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20/06/2024 | FRANCE | N°23/01842

France | France, Cour d'appel de Rouen, Ch. civile et commerciale, 20 juin 2024, 23/01842


N° RG 23/01842 - N° Portalis DBV2-V-B7H-JL77





COUR D'APPEL DE ROUEN



CH. CIVILE ET COMMERCIALE



ARRET DU 20 JUIN 2024











DÉCISION DÉFÉRÉE :



20/00615

Tribunal de commerce du Havre du 11 mai 2023





APPELANTE :



S.A.S. BLUE SKY CRUISES

[Adresse 4]

[Localité 3]



représentée par Me Yves MAHIU de la SELARL DE BEZENAC ET ASSOCIÉS, avocat au barreau de ROUEN et assistée par Me Eric GINTER de la SELARL ALTITUDE, avo

cat au barreau de PARIS, plaidant.









INTIMEES :



DIRECTION NATIONALE DES GARDES COTES DES DOUANES

[Adresse 1]

[Adresse 6]

[Localité 5]



représentée par Me Marie LESIEUR-GUINAULT de la SCP SCP S...

N° RG 23/01842 - N° Portalis DBV2-V-B7H-JL77

COUR D'APPEL DE ROUEN

CH. CIVILE ET COMMERCIALE

ARRET DU 20 JUIN 2024

DÉCISION DÉFÉRÉE :

20/00615

Tribunal de commerce du Havre du 11 mai 2023

APPELANTE :

S.A.S. BLUE SKY CRUISES

[Adresse 4]

[Localité 3]

représentée par Me Yves MAHIU de la SELARL DE BEZENAC ET ASSOCIÉS, avocat au barreau de ROUEN et assistée par Me Eric GINTER de la SELARL ALTITUDE, avocat au barreau de PARIS, plaidant.

INTIMEES :

DIRECTION NATIONALE DES GARDES COTES DES DOUANES

[Adresse 1]

[Adresse 6]

[Localité 5]

représentée par Me Marie LESIEUR-GUINAULT de la SCP SCP SAGON LOEVENBRUCK LESIEUR, avocat au barreau du HAVRE et assistée par Me Claire LITAUDON de la SARL CM & L AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, plaidant.

LE RECEVEUR INTERRÉGIONAL DE LA RECETTE INTERRÉGIO NALE DES DOUANES DU [Localité 8]

[Adresse 2]

[Localité 8]

représenté par Me Marie LESIEUR-GUINAULT de la SCP SCP SAGON LOEVENBRUCK LESIEUR, avocat au barreau du HAVRE et assisté par Me Claire LITAUDON de la SARL CM & L AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, plaidant.

COMPOSITION DE LA COUR  :

Lors des débats et du délibéré :

Mme FOUCHER-GROS, présidente

M. URBANO, conseiller

Mme MENARD-GOGIBU, conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Mme RIFFAULT, greffière

DEBATS :

Mme FOUCHER-GROS a été entendue en son rapport.

A l'audience publique du 19 mars 2024, où l'affaire a été mise en délibéré au 16 mai 2024 puis prorogé à ce jour.

ARRET :

CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 20 juin 2024, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

signé par Mme FOUCHER-GROS, présidente et par Mme RIFFAULT, greffière.

*

* *

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

Le 30 janvier 2016, le Service des douanes de [Localité 7] (Martinique), a contrôlé le navire « L'Albatros » appartenant à la société Blue Sky Cruise, dont le siège social est situé à [Localité 9], qu'el1e exploite depuis le 23 mai 2014. Ce navire est immatriculé aux Iles Caïman.

A l'issue de ce contrôle, l'Administration des douanes a informé, la SAS Blue Sky Cruises, par courrier du 15 septembre 2016, de ce qu'el1e avait, notamment, constaté l'infraction d'abus au régime de 1'admission temporaire valant importation sans déclaration.

Dans cette correspondance, l'Administration des douanes rappelle aussi que pour bénéficier du statut de « navire de commerce » au sens de la règlementation fiscale et douanière, un navire doit répondre à trois conditions et notamment celle d'être affecté à une activité commerciale.

Invitée à faire valoir ses observations, la société Blue Sky Cruises, par courrier du 15 octobre 2016, a fait valoir qu'elle exerçait une activité commerciale au sens de la réglementation évoquée par l'Administration des douanes. Cette dernière a maintenu sa position et a procédé à la rédaction d'un procès-verbal de notification d'infraction, 1e 25 juin 2019, retenant 1'infraction d'abus au régime de l'admission temporaire valant importation sans déclaration.

