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12/07/2024 | FRANCE | N°23/01412

France | France, Cour d'appel de Rouen, Chambre sociale, 12 juillet 2024, 23/01412


N° RG 23/01412 - N° Portalis DBV2-V-B7H-JLCM





COUR D'APPEL DE ROUEN



CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE





ARRET DU 12 JUILLET 2024











DÉCISION DÉFÉRÉE :



21/00091

Jugement du POLE SOCIAL DU TJ DE ROUEN du 10 Mars 2023





APPELANTE :



Etablissement Public [8] en sa qualité d'établissement support du Greta de [Localité 3]

[Adresse 1]

[Localité 3]



représenté par Me David ALVES DA

COSTA de la SELARL DAVID ALVES DA COSTA AVOCAT, avocat au barreau de ROUEN







INTIMEES :



Madame [C] [D]

[Adresse 5]

[Localité 4]



représentée par Me Eléonore LAB SIMON de la SELARL DPR AVOCAT, avocat au barrea...

N° RG 23/01412 - N° Portalis DBV2-V-B7H-JLCM

COUR D'APPEL DE ROUEN

CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE

ARRET DU 12 JUILLET 2024

DÉCISION DÉFÉRÉE :

21/00091

Jugement du POLE SOCIAL DU TJ DE ROUEN du 10 Mars 2023

APPELANTE :

Etablissement Public [8] en sa qualité d'établissement support du Greta de [Localité 3]

[Adresse 1]

[Localité 3]

représenté par Me David ALVES DA COSTA de la SELARL DAVID ALVES DA COSTA AVOCAT, avocat au barreau de ROUEN

INTIMEES :

Madame [C] [D]

[Adresse 5]

[Localité 4]

représentée par Me Eléonore LAB SIMON de la SELARL DPR AVOCAT, avocat au barreau de ROUEN

CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE RED

[Adresse 2]

[Localité 3]

dispensée de comparaître

COMPOSITION DE LA COUR  :

En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 29 Mai 2024 sans opposition des parties devant Madame ROGER-MINNE, Conseillère, magistrat chargé d'instruire l'affaire.

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame BIDEAULT, Présidente

Madame ROGER-MINNE, Conseillère

Madame POUGET, Conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Mme DUBUC, Greffière

DEBATS :

A l'audience publique du 29 mai 2024, où l'affaire a été mise en délibéré au 12 juillet 2024

ARRET :

CONTRADICTOIRE

Prononcé le 12 Juillet 2024, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

signé par Madame BIDEAULT, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.

* * *

EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

Le 20 décembre 2018, la caisse primaire d'assurance maladie de [Localité 3] [Localité 7] [Localité 6] (la caisse) a pris en charge, au titre de la législation sur les risques professionnels, un accident dont a été victime, le 2 novembre 2018, Mme [C] [D], salariée du Greta de [Localité 3], qui a chuté sur le sol en marchant sur le chemin menant au parking et qui s'est fracturé le col du fémur droit.

La caisse a déclaré l'état de santé de la salariée consolidé au 6 septembre 2019 et a fixé le taux d'incapacité permanente partielle à 10 %.

Mme [D] a saisi le tribunal judiciaire de Rouen d'une demande de reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur.

Par jugement du 10 mars 2023, le tribunal a :

- mis hors de cause l'État, représenté par la rectrice de la région académique de Normandie-académie de [Localité 3],

- dit que l'accident du travail dont a été victime la salariée le 2 novembre 2018 avait pour cause la faute inexcusable de l'établissement public local d'enseignement lycée [8],

- ordonné la majoration de la rente accident du travail,

- avant-dire droit, ordonné une expertise médicale,

- accordé à Mme [D] une provision d'un montant de 5 000 euros à valoir sur la réparation de ses préjudices,

- renvoyé Mme [D] devant la caisse pour le paiement de cette provision,

- déclaré opposable à l'employeur la prise en charge de l'accident du travail ainsi que les conséquences financières de la faute inexcusable,

- dit que l'action récursoire de la caisse pourrait s'exercer contre l'employeur,

- dit que celui-ci devrait s'acquitter auprès de la caisse des conséquences financières de la faute inexcusable, en ce compris la provision,

- débouté les parties du surplus de leurs demandes,

- ordonné l'exécution provisoire,

- condamné l'employeur à payer à Mme [D] une somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- réserver les dépens.

L'établissement public [8] a interjeté appel de cette décision le 21 avril 2023.

