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26/06/2024 | FRANCE | N°23/02433

France | France, Cour d'appel de Rouen, 1ère ch. civile, 26 juin 2024, 23/02433


N° RG 23/02433 - N° Portalis DBV2-V-B7H-JNHT







COUR D'APPEL DE ROUEN



1ERE CHAMBRE CIVILE



ARRET DU 26 JUIN 2024









DÉCISION DÉFÉRÉE :



22/01131

Tribunal judiciaire de Rouen du 24 mai 2023





APPELANTE :



Madame [X] [J]

[Adresse 2]

[Localité 4]



représentée et assistée par Me Gontrand CHERRIER de la SCP CHERRIER BODINEAU, avocat au barreau de Rouen substitué par Me BODINEAU







INTIM

EE :



SASU COLAS RAIL-CENTRE IDF NORMANDIE

RCS 632 049 128

[Adresse 1]

[Localité 5]



représentée par Me Caroline SCOLAN de la SELARL GRAY SCOLAN, avocat au barreau de Rouen et assistée par Me Thomas HUMBER, avocat au barreau ...

N° RG 23/02433 - N° Portalis DBV2-V-B7H-JNHT

COUR D'APPEL DE ROUEN

1ERE CHAMBRE CIVILE

ARRET DU 26 JUIN 2024

DÉCISION DÉFÉRÉE :

22/01131

Tribunal judiciaire de Rouen du 24 mai 2023

APPELANTE :

Madame [X] [J]

[Adresse 2]

[Localité 4]

représentée et assistée par Me Gontrand CHERRIER de la SCP CHERRIER BODINEAU, avocat au barreau de Rouen substitué par Me BODINEAU

INTIMEE :

SASU COLAS RAIL-CENTRE IDF NORMANDIE

RCS 632 049 128

[Adresse 1]

[Localité 5]

représentée par Me Caroline SCOLAN de la SELARL GRAY SCOLAN, avocat au barreau de Rouen et assistée par Me Thomas HUMBER, avocat au barreau de Paris

COMPOSITION DE LA COUR  :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 15 avril 2024 sans opposition des avocats devant Mme BERGERE, conseillère, rapporteur,

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour composée de :

Mme Edwige WITTRANT, présidente de chambre

Mme Magali DEGUETTE, conseillère

Mme Anne-Laure BERGERE, conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Mme Catherine CHEVALIER

DEBATS :

A l'audience publique du 15 avril 2024, où l'affaire a été mise en délibéré au 26 juin 2024

ARRET :

CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 26 juin 2024, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

signé par Mme WITTRANT, présidente de chambre et par Mme CHEVALIER, greffier présent lors de la mise à disposition.

*

* *

EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

Le [Date décès 3] 2018, M. [O] [U], poseur de voies sur un chantier ferroviaire, employé par la Sasu Colas Rail intervenant dans le cadre d'un marché passé avec la Ratp, a été percuté par un train. Il est décédé dans l'accident.

Par décision du 21 juin 2018, la CPAM de Normandie a reconnu le caractère professionnel de l'accident.

Par exploit d'huissier du 2 mars 2022, Mme [X] [J], la soeur de

M. [U], a fait assigner l'employeur de ce dernier, la Sasu Colas Rail, afin d'obtenir indemnisation de son préjudice résultant de la faute de l'employeur en raison d'un manquement à son obligation de sécurité, sur le fondement de la responsabilité civile délictuelle.

Par jugement du 24 mai 2023, le tribunal judiciaire de Rouen a :

- débouté Mme [X] [J] de l'ensemble de ses demandes ;

- condamné Mme [X] [J] aux entiers dépens qui seront recouvrés par la Selarl Gray Scolan, avocats associés, conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

Par déclaration reçue au greffe le 11 juillet 2023, Mme [J] a interjeté appel de cette décision.

EXPOSE DES PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Par dernières conclusions notifiées le 19 janvier 2024, Mme [X] [J] demande à la cour, au visa de l'article 1240 du code civil, de :

- infirmer le jugement dont appel ;

en conséquence,

- dire et juger que la société Colas a commis une faute de nature à engager sa responsabilité civile dans la survenance de l'accident du travail dont a été victime feu M. [U] ;

- condamner la société Colas au paiement d'une somme de 40 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi par Mme [J] ;

- condamner la société Colas au paiement d'une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la société Colas aux entiers dépens dont distraction au profit de la Scp Cherrier Bodineau, avocat, aux offres de droit.

