N° RG 22/03007 - N° Portalis DBV2-V-B7G-JFQO
COUR D'APPEL DE ROUEN
1ERE CHAMBRE CIVILE
ARRET DU 28 AOUT 2024
DÉCISION DÉFÉRÉE :
18/04723
Tribunal judiciaire de Rouen du 13 juillet 2022
APPELANTE :
SAS INTERFACE
RCS de Rouen 491 836 318
[Adresse 10]
[Localité 6]
représentée par Me Caroline SCOLAN de la SELARL GRAY SCOLAN, avocat au barreau de Rouen et assistée de Me Elisabeth BOHRER DE KREUZNACH de la SELAS CAYOL CAHEN TREMBLAY & ASSOCIES, avocat au barreau de Paris
INTIMES :
Monsieur [Z] [M]
né le [Date naissance 2] 1945
[Adresse 3]
[Localité 7]
représenté par Me Marc ABSIRE de la SELARL DAMC, avocat au barreau de Rouen et assisté de Me Caroline VILAIN de l'AARPI PARRINELLO VILAIN & KIENER, avocat au barreau de Paris
Madame [E] [I]
[Adresse 11]
[Localité 6]
représentée par Me Pascal MARTIN-MENARD de la SCP EMO AVOCATS, avocat au barreau du Havre et assistée de Me André-François BOUVIER, avocat au barreau de Paris
Monsieur [T] [G]
né le [Date naissance 4] 1942 à [Localité 8]
[Adresse 1]
[Localité 5]
représenté par Me Simon MOSQUET-LEVENEUR de la SELARL LEXAVOUE NORMANDIE, avocat au barreau de Rouen et assisté de Me Marie-Laure ROUQUET de l'ASSOCIATION MARGULIS ASSOCIES, avocat au barreau de Paris
SA SECNO anciennement dénommée RSM-SECNO
[Adresse 9]
[Localité 6]
représentée par Me Pascal MARTIN-MENARD de la SCP EMO AVOCATS, avocat au barreau du Havre et assistée de Me André-François BOUVIER, avocat au barreau de Paris
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 13 mai 2024 sans opposition des avocats devant Madame Anne-Laure BERGERE, conseillère, rapporteur.
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour composée de :
Madame Edwige WITTRANT, présidente de chambre
Madame Magali DEGUETTE, conseillère
Madame Anne-Laure BERGERE, conseillère
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Mme RIFFAULT
DEBATS :
A l'audience publique du 13 mai 2024, où l'affaire a été mise en délibéré au 28 août 2024.
ARRET :
CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 28 août 2024, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
signé par Mme WITTRANT, présidente de chambre et par Mme CHEVALIER, greffier présent lors de la mise à dispositon.
*
* *
EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
Jusqu'en 2008, [T] [G] et sa famille sont propriétaires de trois sociétés :
- la Sas Comptoir Agricole [G] (ci-après dénommée société Cav) détenue à 100 % par la famille [G],
- la Sas Simarex, détenue à 47,6 % directement par la famille [G] et à 52,4 % par la société Cav,
- la Snc Dupont [G] détenue à 50 % par la société Simarex, 25 % par la société Cav et 25 % par la société Max Dupont et Compagnie.
La société Cav, dirigée par M. [T] [G], a pour objet le commerce de gros de céréales, de semences et d'aliments. Ses principales activités sont la collecte de céréales achetées auprès des agriculteurs, le négoce des céréales achetées auprès des coopératives agricoles ou des négociants, l'exportation de ces marchandises par bateau et la vente de produits phytosanitaires.
Pour exercer cette activité, la société Cav utilise sur le port de [Localité 12] le silo exploité par la société Simarex ainsi que des silos dits de plaine en Seine-Maritime et dans l'Eure.
La société Simarex, également dirigée par M. [T] [G], a pour objet la construction et l'exploitation d'un silo à grain, de magasins de stockage et la manipulation de toutes marchandises notamment provenant de l'importation ou destinées à l'exportation. Outre le silo qui lui appartenait valorisé à 12 millions d'euros, pour une valeur à neuf de 60 millions d'euros, elle exploitait 4 dômes de stockage appartenant à la Snc Dupont [G].
M. [Z] [M] et Mme [I], associée au sein de la société Rsm-Secno, étaient cocommissaires aux comptes de la société Cav, M. [M] étant également commissaire aux comptes de la société Simarex.
Par acte du 9 juin 2008 intitulé 'protocole de cession des actions des sociétés Comptoir Agricole [G] et Simarex sous conditions suspensives', les consorts [G] ont cédé à la Sas Interface Céréales ou à toute société qu'elle se substituerait :
- l'ensemble des 10 800 actions composant le capital de la société Cav pour un prix provisoire de 11 301 200 euros,
- les 4 760 actions de la société Simarex pour un prix provisoire de 2 998 800 euros.
Les conditions suspensives ayant été levées, la cession définitive a été régularisée le 1er juillet 2008 au prix provisoire total de 14 300 000 euros, la Sas Interface étant substituée à la Sas Interface Céréales.
Postérieurement à la cession, les parties ont établi de manière contradictoire les comptes consolidés des sociétés du groupe [G] arrêtés à la date du 30 juin 2008 et ont procédé à leur révision par les commissaires aux comptes de ces sociétés, afin d'ajuster le prix provisoire de cession et d'établir le prix définitif, selon les mécanismes prévus à l'article 1 du protocole de cession.
Alors que les comptes arrêtés au 31 décembre 2007 ayant servi de base à la négociation du prix de cession laissaient apparaître un total de bilan à
30 788 958 euros, des capitaux propres à 5 986 913 euros et un exercice clos avec une perte nette de 153 136 euros, les comptes consolidés au 30 juin 2008 montraient un bilan avec une perte de 20 076 382 euros, due principalement à un écart de stocks de 16 374 769 euros, et des capitaux propres à '14 089 469 euros.
