N° RG 22/00834 - 22/00838 - 22/00859 - N° Portalis DBV2-V-B7G-JAYA
COUR D'APPEL DE ROUEN
CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE
SECURITE SOCIALE
ARRET DU 14 JUIN 2024
DÉCISIONS DÉFÉRÉES :
18/00426
- jugement du POLE SOCIAL DU TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DU HAVRE du 16 septembre 2019
- Ordonnance du JUGE DE LA MISE EN ETAT DU POLE SOCIAL DU TRIBUNAL JUDICIAIRE DU HAVRE du 05 Octobre 2020
- jugement du POLE SOCIAL DU TRIBUNAL JUDICIAIRE DU HAVRE du 07 février 2022
APPELANT :
Monsieur [J] [H]
[Adresse 2]
[Localité 4]
représenté par Me Mathieu CROIX de la SCP STREAM, avocat au barreau du HAVRE substitué par Me Sylvaine CHEVAL, avocat au barreau du HAVRE
INTIME :
Etablissement ENIM
[Adresse 3]
[Localité 1]
représentée par Me Patrick DE LA GRANGE de la SELARL DE LA GRANGE ET FITOUSSI AVOCATS, avocat au barreau de MARSEILLE substitué par Me Yasmine BEN CHAABANE, avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 03 Avril 2024 sans opposition des parties devant Madame ROGER-MINNE, Conseillère, magistrat chargé d'instruire l'affaire.
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Madame BIDEAULT, Présidente
Madame ROGER-MINNE, Conseillère
Madame POUGET, Conseillère
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Mme DUBUC, Greffière
DEBATS :
A l'audience publique du 03 avril 2024, où l'affaire a été mise en délibéré au 14 juin 2024
ARRET :
CONTRADICTOIRE
Prononcé le 14 Juin 2024, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,
signé par Madame BIDEAULT, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.
* * *
EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
M. [J] [H] a été engagé au sein de la société [5] (la société) à compter du 1er septembre 1990 en qualité de capitaine. Il a bénéficié d'une retraite versée par l'Etablissement national des invalides de la marine (l'Enim) à compter de 2012, tout en poursuivant son activité.
Le 22 juin 2018, il a été victime d'un malaise et a perdu connaissance. Le même jour, une déclaration d'accident du travail était rédigée par la société.
Le 1er août 2018, l'Enim a notifié à M. [H] sa décision de refus du cumul de sa pension de retraite avec les indemnités journalières.
Le 27 août 2018, l'Enim lui a notifié une deuxième décision dans laquelle il est précisé que l'affection dont il est atteint est reconnue comme maladie en cours de navigation, rejetant la qualification d'accident du travail.
Le 28 août 2018, l'Enim a notifié une nouvelle décision de refus du cumul de la pension de retraite avec des indemnités journalières pour l'arrêt de travail du 22 juin au 15 septembre 2018. Ce nouvel avis a annulé et remplacé la notification du 1er août 2018.
Le 5 septembre 2018, M. [H] a contesté ces décisions devant la mission de conciliation et de pré-contentieux et a poursuivi sa contestation devant le tribunal des affaires de sécurité sociale du Havre.
Le dossier a été transféré au pôle social du tribunal de grande instance du Havre, lequel a, par jugement avant-dire droit du 16 septembre 2019 :
- instauré une mesure d'expertise confiée au docteur [I] [V],
- dit que l'Enim prendrait à sa charge l'avance du montant des frais d'expertise,
- sursis à statuer sur les demandes.
Le 12 novembre 2019, le docteur [V] a rendu son rapport d'expertise médicale et a conclu que l'activité professionnelle de M. [H] était étrangère au fait en cause.
M. [H] a saisi le tribunal judiciaire du Havre afin d'obtenir la nullité des opérations d'expertise et subsidiairement une nouvelle expertise médicale.
Par une ordonnance du 5 octobre 2020, le pôle social du tribunal judiciaire du Havre l'a :
- débouté de ses demandes,
- condamné à payer à l'Enim la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné aux dépens de l'incident.
Par jugement du 7 février 2022, le pôle social du tribunal judiciaire du Havre a :
- rejeté le recours formé par M. [H] à l'encontre de la décision de l'Enim de lui refuser le cumul de sa pension de retraite avec des indemnités journalières,
- débouté, en conséquence, M. [H] de ses demandes et l'a condamné à payer à l'Enim la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné M. [H] aux dépens.
Ce dernier a relevé appel des trois décisions les 7 et 8 mars 2022.
