N° RG 23/00280 - N° Portalis DBV2-V-B7H-JIWM
COUR D'APPEL DE ROUEN
CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE
SECURITE SOCIALE
ARRET DU 13 JUIN 2024
DÉCISION DÉFÉRÉE :
Jugement du CONSEIL DE PRUD'HOMMES DE ROUEN du 21 Décembre 2022
APPELANTE :
S.A.S. IDAP
[Adresse 1]
[Localité 5]
représentée par Me Michel BOUTICOURT de la SELASU SELASU BOUTICOURT AVOCAT, avocat au barreau de l'EURE
INTIMÉES :
Madame [J] [N], es qualité d'ayant droit de M. [P] [N]
[Adresse 3]
[Localité 4]
représentée par Me Marie-Agnès BOTTAIS, avocat au barreau de ROUEN
Madame [W] [N], es qualité d'ayant droit de M. [P] [N]
[Adresse 2]
[Localité 6]
représentée par Me Marie-Agnès BOTTAIS, avocat au barreau de ROUEN
Madame [C] [N], es qualité d'ayant droit de M. [P] [N]
[Adresse 3]
[Localité 4]
représentée par Me Marie-Agnès BOTTAIS, avocat au barreau de ROUEN
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 805 du Code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 14 Mai 2024 sans opposition des parties devant Madame BACHELET, Conseillère, magistrat chargé du rapport.
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente
Madame BACHELET, Conseillère
Madame ROYAL, Conseillère
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Mme DUBUC, Greffière
DEBATS :
A l'audience publique du 14 mai 2024, où l'affaire a été mise en délibéré au 13 juin 2024
ARRET :
CONTRADICTOIRE
Prononcé le 13 Juin 2024, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,
signé par Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente et par Mme DUBUC, Greffière.
EXPOSE DU LITIGE
M. [P] [N] a été engagé par la société SUMPAR en qualité de tourneur le 22 mai 1989, puis par la société IDAP le 20 juin 1994. Il est devenu fraiseur le 23 mars 2009.
Licencié pour motif économique au début de l'année 2021 dans le cadre d'un plan de sauvegarde de l'emploi, il a, par requête reçue le 18 octobre 2021, saisi le conseil de prud'hommes de Rouen en contestation du licenciement, ainsi qu'en paiement de rappel de salaires et indemnités.
Par jugement du 21 décembre 2022, le conseil de prud'hommes a :
- dit le licenciement de M. [N] dénué de cause réelle et sérieuse et condamné la société IDAP à lui payer la somme de 14 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- débouté M. [N] de ses demandes de dommages et intérêts pour manquement à l'application des critères d'ordre, manquement à l'obligation de formation et rappel d'indemnité de licenciement,
- débouté M. [N] de ses demandes de modification de l'attestation Pôle emploi et bulletin de salaire,
- condamné la société IDAP à payer à M. [N] la somme de 1 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.
La société IDAP a interjeté appel de cette décision le 23 janvier 2023.
M. [N] est décédé le 4 janvier 2024 et ses ayants droit, à savoir, Mmes [J] [N], [W] [N] et [C] [N] ont repris l'instance par conclusions remises le 25 mars 2024.
Par conclusions remises le 12 avril 2024, auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé des moyens, la société IDAP demande à la cour d'infirmer le jugement en ce qu'il l'a condamnée au paiement de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et au paiement de la somme de 1 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, le confirmer pour le surplus, et en conséquence, débouter les consorts [N] de l'ensemble de leurs demandes et les condamner au paiement de la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Par conclusions remises le 24 avril 2024, auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé des moyens, Mmes [J] [N], [W] [N] et [C] [N], ès qualités, demandent à la cour de reprendre l'instance en l'état où elle se trouvait au moment où elle a été interrompue, de confirmer le jugement en ce qu'il a dit le licenciement de M. [N] sans cause réelle et sérieuse, l'infirmer pour le surplus et statuant à nouveau, de :
- juger que la société IDAP n'a pas appliqué de façon égalitaire et loyale les critères d'ordre des licenciements et a manqué à son obligation de formation, et en conséquence, condamner la société IDAP au paiement des sommes suivantes :
- dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 42 720 euros, et à titre subsidiaire, pour manquement à l'obligation de formation, et à titre infiniment subsidiaire pour non-respect des critères d'ordre des licenciements,
- indemnité légale de licenciement : 2 118,22 euros bruts
- dommages et intérêts pour le caractère erroné de l'attestation Pôle emploi du 30 janvier 2021: 2 136 euros
- indemnité en application de l'article 700 du code de procédure civile : 3 000 euros
- les entiers dépens,
- enjoindre à la société IDAP de remettre son bulletin de salaire 2021, son certificat de travail et l'attestation Pôle emploi-contrat de sécurisation professionnelle dûment régularisés sous astreinte de 10 euros par jour de retard à l'expiration d'un délai de huit jours à compter de la notification de la décision à intervenir.