Le 16 juillet 2019, un avis de paiement de la somme globale de 757 587,00€ due au titre des droits et taxes retenus a été adressé à la SAS Blue Sky Cruises. Le 17 juillet 2019, la société a déposé une réclamation contentieuse assortie de sursis de paiement. Le 29 juillet 2019, la recette inter-régionale des douanes du [Localité 8] a émis un avis de mise en recouvrement (AMR) n°962/19/1005 à hauteur de 757 587,00 €. Le 30 juillet 2019, la société Blue Sky Cruises a contesté l'AMR, renvoyant à son mémoire du 17 juillet 2019. Cette réclamation a été rejetée par courrier du 28 janvier 2020 de 1'Administration des douanes.

Par acte du 10 mars 2020, la société Blue Sky Cruises a saisi le tribunal judiciaire du Havre.

Par jugement en date du 11 mai 2023, le tribunal judiciaire du Havre a :

- débouté la Société Blue Sky Cruises SAS de toutes ses demandes,

- déclaré l'AMR n°962/19/1005 du 29 juillet 2019 et la décision de rejet de l'Administration des douanes du 28 janvier 2020 bien fondés,

- condamné la SAS Blue Sky Cruises à payer à la DNGCD la somme de 3 000,00 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la Société Blue Sky Cruises aux dépens de l'instance.

La société Blue Sky Cruises a interjeté appel de ce jugement par déclaration du 26 mai 2023.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 12 mars 2024.

EXPOSE DES PRETENTIONS

Vu les conclusions du 16 novembre 2023, auxquelles il est renvoyé pour exposé des prétentions et moyens de la société Blue Sky Cruises qui demande à la cour de :

- reconnaitre la société Blue Sky Cruises recevable et bien fondée en toutes ses fins, demandes et conclusions,

En conséquence,

- réformer le jugement rendu le 11 mai 2023 par le tribunal judiciaire du Havre en ce qu'il a :

- débouté la société Blue Sky Cruises SAS de toutes ses demandes,

- déclaré l'AMR n o 962/19/1005 du 29 juillet 2019 et la décision de rejet de l'administration des douanes du 28 janvier 2020 bien fondés,

- condamné la SAS Blue Sky Cruises à payer à la DNGCD la somme de 3.000€ en application de l'article 700 du code de procédure civile, 

- condamné la société Blue Sky Cruises aux dépens de l'instance.

Et, en tant que de besoin,

- annuler la décision de rejet émise par l'administration douanière le 28 janvier 2020,

- annuler l'avis de mise en recouvrement en date du 29 juillet 2019, n° 962/19/1005,

- prononcer le dégrèvement des impositions mises en recouvrement par la Recette des Douanes du [Localité 8],

- condamner le Trésor Public à verser à la société Blue Sky Cruises la somme de

35 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner la Direction Nationale des Garde-Côtes des Douanes et Madame ou Monsieur le Receveur interrégional de la recette interrégionale des Douanes aux entiers dépens de première instance et d'appel.

La société Blue Sky Cruises soutient que :

*le modèle d'activité de la société Blue Sky Cruises repose sur une exploitation commerciale du navire Albatros en vue d'en tirer le maximum de recettes au bénéfice de ses associés. Cette activité entre dans le champ d'application de la TVA ; ses recettes présentent un caractère de permanence.

*la société Blue Sky Cruises remplit l'ensemble des conditions lui permettant de se prévaloir du régime fiscal applicable aux exploitants de navires de commerce, telles qu'elles résultent notamment de l'instruction douanière du 25 juin 2013 qui définit les conditions d'application de l'article 262-II-2° du code général des impôts, complétée par une nouvelle instruction du 12 mai 2015 ; cette instruction subordonne l'exonération de TVA aux bénéfice des navire affectés à la navigation en haute mer à condition qu'ils soient affectés aux besoins d'une activité commerciale. Le navire Albatros est affecté à une activité commerciale telle que définie par les critères dégagés par la CJUE ;

*la durée de location du navire aux associés de la société Blue Sky Cruises à des conditions avantageuses ne fait pas obstacle à ce que le navire Albatros soit affecté à une activité commerciale, dès lors que le chiffre d'affaires pour la location du navire à des tiers est de 60 % du chiffre d'affaires total alors que celui pour la location à des « proches » n'est que de 40% ;

*en ce qui concerne la taxe « octroi de mer », dès lors que le navire répond à la définition des navires employés à des fins commerciales, il peut être placé sous le régime suspensif de l'admission temporaire sans formalité.

