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27/06/2024 | FRANCE | N°24/00321

France | France, Cour d'appel de Rouen, Chambre sociale, 27 juin 2024, 24/00321


N° RG 24/00321 - N° Portalis DBV2-V-B7I-JR5O





COUR D'APPEL DE ROUEN



CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE



ARRET DU 27 JUIN 2024











DÉCISION DÉFÉRÉE :



Ordonnance du CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE LOUVIERS du 08 Janvier 2024







APPELANTE :



S.A. SANOFI PASTEUR

[Adresse 1]

[Localité 3]



représentée par Me Simon MOSQUET-LEVENEUR de la SELARL LEXAVOUE NORMANDIE, avocat au ba

rreau de ROUEN











INTIME :



Monsieur [N] [Z]

[Adresse 4]

[Localité 2]



représenté par Me Mehdi LOCATELLI de la SELARL CABINET LOCATELLI, avocat au barreau de l'EURE





























COMP...

N° RG 24/00321 - N° Portalis DBV2-V-B7I-JR5O

COUR D'APPEL DE ROUEN

CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE

ARRET DU 27 JUIN 2024

DÉCISION DÉFÉRÉE :

Ordonnance du CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE LOUVIERS du 08 Janvier 2024

APPELANTE :

S.A. SANOFI PASTEUR

[Adresse 1]

[Localité 3]

représentée par Me Simon MOSQUET-LEVENEUR de la SELARL LEXAVOUE NORMANDIE, avocat au barreau de ROUEN

INTIME :

Monsieur [N] [Z]

[Adresse 4]

[Localité 2]

représenté par Me Mehdi LOCATELLI de la SELARL CABINET LOCATELLI, avocat au barreau de l'EURE

COMPOSITION DE LA COUR  :

En application des dispositions de l'article 805 du Code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 28 Mai 2024 sans opposition des parties devant Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente, magistrat chargé du rapport.

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente

Madame BACHELET, Conseillère

Madame ROYAL, Conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Mme WERNER, Greffière

DEBATS :

A l'audience publique du 28 mai 2024, où l'affaire a été mise en délibéré au 27 juin 2024

ARRET :

CONTRADICTOIRE

Prononcé le 27 Juin 2024, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

signé par Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente et par Mme DUBUC, Greffière.

***

RAPPEL DES FAITS, PROCEDURE ET MOYENS DES PARTIES

Par jugement du 15 juin 2023, la relation de travail entre M.[N] [Z] et la société Sanofi Pasteur a été requalifiée en contrat de travail à durée indéterminée à compter du 30 mars 2020. La décision a été notifiée le 23 juin 2023.

Le dernier contrat de mission devait s'achever le 30 juin 2023.

Par lettre recommandée du 30 juin 2023, la société a informé M. [Z] que la relation de travail s'achèvera à la date du contrat de fin de mission.

Par requête du 9 novembre 2023, M. [Z] a saisi en formation référé le conseil de prud'hommes de Louviers pour voir ordonner à la société sa réintégration sous astreinte au sein des effectifs.

Par ordonnance du 8 janvier 2024, le conseil de prud'hommes a :

- dit qu'il y a lieu à référé sur les demandes formulées par M. [Z] à l'encontre de la société Sanofi Pasteur,

- déclaré recevable la demande formulée par M. [Z] de voir ordonner à la société Sanofi Pasteur de le réintégrer dans les effectifs à effet au 30 juin 2023 avec toutes conséquences de fait et de droit, notamment en termes de rémunération,

- ordonné à la société Sanofi Pasteur de procéder a la réintégration dans ses effectifs de M. [Z], dans son dernier poste occupé, et ce dans un délai de 8 jours suivant la notification ou la signification de l'ordonnance,

- ordonné à défaut de réintégration dans ce délai, une astreinte provisoire de 1 000 euros par jour de retard, le conseil de prud'hommes se réservant le droit de liquider ladite astreinte,

- condamné la société Sanofi Pasteur à verser à M. [Z] les sommes de :

* provision des salaires non perçus entre la rupture du contrat de travail et la réintégration effective : 10 000 euros,

* indemnité en application de l'article 700 du code de procédure civile : 1 500 euros,

- condamné la société Sanofi Pasteur à remettre à M. [Z] les bulletins de salaire afférents à ces salaires, ainsi qu'aux entiers dépens et frais d'exécution par le ministère de commissaire de justice,

- rappelé que l'ordonnance est exécutoire à titre provisoire.