EXPOSÉ DES PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Par trois jeux de conclusions remis le 29 mars 2024, soutenus oralement à l'audience, M. [H] demande à la cour de :
- ordonner la jonction des instances,
- dire que l'expertise ordonnée par le tribunal judiciaire est une expertise médicale au sens de l'article L. 141-1 ancien du code de la sécurité sociale et de l'article R. 142-17-1 du même code,
- infirmer le jugement rendu le 16 septembre 2019,
- infirmer l'ordonnance rendue le 5 octobre 2020,
- infirmer le jugement du 7 février 2022,
- annuler les opérations d'expertise,
- constater que l'accident dont il a été victime est un accident du travail,
- condamner l'Enim à prendre en charge son accident,
- le condamner à lui faire bénéficier du cumul de sa pension de retraite avec les indemnités journalières du 22 juin au 15 septembre 2018, de même que pour ses arrêts de travail postérieurs qui seraient liés à son accident du travail,
- à titre subsidiaire, ordonner une expertise médicale sur le fondement des articles L. 141-1 et R. 142-17-1 du code de la sécurité sociale,
- en tout état de cause, condamner l'Enim à lui payer la somme de 3 500 euros (pour chaque procédure), sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'au paiement des entiers dépens.
Par conclusions remises le 25 mars 2024, soutenues oralement à l'audience, l'Enim demande à la cour de :
- ordonner la jonction des procédures,
- confirmer la qualification d'expertise de droit commun,
- confirmer le jugement avant dire droit du 16 septembre 2019,
- rejeter la demande de contre-expertise,
- confirmer la décision du tribunal judiciaire du 7 février 2022,
- condamner M. [H] au paiement d'une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Il est renvoyé aux conclusions des parties pour l'exposé détaillé de leurs moyens.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Il convient d'ordonner la jonction des procédures enrôlées sous les numéros de RG 22/00834, 22/00838 et 22/00859 sous le seul numéro 22/00834 dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice.
1. Sur la nature de l'expertise ordonnée par le tribunal le 16 septembre 2019 et la demande d'annulation des opérations d'expertise
M. [H] fait valoir que l'article R. 142-17-1 du code de la sécurité sociale, prévoyant la mise en 'uvre d'une procédure d'expertise médicale, lorsque le litige fait apparaître en cours d'instance une difficulté d'ordre médical relative notamment à l'état de l'assuré ou de la victime d'un accident du travail, s'applique pleinement au contentieux portant sur la reconnaissance d'un accident du travail. Il en déduit que l'expertise ordonnée par le tribunal ne pouvait être qu'une expertise médicale, contrairement à ce qu'a jugé la juridiction dans sa décision du 7 février 2022.
M. [H] fait valoir en outre que l'expert a omis de convoquer son médecin traitant et le médecin-conseil de l'Enim et n'a établi aucune note de synthèse ou pré-rapport à la suite de la réunion d'expertise, en violation de l'article R. 141-4 du code de la sécurité sociale, dans sa version applicable, ce qui constitue un manquement flagrant au principe du contradictoire ; que par ailleurs elle a rendu son rapport sur la base d'un unique document médical peu détaillé dont elle a extrapolé le sens et n'a pas répondu à son dire.
L'appelant considère qu'en application de l'article 155 du code de procédure civile, il appartenait au juge de la mise en état de se prononcer sur la demande d'annulation de l'expertise ordonnée. S'agissant de son appel dirigé contre le jugement du 16 septembre 2019, si la cour estime qu'il a ordonné une expertise de droit commun, M. [H] considère que le jugement doit être infirmé et que la cour doit ordonner une expertise médicale sur le fondement des articles L. 141-1 et R. 142-17-1. S'agissant de son appel dirigé contre le jugement du 7 février 2022, il soutient que le malaise dont il a été victime le 22 juin 2018 doit être retenu au bénéfice de la législation sur les risques professionnels avec toutes conséquences de droit, rappelant qu'il est présumé avoir été victime d'un accident du travail et soutenant que l'expert ne démontre pas que la cause de celui-ci serait totalement étrangère à son activité professionnelle.
L'Enim soutient qu'en première instance ni le demandeur ni elle-même n'ont visé les dispositions des articles L. 141-1 et R. 141-1 et suivants du code de la sécurité sociale et qu'il en est de même dans le jugement du 16 septembre 2019. Elle considère que le tribunal a ordonné une expertise de droit commun et que le litige ne présentait pas une question d'ordre médical mais une question d'ordre administratif, de sorte que M. [H] n'est pas fondé à se prévaloir des dispositions précitées.
Elle soutient par ailleurs que l'expert était lié par les termes de la mission ordonnée par le tribunal, qu'aucune convocation des parties ne lui était imposée, ni encore moins celle du médecin traitant de l'assuré qui pouvait se faire assister par la personne de son choix, y compris par son médecin traitant s'il le souhaitait ; que le dire de M. [H] est intervenu deux jours après le dépôt du rapport définitif de l'expert ; que ce dernier a répondu à la question posée par le tribunal, de sorte qu'il n'y a pas lieu d'ordonner une nouvelle expertise.