L'ordonnance de clôture de la procédure a été rendue le 25 avril 2024.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la question du bien-fondé du licenciement.
Les ayants droit de M. [N] soutiennent que la société IDAP n'a pas respecté son obligation de reclassement dès lors qu'elle s'est contentée d'afficher une liste d'emplois disponibles par la voie d'une note de service, laquelle n'avait pas date certaine, limitait le délai de réponse à 10 jours au lieu de 15 et enfin, ne comportait pas les mentions prévues par l'article D. 1233-2-1 du code du travail, à savoir, descriptif du poste, niveau de rémunération, classification, localisation du poste et nature du contrat de travail.
Outre que ces dispositions prévues par le code du travail ne relèvent pas d'un simple formalisme mais ont pour objet d'assurer une connaissance précise et complète à tous les salariés des postes proposés au reclassement, ils relèvent que M. [N] était au chômage partiel au moment où cette liste a été diffusée et qu'il n'a donc pu en avoir connaissance, pas plus qu'il n'a pu savoir que les salariés pouvaient continuer à se rapprocher du service des ressources humaines jusqu'au 27 novembre 2020.
Ils considèrent en outre, qu'à supposer que M. [N] n'ait pas eu les compétences nécessaires pour exercer les deux postes disponibles, ceci résulte du manquement de la société IDAP qui ne lui a proposé aucune formation lui permettant de maintenir son employabilité alors qu'il était engagé depuis plus de 30 ans, sans qu'elle puisse sérieusement invoquer la formation proposée dans le cadre du plan de sauvegarde de l'emploi dès lors qu'il n'a pu en bénéficier qu'à la suite de son licenciement.
En réponse, la société IDAP rappelle que seuls deux postes étaient disponibles, à savoir technicien qualité méthodes et technicien qualité produits, lesquels ont été diffusés par note de service du 10 novembre 2020 accompagnée des fiches de postes correspondantes avec précision du profil recherché. Outre qu'il suffisait aux salariés de se rapprocher de la direction des ressources humaines pour obtenir plus de renseignements, en tout état de cause, M. [N] ne disposait pas de la formation initiale lui permettant de postuler sur ces deux postes, ce qui rend inopérant son argumentaire puisqu'il n'existait dès lors aucune obligation de les lui proposer.
Elle relève en outre qu'elle lui a permis en mars 2020 de faire évoluer ses compétences en lui proposant un poste de tourneur qu'il a refusé, étant rappelé que le manquement à l'obligation de formation ne rend pas le licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Selon l'article L. 1233-4 du code du travail, le licenciement pour motif économique d'un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l'intéressé ne peut être opéré sur les emplois disponibles, situés sur le territoire national dans l'entreprise ou les autres entreprises du groupe dont l'entreprise fait partie et dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel.
Pour l'application du présent article, la notion de groupe désigne le groupe formé par une entreprise appelée entreprise dominante et les entreprises qu'elle contrôle dans les conditions définies à l'article L. 233-1, aux I et II de l'article L. 233-3 et à l'article L. 233-16 du code de commerce.
Le reclassement du salarié s'effectue sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu'il occupe ou sur un emploi équivalent assorti d'une rémunération équivalente. A défaut, et sous réserve de l'accord exprès du salarié, le reclassement s'effectue sur un emploi d'une catégorie inférieure.
L'employeur adresse de manière personnalisée les offres de reclassement à chaque salarié ou diffuse par tout moyen une liste des postes disponibles à l'ensemble des salariés, dans des conditions précisées par décret. Les offres de reclassement proposées au salarié sont écrites et précises.
Selon l'article D. 1233-2-1 du même code, pour l'application de l'article L. 1233-4, l'employeur adresse des offres de reclassement de manière personnalisée ou communique la liste des offres disponibles aux salariés, et le cas échéant l'actualisation de celle-ci, par tout moyen permettant de conférer date certaine. Ces offres écrites précisent l'intitulé du poste et son descriptif, le nom de l'employeur, la nature du contrat de travail, la localisation du poste, le niveau de rémunération et la classification du poste.