Le 23 janvier 2024, la société Sanofi Pasteur a interjeté appel de cette ordonnance.

Par conclusions remises le 15 mai 2024, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens, la SA Sanofi Pasteur demande à la cour de :

- la juger recevable et bien fondée dans son appel,

- infirmer l'ordonnance en toutes ses dispositions,

En conséquence,

- dire que les chefs de demande de M. [Z] excèdent ses pouvoirs et qu'il n'y a donc pas lieu à référé sur lesdites demandes,

- débouter M. [Z] de l'ensemble de ses chefs de demande,

- condamner M. [Z] à lui verser la somme de 1 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

Par conclusions remises le 16 février 2024, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé détaillé des moyens, M. [Z] demande à la cour de :

- confirmer l'ordonnance de référé,

- condamner la société à lui verser la somme de 2 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 16 mai 2024.

MOTIFS DE LA DECISION

I - Sur la compétence de la formation de référé

La société Sanofi Pasteur soutient que la formation référé a commis une erreur manifeste de droit et d'appréciation et a excédé ses pouvoirs en considérant qu'il y avait lieu à référé, aux motifs que :

- le conseil de prud'hommes n'a pas le pouvoir d'ordonner la poursuite des relations de travail entre un intérimaire et la société utilisatrice nonobstant la requalification en contrat de travail à durée indéterminée, son pouvoir se limitant à la requalification,

- il n'existe aucun trouble manifestement illicite dans la mesure où la cour d'appel, dans un arrêt rendu le 8 juin 2023 passé en force de chose jugée, a déjà statué sur ce point de droit en retenant que la requalification du contrat précaire n'imposait pas de conserver le salarié dans les effectifs de la société sauf volonté commune des parties, et faute pour le salarié d'établir la volonté de l'employeur de porter atteinte à une liberté fondamentale,

- la formation de référé n'a pas le pouvoir de se prononcer sur la violation d'une prétendue liberté fondamentale, dans la mesure où elle aurait dû se prononcer au préalable sur l'existence d'une cause réelle et sérieuse, ce qu'elle n'a pas le pouvoir de faire,

- elle a notifié au salarié la cessation de la collaboration justifiée par la position retenue par la cour d'appel dans son arrêt du 8 juin 2023, lequel était en vigueur au jour de la notification de la rupture, peu important que la cour soit revenue sur sa jurisprudence par un arrêt du 7 décembre 2023,

- elle a procédé au règlement des condamnations en exécution du jugement du 19 octobre 2023 et à la réintégration au titre de d'exécution provisoire, de sorte qu'il n'y a aucun grief,

- le droit à l'emploi n'est pas une liberté fondamentale justifiant la poursuite du contrat de travail du salarié intérimaire.

Le salarié soutient au contraire que la formation référé est compétente en raison du trouble manifestement illicite lié à la violation de l'exécution du jugement de requalification, laquelle fait partie intégrante du droit au procès équitable proclamé comme constitutive d'une liberté fondamentale par l'article 6-1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, faisant valoir que la présente cour est revenue sur la position résultant de l'arrêt sur lequel se fonde la société Sanofi Pasteur par un arrêt du 7 décembre 2023, que le législateur a entendu protégé le salarié d'une situation précaire en prévoyant une procédure accélérée et le caractère exécutoire à titre provisoire des décisions statuant sur une demande de requalification, sans qu'aucune disposition n'impose une volonté commune pour conserver le salarié requalifié, que la Cour de cassation, de manière constante, admet le droit du salarié d'obtenir en référé sa réintégration en cas de violation d'une liberté fondamentale, que la rupture du contrat de travail pour une cause illicite fait présumer la violation d'une liberté fondamentale et en tout état de cause, à défaut de présomption, il doit être fait application de la règle de preuve partagée, le salarié devant présenter des éléments de faits laissant présumer une atteinte à son droit au procès équitable et au droit au recours effectif, à charge pour l'employeur d'établir que sa décision était justifiée par des éléments étrangers à toute volonté de sanctionner le salarié de son droit.