*en ce qui concerne la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE), les critères d'exonération sont les mêmes que ceux qui permettent de bénéficier de l'éxonération de TVA

Vu les conclusions du 10 octobre 2023, auxquelles il est renvoyé pour exposé des prétentions et moyens de L'Etat représenté par la Direction Nationale Garde-côtes des Douanes et du Receveur Interrégional de la recette interrégionale des douanes du [Localité 8] qui demandent à la cour de :

- statuer ce que de droit sur la recevabilité de l'appel formé par la société Blue Sky Cruises SAS,

- recevoir la Direction Nationale Garde-côtes des Douanes, pris en la personne de ses représentants légaux, et Monsieur le Receveur Interrégional de la recette interrégionale des douanes du [Localité 8] en leurs conclusions d'intimés et les juger bien fondés en leurs demandes,

- confirmer l'ensemble des dispositions du jugement rendu le 11 mai 2023 par le tribunal judiciaire du Havre dont appel en ce que le tribunal a :

- débouté la Société Blue Sky Cruises SAS de toutes ses demandes,

- déclaré l'avis de mise en recouvrement n°962/19/1005 du 29 juillet 2019 et la décision de rejet de l'Administration des douanes du 28 janvier 2020 bien fondés,

- condamné la SAS Blue Sky Cruises à payer à la DNGCD la somme de 3 000,00 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la Société Blue Sky Cruises aux dépens de l'instance,

En tout état de cause,

- débouter la société Blue Sky Cruises SAS de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,

- juger bien-fondés la décision de rejet du directeur national garde-côtes des douanes du 28 janvier 2020, l'avis de mise en recouvrement n°962/19/1005 du 29 juillet 2019, ainsi que les droits, taxes et intérêts de retard mis à la charge de la société Blue Sky Cruises à hauteur de 757 587 euros,

- ordonner à la société Blue Sky Cruises le paiement à la recette inter-régionale des douanes du [Localité 8], des droits et taxes notifiés à hauteur de 757.587 euros,

- condamner la société Blue Sky Cruises SAS au paiement de la somme de 4 000 euros à la Direction Nationale Garde-côtes des Douanes sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société Blue Sky Cruises SAS aux entiers dépens d'appel.

L'Etat soutient que :

*la notion de navire de commerce maritime affecté à la navigation en haute mer a été précisée, pour la période applicable aux faits litigieux par le bulletin officiel des impôts (BOI) BOI-TVA-CHAMP-30-30-30-1020150512 du 12 mars 2015 ; sur les cinq conditions cumulatives prévues par le BOI les parties s'opposent sur celui de l'activité commerciale ;

*la société Blue Sky Cruises définit une activité commerciale en se référant au régime fiscal des bénéfices industriels et commerciaux qui ne correspond pas à l'esprit des dispositions applicables à la navigation commerciale ;

*la ventilation entre la part de chiffre d'affaires rapportée par la location aux clients et celle rapportée par la location aux associés n'est pas pertinente. Le chiffre d'affaires comme les recettes dépendent du volume d'activité et des prix facturés. En l'espèce le volume est important à bas prix pour les associés et faible à prix élevé pour les clients ;

*le critère de commercialité pour un navire de commerce s'entend par contraste avec une activité privée, au vu des caractéristiques du navire, et des possibilités qu'il offre ; la CJUE a répondu à une question préjudicielle sur l'exonération de TVA que l'exonération de TVA prévue par l'article 15, point 5, de la sixième directive ne s'applique pas aux prestations de service consistant à mettre un bateau, contre rémunération, avec équipage, à la disposition de personnes physiques à des fins de voyages d'agrément en haute mer ;

*le droit européen, par les arrêts de la CJUE « Système Hemoltz » et « Haltergemeinschaft » de 2011, puis l'arrêt « Vakary Baltijos Laivy Stakyla » en 2017 et « Commission contre République italienne » en 2021 a été fixé comme défavorable à l'exonération de TICPE pour les activités de plaisance, même dans le cas d'affrètements auprès d'une société commerciale.

