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21/06/2024 | FRANCE | N°22/04174

France | France, Cour d'appel de Rouen, Chambre sociale, 21 juin 2024, 22/04174


N° RG 22/04174 - N° Portalis DBV2-V-B7G-JH7J





COUR D'APPEL DE ROUEN



CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE





ARRET DU 21 JUIN 2024











DÉCISION DÉFÉRÉE :



22/00165

Jugement du POLE SOCIAL DU TJ D'EVREUX du 01 Décembre 2022







APPELANTE :



CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE L'EURE

[Adresse 1]

[Localité 2]



représentée par Me François LEGENDRE, avocat au barreau de ROUENr>










INTIMEE :



S.A.S.U. [5]

[Adresse 4]

[Localité 3]



représentée par Me Ouali BENMANSOUR, avocat au barreau de PARIS



























COMPOSITION DE LA COUR  :



En application des dispositions de l'art...

N° RG 22/04174 - N° Portalis DBV2-V-B7G-JH7J

COUR D'APPEL DE ROUEN

CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE

ARRET DU 21 JUIN 2024

DÉCISION DÉFÉRÉE :

22/00165

Jugement du POLE SOCIAL DU TJ D'EVREUX du 01 Décembre 2022

APPELANTE :

CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE L'EURE

[Adresse 1]

[Localité 2]

représentée par Me François LEGENDRE, avocat au barreau de ROUEN

INTIMEE :

S.A.S.U. [5]

[Adresse 4]

[Localité 3]

représentée par Me Ouali BENMANSOUR, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR  :

En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 14 Mai 2024 sans opposition des parties devant Madame BIDEAULT, Présidente, magistrat chargé d'instruire l'affaire.

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame BIDEAULT, Présidente

Madame ROGER-MINNE, Conseillère

Madame POUGET, Conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Mme WERNER, Greffière

DEBATS :

A l'audience publique du 14 mai 2024, où l'affaire a été mise en délibéré au 21 juin 2024

ARRET :

CONTRADICTOIRE

Prononcé le 21 Juin 2024, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

signé par Madame BIDEAULT, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.

* * *

EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

M. [N], salarié de la société [5] (la société) en qualité de responsable « ordonnancement lancement livraisons », a déclaré avoir été victime d'un accident du travail survenu le 24 juin 2021. Cette déclaration mentionnait un syndrome anxio-dépressif réactionnel à la suite d'un entretien imprévu entre lui et ses supérieurs hiérarchiques, MM. [G] et [D].

Le 24 juin 2021, la caisse primaire d'assurance maladie de l'Eure (la caisse) a été destinataire d'arrêts de travail, au titre de l'assurance maladie, à compter de cette date et jusqu'au 22 juillet 2021.

Le 19 juillet 2021, la caisse a été destinataire d'un certificat médical initial rectificatif mentionnant un accident du travail le 24 juin 2021 et faisant état d'un « syndrome anxio dépressif réactionnel ».

La première déclaration d'accident du travail a été établie le 21 juillet 2021 et la seconde a été réalisée le 27 juillet 2021.

Par décision du 18 octobre 2021, la caisse a pris en charge le fait accidentel au titre de la législation sur les risques professionnels.

Contestant cette décision de prise en charge, la société a saisi la commission de recours amiable, laquelle a rejeté ce recours et confirmé la reconnaissance de l'accident du travail de M. [N] par décision du 28 juillet 2022.

Le 13 avril 2022, la société a saisi le pôle social du tribunal judiciaire d'Evreux d'un recours contre cette décision et a sollicité que la décision de prise en charge lui soit déclarée inopposable.

Par jugement du 1er décembre 2022, le pôle social du tribunal judiciaire d'Evreux a :

- déclaré inopposable à la société la décision de prise en charge du 18 octobre 2021 de l'accident du travail survenu le 24 juin 2021 et déclaré le 21 juillet 2021 par M. [N] au titre d'un syndrome anxio-dépressif réactionnel,

- débouté la société de ses demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la caisse aux dépens de l'instance.

La décision a été notifiée à la caisse le 6 décembre 2022, elle en a relevé appel le 20 décembre 2022.