En cas de diffusion d'une liste des offres de reclassement interne, celle-ci comprend les postes disponibles situés sur le territoire national dans l'entreprise et les autres entreprises du groupe dont l'entreprise fait partie. La liste précise les critères de départage entre salariés en cas de candidatures multiples sur un même poste, ainsi que le délai dont dispose le salarié pour présenter sa candidature écrite. Ce délai ne peut être inférieur à quinze jours francs à compter de la publication de la liste, sauf lorsque l'entreprise fait l'objet d'un redressement ou d'une liquidation judiciaire. Dans les entreprises en redressement ou liquidation judiciaire, ce délai ne peut être inférieur à quatre jours francs à compter de la publication de la liste. L'absence de candidature écrite du salarié à l'issue du délai mentionné au deuxième alinéa vaut refus des offres.
En l'espèce, la société IDAP justifie avoir diffusé une liste d'offres de reclassement interne le 10 novembre 2020 comprenant deux postes, à savoir technicien qualité méthodes et technicien qualité produits, ce dont attestent deux salariés.
S'il est exact que cette diffusion ne répondait pas aux exigences posés par l'article D. 1233-2-1 du code du travail dès lors qu'elle ne précisait pas le niveau de rémunération ou la classification du poste, pour autant, M. [N] n'avait pas les compétences nécessaires pour occuper ces deux postes qui impliquaient pour l'un une formation initiale technique type BTS productique ou Bac STI 2D option génie mécanique, outre une expérience qualité ou un bac+4 avec une spécialisation en qualité et pour l'autre une formation initiale avec un bagage technique type BTS/DUT, compétences qu'il n'aurait pu acquérir par le biais des formations auxquelles est tenu l'employeur en vertu de l'article L. 6321-1 du code du travail pour nécessiter une formation initiale.
Au vu de ces éléments, et alors que M. [N], tourneur, puis fraiseur dans la société, n'avait pas les compétences pour occuper les postes de technicien qualité et qu'ils n'avaient donc pas à lui être proposés, il ne peut être retenu aucun manquement à l'obligation de reclassement et il convient en conséquence d'infirmer le jugement sur ce point et de débouter les ayants-droits de M. [N] de leur demande tendant à voir dire le licenciement sans cause réelle et sérieuse pour manquement à l'obligation de reclassement.
Par ailleurs, s'il est justifié d'un manquement à l'obligation de formation dès lors que la société IDAP ne justifie pas de la moindre formation accordée à M. [N] durant la relation contractuelle malgré la durée de celle-ci, pour autant, aucun élément du dossier ne permet de considérer que ce manquement aurait, en lui-même, était la cause de la rupture, étant néanmoins d'ores et déjà précisé que ce manquement sera évoqué à l'occasion des développements suivants relatifs au non-respect des critères d'ordre.
Sur le non-respect des critères d'ordre.
Sans remettre en cause les critères d'ordre retenus par la société IDAP, les ayants droit de M. [N] soutiennent qu'il n'a pas été accordé à ce dernier l'ensemble des points auxquels il pouvait prétendre puisqu'ayant occupé deux postes au sein de l'entreprise, il aurait dû bénéficier de quatre points au titre de la polyvalence, peu important qu'il ait quitté le poste de tourneur depuis de nombreuses années dès lors que le plan ne posait aucune autre condition que celle du nombre de postes occupés, étant au surplus relevé que la société IDAP est particulièrement mal venue à faire valoir qu'il n'en avait plus les compétences alors qu'elle lui a proposé ce poste lors de la pandémie en évoquant simplement la nécessité d'une remise à niveau.
Ils relèvent en outre qu'il ne lui a été attribué qu'un seul point au titre de la compétence, soit qualité inférieure aux qualités attendues dans son poste, et ce, sur la base d'une matrice dont les salariés n'ont aucunement été informés et alors qu'il n'a jamais bénéficié d'aucun entretien individuel, ni d'aucune formation.
En réponse, tout en relevant que la note attribuée au titre des qualités professionnelles de M. [L] était conforme à la matrice compétence appliquée au sein de l'entreprise, la société IDAP soutient que M. [N] ne pouvait bénéficier de quatre points au titre de la polyvalence dès lors qu'il n'avait plus les compétences pour occuper le métier de tourneur qui avait sensiblement évolué depuis qu'il l'avait quitté en 2005, ce dont il avait d'ailleurs conscience puisqu'il avait refusé d'effectuer certaines tâches en cette qualité en 2020.