MOTIFS DE LA DECISION 

L'infraction d'abus au régime de l'admission temporaire valant importation sans déclaration présente des incidences fiscales. Elle fait l'objet de l'AMR contesté qui emporte la liquidation des droits et taxes suivants, pour un montant total de 757 587 € :

TVA sur le navire : 247.350 €

Octroi de mer sur le navire : 203.700 €

Octroi de mer régional sur le navire : 72.750 €

TVA sur les avitaillements en carburant métropolitains : 42.469 €

TICPE sur les avitaillements en carburant métropolitains : 124.815 €

Rémunération du CPSSP : 1.683 €

Octroi de mer sur les avitaillements martiniquais : 221 €

Taxe spéciale de consommation sur les avitaillements martiniquais : 5.891 €

Les parties s'opposent sur l'affectation du navire aux besoins d'une activité commerciale, condition nécessaire aux exonérations de TVA sur le navire et sur les avitaillements, de l'octroi de mer, de la TICPE et de la TSC.

Sur la législation applicable :

Sur la législation applicable à la TVA :

Le droit de l'Union européenne a mis en place un régime commun de TVA par la directive n°2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006. Les dispositions de cette directive ont été transposées en droit interne dans le code général des impôts. La TVA à l'importation est prévue à l'article 291 du code général des impôts qui prévoit que son exonérés « Dans les conditions fixées par arrêté du ministre du budget, les navires, aéronefs, objets incorporés, engins et filets pour la pêche maritime prévus aux 2° à 5° du II de l'article 262 »

Aux termes de l'article 262 du code général des impôts : « I. ' Sont également exonérées de la taxe sur la valeur ajoutée :

(')

2° Les opérations de livraison, de réparation, de transformation, d'entretien, d'affrètement et de location portant sur :

- les navires de commerce maritime affectés à la navigation en haute mer ;

(')

6° Les livraisons de biens destinés à l'avitaillement des bateaux et des aéronefs désignés aux 2° et 4°, ainsi que des bateaux de guerre, tels qu'ils sont définis à la sous-position 89-01 du tarif douanier commun, à l'exclusion des provisions de bord destinées aux bateaux affectés à la petite pêche côtière (') »

Au moment des faits litigieux, la notion de navire de commerce affecté à la navigation en haute mer était précisée par l'instruction publiée au bulletin officiel des impôts (BOI) BOI-TVA-CHAMP-30-30-30-1020150512 du 12 mars 2015 qui posait cinq conditions cumulatives :

Que le navire ait une longueur hors tout supérieure ou égale à 15 mètres ;

Qu'il soit inscrit comme navire de commerce sur un registre commercial ;

Qu'il soit doté d'un équipage permanent ;

Qu'il soit affecté aux besoins d'une activité commerciale ;

Qu'il effectue au moins 70% de sa navigation en dehors des eaux territoriales françaises.

Sur la législation applicable à l'octroi de mer et l'octroi de mer régional :

L'octroi de mer et l'octroi de mer régional sont régis par la loi n°2004-639 du 02 juillet 2004, modifiée par la loi n° 2015-762 du 29 juin 2015, applicable au 1er juillet 2015.

L'article 1er de cette loi prévoit que l'octroi de mer est applicable aux importations de biens en Martinique.

L'article 3 considère comme importation d'un bien son entrée sur le territoire d'une collectivité mentionnée à l'article 1er et prévoit une exception lorsque le bien est placé sous le régime suspensif mentionné au a du 2° et au 7° du I de l'arti cle 277 A du code général des impôts ;

Aux termes de l'article 277 A du code général des impôts :

« I. - Sont effectuées en suspension du paiement de la taxe sur la valeur ajoutée les opérations

ci- après : (')

7° a) Les livraisons de biens placés sous le régime de l'admission temporaire en exonération totale des droits à l'importation, du transit externe ou du transit communautaire interne, avec maintien du même régime ; (') »

Le régime de l'admission temporaire est défini à l'article 250 du code des douanes de l'Union dont il résulte que le régime de l'admission temporaire permet l'utilisation spécifique dans le territoire douanier de l'Union de marchandises non-Union destinées à la réexportation, en exonération totale ou parti elle des droits à l'importation et sans qu'elles soient soumises :

a) aux autres impositions, conformément aux autres dispositions pertinentes ;

b) aux mesures de politique commerciale (')

2. Le régime de l'admission temporaire ne peut être utilisé que si les conditions suivantes sont satisfaites :(') c) le titulaire du régime est établi en dehors du territoire douanier de l'Union, à moins qu'il n'en soit disposé autrement.

