La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

12/07/2024 | FRANCE | N°23/00885

France | France, Cour d'appel de Rouen, Chambre sociale, 12 juillet 2024, 23/00885


N° RG 23/00885 - N° Portalis DBV2-V-B7H-JJ67





COUR D'APPEL DE ROUEN



CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE





ARRET DU 12 JUILLET 2024











DÉCISION DÉFÉRÉE :



22/00117

Jugement du POLE SOCIAL DU TJ D'EVREUX du 02 Février 2023





APPELANTE :



CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE L'EURE

[Adresse 1]

[Localité 3]



représentée par Me François LEGENDRE, avocat au barreau de ROUEN











INTIMEE :



S.A.S. [5]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

[Localité 4]



représentée par Me Morgane COURTOIS D'ARCOLLIERES de la SCP MICHEL LEDOUX ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS substituée par Me Alexandra NICOLAS...

N° RG 23/00885 - N° Portalis DBV2-V-B7H-JJ67

COUR D'APPEL DE ROUEN

CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE

ARRET DU 12 JUILLET 2024

DÉCISION DÉFÉRÉE :

22/00117

Jugement du POLE SOCIAL DU TJ D'EVREUX du 02 Février 2023

APPELANTE :

CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE L'EURE

[Adresse 1]

[Localité 3]

représentée par Me François LEGENDRE, avocat au barreau de ROUEN

INTIMEE :

S.A.S. [5]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

[Localité 4]

représentée par Me Morgane COURTOIS D'ARCOLLIERES de la SCP MICHEL LEDOUX ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS substituée par Me Alexandra NICOLAS, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR  :

En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 16 Mai 2024 sans opposition des parties devant Madame DE BRIER, Conseillère, magistrat chargé d'instruire l'affaire.

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame BIDEAULT, Présidente

Madame ROGER-MINNE, Conseillère

Madame DE BRIER, Conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Mme WERNER, Greffière

DEBATS :

A l'audience publique du 16 mai 2024, où l'affaire a été mise en délibéré au 12 juillet 2024

ARRET :

CONTRADICTOIRE

Prononcé le 12 Juillet 2024, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

signé par Madame BIDEAULT, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.

* * *

FAITS ET PROCÉDURE :

M. [K] [W], salarié de la société [5] (la société) en qualité d'agent de fabrication polyvalent, a été victime d'un malaise le 25 mai 2021 à 4h50 puis est décédé, à 5h45.

L'employeur a fait part de ses réserves et suggéré à la caisse de faire réaliser une autopsie, préconisation non suivie par la caisse.

Après enquête, et par lettre du 16 septembre 2021, la caisse primaire d'assurance maladie de l'Eure (la caisse) a notifié à la société sa décision de prendre en charge l'accident au titre de la législation sur les risques professionnels.

Contestant cette décision, la société a saisi la commission de recours amiable (CRA) de la caisse.

Dans le silence de la CRA, valant décision implicite de rejet, elle a poursuivi sa contestation en saisissant le tribunal judiciaire d'Evreux, pôle social.

Dans sa séance du 3 août 2022, la CRA a rejeté son recours.

Par jugement du 2 février 2023, le tribunal judiciaire a :

- déclaré inopposable à la société la décision de la caisse de prendre en charge l'accident du travail,

- débouté la société et la caisse de leurs autres demandes,

- condamné la caisse aux dépens de l'instance,

- rappelé que le jugement était exécutoire de droit par provision.

Par déclaration expédiée le 2 mars 2023, la caisse a fait appel.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :

Soutenant oralement ses écritures (remises au greffe le 6 mai 2024), la caisse demande à la cour de :

- in limine litis, déclarer irrecevables les conclusions de la société notifiées le 15 avril 2024, sauf en ce qu'elles sont destinées à développer l'appel principal de la caisse,

- à titre principal, infirmer le jugement, et statuant à nouveau du seul chef critiqué, déclarer opposable à la société l'accident de travail mortel dont son salarié a été victime,

- à titre subsidiaire, débouter la société de sa demande d'inopposabilité de l'accident de travail mortel dont son salarié a été victime,

- en tout état de cause, condamner la société au paiement de la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et juger ce que de droit concernant les dépens.