Il ressort du plan de sauvegarde de l'emploi qu'il avait été retenu des critères liés à l'âge, au handicap, à l'ancienneté, aux charges de familles mais aussi deux critères basés sur la polyvalence et la compétence.
Ainsi, s'agissant de la polyvalence, il était indiqué 'poly-compétences qui se définissent comme le fait, pour un salarié, d'avoir occupé des postes distincts et aussi de détenir l'expérience et la qualification pour occuper un emploi différent de celui au sein duquel il est normalement affecté' et il était prévu '8 points pour une polyvalence forte avec plus de deux postes occupés, 4 points pour une qualité attendue dans son poste (deux postes) et 1 point pour une faible polyvalence (un poste)'.
S'agissant de la compétence, il était indiqué 'niveau de qualité du travail fourni par le salarié dans son poste actuel et ses attributions, apprécié au regard des exigences normalement attendues au référentiel de compétence' et il était prévu '8 points pour qualité supérieure aux qualités attendues dans son poste, 4 points pour qualité attendue dans son poste et 1 point pour qualité inférieure aux qualités attendues dans son poste'. Il était encore précisé que les qualités professionnelles étaient appréciées par le manager en application des grilles de compétences existantes et suivant les critères d'appréciation résultant des formations internes à l'entreprise, et/ou entretien individuel.
S'il résulte de ces précisions qu'il était nécessaire pour obtenir quatre points au titre de la polyvalence que le salarié ait occupé deux postes distincts et détienne l'expérience et la qualification pour occuper un emploi différent de celui au sein duquel il était normalement affecté, il doit être relevé que si M. [N] avait quitté le poste de tourneur depuis 15 ans, il l'avait néanmoins occupé durant 20 ans en tenant compte de son expérience au sein de la société SUMPAR, ce qui manifestement lui apportait l'expérience et la qualification.
A cet égard, il résulte de l'attestation même de M. [M], directeur technique, que si ce métier avait évolué depuis, tant en complexité qu'en exigence qualité, et qu'il précise ainsi qu'un salarié ne peut reprendre un poste de tourneur 15 ans après l'avoir exercé car il n'en a plus la qualification et la compétence nécessaires, il ressort pourtant de cette même attestation que ce poste a été proposé à M. [N] en mars 2020 avec remise à niveau, ce qui contredit pleinement ses assertions précédentes et démontre au contraire que l'entreprise estimait qu'il en avait encore les compétences et la qualification.
Bien plus, à supposer que M. [N] n'ait plus eu les compétences nécessaires pour l'exercer, ce qui n'est pas démontré, comme vu précédemment, la société IDAP ne justifie pas de la moindre formation, ne serait-ce que d'adaptation à l'emploi, apportée à M. [N] malgré la très longue relation contractuelle les ayant unis et ainsi, seul son manquement serait à l'origine de cette absence de polyvalence.
Dès lors, il doit être retenu que M. [N] devait bénéficier de quatre points au titre de la polyvalence compte tenu de l'expérience acquise dans deux postes existant au sein de la société.
Outre que cette seule attribution de quatre points complémentaires permettait à M. [N] d'échapper à son licenciement, il n'est pas fourni la moindre pièce permettant de considérer que les qualités professionnelles de M. [N] étaient en-deçà de celles attendues dans son poste, la matrice produite aux débats ne permettant aucunement d'en justifier, ce document excel étant rempli unilatéralement avec les chiffres 1,2 ou 3 qui d'ailleurs ne correspondent aucunement aux critères d'ordre préalable pour correspondre à 'capable d'utiliser/ réaliser sans corriger', 'capable d'utiliser/ réaliser en autonomie' et 'capable de former', et ce, sans aucune annotation textuelle, sachant qu'il n'est pas produit la moindre évaluation individuelle de M. [N] et qu'au surplus, là encore, la société IDAP ne justifie pas de la moindre formation à son profit qui aurait pu lui permettre d'évoluer positivement dans son emploi.
Au vu de ces éléments, il convient d'indiquer que les points attribués au titre des critères d'ordre l'ont été de manière déloyale conduisant ainsi au non-respect des critères d'ordre, ce qui a eu une incidence certaine sur le licenciement de M. [N] qui, au regard des salariés licenciés, n'auraient pas fait partie de cette liste en cas d'attribution des points dus.
Dès lors, et si le non-respect des critères d'ordre ne rend pas le licenciement sans cause réelle et sérieuse, il est néanmoins en l'occurrence à l'origine de la rupture et il convient en conséquence d'en tenir compte dans l'évaluation des dommages et intérêts dus.