La compétence de la formation de référé est déterminée par les textes suivants :

- l'article R.1455-5 du code du travail : Dans tous les cas d'urgence, la formation de référé peut, dans la limite de la compétence des conseils de prud'hommes, ordonner toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend.

- l'article R.1455-6 du code du travail : La formation de référé peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent pour prévenir un dommage imminent ou pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

- l'article R.1455-7 du code du travail : Dans le cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, la formation de référé peut accorder une provision au créancier ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.

Aussi, même en présence d'une contestation sérieuse, la formation de référé est compétente dès lors qu'une liberté fondamentale est en cause ce qui caractérise un trouble manifestement illicite.

Si le droit à l'emploi ne constitue pas une liberté fondamentale justifiant la poursuite du contrat de travail au terme de la mission de travail temporaire en cas d'action en requalification, en revanche, dans le cas particulier d'une décision de requalification du contrat de travail en contrat de travail à durée indéterminée, exécutoire par provision en application de l'article D. 1251-3 du code du travail, dont le terme n'est pas atteint lors de sa notification de la décision à l'employeur, la rupture du contrat de travail notifiée au salarié par l'employeur constitue une atteinte au droit au procès équitable, et par voie de conséquence, à une liberté fondamentale, peu important que l'employeur fonde cette rupture sur une jurisprudence de la présente cour ayant force exécutoire, ce qui ne suffit pas en soi à lui accorder force de vérité juridique et à légitimer la rupture notifiée par l'employeur au terme du contrat requalifié.

Ainsi, la formation référé a justement retenue sa compétence pour ordonner la réintégration sous astreinte du salarié, sans excéder ses pouvoirs, comme étant compétente pour statuer sur les éléments caractérisant le trouble manifestement illicite, de sorte que l'ordonnance entreprise est confirmée en ce qu'elle a ordonné la réintégration.

Compte tenu de l'évolution du litige, alors que la société Sanofi Pasteur a procédé à la réintégration du salarié en exécution de la décision déférée, l'astreinte ne se justifie plus.

La formation référé est également compétente pour statuer sur une demande de provision, dès lors que la créance n'est pas sérieusement contestable, ce qui est le cas d'une demande à valoir sur la rémunération due entre la fin de la relation contractuelle notifiée indûment par la société Sanofi Pasteur et la réintégration effective en exécution de l'ordonnance déférée, le salarié ayant été ainsi privé de sa rémunération dans ce délai.

En l'absence de plus d'éléments pour apprécier les sommes dues entre la requalification et la réintégration, alors que devront être déduits les revenus de remplacement que le salarié a perçus pendant la période d'éviction, la demande n'apparaît pas fondée et le salarié en est débouté, comme il est débouté, par voie de conséquence, de sa demande de production des bulletins de paie correspondants.

II - Sur les dépens et frais irrépétibles

En qualité de partie principalement succombante, la société Sanofi Pasteur est condamnée aux entiers dépens et déboutée de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.

Pour le même motif, elle est condamnée à payer à M.[N] [Z] la somme de 500 euros en cause d'appel, en sus de la somme allouée en première instance pour les frais générés par l'instance et non compris dans les dépens.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,

Dit la formation référé compétente pour statuer ;

Confirme l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a ordonné la réintégration de M.[N] [Z] , a statué sur les dépens et frais irrépétibles ;

Compte tenu de l'évolution du litige,

Dit n'y avoir lieu au prononcé d'une astreinte ;

L'infirme en ce qu'elle a statué sur la provision au titre des salaires non perçus entre la rupture du contrat de travail et la réintégration effective et la remise des bulletins de paie correspondants ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Déboute M.[N] [Z] de ses demandes de provision au titre des salaires non perçus entre la rupture du contrat de travail et la réintégration effective et de remise des bulletins de paie correspondants; 

Condamne la société Sanofi Pasteur aux entiers dépens d'appel ;

Condamne la société Sanofi Pasteur à payer à M.[N] [Z] la somme de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en appel ;

Déboute la société Sanofi Pasteur de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile en appel.

LE GREFFIER LA PRESIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rouen
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 24/00321
Date de la décision : 27/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 08/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-27;24.00321 ?
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