Le 1er octobre 2008, deux protocoles transactionnels sont intervenus entre les parties, la Sas Interface obtenant notamment la restitution de la somme de 12 839 729 euros.
Dans un rapport du 6 novembre 2008, le cabinet d'expertise comptable Orcom sollicité par la Sas Interface a mis en avant l'absence de contrôle de cohérence sur la marge et les stocks de la part des commissaires aux comptes de la société Cav.
Informés de cette découverte de la surévaluation des stocks et des manipulations comptables corrélatives, les commissaires aux comptes ont signalé la situation au procureur de la République en application de l'article L. 823-12 du code de commerce.
Suivant exploits d'huissier en date du 8 juillet 2009, la société Cav a assigné M. [M], la société Rsm-Secno et Mme [E] [I] devant le tribunal de grande instance de Rouen aux fins de mise en oeuvre de leur responsabilité et de réparation du préjudice subi.
Par ordonnance du 21 avril 2010, confirmée par la cour d'appel de Rouen dans son arrêt du 13 janvier 2011, il était sursis à statuer sur ces demandes dans l'attente de l'issue de la procédure pénale.
A la suite des investigations pénales diligentées, M. [G] a fait l'objet de poursuites devant le tribunal correctionnel de Rouen. Selon jugement en date du 28 septembre 2012, il a été déclaré coupable et condamné à une peine d'emprisonnement avec sursis pour les délits de :
- présentation de comptes annuels inexacts,
- distribution de dividendes fictifs,
- escroquerie au préjudice de la société Interface,
- obstacle aux missions de contrôle des commissaires aux comptes,
- faux et usage de faux.
La chambre des appels correctionnels de la cour d'appel de Rouen a confirmé la décision de culpabilité et les dispositions civiles du jugement par arrêt du 20 février 2014, modifiant uniquement la peine prononcée à l'encontre de M. [G].
Au terme de conclusions en date du 3 janvier 2014, la société Cav a sollicité la reprise de l'instance pendante devant le tribunal de grande instance de Rouen.
Par ordonnance du 21 septembre 2016, le juge de la mise en état a ordonné une expertise judiciaire confiée à M. [V] et dans l'attente du dépôt du rapport, ordonné un nouveau sursis à statuer.
L'expert a déposé son rapport le 27 mars 2018.
Par conclusions du 23 novembre 2018, la société Interface venant aux droits de la société Cav a demandé la réinscription de l'affaire.
M. [G] a été attrait à la cause et les deux instances ont été jointes.
Par jugement du 13 juillet 2022, le tribunal judiciaire de Rouen a :
- déclaré irrecevable l'action de la société Interface à l'encontre de M. [M], de la société Secno venant aux droits de la société Rsm-Secno et de Mme [I],
- condamné la société Interface aux entiers dépens, en ce compris les frais d'expertise,
- autorisé Me Absire, Me Canton et la Scp Sevestre-Bédard à recouvrer directement ceux des dépens dont ils ont fait l'avance sans recevoir provision,
- condamné la société Interface sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile à verser les sommes de :
. 10 000 euros à M. [M],
. 10 000 euros à Mme [I],
. 10 000 euros à la société Secno,
- débouté M. [G] de sa demande au titre des frais irrépétibles,
- rejeté toutes demandes plus amples ou contraires des parties.
Par déclaration reçue au greffe le 14 septembre 2022, la société Interface a interjeté appel de cette décision.
EXPOSÉ DES PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Par dernières conclusions notifiées le 6 septembre 2023, la société Interface demande à la cour, au visa des articles L. 822-17 et L. 823-10 du code de commerce, de :
- infirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris,
- juger que M. [M], la société Secno et Mme [I] ne se sont pas conformés dans l'exercice de leur mission légale de commissaires aux comptes du groupe Cav aux règles et normes professionnelles s'imposant à eux,
- juger qu'ils ont engagé leur responsabilité par le non-respect des normes et des usages professionnels et par les insuffisances de leurs diligences et leur négligence, notamment dans le cadre de la procédure d'inventaire des stocks,
- juger, en conséquence, qu'ils ont engagé leur responsabilité tant à l'égard de la société Cav que de la société Interface,
- juger qu'ils doivent indemniser la société Interface des conséquences de ces fautes,
- fixer le préjudice subi par la société Interface à la somme de 6 779 758 euros,
en conséquence,
- condamner in solidum M. [M], la société Secno et Mme [I] au paiement de la somme de 6 779 758 euros à la société Interface, à titre de dommages et intérêts en réparation des préjudices subis,
- les condamner in solidum au paiement de la société Interface d'une somme de 114 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
à titre subsidiaire,
- condamner in solidum M. [M], la société Secno et Mme [I] à payer à la société Interface les sommes suivantes :
. 1 464 761 euros à titre de dommages et intérêts en réparation des préjudices subis par la société Cav,
. 61 180 euros au titre des frais irrépétibles engagés par la société Cav, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouter M. [M], la société Secno et Mme [I] toutes leurs demandes,
- débouter M. [M] de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive,
- condamner in solidum M. [M], la société Secno et Mme [I] aux entiers dépens de première instance et d'appel, en ce compris les frais d'expertise judiciaire, avec distraction au profit de la Selarl Gray Scolan, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Sur la prescription de son action retenue par les premiers juges, l'appelante critique la motivation de la décision au motif qu'elle a distingué entre ses préjudices propres et ceux de la société Cav absorbée, alors qu'il n'y avait pas lieu de le faire. Elle estime que seule la question de la recevabilité de demandes additionnelles se pose. Or, elle soutient qu'en sa qualité de société absorbante, elle peut revendiquer l'effet interruptif de l'assignation délivrée par la société Cav et que par suite, ses demandes additionnelles présentées après le dépôt du rapport d'expertise judiciaire, conformément à l'application des articles 4 alinéa 2 et 70 du code de procédure civile, sont parfaitement recevables, puisqu'elles présentent un lien suffisant avec les demandes initiales. Elle entend préciser que l'action initiée en 2009 est demeurée la même, à savoir une action en responsabilité contre les commissaires aux comptes de la société Cav, de sorte qu'il n'y a pas lieu de distinguer en fonction des préjudices pour apprécier la prescription de l'action.