Lorsque le titulaire du régime est, comme la société Blue Sky Cruises, établi sur le territoire douanier de l'Union européenne et qu'elle possède un navire de plaisance, le bulletin officiel des douanes (BOD) n° 6663 du 30 janvier 2006 relatif à l'admission temporaire des moyens de transport, toujours en vigueur, précise que les « navires de plaisance importés par des sociétés de location dans le cadre de leur activité de location. (Les « navires de plaisance commerciale » font l'objet du BOD F1 n° 6603 du 24 juin 2004.) » Ce BOD prévoit que « le navire doit être exclusivement utilisé dans le cadre de contrat de location (ou d'affrètement) et ne doit pas être utilisé à titre privé. » (termes mis en police grasse par la cour).

Sur la législation applicable au TICPE :

La TICPE est prévue par la directive 2003/96/CE du Conseil du 27 octobre 2003. Elle concerne uniquement la France métropolitaine et non les départements d'outre-mer. Elle s'applique aux produits énergétiques relevant notamment des codes NC 2704 à 2715 (article 2 de la directive), le gazole relevant de la position 2710.

Cette directive a été transposée en droit interne.

Aux termes de l'article 265 bis du code des douanes dans sa version en vigueur du 1er janvier 2014 au 30 décembre 2016 : « Les produits énergétiques mentionnés à l'article 265 sont admis en exonération des taxes intérieures de consommation lorsqu'ils sont destinés à être utilisés :

(')

b) Comme carburant ou combustible à bord des aéronefs utilisés par leur propriétaire ou la personne qui en a la disposition à la suite d'une location, d'un affrètement ou à tout autre titre à des fins commerciales, notamment pour les besoins d'opérations de transport de personnes, de transport de marchandises ainsi que pour la réalisation de prestations de services à titre onéreux (') »

La TICPE n'étant pas applicable dans les DOM, elle y est remplacée par la TSC instituée par l'article 266 quater du code des douanes. Les conseils régionaux décident des taux de la taxe et des éventuelles exonérations. Le régime de la TSC est inspiré de celui applicable en métropole pour la TICPE.

La société Blue Sky Cruises ne présente sur la liquidation de la rémunération du comité professionnel des stocks stratégiques pétroliers (CPSSP) aucun moyen distinct de celui tiré de l'affectation du navire à une activité commerciale.

Sur l'existence d'une activité commerciale exercée par la société Blue Sky Cruises :

Le navire L'Albatros est dévolu à l'activité de plaisance. Il ressort du procès-verbal du 25 juin 2019 que :

Il a été acquis hors taxes au mois de janvier 2014 par la société Blue Sky Cruises. La société Blue Sky Cruises est composée de 7 associés :

La société [E]-Invest représentée par son gérant M. [N] [E] ;

M. [N] [X] ;

La SAS Financière-Pipière représentée par son Président directeur général, M. [L] [S] ;

La SA SOCOPI représentée par son Président directeur général, M. [F] [P] ;

M. [V] [W] ;

M. [D] [U] ;

La SARL « Have a Dream » représentée par son gérant M. [D] [I].

Elle a pour objet l'acquisition, la location, la vente, la gestion de tous types de navire et particulièrement de yatchs de grande plaisance.

La société Blue Sky Cruises a conclu le 28 février 2014 un contrat de commercialisation avec la société Fraser Yatch. Ainsi pour l'année 2014, sur une période totale de 80 jours d'activité le navire a été loué à des tiers par l'intermédiaire de la société Fraser Yatch du 19 juillet au 4 août (17 jours).

Pour la même année, il a été mis sept fois à la disposition des associés propriétaires sur la période du 28 mai au 12 juillet et celle du 5 au 28 septembre (63 jours soit 78% du temps d'exploitation du navire)

Pour l'année 2015, sur une période de 173 jours d'activité, il a été loué à des tiers par l'intermédiaire de la société Fraser Yatch :

-du 20 au 25 mai

-du 30 juin au 8 juillet

-du 19 au 28 juillet

-du 31 juillet au 16 août

-du 19 au 26 août

-du 30 août au 6 septembre

-du 20 au 27 décembre

-du 28 au 30 décembre

Total : 50 jours.