Elle soutient que la Sasu Colas Rail a commis une faute dès lors qu'elle a manqué à ses obligations en matière de sécurité et de prévention des risques pour ses employés sur le chantier ferroviaire où est survenu l'accident du travail mortel ; ceci au regard des prescriptions contenues dans les documents encadrant le chantier, particulièrement le plan de prévention, et les instructions de département 53-2 de la Ratp.

Elle expose qu'il appartenait à l'employeur en amont des opérations, ou, au cours de celles-ci, précisément au conducteur de travaux, également responsable de chantier, de s'assurer de la désignation d'un protecteur afin d'empêcher la réalisation du risque mortel dont la Sasu Colas Rail avait parfaitement connaissance.

En s'appuyant sur le rapport de l'inspection du travail rendu le 29 août 2022, Mme [J] souligne l'absence d'évaluation des risques professionnels auxquels pouvaient être exposés les travailleurs ; l'absence d'inspection préalable commune des lieux de travail par la Ratp et la Sasu Colas Rail ; l'insuffisance notable du plan de prévention des risques ; l'inadaptation des matériels et installations ; l'absence de préparation des phases imposant une coordination avec d'autres entreprises.

Elle rapporte la souffrance générée par la perte d'un frère en de telles circonstances.

Par dernières conclusions notifiées le 25 octobre 2023, la Sasu Colas Rail demande à la cour, au visa de l'article 1240 du code civil de :

à titre principal,

- juger que Mme [X] [J] ne démontre pas l'existence de la faute qu'elle invoque ;

- juger que la société Colas Rail, en sa qualité d'employeur, n'a commis aucune faute ;

en conséquence,

- confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Rouen le 24 mai 2023 ;

y ajoutant,

- débouter Mme [X] [J] de l'ensemble de ses demandes à l'encontre de la société Colas Rail ;

- condamner Mme [X] [J] à verser à la société Colas Rail la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel que la Selarl Gray Scolan, avocats associés, sera autorisée à recouvrer, pour ceux la concernant, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;

à titre subsidiaire,

- débouter Mme [X] [J] de sa demande indemnitaire ;

à titre plus subsidiaire,

- ramener à de plus justes proportions la somme réclamée.

Elle soutient son absence de responsabilité dans la survenance de l'accident dont a été victime M. [O] [U]. Elle rappelle que la charge de la preuve pèse sur le demandeur et dit que Mme [J] manque à démontrer ses allégations quant à la commission d'une faute par la Sasu Colas Rail, et à établir un lien de causalité entre celle-ci et son préjudice, tant par la nature des pièces versées au débat, que par sa description incomplète des circonstances de l'accident. Elle argue que la seule survenance d'un accident du travail ne suffit pas à caractériser la responsabilité de l'employeur. La Sasu Colas Rail fait par ailleurs valoir l'absence de poursuites pénales à son encontre.

Elle expose avoir pris toutes les mesures pour assurer la sécurité de ses salariés. Elle rappelle la rédaction d'un plan de prévention aux termes duquel le risque de heurt avec un convoi a bien été identifié et des mesures mises en oeuvre pour réduire ou supprimer ce risque, en conformité avec le document unique d'évaluation des risques de la société. Dès lors, elle indique que le chantier doit se dérouler de nuit, entre 1h30 et 4h30, sur la plage horaire de consignation caténaire sur les secteurs et les voies concernés. La Sasu Colas Rail rapporte, en outre, la réalisation d'un minuté type du déroulement des travaux afin d'encadrer le chantier.

Elle se réfère également aux prescriptions contenues dans l'instruction de département 53-2 de la Ratp, visées dans le plan de prévention. Elle explique qu'à 4h30, les voies doivent en principe être rendues à la circulation, ce qui implique l'arrêt immédiat du chantier par le chef de chantier.

La Sasu Colas Rail explique que des mesures consignées dans l'ID 53-2 dont l'application est visée par le plan de prévention, sont prévues si les travaux sont amenés à se poursuivre sans couverture, c'est-à-dire après la reprise de la circulation, parmi lesquelles la désignation d'un protecteur chargé de surveiller la voie et de prévenir les ouvriers de l'approche d'un train.

Elle reconnaît que le jour de l'accident, ces mesures n'ont pas été mises en oeuvre par le chef de chantier. Toutefois, elle estime que cette circonstance est indifférente, puisqu'il n'est pas démontré que cela aurait permis d'éviter l'accident. En outre, sur la désignation d'un protecteur en amont du chantier, la Sasu Colas Rail répond à Mme [J] que l'ID 53-2 ne le prévoit pas et qu'elle n'était pas nécessaire car le chantier, dans les temps, devait se dérouler en nuits courtes, en l'absence de circulation de trains.