EXPOSÉ DES PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Par conclusions remises le 28 mars 2023, soutenues oralement, la caisse demande à la cour de :

- déclarer son appel recevable et fondé,

- infirmer le jugement entrepris,

- confirmer sa décision en date du 18 octobre 2021 valant prise en charge de l'accident de M. [N] survenu le 24 juin 2021 déclaré par la société le 27 juillet 2021, ainsi que la décision de la commission de recours amiable en date du 28 juillet 2022,

- en conséquence, dire la société mal fondée en son recours et la débouter de l'ensemble de ses demandes, fins, moyens et conclusions,

- condamner la société aux entiers dépens,

- condamner la société à lui payer la somme de 2 200 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Au soutien de ses demandes, la caisse indique qu'elle rapporte la preuve du fait accidentel ; que M. [N] a été convoqué pendant ses horaires de travail par son employeur à un entretien imprévu le 24 juin 2021 dont il est ressorti en pleurs avant de rassembler ses affaires et de quitter la société. Elle précise que ces événements sont confirmés par la teneur du SMS reçu par son employeur le jour même et l'attestation d'un témoin.

La caisse considère que la présomption d'imputabilité trouve à s'appliquer et que l'employeur ne renverse pas cette présomption.

Par conclusions remises le 14 mai 2024, soutenues oralement, la société demande à la cour de :

- confirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris,

- débouter la caisse de toutes ses fins et prétentions,

- condamner la caisse à lui verser la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et la condamner aux dépens.

La société soutient qu'aucun accident de travail n'est survenu le 24 juin 2021 ; que le salarié s'est d'emblée montré très énervé et en colère en découvrant le travail effectué la veille en sous absence ; qu'il s'est montré agressif envers certains collègues ; qu'il a été reçu en entretien afin de lui permettre de se calmer ; qu'un avertissement lui a en outre été notifié le 1er juillet 2021 au regard de son comportement excessif du 24 juin 2021 et du fait qu'il ait agressé verbalement certains collègues.

La société précise que les crises de colère du salarié étaient fréquentes, que ce n'était pas la première fois qu'il adoptait un tel comportement.

La société observe que dans un premier temps le salarié a bénéficié d'un arrêt de travail au titre de la maladie ordinaire et que ce n'est que dans un second temps, le 19 juillet 2021, que le médecin a établi un arrêt de travail au titre de l'accident du travail étant observé que le salarié avait, entre temps , été destinataire d'une sanction disciplinaire.

Il est renvoyé aux conclusions des parties pour l'exposé détaillé de leurs moyens.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1/ Sur la matérialité de l'accident du travail

En vertu de l'article L 411-1 du code de la sécurité sociale, est considéré comme accident du travail, quelle qu'en soit la cause, l'accident survenu par le fait ou à l'occasion du travail à toute personne salariée ou travaillant à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs ou chefs d'entreprise.

L'accident du travail consiste en un fait précis qui, survenu soudainement au cours ou à l'occasion du travail, est à l'origine d'une lésion corporelle ou psychologique.

Sur le fondement de cet article, il n'est pas exigé que l'accident présente un caractère violent ; en revanche, il doit présenter un caractère soudain. Ainsi, l'accident du travail s'analyse comme « un événement ou une série d'événements survenus à des dates certaines par le fait ou à l'occasion du travail, dont il est résulté une lésion corporelle quelle que soit la date d'apparition de celle-ci».

Toute sorte d'événement peut caractériser un accident du travail, et il n'est pas nécessaire d'en établir le caractère anormal, pourvu qu'il soit soudain.

Le fait qu'une pathologie d'ordre psychologique ou psychiatrique puisse constituer un processus à évolution lente n'exclut pas la qualification d'accident du travail dès lors que cette pathologie a été déclenchée par un événement soudain imputable au travail.

Dans ses rapports avec l'employeur, il appartient à la caisse de rapporter la preuve de la matérialité de l'accident qu'elle a accepté de prendre en charge au titre de la législation sur les risques professionnels pour se prévaloir de la présomption d'imputabilité au travail de toute lésion survenue brusquement au temps et au lieu du travail.