A cet égard, si M. [N] a effectivement retrouvé un emploi à la suite de ce licenciement en contrat à durée déterminée en août 2021 et a refusé un poste proposé dans le cadre de la priorité de réembauchage, outre qu'il n'était pas précisé s'il s'agissait de contrat à durée indéterminée, ce qui ne peut résulter de la seule mention qu'ils correspondent à la même classification et aux mêmes conditions de rémunération, il s'agissait en outre pour l'un d'un poste de nuit et pour l'autre d'un poste de week-end.
Au surplus, M. [N] a pu expliquer qu'il ne pouvait les accepter pour être à cette date en contrat à durée déterminée mais aussi en raison du conseil de son médecin de les décliner compte tenu de son état de santé, sachant qu'il faisait à nouveau part de son souhait de retrouver son emploi précédent et de réintégrer l'entreprise si un tel poste se libérait.
Il est encore justifié que si M. [N] a par la suite été embauché en contrat à durée indéterminée au sein de la société qui l'avait engagé en contrat à durée déterminée, il bénéficiait néanmoins d'un salaire moindre pour être de 1 750 euros.
Enfin, et si l'attestation de M. [G] ne peut permettre d'attribuer la cause du suicide de M. [N] à ce licenciement, elle démontre néanmoins qu'il l'avait particulièrement mal vécu pour avoir effectué l'ensemble de sa carrière au sein de l'unité économique et sociale SUMPAR-IDAP.
Au vu de ces éléments, il convient de condamner la société IDAP à payer aux ayants droit de M. [N] la somme de 30 000 euros à titre de dommages et intérêts pour non-respect des critères d'ordre.
Sur la demande de rappel d'indemnité de licenciement.
Les ayants droit de M. [N] soutiennent qu'il y a eu novation du contrat de travail de M. [N] en 1994 comme en témoigne l'absence de tout versement d'une indemnité de rupture à l'occasion de ce changement d'employeur et qu'il doit donc être retenu une ancienneté au 22 mai 1989, date de son embauche par la société SUMPAR, d'autant que celle-ci appartient non seulement à la même unité économique et sociale que la société IDAP qui est sa sous-traitante mais qu'en outre, les liens les unissant permettent de s'assurer de l'accord de l'employeur à cette novation, sachant que M. [Z], gérant de la société SUMPAR est un associé fondateur de la société IDAP, dont il a également été gérant, et que les sièges sociaux de ces deux sociétés sont situés à grande proximité.
Enfin, ils s'interrogent sur les conséquences qu'il y aurait à tirer de l'argumentation de la société IDAP, laquelle conduirait à devoir considérer que M. [N] serait resté salarié de la société SUMPAR jusqu'à son décès.
Rappelant que la novation d'un contrat de travail suppose un accord des parties pour appliquer une règle qui ne relève ni de la loi, ni de la convention collective, la société IDAP conteste toute novation et relève qu'il n'y a jamais eu d'accord sur une reprise d'ancienneté comme en témoignent les bulletins de salaire, étant d'ailleurs noté que M. [N] n'a jamais revendiqué l'ancienneté acquise dans la précédente société.
Selon l'article 1329 du code civil, la novation est un contrat qui a pour objet de substituer à une obligation, qu'elle éteint, une obligation nouvelle qu'elle crée. Elle peut avoir lieu par substitution d'obligation entre les mêmes parties, par changement de débiteur ou par changement de créancier.
Selon l'article 1330, la novation ne se présume pas ; la volonté de l'opérer doit résulter clairement de l'acte.
Alors que la novation ne se présume pas, il ne peut résulter de la seule appartenance à une même unité économique et sociale et à des liens croisés entre les dirigeants, une volonté de nover le contrat conclu entre M. [N] et la société SUMPAR au profit de la société IDAP, et ce, d'autant qu'il apparaît au contraire que la société SUMPAR a réglé l'ensemble des congés payés restant dus à M. [N] lors de son départ et que dès l'émission du premier bulletin de salaire et tout au long de la relation contractuelle avec la société IDAP, il apparaît clairement que l'ancienneté n'a pas été reprise.
Aussi, et bien qu'il ne soit pas justifié d'une rupture légale opérée entre la société SUMPAR et M. [N], ce qui est étranger à la société IDAP, il ne peut s'en déduire l'existence d'une novation et il sera retenu comme date d'embauche de M. [N] au sein de la société IDAP la date du 20 juin 1994.