L'Enim fait valoir par ailleurs que sa décision excluant l'existence d'un accident professionnel est bien fondée ainsi que celle rejetant le cumul de la pension de retraite avec les indemnités journalières puisque, indépendamment du stress subi par l'assuré, il n'est pas démontré de lien entre son activité professionnelle et l'accident et que le montant de la pension de retraite est plus élevé que celui de l'indemnité journalière.
Sur ce :
En premier lieu, compte tenu des dispositions de l'article 789 du code de procédure civile, c'est à juste titre que le juge de la mise en état du tribunal judiciaire du Havre a estimé que ne relevait de sa compétence ni une demande d'annulation d'un rapport d'expertise ni une demande d'instauration d'une contre-expertise et qu'il ne lui appartenait pas davantage de statuer sur la demande consistant à dire que l'expertise instaurée en 2019 était celle de l'article L. 141-1 du code de la sécurité sociale.
L'ordonnance de mise en état du 5 octobre 2020 est par suite confirmée.
En deuxième lieu, devant le tribunal de grande instance du Havre les parties n'ont pas sollicité de mesure d'instruction mais la juridiction s'estimant insuffisamment éclairée sur les éléments de la cause a ordonné une mesure d'expertise, aux frais avancés de la caisse, afin que le médecin désigné dise si le malaise subi le 22 juin 2018 par M. [H] avait été causé par une pathologie préexistante évoluant pour son propre compte, s'il pouvait être en lien avec les man'uvres de bord réalisées par l'assuré et si l'activité professionnelle de celui-ci était étrangère aux faits en cause. Le tribunal ne cite pas les dispositions sur la base desquelles il ordonne l'expertise mais il apparaît que celle-ci était nécessairement une expertise de droit commun. En effet, la juridiction a désigné l'expert alors qu'en application de l'ancien article R. 142-24 du code de la sécurité sociale, applicable à la date du litige, lorsqu'une difficulté d'ordre médical relative à l'état du malade ou de la victime d'un accident du travail apparaissait en cours d'instance, le tribunal fixait la mission confiée à l'expert mais ne désignait pas celui-ci. En outre, si le tribunal avait ordonné une expertise médicale technique, il aurait tranché une question touchant au fond rendant l'appel recevable immédiatement. Or, M. [H] a relevé appel après que la décision sur le fond a été rendue.
Il en résulte que M. [H] ne peut reprocher au docteur [V] de ne pas avoir respecté les dispositions applicables à l'expertise médicale technique.
Il en résulte également qu'en présence d'une difficulté d'ordre médical, le tribunal ne pouvait ordonner une expertise de droit commun. Le jugement du 16 septembre 2019 est en conséquence infirmé et il y a lieu d'ordonner une expertise médicale technique prévue à l'article L.141-1 du code de la sécurité sociale et selon les modalités de l'article R. 142-24, devenu R. 142-17-1 du même code, dans leur version applicable au litige, la cour ne pouvant statuer immédiatement sur la demande de prise en charge de l'accident déclaré et de cumul de la pension de retraite avec les indemnités journalières.
2. Sur les autres demandes
Elles sont réservées dans l'attente des conclusions de l'expertise.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Statuant publiquement par mise à disposition au greffe, contradictoirement et en dernier ressort :
Ordonne la jonction des procédures enrôlées sous les numéros de RG 22/00834, 22/00838 et 22/00859 sous le seul numéro 22/00834 ;
Confirme l'ordonnance de mise en état du pôle social du tribunal judiciaire du Havre du 5 octobre 2020 ;
Infirme le jugement du pôle social du tribunal judiciaire du Havre du 16 septembre 2019 ;
Statuant à nouveau et y ajoutant :
Ordonne une expertise médicale technique, l'expert ayant pour mission de donner son avis sur la cause du malaise subi le 22 juin 2018 par M. [H] et de dire s'il a été causé exclusivement par une pathologie préexistante évoluant pour son propre compte ;
Rappelle que le médecin expert adresse son rapport au secrétariat de la juridiction dans le délai d'un mois à compter de la date de réception de la demande d'expertise qui lui a été adressée par la caisse ;
Rappelle que le greffe transmet, au plus tard dans les quarante-huit heures suivant sa réception, copie du rapport au service du contrôle médical de la caisse d'assurance maladie ainsi qu'à l'assuré ou à son médecin traitant ;
Réserve l'examen des demandes ;
Renvoie l'affaire à l'audience du 17 octobre 2024 à 9h30 et dit que la notification du présent arrêt vaudra convocation des parties à l'audience.
LE GREFFIER LA PRESIDENTE