Elle rapporte que ses employés sur le chantier avaient connaissance de la procédure, et qu'elle les avait parfaitement formés. Elle fait valoir l'ancienneté de M. [Z] [U], chef de chantier en poste depuis 2002, et produit les attestations de formation à la prévention des risques professionnels de 2015 de M. [F] [L] conducteur de travaux, et de M. [O] [U]. Elle ajoute en outre avoir dispensé en 2017 à ses salariés parmi lesquels M. [O] [U], par le biais de ses chefs de chantiers, un 'rendez-vous qualité sécurité environnement' relatif à la circulation sur zones d'activité selon l'ID Ratp 53-1. La Sasu Colas Rail conclut à son absence de faute dans l'accident dès lors que des mesures avaient été mises en place pour éviter le risque réalisé conduisant au décès de M. [U].

A titre subsidiaire, si sa responsabilité devait être retenue, la Sasu Colas Rail requiert l'évaluation in concreto du préjudice de Mme [J], laquelle ne détaille pas sa demande indemnitaire et doit, à ce titre, en être déboutée.

A titre très subsidiaire, la Sasu Colas Rail sollicite que le montant alloué, le cas échéant, soit ramené à de juste proportions.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 27 mars 2024.

MOTIFS

Sur la responsabilité de la société Colas Rail

Il résulte de l'article 1240 du code civil que tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

En l'espèce, à titre liminaire, il convient de relever que contrairement à ce que soutient l'intimée, à la suite de l'accident litigieux, l'inspection du travail a fait des observations très circonstanciées, tant sur l'accident en lui-même que sur l'appréciation des responsabilités encourues, qui sont consignées dans un procès-verbal n°26/2022 du 29 août 2022 versé aux débats par Mme [J]. La société Colas Rail à qui cette pièce a été communiquée par la partie adverse le 19 janvier 2024, n'en conteste pas le contenu.

Ce document établit que le chantier ferroviaire réalisé par la Sasu Colas Rail se déroulait de nuit, avec une consignation caténaire, durant la période d'arrêt d'exploitation comprise entre 1h30 et 4h30, comme indiqué dans le CCTP, sur les voies du RER A, point kilométrique 55 350 situé sur la commune de [Localité 8]

([Localité 8]), entre les gares de [Localité 6] et [Localité 9].

Il est constant que la nuit du 4 au [Date décès 3] 2018, vers 4h du matin, le chef de chantier de la Sasu Colas Rail, et le surveillant de chantier de la Ratp prennent la décision, ainsi que cela avait été fait la veille, d'excéder le format nuit courte fixant la fin de la prestation à 4h30 afin de terminer les travaux. Ils décident de rouvrir la voie 2 à la circulation tandis que les travaux se poursuivent voie 1, afin de ne pas retarder la reprise de l'exploitation.

C'est dans cette configuration que M. [U] a été percuté par un train haut-le-pied (HLP), [Localité 10]-[Localité 7] autorisé à passer à contresens sur la voie 2.

En pareil cas, soit la découverte d'une voie rendue à la circulation, les parties s'accordent pour dire que les mesures de sécurité pour les personnels travaillant sur la voie contiguë sont fixées par l'instruction de département (ID) 53-2.

Sur le protocole de sécurité, l'ID 53-2 détaille les mesures à prendre pour se prémunir contre les dangers présentés par la circulation des trains en son article 05.08 :

'- Une couverture d'obstacle communément appelée 'couverture'. On appelle couverture l'ensemble des mesures à prendre afin d'arrêter les trains qui se dirigent vers un obstacle. Un obstacle s'oppose à la circulation des trains. Il peut être constitué soit par : [...] un emplacement délimité dans lequel sont effectués des travaux ou des essais.

- Une protection du personnel communément appelée 'protection'. En l'absence de couverture, aucun travail exécuté sur les voies principales ou en bordure de ces voies à moins de 1,50 mètres du rail le plus proche ne doit être entrepris sans qu'une personne spécialement désignée (ou plusieurs dans le cas de visibilité réduite, de voies en courbe ou de chantiers étendus) soit uniquement chargée de surveiller l'approche des trains et d'en avertir chaque fois le personnel de façon à lui permettre de se garer efficacement avant le passage du train. Cette personne (ou ces personnes) doit être munie des moyens nécessaires pour faire, le cas échéant, les signaux réglementaires d'arrêt. Dès l'avertissement donné, le personnel doit cesser le travail et dégager entièrement la voie sur laquelle le train est annoncé pour ne plus risquer d'engager le gabarit et en prenant garde au danger présenté par la circulation des trains sur les voies adjacentes'.