Pour la même année, il a été mis quatorze fois à la disposition des associés propriétaires sur les périodes du 7 janvier au 5 avril ; 30 mai au 27 juin ; 10 au 14 juillet ; 11 au 29 septembre (123 jours, environ 71% du temps d'exploitation).

La société Blue Sky Cruises, pour rapporter la preuve de l'affectation commerciale du navire entend opposer au critère des périodes de location, celui du chiffre d'affaires dégagé. Elle explique que sur le chiffre d'affaires total de l'exercice 2015, la location à des tiers à rapporté 60% du chiffre d'affaires tandis que la mis à disposition à des associés en a rapporté 40%.

Dans un arrêt Bacino Charter Compagny du 22 décembre 2010, la CJUE a répondu à la question préjudicielle qui lui demandait si l'article 15, point 5, de la sixième directive doit être interprété en ce sens que l'exonération de TVA prévue par cette disposition s'applique aux prestations de services consistant à mettre un bateau, contre rémunération, avec équipage, à la disposition de personnes physiques à des fins de voyages d'agrément en haute mer. La question était relative à la TVA sur des recettes du navire qui n'est pas celle du présent litige. Néanmoins, la réponse de la CJUE est de nature à renseigner sur l'application de l'exonération à la navigation de plaisance. La CJUE a répondu que :

« 12   (') il convient de rappeler la jurisprudence constante de la Cour selon laquelle il y a lieu, pour l'interprétation d'une disposition de droit de l'Union, de tenir compte non seulement des termes de celle-ci, mais également de son contexte et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie (')

13      Force est de relever, à cet égard, que le libellé même de l'article 15, point 5, de la sixième directive, lequel opère un renvoi à cet article 15, point 4, sous a), vise les locations de bateaux affectés à la navigation en haute mer et assurant un trafic rémunéré de voyageurs ou l'exercice d'une activité commerciale, industrielle ou de pêche. Afin qu'une telle prestation de location puisse être exonérée au titre de cette disposition, il faut que le locataire du bateau concerné utilise celui-ci pour exercer une activité économique.

14      Il s'ensuit que, si, comme dans l'affaire au principal, le bateau est loué à des personnes qui l'utilisent exclusivement à des fins d'agrément et non dans un but lucratif, en dehors de toute activité économique, la prestation de location ne réunit pas les conditions explicites d'exonération de la TVA posées à l'article 15, point 5, de la sixième directive.

(')

17      Dans ces conditions, l'exonération prévue à l'article 15, paragraphe 5, de la sixième directive ne saurait bénéficier à des services de location d'un bateau destinés à des preneurs qui entendent utiliser celui-ci à des fins strictement privées, en tant que consommateurs finals.

(')

21      Eu égard à l'ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la question posée que l'article 15, point 5, de la sixième directive doit être interprété en ce sens que l'exonération de TVA prévue par cette disposition ne s'applique pas aux prestations de services consistant à mettre un bateau, contre rémunération, avec équipage, à la disposition de personnes physiques à des fins de voyages d'agrément en haute mer. »

En matière de TIPCE, la CJUE dans un arrêt du 16 septembre 2021 C341/ Commission contre République Italienne a été amenée à se prononcer sur le bénéfice de l'exonération des droits d'accise aux carburants utilisés par des bateaux de plaisance privés exclusivement lorsque ces bateaux font l'objet d'un contrat d'affrètement, indépendamment de la façon dont ils sont réellement utilisés. Elle a répondu que :

« 35 Il s'ensuit que, dans le cadre d'une location ou d'un affrètement d'un bateau, où il existe à la fois un loueur ou un fréteur du bateau et un locataire ou un affréteur qui effectue des navigations avec celui-ci, l'octroi ou le refus de l'exonération prévue à l'article 14, paragraphe 1, sous c), de la directive 2003/96 dépendent de la manière dont ce bateau est utilisé par ce dernier (locataire ou affréteur), à savoir si ce bateau est utilisé à des fins commerciales ou à des fins autres que commerciales. Dès lors, il ne saurait être considéré que l'affrètement d'un bateau avec le carburant, ou sa mise en location, en tant qu'activités commerciales du fréteur ou du loueur, donnent lieu à l'exonération fiscale prévue à cette disposition indépendamment de la façon dont ce bateau est utilisé par le locataire ou l'affréteur (voir, par analogie, arrêt du 21 décembre 2011, Haltergemeinschaft, C-250/10, non publié, EU:C:2011:862, point 22).