A ce titre, les seules déclarations du salarié sur l'accident qu'il aurait subi sont insuffisantes pour établir la matérialité de l'accident et doivent être complétées par un ou plusieurs indices susceptibles d'être retenus à titre de présomption et de nature à établir le caractère professionnel de l'accident.

L'absence de témoin ne suffit pas, à elle seule, à remettre en cause la matérialité de l'accident du travail.

La déclaration tardive d'un accident ne fait pas en soi perdre le bénéfice de la présomption d'imputabilité, mais il importe que la matérialité de l'accident au temps et au lieu du travail soit établie.

En l'espèce, M. [N] a bénéficié d'un arrêt de travail prescrit au titre de l'assurance maladie du 24 au 30 juin 2021, prolongé au 22 juillet 2021.

La caisse a été destinataire le 21 juillet 2021 d'un certificat médical initial rectificatif établi le 19 juillet 2021 mentionnant un accident du travail survenu le 24 juin 2021 et faisant état d'un 'syndrome anxio dépressif réactionnel'.

La société a établi le 21 juillet 2021 une déclaration d'accident du travail, cette déclaration étant cependant vierge de toute indication.

Le 29 juillet 2021, une seconde déclaration d'accident du travail a été établie par M. [N] indiquant qu'il a été victime d'un syndrome anxio dépressif réactionnel le 24 juin 2021 à la suite d'un entretien imprévu avec M. [G], président et M. [D], directeur technique et mentionnant comme témoin Mme [D].

La cour relève que par courrier en date du 21 juillet 2021 la société a formé des réserves.

Au cours de l'enquête diligentée par la caisse, le salarié a indiqué avoir été convoqué le 24 juin 2021 à 10 h par M. [G] à un entretien imprévu en présence de M. [D] ; a affirmé avoir été victime de reproches infondés et virulents lors de cet entretien ainsi que de propos agressifs et avoir reçu des menaces à peine voilées de rupture de son contrat de travail, précisant avoir l'impression que son employeur souhaitait le faire craquer psychologiquement pour qu'il démissionne et ainsi faire des économies sur son poste.

Le salarié a produit un SMS de M. [G] reçu le 24 juin à 13h46 libellé comme suit: 'Bonjour [Y], j'espère que vous pu (sic) reprendre vos esprits. Prenez également la journée de demain vendredi pour vous reposer. On se verra lundi tranquillement'.

Au cours de l'enquête, M. [G] a indiqué quant à lui que le 24 juin 2021, M. [N] a agressé verbalement certains salariés de l'entreprise, qu'il l'a convoqué dans son bureau en présence de M. [D], directeur technique, pour lui demander des explications sur son comportement 'qui n'était pas une première'; que le salarié s'est immédiatement emporté avant de quitter le bureau précipitamment en accusant M. [D] de faits graves qui ont conduit ce dernier à déposer plainte à son encontre.

L'employeur justifie avoir adressé le 1er juillet 2021 un avertissement à M. [N] au regard de son état d'énervement du 24 juin 2021 qui a rendu impossible la moindre discussion, de ses accès de colère, de ses menaces à l'encontre de M. [D], le salarié ayant sous-entendu à la fin de l'entretien que ce dernier aurait une responsabilité dans le suicide d'un salarié de l'entreprise.

Mme [D] indique avoir vu M. [N] le 24 juin 2021 vers 10 heures, avant l'entretien, précise qu'il allait bien et que 15 minutes plus tard, elle l'a vu revenir vers elle dans un état de tristesse et d'angoisse en l'informant qu'il partait car il venait de se faire 'accuser par M. [G] et M. [D] de plusieurs reproches injustifiés' ; qu'il est repassé devant elle en pleurs lorsqu'il a quitté l'usine.

Elle précise en sa qualité de déléguée du personnel, que M. [N] est une personne gentille, calme, patiente au contraire de M. [D] qui est souvent décrit comme agressif et colérique par les salariés.