Ainsi les mesures de sécurité imposent-elles le recours à la 'protection' dès lors que le chantier se poursuit alors que la circulation est rétablie sur l'une des voies principales, et donc la désignation d'un 'protecteur'.

L'article 05.09 de l'ID 53-2 consacré à la mise en oeuvre de la protection définit le rôle du protecteur sur lequel elle repose :

'Le protecteur, nommément désigné, n'exerce que la fonction de surveillance ; il lui est interdit d'exécuter un autre travail. Il doit posséder les aptitudes physiques et mentales suffisantes pour exercer cette fonction. La fonction de protecteur s'applique également aux trains pouvant circuler à contresens. [...] La sécurité du personnel est placée sous sa responsabilité. Il donne l'ordre de se garer efficacement à l'approche des trains. Il informe à la voix le responsable de chantier que le travail peut être repris après s'être assuré que le personnel peut le faire sans danger'.

Sur la responsabilité, sur site, de la sécurité du chantier, l'article 02.03 de l'ID 53-2 prévoit qu'elle revient au chef de chantier :

'Pour chaque chantier, l'entrepreneur désigne et accrédite auprès du responsable de l'entité Ratp responsable des travaux ou de son représentant, un chef de chantier chargé d'assurer la conduite du chantier et sa sécurité de visu, conformément aux prescriptions de la présente instruction'.

L'article 06.06 de l'ID 53-2 confirme et développe l'énonciation générale contenue dans l'article précité, le chef de chantier, responsable de la sécurité, ayant la charge de la mise en place effective de la protection après la suppression de la couverture de chantier :

'Dispositions à prendre à la fin d'un chantier

a) - Suppression, de la couverture de chantier

Avant d'autoriser le passage des trains, le chef de chantier doit faire cesser tout travail sur les voies, les faire remettre en état de circulation, notamment en vérifiant qu'il ne subsiste pas d'outillage ou d'objets engageant le gabarit, puis faire supprimer les dispositifs de couverture.

b) - Travaux complémentaires après suppression de la couverture

Si des travaux complémentaires doivent être exécutés après la suppression de la couverture, le chef de chantier doit remplacer cette dernière par la mise en place d'une protection.

L'attention du personnel doit être attirée sur le danger présenté par la circulation des trains et notamment par le premier train qui peut circuler, sans voyageur sur voie principale, entre sa zone de garage et le terminus de la ligne [...] '.

Aux termes de ces dispositions, il apparaît que le risque de heurt par un véhicule en mouvement devait être prévenu dès lors que la voie contiguë à celle sur laquelle se terminaient les travaux était découverte et rendue à la circulation, par la mise en place d'une protection dont le chef de chantier avait la charge.

Le procès-verbal n°26/2022 du 29 août 2022 rendu par l'inspection du travail rend compte des circonstances de l'accident.

Il en ressort qu'à 4h30 le surveillant de chantier de la Ratp a appelé le poste de commandement (PCC) pour l'informer de la dépose de couverture voie 2, et a confirmé que le train HLP pouvait passer à contresens sur cette voie. Le chef de chantier de la Sasu Colas Rail en a reçu information. A 5h02, M. [U] qui prenait des côtes avec un laser-mètre au milieu des voies s'est penché au passage du train et a été percuté.

Il apparaît du procès-verbal de l'inspection du travail, par ailleurs non contesté, qu'aucun témoignage n'atteste la mise en place effective, par le chef de chantier, des mesures de protection, avant la reprise de la circulation des trains sur la voie adjacente à celle sur laquelle se déroulaient les travaux. En effet, si un protecteur a bien été désigné par le chef de chantier, les auditions révèlent qu'il n'était pas en surveillance, mais dans une équipe en partance tandis que l'équipe restante à laquelle appartenait M. [U] devait terminer les opérations. La Sasu Colas Rail reconnaît par ailleurs dans ses écritures que, dans la nuit du 4 au [Date décès 3] 2018, son chef de chantier n'a pas appliqué les mesures de protection.