36      Ainsi, c'est l'utilisateur final, locataire ou affréteur, et l'utilisation ultime par lui du bateau qui sont pertinents aux fins de l'octroi du bénéfice de l'exonération des droits d'accise, et c'est cette utilisation qui doit servir « directement à la prestation de services à titre onéreux » aux fins de cette exonération, au sens de la jurisprudence rappelée au point 34 du présent arrêt.

(')

45      Eu égard à l'ensemble des considérations qui précèdent, il convient de constater que, en octroyant le bénéfice de l'exonération des droits d'accise aux carburants utilisés par des bateaux de plaisance privés exclusivement lorsque ces bateaux font l'objet d'un contrat d'affrètement, indépendamment de la façon dont ils sont réellement utilisés, la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 14, paragraphe 1, sous c), de la directive 2003/96. »

Il ressort de ces arrêts que pour déterminer si un navire est utilisé à des fins commerciales, la CJUE retient le critère de l'utilisateur final du navire (le locataire), et que l'affrètement ou la location d'un bateau à des fins de plaisance n'ouvre pas droit aux exonérations.

En l'espèce, la société Blue Sky Cruises affecte L'Albatros à une utilisation de plaisance exclusivement, que ce soit à des tiers par l'intermédiaire de la société Fraser Yatch ou par contrat à ses associés. Contrairement à ce qu'elle soutient, les locations aux associés ne sont pas limitées aux périodes peu attractives. Ainsi, les associés ont bénéficié de location aux mois de mai et juin 2014, au prix de 17 500 € pour une semaine alors que le navire à été loué à un tiers du 19 juillet au 4 août au prix de 250 000 €. Pareillement, le navire à été loué en 2015 à des associés aux mois de juin et juillet 2015 au prix de 21 000 € pour une semaine et 28 000 € du 10 au 14 juillet, alors qu'il a été loué à un tiers du 31 juillet au 16 août au prix de 224 230 €.

La société Blue Sky Cruises ne produit pas aux débats ses bilans et se borne à affirmer qu'elle réalise un bénéfice d'exploitation. Ainsi que la justement observé l'administration douanière dans sa réponse du 28 janvier 2020 à la réclamation contentieuse de la société Blue Sky Cruises, le rôle du courtier (Fraser Yatch) est à relativiser, d'autant plus qu'il est rémunéré par une commission qui n'est que de 5%, ce qui ne témoigne pas d'un effort particulier de la société Blue Sky Cruises pour développer son activité, nonobstant les démarches de publicité dont elle justifie. De plus, les écarts de prix entre la location par un tiers ou pour un associé sont de 86% en 2014 et de 62% à 82% en 2015. Les tarifs accordés aux associés pour 60% au moins de la totalité de l'activité du navire ne peuvent couvrir l'investissement et ses frais de fonctionnement du navire. En conséquence plus de 60% de l'activité de la société Blue Sky ne présente pas de rentabilité.

Ainsi, même si la société Blue Sky Cruises dégage un chiffre d'affaires en augmentation sur les exercices 2014 et 2015 dont 60% est rapporté par la location à des tiers, elle exerce une activité exclusive de plaisance pour lequel l'utilisateur final n'exerce pas d'activité commerciale. Par ailleurs plus de 60% de son activité est consacrée à des fins privées. Il en résulte que le navire L'Albatros n'est pas affecté à une activité commerciale au sens des dispositions précitées.

Le jugement entrepris sera confirmé en toutes ses dispositions.

L'avis de mise en recouvrement étant un titre exécutoire, il n'y a pas lieu d'ordonner le paiement de la somme qu'il contient.

PAR CES MOTIFS 

La cour, statuant par arrêt contradictoire ;

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant ;

Déboute l'Etat (recette inter régionale des douanes du [Localité 8]) de sa demande tendant à ce que le paiement soit ordonné ;

Condamne la société Blue Sky Cruises aux dépens en cause d'appel ;

Condamne la société Blue Sky Cruises à payer à l'Etat représenté par la Direction Nationale Garde-côte des Douanes et le Receveur interrégional de la recette interrégionale des douanes du [Localité 8] la somme de 2 000 € au titre de ses frais irrépétibles en cause d'appel.

La greffière, La présidente,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rouen
Formation : Ch. civile et commerciale
Numéro d'arrêt : 23/01842
Date de la décision : 20/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 29/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-20;23.01842 ?
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