La cour relève cependant que cette attestation n'est corroborée par aucun autre élément, est contredite par les autres témoignages en ce que les autres salariés relatent de façon unanime le caractère impulsif et colérique du salarié et décrivent ce dernier dans un état d'énervement et de colère avant même la tenue de l'entretien avec MM [G] et [D].

Au regard de ces éléments, il y a lieu d'écarter des débats ce témoignage dénué de valeur probante.

Mme [A], conjointe de M. [N], a indiqué que son compagnon avait quitté le domicile dans un état normal, qu'il l'avait contactée dans la matinée pour l'informer qu'il quittait son travail pour se rendre chez son médecin à la suite d'un entretien avec son employeur; qu'elle avait senti dans sa voix qu'il était très affecté par le déroulement de l'entretien.

Au cours du débat probatoire, la société a produit l'attestation de Mme [M], assistante de direction, qui indique que M. [N] était énervé envers M. [D] avant même l'entretien, qu'il semblait mécontent et agacé, qu'il s'était emporté verbalement à son égard concernant les décisions prises la veille.

Elle précise avoir assisté à la conversation téléphonique entre M. [N] et M. [D] avant l'entretien aux termes de laquelle M. [N] a exprimé de façon virulente son mécontentement concernant la tenue du magasin, reprochant à M. [D] d'avoir pris des initiatives la veille, jour de son absence.

M. [D] justifie avoir déposé plainte à l'encontre de M. [N] le 29 juin 2021 précisant qu'à la fin de l'entretien du 24 juin 2021 en présence de M. [G], le salarié lui a reproché d'être responsable du suicide de [E] [P], salarié de l'entreprise, qui avait mis fin à ses jours fin janvier 2021.

Au cours de son audition, M. [D] a confirmé le fait que M. [N] était énervé en raison des décisions prises la veille, jour de son absence.

M. [S], responsable de production au sein de l'entreprise, a indiqué avoir constaté qu'à la suite de l'entretien, M. [N] était parti dans une colère extrême de son poste de travail et qu'il avait quitté la société, ce qui lui avait fait peur. Il a précisé que les accès de colère de M. [N] étaient fréquents.

Comme justement relevé par les premiers juges, il ressort de l'ensemble de ces éléments que le contenu de l'entretien ayant eu lieu entre MM [G] et [D] avec M. [N] n'est pas clairement établi, que la nature des reproches formulés par l'employeur à l'encontre du salarié n'est pas précisée, aucun témoin n'ayant confirmé que le salarié avait été destinataire de reproches, de propos désagréables voire de menaces.

Il ne résulte pas des éléments produits que le salarié ait contesté la légitimité de l'avertissement prononcé à son encontre en ce que la procédure diligentée devant le conseil de prud'hommes n'a concerné que les conditions de son licenciement ultérieur pour inaptitude.

Si Mme [D] atteste avoir vu M. [N] en pleurs en quittant l'entreprise, il ressort de certains témoignages qu'il était très énervé avant l'entretien, qu'il s'était montré agressif verbalement envers M. [D] et Mme [V].

Il ne ressort pas des éléments du dossier que l'entretien organisé par M. [G] ait été à l'origine de la lésion constatée chez le salarié.

Au regard de l'ensemble de ces éléments, il y a lieu de juger, par confirmation du jugement entrepris, que la matérialité de l'accident du travail n'est pas établie, de sorte que la décision de prise en charge de l'accident par la caisse doit être déclarée inopposable à la société.

2/ Sur les frais irrépétibles et les dépens

La caisse, partie succombante, est condamnée aux dépens d'appel ainsi qu'à verser à la société la somme de 1500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant contradictoirement, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, après débats en audience publique et après en avoir délibéré,

Confirme en toutes ses dispositions le jugement du pôle social du tribunal judiciaire d'Evreux du 1er décembre 2022 ;

Y ajoutant :

Condamne la caisse primaire d'assurance maladie de l'Eure à verser à la société [5] la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure d'appel ;

Rejette toute autre demande ;

Condamne la caisse primaire d'assurance maladie de l'Eure aux dépens d'appel.

LE GREFFIER LA PRESIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rouen
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 22/04174
Date de la décision : 21/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 29/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-21;22.04174 ?
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