Dès lors, il est établi que le chef de chantier a commis une faute en ne mettant pas en place les mesures de protection obligatoires en cas de coactivité entre les travaux et la circulation des trains, ainsi qu'il résulte des prescriptions de sécurité encadrant le chantier. En outre, il n'est ni sérieusement contestable, ni au demeurant sérieusement contesté, que l'absence de protecteur pour avertir les ouvriers de l'irruption d'un train et ainsi maîtriser tout risque de heurt, tandis que M. [U] était amené à travailler au milieu des voies partiellement découvertes, a un lien direct avec la survenance du préjudice de Mme [J] résultant de la perte de son frère.

Or, il ressort du procès-verbal de l'inspection du travail que cette situation trouve, au moins pour partie, son origine dans l'absence de mise en place d'une analyse efficiente et pertinente des risques générés par cette situation de la part de la Sasu Colas Rail.

En effet, certes, la Sasu Colas Rail et le donneur d'ordre, la Ratp, ont, à la suite d'une inspection commune préalable, établi un plan de prévention qui réalise une analyse des risques génériques propres à l'opération et définit les mesures de prévention mises en oeuvre afin d'assurer la sécurité sur le chantier. Au titre des risques inhérents à 'l'utilisation d'un convoi ou présence d'un convoi sur zone', le plan de prévention identifie celui d'un 'véhicule en mouvement' et celui de 'heurts'. Afin de les prévenir il prévoit expressément l'application de l'ID 53-2 ; l'absence d'intervention pendant le déplacement du convoi ; que le surveillant de chantier 'Voie' est le garant du bon déroulement et du phasage des interventions ; des travaux hors exploitation voyageurs ; que le personnel soit habilité à la circulation sur les voies ; une déclaration aux feuilles de nuit ; et enfin, le port des EPI.

Toutefois, à la lecture de ce plan de prévention, c'est à juste titre que l'inspection du travail relève que ce document, pas plus que l'ID 53-2, ne recense précisément et de façon circonstanciée les risques professionnels détectés et évalués liés à l'intervention spécifique de la Sasu Colas Rail. Notamment, aucune évaluation n'a été faite quant à la possibilité que l'intervention ne soit pas terminée avant que ne reprenne l'exploitation de la ligne et le service voyageur. Or, l'intimée ne pouvait ignorer qu'en fonction des aléas rencontrés sur un chantier de nuit, en hiver, avec des conditions climatiques non optimales, l'intervention pouvait être impactée, d'une manière ou d'une autre, et ne pas être terminée à l'heure prévue. Elle se devait donc d'envisager cette situation et prévoir un plan de prévention des risques applicables dans ce cas de figure. En outre, consécutivement, aucune évaluation des risques liés au passage d'un cadre avec couverture à un cadre nécessitant la mise en place d'une protection n'a été réalisée.

Au vu de l'ensemble de ces éléments, et alors que la Sasu Colas Rail était tenu à l'égard de son salarié d'une obligation de sécurité de résultat, Mme [J] rapporte la preuve suffisante d'un manquement à cette obligation, qui caractérise à son égard une faute délictuelle.

En conséquence, le jugement entrepris sera infirmé et la Sasu Colas Rail déclarée responsable du préjudice subi par Mme [J] par suite du décès de son frère et condamnée à le réparer.

Mme [J] évalue, sans en justifier, son préjudice d'affection à hauteur de

40 000 euros.

En l'absence d'éléments de contexte permettant d'appréhender entre autres la nature de sa relation avec M. [U], l'indemnisation de Mme [J] au titre de la souffrance engendrée par la perte de son frère, sera ramenée à la somme de

10 000 euros.

Sur les demandes accessoires

Au regard de l'issue du litige, les dispositions du jugement relatives aux dépens et frais irrépétibles doivent être infirmées.

La Sasu Colas Rail succombe et sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel, dont distraction au profit de la Scp Cherrier Bodineau, outre une somme pour frais irrépétibles qu'il est équitable de fixer à 3 000 euros.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe,

Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau,

Condamne la Sasu Colas Rail à payer à Mme [X] [J] la somme de

10 000 euros en indemnisation de son préjudice d'affection subi en raison du décès de son frère ;

Condamne la Sasu Colas Rail à payer à Mme [X] [J] la somme de

3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la Sasu Colas Rail aux dépens de première instance et d'appel dont distraction au profit de la Scp Cherrier Bodineau.

Le greffier, La présidente de chambre,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rouen
Formation : 1ère ch. civile
Numéro d'arrêt : 23/02433
Date de la décision : 26/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 03/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-26;23.02433 ?
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