Sur la responsabilité des commissaires aux comptes, la société Interface fait valoir qu'il ressort tant des audits qu'elle a fait réaliser à titre personnel, après que les comptes consolidés établis au 30 juin 2008 aient mis en lumière la fraude sur le stock, que des conclusions du rapport d'expertise judiciaire, que pour les exercices non atteints par la prescription triennale, soit 2006 et 2007, M. [M] et Mme [I] n'ont pas exécuté leur mission en conformité avec les règles et normes applicables (notamment aux recommandations du H3C), que notamment les contrôles sur la nature du stock et les écritures manuelles n'ont pas été réalisés ; que la revue du process stock n'a pas été effectuée ; que les dossiers de travail manquaient de formalisation et étaient peu documentés.
Ces faits sont suffisants, selon l'appelante, pour caractériser une faute dans l'exercice de leur fonction, faisant observer pour répondre aux arguments adversaires que les agissements de M. [G] ne peuvent les dédouaner de leur propre responsabilité pour défaut de contrôle efficient et opérationnel et que la société Cav n'a commis aucune faute de nature à les exonérer de leur responsabilité.
Sur le préjudice, la société Interface expose que la réalité de la situation économique et comptable de la société Cav mis à jour lors de la consolidation des comptes au 30 juin 2008 dans le cadre du projet de rachat a totalement déstabilisé son équilibre économique, ce qui a entraîné d'importants préjudices financiers. Ainsi, elle indique que la société Cav a dû faire appel à la désignation d'un mandataire ad hoc chargé de re-négocier le concours bancaire avec la Société Générale pour faire face au défaut de trésorerie et que cette intervention a représenté un coût de 136 725 euros HT. Elle invoque également le coût du recouvrement du prix de cession réglé à Mme [H] d'un montant de 58 208 euros, le coût de recapitalisation de la société par son actionnaire à concurrence de la somme de 5 000 000 euros, les frais de restructuration constitués des honoraires des professionnels dont elle a dû solliciter le concours pour rétablir la viabilité économique de la société, soit la somme de 170 046 euros, les frais financiers liées aux apports en trésorerie consentis à la société Cav d'un montant de 117 465,71 euros, le coût des intérêts bancaires supportés du fait de la restructuration de la dette à l'égard de la Société Générale d'un montant de
1 297 314 euros.
Contestant les conclusions du rapport d'expertise judiciaire et pour répondre aux critiques de ses adversaires, l'appelante fait observer qu'elle n'a retiré aucun avantage de la restitution du prix de cession ni de la reconstitution des stocks réels imputables fiscalement, l'administration ayant refusé cette régularisation. Elle critique les conclusions de l'expert qui procède par affirmation, sans aucune analyse des préjudices allégués et du lien de causalité avec les fautes commises.
Par dernières conclusions notifiées le 7 mars 2023, M. [M] demande à la cour, au visa des articles L. 822-18, L. 823-9 et suivants, L. 225-251, L. 225-254 et L. 2278 du code de commerce, de :
à titre principal,
- confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a :
. déclaré irrecevable l'action de la société Interface à son encontre,
. condamné la société Interface à lui payer la somme de 10 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens, en ce compris les frais d'expertise judiciaire,
- la réformer en ce qu'elle n'a pas fait droit à sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive,
statuant à nouveau de ce chef,
- condamner la société Interface à lui payer la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,
subsidiairement,
- débouter la société Interface de toute ses demandes à son encontre,
en toute hypothèse,
- condamner M. [G] à le garantir et relever indemne de toutes condamnations qui pourraient être prononcées à son encontre,
- condamner toute partie succombante à lui payer la somme de 30 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens avec distraction au profit de Me Absire de la Selarl Damc.
Sur la prescription de l'action, il ne conteste pas que sa responsabilité peut être mise en cause pour les exercices 2006 et 2007, certifiés moins de trois ans avec l'assignation délivrée par la société Cav. Toutefois, il soutient que la société Interface ne peut se prévaloir de l'effet interruptif de prescription de cet acte introductif d'instance, au motif que ses prétentions constituent des préjudices qui lui sont propres et personnels, en sa qualité d'acquéreur et d'associé, parfaitement distincts des préjudices dont la société Cav entendait se prévaloir initialement. Il rappelle que c'est uniquement dans ses conclusions du 28 novembre 2018 que les prétentions indemnitaires litigieuses ont été émises, soit bien après l'expiration du délai de prescription.
Sur sa responsabilité, à titre liminaire, il fait observer que seul le rapport d'expertise judiciaire, en ce qu'il est contradictoire, peut légitimement fonder la caractérisation d'une éventuelle faute, les trois rapports (Orcom, Tudel et cabinet Mf & associés) produits aux débats par l'appelante n'ayant aucune valeur probante.
Sur les conclusions du rapport d'expertise judiciaire, M. [M] estime que les critiques émises ne sont pas justifiées, qu'en outre, si un manque de formalisation et de contrôle sur les stocks a pu être relevé, il n'est néanmoins pas contestable que les commissaires aux comptes ont mis en oeuvre des diligences sérieuses en choisissant l'approche d'audit des stocks la plus appropriée selon leur jugement professionnel, de sorte qu'ils ont satisfait à leur obligation de moyen. De plus, il rappelle que son contrôle et celui du cocommissaire aux comptes ont été entravés par les agissements de M. [G], les diligences effectuées ayant été mises en échec par la tromperie organisée par ce dernier. En tout état de cause, il estime que cette situation est exonératoire de responsabilité, la société Cav étant responsable des fraudes commises par son dirigeant.