Soutenant oralement ses écritures (remises au greffe le 6 mai 2024), la société demande à la cour de confirmer le jugement et en conséquence de :

- à titre principal, lui déclarer la décision de la caisse inopposable, les dispositions des articles R. 441-8 I nouveau et R. 434-31 du code de la sécurité sociale n'ayant pas été respectées,

- à titre subsidiaire, lui déclarer la décision de la caisse inopposable, le décès étant imputable à une cause totalement étrangère au travail,

- à titre infiniment subsidiaire, ordonner une expertise médicale sur pièces.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et de l'argumentation des parties, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux conclusions déposées et oralement reprises à l'audience.

MOTIFS DE L'ARRÊT :

I. Sur la recevabilité des conclusions

La présente procédure étant sans représentation obligatoire et orale, les dispositions de l'article 910 du code de procédure civile régissant la procédure ordinaire avec représentation obligatoire devant la cour d'appel, invoquées par la caisse, sont inapplicables.

Il est au demeurant rappelé que si les prétentions nouvelles sont prohibées en cause d'appel, les moyens nouveaux sont admis, de sorte que les prétentions maladroitement formulées de la société qui distinguent indûment une prétention principale et une prétention subsidiaire alors qu'elle n'en présente qu'une seule, tendant à l'inopposabilité de la décision de prise en charge, sont recevables.

En outre, une expertise est une mesure d'instruction permettant le cas échéant de voir aboutir une prétention, mais n'en est pas en elle-même une.

En tout état de cause, l'irrecevabilité de prétentions ne saurait être sanctionnée par l'irrecevabilité des conclusions.

Il convient donc de déclarer recevables les conclusions de la société, en leur intégralité.

II. Sur la demande d'inopposabilité de la décision de prise en charge d'un accident du travail

En vertu de l'article L. 411-1 du code de la sécurité sociale, est considéré comme accident du travail, quelle qu'en soit la cause, l'accident survenu par le fait ou à l'occasion du travail à toute personne salariée ou travaillant, à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs ou chefs d'entreprise.

Sur le fondement de cet article, il est admis que toute lésion apparue au temps et au lieu de travail est présumée survenue à l'occasion du travail, quelle qu'en soit la cause.

Il est précisé qu'un salarié se trouve au temps et au lieu du travail, au sens de l'article L. 411-1 du code de la sécurité sociale, tant qu'il est soumis à l'autorité et à la surveillance de son employeur.

La caisse qui entend se prévaloir d'une présomption d'imputabilité au travail n'a pas à démontrer la relation entre l'accident et le travail, mais doit rapporter la preuve d'un accident survenu aux temps et lieu du travail.

En l'espèce, il est constant que M. [W] travaillait selon un rythme 3x8, et que le jour de son décès sa prise de poste était prévue à 5 heures. Il ressort de l'enquête réalisée par la caisse qu'il a badgé lors de son arrivée sur le lieu de travail, à 4h47, et qu'il a été victime d'un malaise survenu à 4h50 alors qu'il était en salle de pause.

Au regard de son rythme de travail en 3x8, qui justifiait une présence sur le lieu de travail quelques minutes avant la prise de poste afin d'assurer la continuité de l'activité de l'entreprise, et du caractère habituel de cette arrivée précoce, attestée par le récapitulatif de ses heures lors de cette semaine, c'est à bon droit que la caisse considère que le laps de temps précédant la prise de poste effective, peu important qu'il se déroule en salle de pause, ne peut être détaché de l'activité professionnelle. Étant sur son lieu de travail quelques minutes à peine avant sa prise de poste, M. [W] était déjà soumis à l'autorité de l'employeur.