EXPOSÉ DES PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Par conclusions remises le 27 février 2024, soutenues oralement, le [8], en sa qualité d'établissement support du Greta de [Localité 3] (l'établissement) demande à la cour de :

- infirmer le jugement,

- juger que Mme [D] a été victime, le 2 novembre 2018, d'un accident de trajet,

- à titre subsidiaire, juger qu'il n'a commis aucune faute inexcusable,

- débouter Mme [D] de ses demandes,

- ordonner à la caisse la restitution des sommes réglées en application de l'exécution provisoire du jugement, soit 5 000 euros au titre de la provision et 55 686,04 euros correspondant au capital représentatif de la majoration de la rente,

- condamner Mme [D] aux dépens et à lui payer la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions remises le 2 avril 2024, soutenues oralement, Mme [D] demande à la cour de :

- confirmer le jugement en toutes ses dispositions,

- renvoyer le dossier devant le pôle social du tribunal judiciaire pour fixer la liquidation de ses préjudices,

- condamner le Greta aux dépens et à lui payer la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions remises le 5 avril 2024, la caisse, qui a été dispensée de comparution à l'audience, demande à la cour de :

- lui donner acte de ce qu'elle s'en rapporte à justice en ce qui concerne la reconnaissance d'une faute inexcusable de l'employeur,

- en cas de reconnaissance d'une telle faute, lui donner acte de ce qu'elle s'en rapporte à justice concernant la majoration de la rente et condamner la société à lui rembourser le montant de toutes les sommes avancées par elle dans le cadre de la faute inexcusable,

en cas d'infirmation du jugement :

- condamner Mme [D] à lui restituer les sommes versées au titre de la majoration de la rente et de la provision et à lui rembourser les frais d'expertise,

- lui donner acte qu'elle restituera à l'établissement l'intégralité des sommes déjà recouvrées au titre du jugement critiqué.

Il est renvoyé aux conclusions des parties pour l'exposé détaillé de leurs moyens.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1. Sur la qualification de l'accident

L'appelant expose que le Greta n'a pas la personnalité juridique et qu'il est représenté par le chef d'établissement dit « établissement support » ; que le bâtiment du Greta de [Localité 4] est situé sur le site de l'école régionale du premier degré [9] qui est composé d'un établissement scolaire, d'un internat et d'un centre sportif appartenant à la région ; qu'en 2003 il a signé, en tant qu'établissement support, avec la région, une convention, d'une durée de trois ans, aux fins de mise à disposition d'un bâtiment et de pouvoir bénéficier, à usage partagé, de la restauration collective, du parking et de l'internat ; que depuis, le Greta occupe les locaux à titre précaire.

Il soutient que la salariée a fait une chute en repartant du travail, sur le chemin pour atteindre le parking, qui n'appartient pas et n'est pas loué par le Greta. Il en déduit que ce parking et ses abords, qui ne sont pas utilisés exclusivement par le personnel du Greta, n'étaient pas sous l'autorité de l'employeur, de sorte que la salariée a été victime d'un accident de trajet, ce qui la prive de la possibilité d'agir en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur.

Mme [D] soutient que le jour de l'accident, elle empruntait un chemin pentu et accidenté longeant le bâtiment du Greta qu'elle venait de quitter ; qu'elle a glissé en raison de l'absence d'éclairage sur la zone ; que le bâtiment comme le parking sont à usage exclusif du personnel ; que le chemin est délimité par une clôture empêchant toute entrée de personnes extérieures et que l'on accède au parking qui est également clôturé par une barrière avec un bip ; que le chemin menait également vers trois garages situés au sous-sol du bâtiment, utilisés exclusivement par le Greta. Elle considère que les endroits que les salariés empruntent pour accéder sur les lieux de travail en sont une dépendance nécessaire sur lequel l'employeur continue d'exercer ses pouvoirs de surveillance et de contrôle, peu important le statut juridique en droit des biens.

Sur ce :

Il résulte de l'article L. 411-1 du code de la sécurité sociale que constitue un accident du travail un événement ou une série d'événements survenus à des dates certaines par le fait ou à l'occasion du travail, dont il est résulté une lésion corporelle ou psychologique, quelle que soit la date d'apparition de celle-ci.

Ainsi, est présumé accident du travail l'événement soudain qui est survenu au temps et au lieu du travail. La notion de lieu de travail comprend les dépendances de l'entreprise sur lesquelles l'employeur exerce son autorité.

Constitue un accident de trajet tout accident dont a été victime un salarié à l'aller ou au retour entre le lieu où s'accomplit le travail et sa résidence, dans des conditions où il n'était pas encore ou n'était plus soumis aux instructions de l'employeur.

C'est à juste titre que le tribunal a retenu que la salariée avait été victime d'un accident du travail et non d'un accident de trajet, dès lors que sa chute était survenue à 18h30, horaire marquant la fin de la journée, et au sein de l'ensemble immobilier de l'école [9] où se trouve le bâtiment du Greta, le parking et le trajet qui y mène constituant une dépendance de fait de ce bâtiment, peu important la nature juridique de l'occupation de ces lieux par l'employeur.