À titre subsidiaire, sur le préjudice, l'intimé soutient qu'aucun des postes de préjudice réclamés par l'appelante ne constitue un préjudice indemnisable ayant un lien de causalité avec les fautes reprochées. Au contraire, M. [M] fait observer que la correction des stocks à la baisse a fait bénéficier la société Interface de reports de déficits lui octroyant une économie d'impôts.
À titre plus subsidiaire, en cas de condamnation, M. [M] entend, par application combinée des articles L. 225-251 et L. 227-8 du code de commerce, mettre en oeuvre la garantie de M. [G], au titre de sa responsabilité personnelle de dirigeant pour les faits qu'il a pu commettre dans sa gestion, précisant que les conditions de l'autorité de chose jugée invoquée par M. [G] pour arguer de l'irrecevabilité de cette action ne sont pas réunies.
Par dernières conclusions notifiées le 8 septembre 2023, la société Secno venant aux droits de la société Rsm-Secno et Mme [E] [I] demandent à la cour, au visa de l'article L. 822-18 du code de commerce, de :
à titre principal,
- dire et juger irrecevables comme prescrites les demandes formées par la société Interface,
- confirmer, en conséquence le jugement entrepris,
y ajoutant,
- condamner la société Interface au paiement de la somme de 20 000 euros à la société Secno et Mme [I] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens de la procédure d'appel,
à titre subsidiaire, dans l'hypothèse d'une infirmation du jugement déféré,
statuant à nouveau,
- constater que la société Interface n'établit aucun manquement de la société Secno à ses obligations professionnelles, ni aucun manquement quelconque en relation de causalité avec les préjudices revendiqués,
- juger que la faute de la société Cav est exonératoire de toute responsabilité éventuelle des commissaires aux comptes,
- en tout état de cause, dire et juger que la société Interface ne justifie pas d'un préjudice à caractère indemnisable,
en conséquence,
- rejeter l'action engagée par la société Interface en toutes ses demandes,
- condamner la société Interface au paiement de la somme de 20 000 euros à la société Secno et Mme [I] au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens,
très subsidiairement, dans l'hypothèse où la cour infirmerait le jugement déféré et entrerait en voie de condamnation à l'encontre de la société Secno et de Mme [I],
- dire et juger que M. [G] a engagé sa responsabilité tant à l'égard de la société Cav qu'à l'égard des tiers,
- condamner, en conséquence, M. [G] à relever et garantir la société Secno et Mme [I] de toute condamnation susceptible d'intervenir à leur encontre,
- débouter M. [G] de l'ensemble de ses demandes et prétentions à l'encontre de la société Secno et de Mme [I].
Sur la prescription, les intimées font valoir qu'en application de la prescription triennale applicable à l'action litigieuse, la société Interface aurait dû présenter ses demandes propres au plus tard avant le mois de septembre 2011, soit trois ans après qu'elle ait eu connaissance du rapport du cabinet Orcom. Or, ce n'est qu'à partir de conclusions signifiées au plus tôt en 2016 que la société Interface a commencé à conclure pour son propre compte.
En outre, dans la mesure où la demande initiale d'indemnisation à concurrence de la somme de 19 000 000 euros présentée par la société Cav en 2009 ne correspond aucunement aux demandes présentées aujourd'hui par la société Interface, celle-ci ne peut se prévaloir de l'effet interruptif de prescription de l'assignation délivrée au nom de la société Cav, rappelant à ce titre que l'effet interruptif ne peut jouer qu'à l'égard de la partie qui agit et que relativement au droit qui est invoqué.
Sur la mise en oeuvre de la responsabilité du commissaire aux comptes, les intimées estiment que la société Interface ne rapporte pas la preuve d'un manquement imputable à Mme [I]. Les rapports qu'elle a fait établir seule ne sont pas contradictoires et ils sont, en outre, démentis par les trois notes techniques qu'elles ont fait dresser et qui démontrent que tous les contrôles nécessaires au regard des modalités de stockage mis en place par la société Cav et de son fonctionnement ont été mis en pratique. Elles précisent que les rapports Orcom, Tudel ne sont pas pertinents puisque fondés sur des hypothèses théoriques, sans examen du travail réalisé par les commissaires aux comptes. De même, l'analyse du cabinet Mf & associés ne tient pas compte du contexte et de l'importance du jugement professionnel. Quant au rapport d'expertise judiciaire, s'il relève un manque de formalisation des contrôles sur les stocks, il relativise à plusieurs égard l'impact de cette faute sur la possibilité de découvrir la fraude commise par M. [G] eu égard au mode opératoire utilisé par ce dernier et au fonctionnement de la société.
À titre subsidiaire, elles invoquent la faute prépondérante de la société Cav exonératoire de responsabilité et l'absence de préjudice indemnisable, puisqu'il s'agit principalement de dépenses engagées par la société Interface en sa qualité d'actionnaire et d'acquéreur et non d'ayant droit de la société Cav et que pour les autres, aucun lien de causalité avec la faute alléguée n'est établi. En outre, elles avancent les nombreux avantages que la société Interface a tiré de la situation et ce pour des montants bien supérieurs à celui du préjudice réclamé.
Si leur responsabilité devait être mise en oeuvre, elles forment un recours en garantie contre M. [G]. Sur la recevabilité de ce recours, elles font observer que contrairement à leur action devant le juge pénal qui visait à obtenir réparation de l'atteinte à leur réputation professionnelle, la présente action a un tout autre objet, de sorte qu'aucune autorité de chose jugée n'existe. Quant au bien fondé de cette action, la condamnation pénale de M. [G] permet de caractériser une faute qui a concouru au dommage de manière exclusive, de sorte qu'il doit sa garantie.