Dès lors, il est considéré que l'accident, par la manifestation brutale d'un malaise, est survenu au temps et au lieu du travail et bénéficie à ce titre d'une présomption d'imputabilité au travail, sans même que l'heure du décès, 5h45, soit pendant les heures de travail, soit déterminante.

Il appartient dès lors à l'employeur souhaitant renverser la présomption de démontrer que la lésion a une origine totalement étrangère au travail, en établissant par exemple :

- que le travail n'a joué aucun rôle dans son apparition, la lésion résultant d'un état pathologique préexistant évoluant en dehors de toute relation avec le travail,

- ou que la victime s'est volontairement soustraite à l'autorité de l'employeur.

En l'espèce, le seul fait que M. [W] n'avait pas commencé à travailler et se trouvait en salle de pause en train de prendre un café avec ses collègues, ou qu'il ne se soit produit aucun évènement anormal susceptible d'expliquer la survenue du malaise, est insuffisant à démontrer la cause de celui-ci, à établir qu'il serait survenu sans le moindre lien avec le travail. Il n'est par ailleurs pas allégué que M. [W] se serait soustrait à l'autorité de son employeur. Celui-ci n'établit donc pas l'existence d'une cause totalement étrangère au travail.

A cet égard, la société ne peut reprocher à la caisse de ne pas avoir diligenté d'"enquête spécifique", s'attachant à l'étude des conditions de travail mais aussi aux causes du décès, dès lors que l'article R. 448-8 I qu'elle invoque n'exige de la caisse, en cas de décès, que la réalisation d'une enquête sans plus de précisions.

De même, elle ne peut reprocher à la caisse l'absence d'avis du service médical sur l'imputabilité du décès au travail dès lors :

- d'une part, que l'article R. 434-31 al. 1er qu'elle invoque est applicable en matière d'attribution de rente dans le cadre de l'indemnisation de l'incapacité permanente. Il importe donc peu à cet égard que le texte exige l'avis du service médical "à quelque époque que ce soit" dès qu'il apparaît que l'accident a entraîné, entraîne ou paraît devoir entraîner la mort ou une incapacité permanente de travail.

- d'autre part, que la charte des accidents du travail et des maladies professionnelles, qui évoque la nécessité d'un avis du service médical, est dépourvue de portée normative.

D'ailleurs, ainsi que l'a justement relevé le tribunal, l'article R. 441-14 du code de la sécurité sociale n'impose pas qu'un tel avis figure au dossier constitué par la caisse lors de l'instruction d'une déclaration d'accident du travail.

S'il est exact que la caisse a la possibilité de solliciter la réalisation d'une autopsie, en application de l'article L. 442-4 du code de la sécurité sociale, elle n'en a pas l'obligation lorsque celle-ci n'est pas demandée par les ayants droit de la victime.

En conséquence, la caisse ayant conduit l'instruction du dossier de manière conforme aux textes et la présomption d'imputabilité n'étant pas renversée, il y a lieu d'infirmer le jugement et de débouter la société de sa demande d'inopposabilité de la décision de prise en charge.

III. Sur les frais du procès

La société, partie perdante, est condamnée aux dépens de première instance et d'appel.

Par suite, elle est condamnée à payer à la caisse la somme de 1 200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire rendu en dernier ressort,

Déclare recevables les conclusions de la société [5] notifiées le 15 avril 2024,

Infirme le jugement rendu le 2 février 2023 par le tribunal judiciaire d'Evreux, pôle social, statuant à nouveau et y ajoutant :

Déclare opposable à la société [5] la décision prise par la caisse primaire d'assurance maladie de l'Eure de reconnaître le caractère professionnel de l'accident de travail mortel de M. [K] [W] le 25 mai 2021,

Condamne la société [5] aux dépens de première instance et d'appel,

Condamne la société [5] à payer à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Eure la somme de 1 200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

LE GREFFIER LA PRESIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rouen
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 23/00885
Date de la décision : 12/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 21/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-07-12;23.00885 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award