2. Sur la faute inexcusable 

L'établissement fait valoir que si le Greta était informé des problèmes d'éclairage pour accéder au parking, en particulier pendant les vacances scolaires, il a fait tout ce qui était possible pour y remédier ; que la difficulté tenait au fait qu'il était dans l'impossibilité d'effectuer de quelconques travaux, le site et les bâtiments ne lui appartenant pas, ce que n'ignorait pas la salariée, en tant que responsable technique du site ayant la responsabilité de faire avancer le sujet. Il précise que le directeur de l'école [9] se heurtait lui aussi à l'inertie de la région depuis longtemps, de sorte que c'est la responsabilité de cette dernière qui doit être engagée. Il indique que la région n'a jamais envisagé de permettre au Greta d'intervenir sur le bâtiment qu'il occupe et considère qu'il n'a pas commis de faute inexcusable dès lors qu'il n'a cessé d'alerter la région sur la nécessité d'éclairer la partie du site menant au parking.

Mme [D] fait valoir qu'elle était placée sous l'autorité hiérarchique du chef d'établissement support et sous l'autorité fonctionnelle du directeur technique du Greta et qu'elle n'avait aucun pouvoir de décision ; que son employeur savait depuis plusieurs années que les abords du bâtiment et le chemin menant au parking n'étaient pas éclairés, même indirectement, en raison de la fermeture du lycée voisin pendant la période des congés scolaires ; que les agents du Greta étaient donc contraints d'utiliser des moyens personnels pour s'éclairer ; que cette difficulté a été évoquée à plusieurs reprises, dès 2008 ; qu'elle a à nouveau mis en garde, entre autres, un membre de l'équipe de direction du Greta le 31 octobre 2018. Elle en déduit que la faute inexcusable de l'employeur est présumée et soutient que celui-ci ne justifie ni de mesures prises pour prévenir les chutes et accidents en cas de pénombre ni avoir fait des diligences, y compris en interpellant suffisamment la région, pour mettre fin à la situation de danger. Elle fait observer que quelques jours après son accident des éclairages ont été mis en place sur le bâtiment du Greta, permettant d'éclairer correctement le chemin menant au parking.

Sur ce :

En application de l'article 5-9 du décret n° 82-453 du 28 mai 1982, relatif à l'hygiène et la sécurité du travail ainsi qu'à la prévention, modifié par le décret n° 211-774, le bénéfice de la faute inexcusable de l'employeur défini à l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale est de droit pour les agents non fonctionnaires qui seraient victimes d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle alors qu'eux-mêmes ou un membre du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail avaient signalé au chef du service ou à son représentant le risque qui s'est matérialisé.

Dans un courriel adressé le 31 octobre 2018 à la région Haute Normandie, avec copie à plusieurs personnes du Greta, dont un membre de l'équipe de direction, Mme [D] expliquait avoir évoqué, à plusieurs reprises depuis plusieurs années, le caractère dangereux du manque d'éclairage extérieur pour les stagiaires et les personnels, lequel était accentué à chaque période de vacances en raison de la fermeture de l'établissement Pergaud qui ne permettait plus de bénéficier de l'éclairage extérieur de ses bâtiments ; qu'il lui avait souvent été répondu qu'il fallait amener une nacelle pour étudier et résoudre le problème. Elle suggérait que les engins qui étaient sur place et utilisés pour la rénovation de la toiture, soient utilisés pour accéder au toit. Elle précisait par ailleurs que l'équipe d'entretien intervenait le soir uniquement et que la société de nettoyage souhaitait également qu'une solution soit apportée au problème de l'absence d'éclairage.

L'accident du travail est intervenu deux jours après ce courriel. L'employeur ayant été informé précisément du risque qui s'est matérialisé, la présomption de faute inexcusable de l'employeur doit s'appliquer.

Le jugement est par suite confirmé en toutes ses dispositions.

3. Sur les frais du procès

L'établissement qui succombe en son appel est condamné aux dépens et débouté de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile. Il est par ailleurs condamné à payer à Mme [D] une somme complémentaire de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, contradictoirement, en dernier ressort :

Confirme le jugement du tribunal judiciaire de Rouen du 10 mars 2023 ;

Y ajoutant :

Rappelle que l'instance devant le tribunal judiciaire, qui a ordonné une expertise aux fins de liquidation des préjudices, se poursuit devant celui-ci ;

Condamne l'établissement public local d'enseignement [8], en sa qualité d'établissement support du Greta de [Localité 3], aux dépens d'appel ;

Le déboute de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile ;

Le condamne, sur le même fondement, à payer à Mme [D] la somme de 1 500 euros.

LE GREFFIER LA PRESIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rouen
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 23/01412
Date de la décision : 12/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 21/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-07-12;23.01412 ?
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