Par dernières conclusions notifiées le 9 juin 2023, M. [T] [G] demande à la cour, au visa des articles 480 du code de procédure civile, 1351 du code civil, L. 822-17 du code de commerce, de :
à titre principal
- confirmer le jugement entrepris,
à titre subsidiaire,
- constater que le préjudice invoqué par les commissaires aux comptes au soutien de l'action en garantie a été intégralement indemnisé par l'arrêt de la cour d'appel de Rouen du 20 février 2014,
- déclarer irrecevable l'action en intervention forcée et en garantie formée par M. [M], Mme [I] et la société Secno en raison de l'autorité de la chose jugée attachée à l'arrêt de la cour d'appel de Rouen du 20 février 2014,
très subsidiairement,
- débouter M. [M], la société Secno et Mme [I] de leur appel en garantie,
en tout état de cause,
- condamner M. [M], Mme [I] et la société Secno à lui payer la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.
M. [G] soulève l'irrecevabilité de l'action en garantie intentée contre lui en raison de l'autorité de la chose jugée attachée à la décision prise par la juridiction pénale quant à l'action civile exercée par M. [M], la société Secno et Mme [I]. Il fait valoir que l'identité de parties est incontestable, qu'il en est de même de l'identité de cause et d'objet, puisque dans le cadre de la procédure pénale les commissaires aux comptes ont sollicité l'indemnisation des conséquences de l'action en responsabilité dirigée contre eux par la société Cav. Leur présente action en garantie est fondée exactement sur les mêmes faits.
À titre subsidiaire, il conteste le bien fondé de l'action au motif que les actes qu'il a commis n'ont pas eu de rôle causal déterminant dans les préjudices allégués par la société Interface. Par ailleurs, il soutient que les rapports d'expertise établissent que la responsabilité des commissaires aux comptes est engagée et qu'elle est exclusive de toute responsabilité de sa part. À défaut, si sa faute est caractérisée, il conclut à l'absence de préjudice et de lien causal. Il rappelle qu'il a indemnisé ladite société de l'intégralité de son préjudice en lui remboursant entièrement le prix de cession. Il ne peut être condamné deux fois à réparer le même préjudice.
Pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens des parties, la cour s'en réfère expressément à leurs dernières conclusions récapitulatives, conformément à l'application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 25 octobre 2023.
MOTIFS
Sur la recevabilité de l'action
Aux termes de l'article 122 du code de procédure civile, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire constater l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel la prescription.
L'article L.822-17 du code de commerce dans sa version applicable au litige, dispose que les commissaires aux comptes sont responsables, tant à l'égard de la personne ou de l'entité que des tiers, des conséquences dommageables des fautes et négligences par eux commises dans l'exercice de leurs fonctions.
L'article L.822-18 du même code, dans sa version applicable au litige, ajoute que l'action en responsabilité contre les commissaires aux comptes se prescrit dans les conditions prévues L. 225-254 du code de commerce, c'est à dire par trois ans, à compter du fait dommageable ou s'il a été dissimulé, de sa révélation.
L'action se prescrit à compter du fait dommageable ou s'il a été dissimulé, de sa révélation. Le fait dommageable imputable au commissaire aux comptes est la certification fautive des comptes annuels, la découverte de la faute notamment par la révélation de ses conséquences ne constitue le point de départ de la prescription que dans la seule hypothèse d'une dissimulation de la faute.
Par ailleurs, selon l'article 2244 ancien devenu l'article 2241 du code civil, la demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion.
L'interruption de la prescription s'étend d'une action à une autre, même si chacune procède de causes distinctes lorsqu'elle tendent l'une et l'autre à un seul et même but de telle sorte que la seconde est virtuellement comprise dans la première.
Une citation en justice n'interrompt la prescription que si elle a été signifiée par le créancier lui-même au débiteur se prévalant de la prescription.
- Sur la recevabilité de l'action de la société Interface agissant aux droits de la société Cav
En l'espèce, par exploit d'huissier en date du 8 juillet 2009, la société Cav a assigné M. [M], la société Rsm Secno et Mme [I] pour voir engager leur responsabilité professionnelle sur le fondement de l'article L. 822-17 du code de commerce et obtenir leur condamnation à lui payer la somme de 19 000 000 euros au titre du préjudice financier et 10 000 000 euros au titre du préjudice moral.
Les parties ne contestent pas que cet acte a interrompu le délai de prescription de l'action en responsabilité de M. [M], la société Secno et Mme [I] pour les exercices dont la certification annuelle des comptes avait moins de trois ans, soit les exercices 2006 et 2007, la certification des comptes de l'exercice clos au 31 décembre 2007 étant intervenu le 4 juin 2008.
La société Interface entend se prévaloir de cet effet interruptif pour contester la prescription de son action qui lui est opposée par M. [M], la société Secno et Mme [I].
À titre liminaire, il convient de préciser que contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges, il n'y a pas eu d'opération de fusion-absorption entre la société Cav et la société Interface, mais uniquement application des dispositions de l'article 1844-5 du code civil qui prévoit la dissolution de la société dont toutes les parts sociales sont réunies en une seule main et une transmission universelle de patrimoine à l'associé unique personne morale.
Cette décision qui n'est pas automatique a été prise le 27 avril 2010 à effet au 1er juin 2010, date de la dissolution et de la radiation du Rcs de la société Cav et elle est opposable aux tiers depuis le 30 avril 2010, date de sa publication.
Il est exact, ainsi que le soutient la société Interface, qu'à compter du 1er juin 2010, la société Cav n'ayant plus d'existence juridique, elle était bien fondée à intervenir aux lieu et place de cette dernière pour reprendre l'instance initiée le 8 juillet 2009.
Contrairement à ce que soutiennent les intimés et ce qu'ont retenu les premiers juges, il est indifférent que la société Cav n'ait pas spécialement détaillé les postes de préjudices dont elle entendait obtenir réparation dans le cadre de son assignation ou qu'elle ait modifié les postes de préjudices en cours d'instance en présentant des demandes additionnelles, qui, en tout état de cause, étaient nécessairement incluses dans sa demande initiale globale d'indemnisation à hauteur de 29 000 000 euros.
Aussi, il convient d'examiner quels sont les chefs de demande de la société Interface pour distinguer les postes de préjudices subis exclusivement par la société Cav de ceux subis par la société Interface en sa qualité d'associé unique.
Aux termes de ces dernières conclusions récapitulatives, les prétentions indemnitaires de l'appelante sont les suivantes :
- frais engagés dans le cadre du mandat ad hoc de représentation de la société Cav pour négocier avec la Sa Société Générale : 136 725 euros,
- honoraires et frais engagés dans la procédure de recouvrement [H] :
58 208 euros,
- recapitalisation de la société Cav : 5 000 000 euros,
- frais de restructuration : 170 046 euros,
- frais financiers liés à la recapitalisation : 117 465 euros,
- intérêts bancaires liés à la restructuration de la créance de la Sa Société Générale : 1 297 314 euros,
soit un total de 6 779 758 euros.
Elle indique que sur cette somme ont été supportées par la société Cav les sommes suivantes :
- frais engagés dans le cadre du mandat ad hoc de représentation de la société Cav pour négocier avec la Sa Société Générale : 104 483 euros,
- honoraires et frais engagés dans la procédure de recouvrement [H] :
21 417 euros,
- frais de restructuration : 11 880 euros,
- frais financiers liés à la recapitalisation : 29 667 euros,
- intérêts bancaires liés à la restructuration de la créance de la Sa Société Générale : 1 297 314 euros,
soit un total de 1 464 761 euros.
Ces demandes qui concernent le préjudice subi par la société Cav qui a valablement engagé son action avant le terme du délai de prescription sont recevables.
- Sur la recevabilité de l'action de la société Interface en sa qualité d'associé unique
Aux termes de ces dernières conclusions récapitulatives, les prétentions indemnitaires de l'appelante sont les suivantes :
- frais engagés dans le cadre du mandat ad hoc de représentation de la société Cav pour négocier avec la Sa Société Générale : 32 242 euros (136 725 ' 104 483),
- honoraires et frais engagés dans la procédure de recouvrement [H] : 36 791euros (58 208 ' 21 417),
- recapitalisation de la société Cav : 5 000 000 euros,
- frais de restructuration : 158 166 euros (170 046 '11 880),
- frais financiers liés à la recapitalisation : 87 798 euros (117 465 ' 29 667),
soit un total de 5 314 997 euros.
Contrairement à ce que soutient la société Interface, sa qualité d'associé unique, puis la transmission universelle du patrimoine de la société Cav à son profit ne peuvent lui permettre de soutenir que son intervention volontaire à l'instance engagée uniquement par la société Cav a eu un effet rétroactif l'autorisant à poursuivre l'action en responsabilité intentée initialement par la société Cav pour obtenir la réparation des préjudices qu'elle a subis à titre personnel, en sa qualité d'acquéreur associé unique de la société Cav.
Autrement dit, la société Cav étant l'auteur de la demande en justice du 8 juillet 2009, l'effet interruptif de cette citation ne peut concerner que la société Interface venant aux droits de la société Cav et non la société Interface en sa qualité d'associé unique de la société Cav, les deux personnes morales étant distinctes et ne pouvant se confondre.
La société Interface ne pouvant se prévaloir de l'effet interruptif de prescription intervenu le 8 juillet 2009 à l'initiative de la société Cav, elle devait présenter ces demandes propres avant le terme du délai de prescription triennale de l'article L. 822-18 du code de commerce, soit au plus tard, même à considérer que le fait dommageable ait pu être dissimulé, le 6 novembre 2011, trois ans après la mise en lumière des fautes invoquées des commissaires aux comptes dans la certification des comptes par le premier rapport d'expertise amiable Orcom, le point de départ du délai n'étant pas contesté par les parties.
Or, elle a présenté ses demandes bien plus tardivement dans des conclusions prises en 2018, les conclusions prises antérieurement par la société Interface mentionnant uniquement, contrairement à ce qu'elle soutient, qu'elle est intervenue 'venant aux droits de la société Cav' et non à pour son propre compte en qualité d'associé unique de ladite société Cav.
Ces demandes sont donc prescrites.
En conséquence, par arrêt partiellement infirmatif, la cour déclare recevable l'action en responsabilité intentée par la société Interface à l'encontre de M. [M], de Mme [I] et de la société Secno en réparation de seuls préjudices suivants :
- frais engagés dans le cadre du mandat ad hoc de représentation de la société Cav pour négocier avec la Sa Société Générale : 104 483 euros,
- honoraires et frais engagés dans la procédure de recouvrement [H] :
21 417 euros,
- frais de restructuration : 11 880 euros,
- frais financiers liés à la recapitalisation : 29 667 euros,
- intérêts bancaires liés à la restructuration de la créance de la Sa Société Générale : 1 297 314 euros,
soit un total de 1 464 761 euros.
Son action est irrecevable pour les autres postes de préjudice comme étant prescrite.
Sur la responsabilité des commissaires aux comptes
Aux termes de l'article L. 822-17 du code de commerce dans sa version applicable au litige, les commissaires aux comptes sont responsables, tant à l'égard de la personne ou de l'entité que des tiers, des conséquences dommageables des fautes et négligences par eux commises dans l'exercice de leurs fonctions.
Leur responsabilité ne peut toutefois être engagée à raison des informations ou divulgations de faits auxquelles ils procèdent en exécution de leur mission.
Ils ne sont pas civilement responsables des infractions commises par les dirigeants et mandataires sociaux, sauf si, en ayant eu connaissance, ils ne les ont pas signalées dans leur rapport à l'assemblée générale ou à l'organe compétent mentionnés à l'article L. 823-1.
Et selon l'article L. 823-10 du même code, dans sa version applicable au litige, les commissaires aux comptes ont pour mission permanente, à l'exclusion de toute immixtion dans la gestion, de vérifier les valeurs et les documents comptables de la personne ou de l'entité dont ils sont chargés de certifier les comptes et de contrôler la conformité de sa comptabilité aux règles en vigueur.
Ils vérifient également la sincérité et la concordance avec les comptes annuels des informations données dans le rapport de gestion du conseil d'administration, du directoire ou de tout organe de direction, et dans les documents adressés aux actionnaires ou associés sur la situation financière et les comptes annuels. Ils attestent spécialement l'exactitude et la sincérité des informations relatives aux rémunérations et aux avantages de toute nature versés à chaque mandataire social.
Ils vérifient, le cas échéant, la sincérité et la concordance avec les comptes consolidés des informations données dans le rapport sur la gestion du groupe.
Le commissaire aux comptes n'assume qu'une obligation de moyens, consistant à accomplir ses missions avec toute la diligence requise d'un technicien averti. Dès lors, le demandeur à l'action en responsabilité doit apporter la preuve des négligences ou erreurs qu'il reproche au praticien.
En matière de certification, l'existence d'imperfections entachant la comptabilité sociale ne permet pas en soi d'engager la responsabilité du commissaire à qui ces défauts ont échappé. Il faut prouver que l'intéressé a accordé sa certification sans mettre en oeuvre les diligences permettant d'obtenir l'assurance que les comptes annuels ne comportaient pas d'erreurs significatives.
Quant au préjudice indemnisable, il s'analyse en la privation des garanties que le dispositif de contrôle des comptes aurait dû normalement procurer à ses bénéficiaires. Seul ouvre droit à réparation le préjudice en rapport direct avec la faute. À ce titre, le préjudice réparable ne peut consister dans l'absence de trésorerie et de solvabilité d'une société, mais uniquement dans la perte de chance de mettre fin à cette situation plus tôt et les préjudices causés par la découverte tardive de ladite situation.
En l'espèce, la société Interface reproche aux commissaires aux comptes d'avoir commis des négligences dans leur mission de certification des comptes et plus précisément de vérification des stocks, ce qui a eu pour conséquence d'entretenir l'illusion de l'existence d'une trésorerie fictive et d'une solvabilité de l'entreprise, alors que les quantités réelles de marchandises détenues par la société Cav étaient très inférieures à celles portées sur les états financiers.
Il résulte des motifs adoptés précédemment que l'appelante est recevable en son action uniquement pour solliciter la réparation des préjudices suivants :
- frais engagés dans le cadre du mandat ad hoc de représentation de la société Cav pour négocier avec la Sa Société Générale : 104 483 euros,
- honoraires et frais engagés dans la procédure de recouvrement [H] :
21 417 euros,
- frais de restructuration : 11 880 euros,
- frais financiers liés à la recapitalisation : 29 667 euros,
- intérêts bancaires liés à la restructuration de la créance de la Sa Société Générale : 1 297 314 euros,
soit un total de 1 464 761 euros.
Les honoraires et frais engagés dans la procédure [H] que la société Interface présente comme une dépense supportée par la société Cav constitue, au vu des pièces produites, notamment des factures d'honoraires et de la nature des frais engagés (frais de recouvrement) exclusivement un préjudice propre de la société Interface en sa qualité d'acquéreur des parts sociales et associé unique et non un préjudice subi par la société Cav, puisqu'il s'agit des frais engagés pour recouvrer le restitution d'une partie du prix de cession auprès de Mme [H]. Il n'est donc pas rapporté la preuve d'un préjudice subi par la société Cav.
Les frais de restructuration dont la société Interface sollicite le remboursement correspondent à des factures de cabinets d'audit comptable, dont la mission n'est soit pas précisée, soit totalement étrangère à la situation financière obérée de la société Cav, ou à tout le moins sans lien de causalité valablement établi puisqu'il s'agit d'assistance fiscale, d'assistance à distribution des parts de la Snc, révision du prix d'augmentation du capital de la société Interface, contrôle fiscal sans autre précision ou assistance aux formalités de transmission unique du patrimoine.
Ces opérations, non seulement ne concernent pas directement la société Cav, mais l'ensemble des sociétés du groupe, mais surtout, sont sans aucun lien de causalité direct avec les manquements reprochés à M. [M] et Mme [I]. Ce n'est donc pas un préjudice réparable dans le cadre de l'action en responsabilité litigieuse.
En outre, certes, il est incontestable que les deux autres postes de préjudice relatif à la restructuration du concours bancaire de la Sa Société Générale trouvent leur origine dans l'absence de trésorerie et de solvabilité de la société Cav mise en lumière par la rectification de la valeur réelle des stocks détenus par la société Cav.
En effet, il ressort tant de l'ordonnance désignant le mandataire ad hoc que du protocole de conciliation du 29 mars 2009 conclu avec la Sa Société Générale, qu'en raison d'une perte de trésorerie et de solvabilité, la société Cav a été contrainte de re-négocier les concours bancaires octroyés par cet établissement et de procéder à une restructuration de sa dette.
Néanmoins, d'une part, il convient de faire observer qu'il n'existe aucun lien de causalité direct entre la faute consistant à opérer un contrôle défaillant des comptes et la situation financière intrinsèque de la société. Même si les commissaires aux comptes avaient été parfaitement diligents dans leur contrôle, la valeur du stock réellement détenu par la société Cav n'aurait pas été modifiée.
D'autre part, il ressort tant des décisions pénales rendues contre M. [G] que du rapport d'expertise judiciaire que la dissimulation des stocks a été opérée sur les années 2001, 2002 et 2004 et qu'aucune écriture frauduleuse affectant les stocks n'a été passée après l'exercice 2004. C'est donc en considération d'une situation financière établie sur des exercices pour lesquels la responsabilité des commissaires aux comptes ne peut plus être engagée, l'action étant prescrite, que la Sa Société Générale a accordé son concours bancaire. Il ne peut donc y avoir de lien de causalité direct entre l'éventuelle faute dans la certification des exercices postérieurs 2006 à 2008 et le fait que la société Cav a été contrainte de renégocier avec son établissement bancaire à partir de 2008. Cette situation est totalement indépendante de la responsabilité qui peut être imputée aux commissaires aux comptes dans le cadre de la présente instance.
Enfin et en tout état de cause, il convient de relever que la société Interface ne rapporte pas la preuve que si les commissaires aux comptes avaient découvert dès 2006 la situation réelle des stocks, la société Cav n'aurait pas été contrainte de faire appel à un mandataire ad hoc et de renégocier les prêts et avances de trésorerie dont elle bénéficiait auprès de la Sa Société Générale. Elle ne fait pas non plus état d'un préjudice financier supplémentaire lié à la découverte tardive de la situation, et n'allègue ni a fortiori n'établit pas non plus l'existence d'une perte de chance de ne pas avoir eu à engager ces frais de restructuration.
Force est ainsi de constater qu'il n'existe aucun lien de causalité direct entre les préjudices dont il est sollicité la réparation et la faute alléguée des commissaires aux comptes, ainsi au demeurant que le conclut l'expert judiciaire au terme de son rapport, relevant soit que les préjudices allégués sont propres et personnels à la société Interface en sa qualité d'associé unique, soit qu'ils ont été compensés par des avantages et des bénéfices fiscaux et commerciaux, soit qu'ils sont sans aucun lien de causalité avec les fautes des commissaires aux comptes.
Aussi, quand bien même il est exact et non contredit efficacement par les commissaires aux comptes que l'expert judiciaire a retenu le fait que ces derniers n'ont pas consacré assez d'heures de contrôle pour l'audit des comptes individuels et consolidés, ce qui ne leur a pas permis de procéder à un contrôle approfondi des stocks, qu'ils n'ont pas participé activement aux inventaires manuels et n'ont pas intégré une revue des écritures manuelles, l'action indemnitaire de la société Interface ne peut prospérer.
En conséquence, il convient de la débouter de ses demandes à ce titre.
Le recours en garantie intenté contre M. [G] est dès lors sans objet.
Sur la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive de M. [M]
Aux termes de l'article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
L'exercice d'une action en justice constitue, en principe, un droit et ne dégénère en abus pouvant donner naissance à une indemnisation que dans les cas de malice, de mauvaise foi ou d'erreur grossière équivalente au dol.
En l'espèce, M. [M] ne rapporte nullement la preuve de la mauvaise foi ou d'un fait constitutif de malice ou de dol émanant de la société Interface. Il en est de même de l'existence d'un préjudice distinct des frais indemnisés au titre des frais irrépétibles.
Le jugement déféré, en ce qu'il a rejeté cette demande, sera donc confirmé.
Sur les dépens et frais irrépétibles
Eu égard à l'issue du litige, il est justifié de confirmer les dispositions de première instance relatives aux dépens et frais irrépétibles.
La société Interface succombant, elle sera condamnée aux dépens de la présente instance, dont distraction au profit de Me Absire, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
L'équité et la nature du litige commandent qu'il soit fait application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit de M. [M], de la société Secno et de Mme [I], unis d'intérêts, à concurrence de la somme de
3 000 euros chacun pour les frais exposés en cause d'appel.
M. [G] sera débouté de sa demande au titre des frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS,
La cour statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,
Infirme partiellement le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré irrecevable l'action de la société Interface à l'encontre de M. [M], de la société Secno venant aux droits de la société Rsm-Secno et de Mme [I],
Le confirme pour le surplus,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Déclare recevable l'action en responsabilité intentée par la Sas Interface à l'encontre de M. [Z] [M], de Mme [E] [I] et de la Sa Secno en réparation de seuls préjudices suivants :
- frais engagés dans le cadre du mandat ad hoc de représentation de la société Cav pour négocier avec la Sa Société Générale : 104 483 euros,
- honoraires et frais engagés dans la procédure de recouvrement [H] :
21 417 euros,
- frais de restructuration : 11 880 euros,
- frais financiers liés à la recapitalisation : 29 667 euros,
- intérêts bancaires liés à la restructuration de la créance de la Sa Société Générale : 1 297 314 euros,
soit un total de 1 464 761 euros.
Déclare irrecevable, comme étant prescrite, l'action de la Sas Interface à l'encontre de M. [Z] [M], de Mme [E] [I] et de la Sa Secno en réparation des autres postes de préjudice,
Déboute la Sas Interface de son action en responsabilité à l'encontre de M. [Z] [M], de [E] Mme [I] et de la Sa Secno,
Condamne la société Interface à payer à M. [Z] [M], d'une part, et à la Sa Secno et Mme [E] [I], unis d'intérêts, d'autre part la somme de 3 000 euros chacun au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en cause d'appel,
Déboute M. [T] [G] de sa demande au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel,
Condamne la Sas Interface aux dépens de la présente instance, dont distraction au profit de Me Absire, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Le greffier, La présidente de chambre,