude alléguée n'est pas établie.

La seule connaissance de l'existence de la fenêtre par les visites effectuées par M. [N] [Z] ne peut valoir renonciation de l'acquéreur à se prévaloir de ses droits.

En définitive, le jugement entrepris sera confirmé.

Sur l'empiètement et la démolition des bâtiments implantés par le propriétaire voisin sur le fonds de M. [Y]

Selon l'article 545 du code civil, nul ne peut être contraint de céder sa propriété, si ce n'est pour cause d'utilité publique, et moyennant une juste et préalable indemnité.

M. [Y] expose que les consorts [L] ont édifié directement et sans autorisation ni permis de construire sur le mur privatif de sa propriété un bâtiment à usage de stockage puis un bâtiment à usage de toilettes extérieures qui empiètent, selon les constations de l'expert judiciaire sur sa propriété dont il en demande la démolition.

L'expert judiciaire a décrit la situation comme suit'lors de la réunion d'expertise le 6 septembre 2021 : 'côté [N], la petite construction, aménagée sommairement en habitation, bien que ce ne soit plus son usage actuellement, est principalement à l'est de la limite, mais aussi un peu à l'ouest, comme en débordement sur la propriété [Y] d'environ 40 cm. Cette construction n'a pas de mur arrière, et est venue s'adosser au mur de la construction de M. [Y]. Elle ne parait pas récente'.'

Après vérification des titres, du plan de bornage accepté et signé par les consorts [L], il a confirmé que la limite de propriété passait à 0,40 cm environ au nord-est du mur extérieur de M. [Y] et l'empiètement de la construction réalisée le long de la limite séparative sur la propriété de ce dernier.

Dans ses conclusions en page 7 et 8, M. [N] [Z] ne remet pas en cause l'analyse de l'expert judiciaire sur la détermination de la limite séparative des fonds et qui s'est fondé''à juste titre'' sur le plan de bornage utilisé par le cabinet de géomètre-expert, Euclyd, et dressé le 12 mai 1885 mais soutient que la situation est couverte par la prescription acquisitive trentenaire au regard des clichés de l'Ign des années 1963 et 1977.

La prescription acquisitive est un moyen d'acquérir un bien ou un droit par l'effet de la possession sans que celui qui l'allègue soit obligé d'en rapporter un titre ou qu'on puisse lui opposer l'exception déduite de la mauvaise foi.

Selon l'article 2261, du code civil, pour pouvoir prescrire, il faut une possession continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque, et à titre de propriétaire.

La production des clichés Ign des années 1963 et 1977 démontre l'ancienneté de la construction litigieuse d'une durée supérieure à 30 ans et en l'espèce dans les conditions exigées par l'article 2261 susvisé. Il n'est produit à ce titre aucune pièce portant contestation de l'empiètement par les propriétaires de l'immeuble avant assignation délivrée le 25 septembre 2018 à la demande de M. [N] [Z] à M. [Y], ce dernier s'emparant alors de la procédure pour former une demande reconventionnelle.

En réponse, M. [Y] fait valoir que l'intimé a renoncé expressément au bénéfice de la prescription en s'engageant lors de l'achat du bien à démolir les constructions implantées sur les parcelles acquises, M. [N] [Z] contestant cette analyse et rétorquant qu'en toute hypothèse les actes signés ne peuvent être invoqués par M. [Y], tiers au contrat.

La promesse de vente signée entre les consorts [L] et M. [N] [Z] le 7 juillet 2015 prévoit en pages 5 et 6 de l'acte que''LE BENEFICIAIRE devra démolir à ses frais les bâtiments existants, ce qu'il accepte.

LE PROMETTANT se chargera de débarrasser l'intérieur des bâtiments à ses frais'.

La lecture complète des dispositions prises entre les parties permet de vérifier qu'il s'agit en réalité d'une répartition de charges entre les vendeurs et l'acquéreur quant à la prise en charge du nettoyage des lieux et ne peut pas correspondre à une décision concernant le droit de propriété et le sort de celui-ci au regard de la prescription, précisément à la renonciation au bénéfice de la prescription acquisitive.

La reprise de l'accord dans l'acte authentique de vente du 12 avril 2016 sous cette forme 'il existe sur la parcelle cadastrée section AE [Cadastre 2] des bâtiments à démolir' Il a été convenu que l'ACQUEREUR démolira à ses frais les bâtiments existants ce qu'il a accepté' ne modifie pas la précédente analyse': elle ne vise qu'à prévenir tout recours de l'acquéreur contre les vendeurs tenant à l'état de ces constructions et ne comporte d'ailleurs dans l'exécution de l'accord aucun terme imposant à l'acquéreur de procéder à la démolition prévue.

Les termes retenus dans ses deux actes sont sans portée à l'égard de la renonciation à la prescription alléguée par M. [Y].

Le jugement sera dès lors confirmé également de ce chef.

A titre subsidiaire, M. [Y] demande la somme de 10 000 euros pour le préjudice subi en raison du défaut d'exécution de l'engagement contractuel pris par M. [N] [Z].

Le défaut d'exécution de la clause visant la répartition des frais de traitement de l'état des lieux de l'immeuble acquis, sans terme, n'est pas de nature à causer préjudice à M. [Y] puisqu'elle n'emporte aucun droit dont puisse se prévaloir les tiers.

La demande sera dès lors rejetée.

Sur le débord de la toiture relevant du fonds de M. [Y]

Le premier juge a relevé que la demande avait été formulée par M. [N] [Z] postérieurement à la mission exécutée par l'expert et ne reposait que sur un constat d'huissier du 24 mai 2022 basé en réalité sur les mesures prises par l'intéressé lui-même en présence de l'auxiliaire de justice'; que les éléments versés ne suffisaient pas à établir l'empiètement allégué.

La pièce produite correspond effectivement à des mesures prises par M. [N] [Z], en demande s'agissant de la démolition du débord de la toiture. Il a certes utilisé un réglet, un niveau et un mètre. Cependant, il n'a pas tenu compte de la limite séparative des fonds pour définir précisément l'empiètement allégué dont l'estimation dans le constat est approximative et peu fiable au regard des repères utilisés. L'intimé se réfère dans ses conclusions au plan de masse qui porte uniquement la mention d'un débord de gouttière et très partiellement, sur une petite partie de la limite séparative des fonds qui ne peut être déterminée précisément en l'état.

'

La preuve de la matérialité de l'empiètement et de sa localisation précise étant insuffisamment rapportées, le premier juge a écarté de façon fondée la demande.

Le jugement sera confirmé de ce chef.

Sur la demande de dommages et intérêts

M. [Y] échoue en ses demandes en cause d'appel et ne rapporte dès lors pas la preuve d'une résistance abusive à l'exécution des obligations dont il réclame la reconnaissance à l'encontre de M. [N] [Z]. Le jugement qui l'a débouté sera confirmé.

Sur les frais de procédure

La décision entreprise n'appelle pas de critique, le premier juge ayant déjà statué sur les frais d'expertise judiciaire.

M. [Y] succombe à l'instance et en supportera les dépens.

Il sera condamné à payer à l'intimé la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La cour statuant par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe,

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Déboute M. [V] [Y] de ses demandes indemnitaires présentées en cause d'appel,

Condamne M. [V] [Y] à payer à M. [R] [F] [N] [Z] la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne M. [V] [Y] aux dépens.

Le greffier, La présidente de chambre,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rouen
Formation : 1ère ch. civile
Numéro d'arrêt : 23/02533
Date de la décision : 28/08/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 03/09/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-08-28;23.02533 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award