Il convient par ailleurs de retenir que le contrat de sécurisation professionnelle a été remis à la date à laquelle a été signé le récépissé du document de présentation, soit le 13 janvier 2021, ce qui porte la date de fin de contrat au 4 février 2021.
Au regard de ces éléments, il apparaît que M. [N] a été rempli de l'intégralité de ses droits au titre de l'indemnité légale de licenciement et il convient donc de confirmer le jugement en ce qu'il l'a débouté de sa demande de rappel d'indemnité de licenciement .
Sur la demande de rectification des documents de fin de contrat et de dommages et intérêts résultant du caractère erroné de l'attestation employeur.
Les ayants droit de M. [N] relèvent que dans l'attestation destinée à Pôle emploi l'employeur n'a pas précisé que les fluctuations de la rémunération de M. [N] en 2020 étaient dues à l'activité partielle, ce qui a eu une incidence sur le calcul de ses droits dans la mesure où ces périodes sont à neutraliser pour le calcul de l'ARE.
La société IDAP conteste toute erreur dans cette attestation puisqu'elle ne devait mentionner que les heures réellement travaillées et payées, étant précisé que l'employeur transmet par ailleurs à Pôle emploi une attestation relative aux versements effectués par l'Etat au titre de l'activité partielle.
En l'espèce, il résulte de l'attestation Pôle emploi que l'employeur doit mentionner ses observations en colonne 7 de la page 3 en cas de variation significative des salaires, aussi, et peu important qu'il ait par ailleurs transmis une attestation relative aux versements effectués par l'Etat, ce dont il n'est au demeurant pas justifié, il lui appartient de mentionner l'existence de l'activité partielle sur cette colonne, sachant que les salaires de M. [N] ont significativement diminué à compter du 1er avril 2020 en raison de cette activité partielle.
Il convient en conséquence d'infirmer le jugement et d'ordonner à la société IDAP de rectifier l'attestation Pôle emploi, devenu France Travail, en apportant cette mention mais aussi, en la rendant conforme à la décision rendue.
De même, il convient d'ordonner à la société IDAP de remettre aux ayants droit de M. [N] un certificat de travail et un bulletin de salaire récapitulatif conformes à la présente décision, sans que les circonstances de la cause justifient le prononcé d'une astreinte.
Il n'est cependant pas justifié de l'existence d'un préjudice et il convient donc de débouter les ayants droit de M. [N] de leur demande de dommages et intérêts à ce titre.
Sur les dépens et frais irrépétibles.
En qualité de partie succombante, il y a lieu de condamner la société IDAP aux entiers dépens, y compris ceux de première instance, de la débouter de sa demande formulée en application de l'article 700 du code de procédure civile et de la condamner à payer aux ayants droit de M. [N] la somme de 2 000 euros sur ce même fondement, en plus de la somme allouée en première instance.
PAR CES MOTIFS,
La cour statuant contradictoirement et publiquement, par arrêt mis à disposition au greffe,
Infirme le jugement en toutes ses dispositions sauf celles relatives à l'article 700 du code de procédure civile, aux dépens et en ce qu'il a débouté M. [N] de sa demande de rappel d'indemnité de licenciement ;
Déboute Mmes [J] [N], [W] [N] et [C] [N], en qualité d'ayants droit de M. [P] [N], de leur demande tendant à voir dire le licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Condamne la société IDAP à payer à Mmes [J] [N], [W] [N] et [C] [N], en qualité d'ayants droit de M. [P] [N], la somme de 30 000 euros à titre de dommages et intérêts pour non-respect des critères d'ordre ;
Déboute Mmes [J] [N], [W] [N] et [C] [N], en qualité d'ayants droit de M. [P] [N], de leur demande de dommages et intérêts résultant du caractère erroné de l'attestation Pôle emploi ;
Ordonne à la société IDAP de remettre à Mmes [J] [N], [W] [N] et [C] [N], en qualité d'ayants droit de M. [P] [N], une attestation Pôle emploi, un certificat de travail et un bulletin de salaire récapitulatif conformes à la présente décision ;
Dit n'y avoir lieu à astreinte ;
Y ajoutant,
Condamne la société IDAP aux entiers dépens ;
Condamne la société IDAP à payer à Mmes [J] [N], [W] [N] et [C] [N], en qualité d'ayants droit de M. [P] [N], la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Déboute la société IDAP de sa demande formulée en application de l'article 700 du code de procédure civile.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE