N° RG 22/04150 - N° Portalis DBV2-V-B7G-JH5Z
COUR D'APPEL DE ROUEN
CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE
SECURITE SOCIALE
ARRET DU 13 JUIN 2024
DÉCISION DÉFÉRÉE :
Jugement du CONSEIL DE PRUD'HOMMES D'EVREUX du 07 Décembre 2022
APPELANT :
Monsieur [O] [P]
[Adresse 1]
[Localité 7]
représenté par Me Philippe DUBOS de la SCP DUBOS, avocat au barreau de ROUEN
INTIMÉES :
S.A.S. SCHNEIDER ELECTRIC INDUSTRIES
[Adresse 2]
[Localité 4]
représentée par Me Denis PELLETIER, avocat au barreau de PARIS
S.A.R.L. SOS [Localité 7] INTERIM
[Adresse 3]
[Localité 7]
représentée par Me Céline VERDIER de la SELAS BARTHELEMY AVOCATS, avocat au barreau de l'EURE substituée par Me Cassandre BROGNIART, avocat au barreau de l'EURE
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 805 du Code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 12 Avril 2024 sans opposition des parties devant Madame ALVARADE, Présidente, magistrat chargé du rapport.
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Madame ALVARADE, Présidente
Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente
Madame BACHELET, Conseillère
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Mme DUBUC, Greffière
DEBATS :
A l'audience publique du 12 avril 2024, où l'affaire a été mise en délibéré au 13 juin 2024
ARRET :
CONTRADICTOIRE
Prononcé le 13 Juin 2024, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,
signé par Madame ALVARADE, Présidente et par Mme DUBUC, Greffière.
FAITS ET PROCÉDURE
M. [P] a été mis à disposition de la société Schneider electric industries (la société, la société utilisatrice) par la société de travail temporaire SOS [Localité 7] intérim (la société d'intérim, la société de travail temporaire), en qualité de cariste dans le cadre de contrats de mission du 30 janvier 2014 au 29 juillet 2022.
Il a saisi la juridiction prud'homale aux fins de voir requalifier ses contrats de mission en contrat à durée indéterminée et condamner tant la société utilisatrice que la société d'intérim au paiement de diverses sommes à titre de rappel de salaires, d'indemnités et de dommages et intérêts.
Par jugement rendu le 7 décembre 2022, le conseil de prud'hommes d'Evreux a:
-dit que la société Schneider electric industries a pourvu par de l'intérim à des emplois permanents ;
-dit que la société SOS [Localité 7] intérim a manqué à son obligation quant à la qualification des salariés remplacés par de l'intérim,
- fixé la période à requalifier du 22 août 2020 au 22 août 2022 ;
- fixé le salaire brut de M. [P] à 2.014,33 euros ;
- condamné solidairement la société SOS [Localité 7] intérim et la société Schneider electric industries à payer à M. [P] :
3 412,57 euros à titre de rappel de salaire ;
341,26 euros au titre des congés payés y afférents ;
3 291,20 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;
319,12 euros au titre des congés payés y afférents ;
822,80 euros à titre d'indemnité légale de licenciement ;
4 936,80 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans motif réel et sérieux ;
1 500,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens ;
- condamné la société Schneider electric industries à lui payer :
1 645,60 euros à titre d'indemnité de requalification;
5 313,64 euros à titre de rappel de participation et d'intéressement ;
-débouté les parties du surplus de leurs demandes ;
-condamné les sociétés Schneider electric industries et SOS [Localité 7] intérim aux dépens, incluant les frais et honoraires d'huissier en cas d'exécution forcée.
M. [P] a interjeté appel de cette décision dans des formes et délais qui ne sont pas critiqués.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 21 mars 2024.
MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Par conclusions notifiées par voie électronique le 19 mars 2024, l'appelant demande à la cour de :
-confirmer le jugement rendu le 7 décembre 2022 par le conseil de prud'hommes d'Evreux en ce qu'il a dit que la société SOS [Localité 7] intérim a manqué à son obligation quant à la qualification des salariés remplacés par de l'intérim,
que la société Schneider electric industries a pourvu par de l'intérim à des emplois permanents,
en ce qu'il a fixé le salaire de référence à 2 014,33 euros,
-réformer le jugement en ce qu'il a fixé la période de requalification du 22 août 2020 au 22 août 2022,
Statuant à nouveau,
-fixer la période de requalification du 30 janvier 2014 au 29 juillet 2022,
-réformer le jugement en ce qu'il a condamné la SARL SOS [Localité 7] intérim et la société Schneider electric industries à lui payer les sommes suivantes :
o rappel de salaire 3 412,57 euros
o congés payés sur rappel de salaire 341,26 euros
o préavis 3 291,20 euros
o congés payés sur préavis 329,12 euros
o indemnité légale de licenciement 822,80 euros
o dommages et intérêts pour absence de
motifs réels et sérieux 4 936,80 euros
réformer le jugement en ce qu'il a condamné la société Schneider electric industries à lui payer les sommes suivantes :
o indemnité de requalification 1.645,60 euros
o indemnité de participation 5 313,64 euros
-réformer le jugement en ce qu'il a rejeté les demandes de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de formation et pour délit de marchandage,
Statuant à nouveau,
-condamner la société SOS [Localité 7] intérim et la SARL Schneider electric industries à lui payer les sommes suivantes :
- rappel de salaire 5 245,31 euros
- congés payés sur rappel de salaire 524,53 euros
- préavis 4 028,66 euros
- congés payés sur préavis 402,87 euros
- indemnité légale de licenciement 4 381,17 euros
- dommages et intérêts pour absence de
motifs réels et sérieux 16.114,64 euros
- dommages et intérêts pour manquement
à l'obligation de formation
-condamner la société Schneider electric industries à lui payer les sommes suivantes :
- indemnité de requalification 8 057,32 euros
- rappel de participation et intéressement 10.760,05 euros
-condamner la société Schneider electric industries et a SARL SOS [Localité 7] intérim aux entiers dépens
L'appelant expose que la société occupe environ 280 salariés et recourt massivement à l'intérim depuis de nombreuses années.
Il soutient avoir réalisé plusieurs missions successives de 2014 à 2022 pour le compte du seul groupe Schneider au sein de l'établissement d'[Localité 7], que le recours à ces contrats de mission avait en réalité pour objet et pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise,
que les conditions de forme des contrats n'ont pas été respectées par la société d'intérim, laquelle a omis de mentionner la qualification des salariés remplacés, la seule mention de leurs fonctions, sans référence à la classification conventionnelle, étant insuffisante, au regard de la jurisprudence,
que la société d'intérim était consciente de la violation des dispositions applicables pour avoir, à compter d'avril 2021, mentionné en sus le coefficient du salarié remplacé.
Il sollicite la requalification de ses contrats de mission en contrat à durée indéterminée tant à l'encontre de la société utilisatrice qu'à l'encontre de la société de travail temporaire, précisant que la juridiction prud'homale a récemment procédé à plusieurs requalifications en contrat à durée indéterminée de missions d'intérim effectuées par les salariés placés dans des situations équivalentes, la cour d'appel de Rouen ayant confirmé les condamnations prononcées dans deux espèces suite au recours formé par la société utilisatrice.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 20 mars 2024, la société utilisatrice demande à la cour de voir :
A titre principal
-infirmer le jugement entrepris en tant qu'il a :
- dit qu'elle a pourvu par de l'intérim à des emplois permanents ;
- fixé la période à requalifier du 22 août 2020 au 22 août 2022 ;
- fixé le salaire brut de M. [P] à 2.014,33 euros ;
qu'il l'a condamnée solidairement avec la société SOS [Localité 7] intérim à payer à M. [P] :
3.412,57 euros à titre de rappel de salaire ;
341,26 euros au titre des congés payés y afférents ;
3.291,20 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;
319,12 euros au titre des congés payés y afférents ;
822,80 euros à titre d'indemnité légale de licenciement ;
4.936,80 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans motif réel et sérieux ,
1.500,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens,
qu'il l'a condamnée à payer à M. [P]:
1.645,60 euros à titre d'indemnité de requalification ;
5.313,64 euros à titre de rappel de participation et d'intéressement ;
-confirmer le jugement entrepris pour le surplus ;
Statuant à nouveau
-débouter M. [P] de l'ensemble de ses demandes ;
le condamner aux entiers dépens ;
A titre subsidiaire,
-confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a fixé le salaire
brut de M. [P] à 2.014,33 euros ;
-statuer ce que de droit quant aux dépens.
Elle conteste le bien-fondé de l'action en requalification.
Elle fait valoir que M. [P] n'a pas été mis à la disposition de la société de manière continue,
qu'en ce qui concerne le formalisme des contrats de mission, il appartient à la société de travail temporaire d'apporter toute justification utile quant à l'absence d'indication de la qualification du salarié remplacé, étant seule garante de la régularité formelle des contrats de mission,
que le recours au contrat temporaire est légitime notamment pour remplacer des salariés absents ou faire face à un accroissement temporaire de l'activité de 1'entreprise,
qu'elle justifie de l'absence des salariés remplacés en produisant les bulletins de paie qui font apparaître le motif d'absence (salariés en congés payés, en formation, en arrêt maladie, en mission sur un autre site, détaché aux expéditions') et les contrats de mission correspondant de M. [P],
que, pour une autre part, les contrats étaient destinés à faire face à un surcroît d'activité,
qu'elle a ainsi mis en 'uvre divers projets qui ont entraîné un surcroît temporaire d'activité,
qu'en 2012, elle s'est dotée d'un nouveau bâtiment regroupant l'ensemble de ses activités en vue d'optimiser son outil logistique,
que ce centre logistique a été progressivement installé en 2013 et est devenu opérationnel en 2014 et le transfert des produits vers ce nouvel entrepôt a nécessité le recours à l'intérim, la surcharge de travail ayant été attestée par le rapport du cabinet IDRH, expert désigné par le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail en 2013,
que de 2016 à 2020, les contrats étaient liés à d'autres projets d'évolution du système d'information dit « [Localité 5]-Bridge & [Localité 10] » aux fins d'améliorer la satisfaction des clients et de répondre aux besoins du commerce numérique par la mise en oeuvre de nouvelles fonctionnalités, projet ayant connu des incidents au cours du début de sa seconde phase qui ont imposé des renforts de personnel,
que le recours au contrat intérimaire était en outre justifié par des commandes spéciales,
que le taux d'intérimaires varie d'un mois à l'autre, ce qui confirme que le travail temporaire correspond à des besoins fluctuants, qu'en 2019, si le nombre de travailleurs temporaires a atteint 142 en avril, il est descendu à 61 en septembre 2019, le ratio moyen annuel de salariés intérimaires par rapport salarié permanent étant de l'ordre de 25 %, taux relativement faible dans le secteur de la logistique soumise à des variations d'activité,
que le salarié ne compte qu'une ancienneté effective de 7 ans et son salaire moyen s'établit, pour un mois complet, à 1 645,60 euros, sur la base d'un taux horaire de 10,85 euros, de sorte qu'il conviendra en tout état de cause de tenir compte de ces éléments pour déterminer les indemnités et dommages et intérêts éventuellement dus.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 19 juin 2023, la société intérimaire demande à la cour de voir :
-infirmer le jugement du conseil de prud'hommes d'Evreux du 7 décembre 2022 en ce qu'il a:
- dit qu'elle a manqué à son obligation quant à la qualification des salariés remplacés par de l'intérim
- fixé la période à requalifier du 22 août 2020 au 22 août 2022 ;
- fixé le salaire brut de M. [P] à 2 014,33 euros ;
qu'il l'a condamnée solidairement avec la société Schneider electric industries à payer à M. [P] les sommes suivantes:
' rappel de salaire 3 412,57 euros
' congés payés sur rappel de salaire 341,26 euros
' indemnités de préavis 3 291,20 euros
' congés payés sur préavis 329,12 euros
' indemnité légale de licenciement 822,80 euros
' dommages et intérêts pour absence de motifs réels et sérieux 4 936,80 euros
' article 700 du code de procédure civile 1 500,00euros
-l'a déboutée de ses demandes,
-l'a condamnée solidairement avec la société Schneider electric industries aux entiers dépens y compris les frais et honoraires d'huissier en cas d'exécution forcée du présent jugement,
Statuant à nouveau :
A titre principal
- débouter M. [P] de sa demande en requalification de ses contrats de mission en contrat à durée indéterminée à son encontre,
- débouter M. [P] de ses demandes salariales et indemnitaires consécutives à la requalification,
- condamner M. [P] à la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel,
A titre subsidiaire
Si par extraordinaire, la Cour décidait de requalifier à son égard les contrats de mission de M. [P] en contrat de travail à durée indéterminée :
- débouter M. [P] de sa demande de condamnation solidaire de la société
SOS [Localité 7] intérim au paiement d'un rappel de salaire et de congés payés y afférents au titre de la prime d'ancienneté,
- fixer le salaire de référence qui lui est opposable à 1 872,14 euros brut,
- fixer à de plus justes proportions le montant des dommages et intérêts sollicités par M. [P] au titre de l'absence de motifs réels et sérieux de la rupture des relations de travail, et limiter sa condamnation solidaire à ce titre à la somme maximale de 3 744,28 euros,
- limiter le montant auquel elle pourrait être condamnée au titre de l'indemnité de licenciement à la somme de 936,07 euros et au titre de l'indemnité compensatrice de préavis à la somme de 1 872,14 euros , outre187,21 euros au titre des congés payés afférents,
En tout état de cause :
- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté M. [P] de sa demande de dommages et intérêts au titre de l'obligation légale de formation,
- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté purement et simplement M. [P] de sa demande de dommages et intérêts au titre du délit de marchandage,
- débouter la société Schneider electric industries de sa demande en garantie à son encontre,
- débouter M. [P] et la société Schneider electric industries du surplus de leurs demandes,
- débouter M. [P] de sa demande d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- statuer ce que de droit sur les dépens.
Elle fait valoir en réplique que le salarié n'a pas été mis à disposition de la société Schneider electric industries de manière continue puisque des coupures significatives sont intervenues tout au long de la relation de travail,
que le 14 avril 2022, il lui a été proposé la conclusion d'un contrat de travail à durée indéterminée intérimaire qu'il a refusé,
que l'action en requalification à son égard est mal fondée,
qu'ainsi, en matière de remplacement de salariés absents, si la jurisprudence a pu préciser que la qualification ne se confondait pas avec la classification conventionnelle, il n'y a pas lieu à requalification en l'absence de mention de sa classification, sa catégorie, son échelon, son indice, lorsque la mention est suffisamment précise pour identifier la qualification professionnelle et le statut du salarié remplacé,
que le salarié a été principalement mis à la disposition de la société Schneider electric industries pour surcroît temporaire d'activité, les manquements allégués la concernant ne portant que sur quelques contrats de mission,
qu'en outre, lorsque la demande est fondée sur l'absence d'une mention obligatoire du contrat, le délai de prescription de l'action court à compter de la conclusion de ce contrat, de sorte que que les manquements qui lui sont reprochés ne peuvent porter que sur les contrats de mission conclus pour motif de remplacement après le 22 août 2020 et jusqu'au mois d'avril 2021,
que l'entreprise de travail temporaire ne saurait endosser les conséquences de la fourniture de renseignements imprécis par l'entreprise utilisatrice,
que les droits correspondant à un contrat à durée indéterminée prenant effet au premier contrat ne sont pas applicables à la société de travail temporaire, les dispositions de l'article L.1251-40 ne visant que la société utilisatrice,
qu'au regard de l'ancienneté du salarié qui serait inférieure à trois ans, il ne peut prétendre à l'attribution de la prime d'ancienneté,
que le salaire de référence à prendre en considération pour apprécier l'étendue de ses obligations ne saurait excéder 1 872,14 euros et les indemnités de rupture et dommages et intérêts devront être calculés en fonction d'une ancienneté inférieure à deux ans, lesdites indemnités devant être ramenées à de justes proportions, en l'absence de justifications par le salarié de sa situation financière et professionnelle actuelle,
MOTIFS DE LA DÉCISION
1 - Sur la demande de requalification des contrats de mission en contrat de travail à durée indéterminée
Aux termes de l'article L. 1251-5 du même code, le contrat de mission, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise utilisatrice.
De plus, l'article L. 1251-6 dans sa rédaction applicable au litige, dispose qu'il ne peut être fait appel à un salarié temporaire que pour l'exécution d'une tâche précise et temporaire dans des cas limitatifs et, notamment, en cas d'accroissement temporaire d'activité ou de remplacement d'un salarié absent.
Il convient de rappeler qu'en application de l'article 1314 alinéa 2 du code civil, il incombe à la seule entreprise utilisatrice de rapporter la preuve de la réalité du motif énoncé au contrat.
Par ailleurs, selon l'article L. 1251-40 du code du travail, lorsqu'une entreprise utilisatrice a recours à un salarié d'une entreprise de travail temporaire, en méconnaissance des dispositions des articles L.1251-5 à L. 1251-7, L. 1251-10 à L. 1251-12, L. 1251-30 et L. 1251-35, ce salarié peut faire valoir auprès de l'entreprise utilisatrice les droits correspondant à un contrat de travail à durée indéterminée prenant effet au premier jour de sa mission.
En l'espèce, sur la période de requalification sollicitée, M. [P] a signé 142 contrats de travail temporaire du 30 janvier 2014 au 29 juillet 2022. Il a été mis à disposition d'une même entreprise utilisatrice et a exercé les mêmes fonctions (cariste quai expédition), un seul contrat du 4 au 22 octobre 2021, mentionnant celles de palettiseur, fonctions toutefois similaires, sur le même lieu de travail (site d'[Localité 7], aujourd'hui [Localité 8]), tantôt aux fins de remplacer un salarié absent (59 contrats), tantôt pour faire face à un accroissement temporaire d'activité (83 contrats), avec quelques interruptions, 4 mois en 2015, 2 mois et demi en 2017 et 2018, 3 mois et demi en 2019 et 3 mois en 2021 et 2022.
Sur le remplacement des salariés absents, s'il est constant en matière de contrat à durée déterminée, jurisprudence transposable au contrat de travail temporaire, le seul fait pour l'employeur, qui est tenu de garantir aux salariés le bénéfice des droits aux congés maladie ou maternité, aux congés payés ou repos que leur accorde la loi, de recourir à des contrats à durée déterminée de remplacement de manière récurrente, voire permanente, ne saurait suffire à caractériser un recours systématique aux contrats à durée déterminée pour faire face à un besoin structurel de main-d''uvre et pourvoir ainsi durablement un emploi durable lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise, encore faut-il toutefois tenir compte de divers critères, tels le rapport entre l'effectif sous contrat à durée indéterminée et celui sous contrat temporaire et si la société explique que le nombre des travailleurs intérimaires est descendu à 61 en septembre 2019 et que le ratio moyen annuel de salariés intérimaires par rapport aux salariés permanents est de l'ordre de 25 %, le nombre des intérimaires était le plus bas sur ce seul mois et le pourcentage annoncé n'inclut pas les travailleurs sous contrat à durée déterminée. Le salarié par ailleurs précise sans être contredit que le procès-verbal de réunion du comité social et économique de mai et juin 2019 établi par le syndicat FO laisse apparaître que l'établissement emploie 280 salariés en contrat à durée indéterminée pour 111 puis 117 intérimaires et 11 sous contrat à durée déterminée soit 128 salariés sous contrat précaire, représentant plus de 30 % de l'effectif.
S'agissant du motif tiré de l'accroissement temporaire d'activité, il ressort des pièces produites que la mise en 'uvre des projets, en particulier le projet [Localité 5]-Bridge & [Localité 10], s'est étalée sur plusieurs années et si la société a rencontré des difficultés dans la maîtrise de sa nouvelle activité logistique, dans la gestion des flux d'expédition et a dû faire face à des décalages de commandes, elle ne démontre aucunement que celles-ci ont induit un surcroît d'activité nécessitant un recours au travail temporaire. Lesdits projets participent du reste de l'activité permanente de l'entreprise, aucun élément de comparaison ne permettant d'objectiver un accroissement d'activité qui ne peut par nature qu'être ponctuel, n'étant versé au dossier.
Par ailleurs, pour bon nombre de contrats, il n'est pas expliqué le recours à l'intérim. Tel est le cas en 2020, les contrats mentionnent ainsi « lancement plateforme Dexsix », « campagne Sonepar », « campagne Rexel », « relance commandes post confinement », « projet méthode nécessitant un renfort de personnel », en 2021, où il est précisé « commande sarel », « démarrage e commerce », « commande Sonepar », « commande Sarel », « Commande Rexel », « commande US » et en 2022, où il est mentionné « augmentation du flux maritime », « renfort dû au changement du système informatique au BCP de [Localité 9] », « renfort [Localité 10] 2019 hypercare », « push facturation 2nd trimestre ».
Le salarié est par conséquent fondé à solliciter la requalification de ses contrats de mission en contrat à durée indéterminée, peu important qu'ils aient été séparés par des périodes d'inactivité, dès lors que l'action en requalification peut porter sur une succession de contrats.
La décision déférée est en conséquence confirmée en ce qu'elle a requalifié la relation entre la société Schneider Electric Industrie et M. [P] en un contrat à durée indéterminée, sauf à indiquer que celui-ci a débuté le 30 janvier 2014 pour se terminer le 29 juillet 2022, les effets de la requalification remontant au premier jour du premier des contrats temporaires.
2 - Sur la demande en requalification en contrat à durée indéterminée à l'égard de l'entreprise de travail temporaire
Indépendamment des cas dans lesquels la loi (L 1251-40 du code du travail précité) sanctionne par une requalification du contrat de mission en contrat à durée indéterminée, l'inobservation, par l'entreprise utilisatrice des obligations mises à sa charge, M. [P] à la possibilité d'agir contre l'entreprise de travail temporaire lorsque les conditions à défaut desquelles toute opération de prêt de main-d''uvre est interdite, n'ont pas été respectées.
Ainsi, sous réserve d'une intention frauduleuse du salarié, le non-respect par l'entreprise de travail temporaire de l'une des prescriptions des dispositions de l'article L 1251 ' 16 du code du travail, lesquelles ont pour objet de garantir qu'ont été observées les conditions à défaut desquelles toute opération de prêt de main-d''uvre est interdite, implique la requalification de son contrat en contrat à durée indéterminée.
En application des dispositions de l'article L. 1251-16 du code du travail, le contrat de mission est établi par écrit. Il comporte notamment (') 2° la qualification professionnelle du salarié.
L'exigence de la mention de la qualification du salarié et de celle du salarié remplacé se traduit notamment par l'indication du statut auquel ils appartiennent, ouvrier, employé ou cadre, et ne peut être satisfaite par la mention de l'emploi occupé. L'examen de la majeure partie des contrats de mission révèle l'absence de mention relative à la qualification du salarié remplacé, laquelle n'est apparue qu'à compter de 2021, certains contrats n'indiquant pas même la fonction du salarié ou le motif de l'absence (contrat du 25 octobre 2021), ce dont il résulte que la société de travail temporaire s'est placée en dehors du champ d'application du travail temporaire, que le contrat de travail temporaire est en conséquence réputé conclu pour une durée indéterminée.
L'action en requalification de contrats de travail temporaire en contrat à durée indéterminée est soumise au délai de deux ans applicable aux actions en exécution du contrat de travail prévu par l'article L. 1471-1 du code du travail.
Le point de départ de ce délai se situe au jour où celui qui exerce l'action a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit, c'est-à-dire au jour de la conclusion du contrat de mission lorsqu'est invoquée une irrégularité de ce contrat telle que l'absence d'une mention au contrat susceptible d'entraîner sa requalification.
Il est constant que les contrats de travail temporaires conclus entre le 30 janvier 2014 et avril 2021 ne mentionnent pas la qualification du salarié remplacé.
M. [P] ayant saisi le conseil de prud'hommes le 22 août 2022, les effets de la requalification ne peuvent remonter qu'au 22 août 2020, cette date correspondant à celle du premier contrat irrégulier.
3 - Sur les conséquences de la requalification
3 - 1 Sur l'ancienneté
S'agissant de l'entreprise utilisatrice, la requalification remontant en l'espèce au premier contrat non prescrit, soit le 30 janvier 2014, elle doit être calculée à compter de cette date, sans qu'il y ait lieu de tenir compte des périodes pendant lesquelles le salarié n'a pas travaillé, qui ne constituent pas ipso facto des périodes de suspension du contrat à durée indéterminée issu de la requalification.
Il en résulte qu'à la date de rupture de la relation travaillée, le 29 juillet 2022, M. [P] pouvait se prévaloir d'une ancienneté de 8 ans et 7 mois, incluant la durée du préavis.
S'agissant de la société de travail temporaire, M. [P] ne disposait que d'une ancienneté de 2 ans.
3 ' 2 Sur le salaire de base
En fonction des éléments dont dispose la cour, le salaire de base peut s'établir à la somme de 1 645,60 euros, déduction faite des indemnités de fin de mission et compensatrice de préavis, sur la base d'un taux horaire de 10,85 euros, le jugement étant infirmé en ce qu'il a fixé le salaire brut à la somme de 2 014,33 euros.
3 - 3 Sur la prime d'ancienneté
L'article 19 de la convention collective de la métallurgie [Localité 11]-[Localité 6], dont l'application à la relation contractuelle n'est pas discutée, prévoit le versement d'une prime d'ancienneté pour les salariés ayant au moins 3 ans d'ancienneté.
Cette prime est calculée en application de la rémunération minimale hiérarchique de l'intéressé tel que déterminée à l'annexe III, à un taux défini en fonction de son ancienneté dans l'entreprise:
- 3 % après 3 ans d'ancienneté ;
4% après 4 ans d'ancienneté ;
5 % après 5 ans d'ancienneté
6 % après 6 ans d'ancienneté
7 % après 7 ans d'ancienneté
8 % après 8 ans d'ancienneté
(')
15 % après 15 ans d'ancienneté ».
Le salarié fait valoir qu'il peut prétendre à un rappel de prime calculé sur les trois dernières années précédant la rupture du contrat de travail conformément aux termes de l'article L.3245-1 du code du travail.
Au regard de ce qui précède, le salarié est en droit de solliciter un rappel de prime sur les 36 derniers mois travaillés précédant la rupture du contrat au 29 juillet 2022, soit à compter du 29 juillet 2019.
Il lui sera en conséquence allouée une somme de 3 981,45 euros, décomposée comme suit, sur la base du salaire mensuel conventionnel garanti fixé à 1 579,92 euros pour un coefficient de 150, hors indemnité de fin de mission et indemnité compensatrice de préavis, somme mise à la charge de la seule société utilisatrice :
1 579,92 euros x 6 % du 29 juillet 2019 au 29 juillet 2020, soit 1 137,60 euros
1 579,92 euros x 7 % du 29 juillet 2020 au 29 juillet 2021, soit 1 327,13 euros
1 579,92 euros x 8 % du 29 juillet 2021 au 29 juillet 2022, soit 1 516,72 euros
3 ' 4 Sur l'indemnité de requalification
Le jugement sera confirmé en ce qu'il a octroyé au salarié une indemnité de requalification à hauteur d'un mois de salaire à la charge de la société, mais infirmé quant au montant alloué, le montant de la condamnation à la charge de la société utilisatrice étant fixé à la somme de 1 771,99 euros, incluant la prime d'ancienneté (1 645,60 euros (+ (1 516,72 euros / 12)).
3 ' 5 Sur les indemnités de rupture
Il est constant que la requalification a pour conséquence l'inopposabilité du terme des contrats de mission à l'appelant, dès lors la rupture de la relation de travail au terme du dernier contrat requalifié doit s'analyser en un licenciement sans cause réelle et sérieuse à défaut de respect de la procédure applicable à la rupture d'un contrat à durée indéterminée.
Le licenciement, dépourvu de cause réelle et sérieuse, emporte condamnation de l'employeur au paiement d'une indemnité compensatrice de préavis, légale ou conventionnelle, avec incidence congés payés (articles L.1234-1 et L.1234-5 du code du travail), de l'indemnité légale (article L1234-9) ou conventionnelle de licenciement en fonction de l'ancienneté du salarié et de dommages et intérêts conformément aux dispositions de l'article L.1235-3 du code du travail dans sa rédaction résultant en l'espèce de l'ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017.
Il est précisé à cet égard que la possibilité dont dispose le salarié d'engager une action en requalification tant à l'égard de l'entreprise utilisatrice qu'à l'égard de l'entreprise de travail temporaire ne lui permet pas d'obtenir deux fois les mêmes indemnités se rapportant à la rupture du contrat. Le succès de cette double action a pour seule conséquence que les employeurs sont tenus, in solidum, de répondre des conséquences de la rupture du contrat.
La cour allouera au salarié des indemnités au titre de la rupture du contrat de travail à durée indéterminée calculées sur la base d'une ancienneté de 8 ans et 7 mois pour la société utilisatrice, de 2 ans pour la société de travail temporaire et d'un salaire de 1 771,99 euros.
*l'indemnité compensatrice de préavis et les congés payés y afférents
S'agissant de la société utilisatrice, le salarié a droit à une indemnité compensatrice équivalente à 2 mois de salaire et son ancienneté de moins de deux ans vis-à-vis de la société de travail temporaire, lui ouvre droit à une indemnité compensatrice équivalente à 1 mois de salaire.
Il convient donc de condamner la société utilisatrice à lui payer la somme de 3 543,98 euros en principal et 354,39 euros au titre des congés payés y afférents et la société de travail temporaire in solidum avec la société utilisatrice à concurrence de la somme de 1 771,99 euros, outre les congés payés y afférents à hauteur de 177,19 euros, le jugement étant infirmé de ces chefs.
*l'indemnité légale de licenciement
Le salarié bénéficie d'une indemnité de licenciement à hauteur d'un quart du salaire de référence par année d'ancienneté pour les dix premières années, soit pour une ancienneté de 8,1 ans (incluant le préavis) : 1 771,99 euros/4x8,7 = 3 854,07 euros et pour une ancienneté de 1,11 1 an et 11 mois : 1 771,99 euros/4 x 2 = 885,99 euros. La société utilisatrice sera condamnée au paiement de la somme de 3 854,07 euros et la société de travail temporaire in solidum avec cette dernière à concurrence de 885,99 euros.
*les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
En application des dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail dans sa version applicable au litige, en l'absence de réintégration dans l'entreprise du salarié licencié pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge lui octroie une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre 3 et 8 mois de salaire brut en tenant compte d'une ancienneté de 8 années complètes et entre 1 et 2 mois de salaire brut en tenant compte d'une seule année complète d'ancienneté.
En raison de l'âge du salarié, comme étant né en 1978, de son ancienneté dans l'entreprise, du montant de la rémunération qui lui était versée, de son aptitude à retrouver un emploi, il conviendra de lui allouer, en réparation du préjudice matériel et moral qu'il a subi, la somme de 8.000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et la société de travail temporaire in solidum avec cette dernière à concurrence de 5 315,97 euros, le jugement étant infirmé sur ce point.
4 - Sur les dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de formation
En application de l'article L.6321-1 du code du travail, dans sa version applicable à l'espèce, l'employeur assure l'adaptation des salariés à leur poste de travail. Il veille au maintien de leur capacité à occuper un emploi, notamment au regard de l'évolution des emplois, des technologies et des organisations.
M. [P] sollicite l'infirmation du jugement qui a rejeté sa demande et l'allocation d'une somme qui ne saurait être inférieure à 1000 euros à titre de dommages et intérêts.
La société utilisatrice s'y oppose faisant valoir qu'elle n'était pas son employeur, et que surabondamment M. [P] ne justifie pas de son préjudice.
L'entreprise de travail temporaire, pour sa part, indique avoir assuré la capacité de M. [P] à occuper son emploi de cariste, l'intéressé ayant régulièrement suivi des formations (CACES : du 15 au 17 juillet 2014, du 15 au 17 juillet 2019 et du 5 au 6 juillet 2021, formation en sûreté aérienne le 4 octobre 2013 et le 29 octobre 2018)
En raison de la requalification opérée, la société est devenue l'employeur de M. [P], ce depuis le 30 janvier 2014. Si elle ne produit aucun élément établissant qu'elle a satisfait à cette obligation, M. [P] n'explicite et, a fortiori, ne justifie pas du préjudice qui en est résulté.
Sa demande n'est pas fondée à l'égard de la société de travail temporaire.
Le jugement sera en conséquence confirmé sur ce point et M. [P] débouté de sa demande.
5 - Sur le rappel au titre de la participation et de l'intéressement
M. [P] est en droit de prétendre à tous les avantages dont bénéficient les salariés permanents de la société utilisatrice y compris la participation et l'intéressement.
Il sollicite une somme de 10 760,05 euros correspondant à la somme versée aux salariés en contrat à durée indéterminée à compter de 2017.
La société oppose la prescription de la demande conformément aux dispositions de l'article L 1471-1 du code du travail, faisant valoir que lorsque l'action requalification de contrat de mission fondée sur le motif du recours énoncé au dit contrat, le point de départ de l'action en paiement de la participation et de l'intéressement fondée sur cette requalification débute au terme du dernier contrat de mission,
que c'est à cette date que M. [P] aurait dû connaître ses droits au titre de l'épargne salariale,
que son dernier contrat de mission ayant pris fin le 29 juillet 2022, ses droits sont prescrits au titre des exercices 2017 à 2019.
Selon l'article L. 1471-1 du code du travail, toute action portant sur l'exécution du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit.
Toute action portant sur la rupture du contrat de travail se prescrit par douze mois à compter de la notification de la rupture.
Les deux premiers alinéas ne sont toutefois pas applicables aux actions en réparation d'un dommage corporel causé à l'occasion de l'exécution du contrat de travail, aux actions en paiement ou en répétition du salaire et aux actions exercées en application des articles L. 1132-1, L. 1152-1 et L. 1153-1. Elles ne font obstacle ni aux délais de prescription plus courts prévus par le présent code et notamment ceux prévus aux articles L. 1233-67, L. 1234-20, L. 1235-7, L. 1237-14 et L. 1237-19-8, ni à l'application du dernier alinéa de l'article L. 1134-5.
Selon l'article 2224 du code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
L'article L. 1471-1 du code du travail, qui édicte une prescription spéciale et restrictive mais précise également expressément les situations dans lesquelles les prescriptions édictées aux deux premiers alinéas doivent être écartées, ne prévoit aucune exception pour les accords de participation et d'intéressement, et ce, alors même que le versement des primes en résultant n'intervient qu'en raison de l'existence du contrat de travail et donc, au titre de l'exécution du contrat de travail, comme le démontre d'ailleurs la prise en compte du salaire et de la présence du salarié au sein de l'entreprise pour calculer individuellement les primes versées à chaque salarié.
Il convient en conséquence de retenir la prescription biennale, laquelle ne court cependant qu'à compter du terme du dernier contrat de travail puisque c'est à cette date que le salarié est susceptible d'avoir eu connaissance de son droit à l'intéressement et à la participation, ces primes n'étant dues qu'aux salariés de l'entreprise utilisatrice.
En d'autres termes, la prescription s'applique au délai d'exercice de l'action en paiement desdites primes et ne court donc pas à compter du versement annuel de la prime.
En l'espèce, le terme du dernier contrat se fixe au 29 juillet 2022. M. [P] ayant saisi le conseil des prud'hommes le 22 août 2022, l'ensemble de ses demandes formulées à ce titre sont recevables.
Par conséquent, il convient de faire droit à sa demande à hauteur de la somme de 10 760,05 euros au titre des années 2017 à 2021, la décision déférée étant infirmée de ce chef.
6 - Sur le délit de marchandage
M. [P] fait valoir que la société utilisatrice trouve de nombreux avantages au recours massif à l'intérim, en ce qu'elle échappe au paiement de l'intéressement aux travailleurs précaires, lesquels sont rémunérés selon une qualification inférieure, qu'il a ainsi toujours été rémunéré selon un coefficient fixe de 150 alors que l'ensemble des caristes embauchés par la société en contrat à durée indéterminée sont payés sur la base de coefficients de 180 à 225, qu'il est fondé à solliciter la condamnation de la société et de la société de travail temporaire au paiement d'une somme de 2 500 euros à titre de dommages et intérêts.
La société s'oppose à cette demande, aux motifs qu'elle n'a éludé aucune disposition légale ou conventionnelle et n'a causé aucun préjudice au salarié qui relevait du régime juridique du travail temporaire, que subsidiairement, il ne justifie aucunement du quantum de sa demande.
La société de travail temporaire fait valoir qu'aucune condamnation ne saurait être prononcée à son encontre et qu'il appartient au salarié de démontrer qu'elle se serait volontairement placée en dehors de ce cadre légal, outre l'existence de son préjudice.
Selon l'article L. 8231-1 du code du travail, le marchandage, défini comme toute opération à but lucratif de fourniture de main-d''uvre qui a pour effet de causer un préjudice au salarié qu'elle concerne ou d'éluder l'application de dispositions légales ou de stipulations d'une convention ou d'un accord collectif de travail, est interdit.
L'article L. 8241-1 du code du travail énonce par ailleurs que toute opération à but lucratif ayant pour objet exclusif le prêt de main-d''uvre est interdite, étant toutefois précisé que ces dispositions ne s'appliquent pas aux opérations réalisées dans le cadre des dispositions du présent code relatives au travail temporaire.
Il résulte de cette seconde disposition que la fourniture de main-d''uvre à titre lucratif opérée par une entreprise de travail temporaire bénéficie d'une présomption de légalité.
Aussi, sauf à justifier de ce que l'entreprise d'intérim se serait volontairement placée en dehors du cadre légal lui permettant de mettre à disposition des salariés au profit d'une entreprise utilisatrice à titre onéreux, la simple requalification de contrats intérimaires en contrat à durée indéterminée ne permet pas de caractériser le délit de marchandage.
Par ailleurs, sans contester la possibilité que l'entreprise utilisatrice puisse être coauteur de ce délit de marchandage en cas de concertation frauduleuse avec l'entreprise de travail temporaire, encore est-il nécessaire, alors que le texte vise la fourniture, et non pas l'obtention ou l'usage de main-d''uvre, qu'il soit justifié que l'entreprise intérimaire ait elle-même volontairement fourni de la main-d''uvre en sachant qu'elle causerait un préjudice au salarié ou qu'elle aurait pour effet d'éluder l'application de dispositions légales ou de stipulations d'une convention ou d'un accord collectif de travail.
Or, en l'espèce, la requalification a été ordonnée en raison d'une absence de justification du motif invoqué par l'entreprise utilisatrice, sans qu'il ne ressorte d'aucune pièce du dossier que la société intérimaire aurait pu avoir connaissance du caractère injustifié du recours.
Il convient en conséquence de débouter M. [P] de sa demande de dommages et intérêts au titre du délit de marchandage, étant au surplus relevé qu'il ne justifie d'aucun préjudice distinct de celui déjà réparé par l'allocation des sommes préalablement accordées. Le jugement sera en conséquence confirmé sur ce point.
7 - Sur l'appel en garantie formé par l'entreprise utilisatrice
La société indique que dès lors que M. [P] demande à la cour de juger que la société intérimaire a manqué à son obligation quant à la qualification des salariés remplacés et que l'entreprise utilisatrice a pourvu par de l'intérim à des emplois permanents, il appartiendra à la société intérimaire de la relever et la garantir de toute condamnation éventuelle du premier chef, mais également du second, la violation des dispositions légales ne résultant pas de son seul fait, mais aussi de celui de l'entreprise de travail temporaire qui a proposé des missions régulières au salarié au sein de la même société utilisatrice sans diversifier les mises à disposition, et qui a donc concouru à la réalisation de son préjudice.
La société de travail temporaire invoque la jurisprudence de la cour de céans rendue dans deux affaires identiques, ayant retenu que « la société Schneider ne peut invoquer, pour faire valoir auprès de l'entreprise de travail temporaire des droits afférents à la responsabilité contractuelle, la méconnaissance par cette dernière des obligations mises à sa charge à l'égard du salarié et, notamment, celles édictées par l'article L. 1251-16 du code du travail ».
Elle ajoute que sa responsabilité ne saurait être engagée alors même que la société utilisatrice ne se prévaut d'aucun manquement.
La société utilisatrice ne démontre pas le manquement pouvant être imputé à la société utilisatrice dans l'établissement des contrats de mise à disposition. Elle ne soutient pas même que les missions confiées aux salariés, compte tenu de leur régularité, ne permettaient pas d'écarter l'application du délai de carence. La demande au titre de l'appel en garantie sera en conséquence rejetée.
Le jugement entrepris sera en conséquence confirmé sur ce point.
8 - Sur le remboursement des indemnités chômage
L'article L. 1235-4 du code du travail dans sa version applicable à la cause dispose que dans le cas d'un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, le juge ordonne le remboursement par l'employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage par salarié intéressé.
Ce remboursement est ordonné d'office lorsque les organismes intéressés ne sont pas intervenus à l'instance ou n'ont pas fait connaître le montant des indemnités versées.
Ces dispositions ne sont cependant pas applicables au licenciement d'un salarié de moins de deux ans d'ancienneté dans l'entreprise et au licenciement opéré dans une entreprise employant habituellement moins de onze salariés, si le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse, et cela en vertu de l'article L. 1235-5.
La cour, ajoutant à la décision de première instance, fait application de ces dispositions à l'égard de la seule société utilisatrice à hauteur de 3 mois d'indemnités chômage.
9 - Sur les frais du procès
Les sociétés intimées seront condamnées aux dépens, la société intérimaire étant tenue in solidum à hauteur d'1/3, leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile étant rejetée, étant observé que le dispositif des conclusions de l'appelant ne contient aucune demande de ce chef.
PAR CES MOTIFS :
La Cour, après en avoir délibéré, statuant par arrêt contradictoire, réputé contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe, en matière prud'homale,
Confirme le jugement en ses dispositions soumises à la cour, sauf en ce qu'il a :
- fixé la période à requalifier du 22 août 2020 au 22 août 2022,
- fixé le salaire brut de M. [O] [P] à 2 014,33 euros,
- condamné solidairement la société Schneider electric industries et la société SOS [Localité 7] intérim au paiement de rappel de salaire, d'indemnités de rupture, de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
sauf en ce qui concerne les montants des condamnations prononcées à l'encontre de la société Schneider electric industries et de la société SOS [Localité 7] intérim à titre de rappel de salaire, d'indemnités de rupture, de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
et en ce qui concerne le montant des condamnations prononcées à l'encontre de la société Schneider electric industries au titre de l'indemnité de requalification, de la participation et l'intéressement,
Statuant à nouveau des chefs infirmés,
Fixe la période à requalifier s'agissant de la société Schneider electric industries du 30 janvier 2014 au 29 juillet 2022 et s'agissant de la société SOS [Localité 7] intérim du 22 août 2020 au 29 juillet 2022,
Fixe le salaire brut de M. [O] [P] à la somme de 1 645,60 euros ;
Condamne la société Schneider electric industries à payer à M. [O] [P] les sommes suivantes :
3 543,98 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,
354,39 euros au titre des congés payés y afférents,
3 854,07 euros à titre d'indemnité légale de licenciement,
8 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans motif réel et sérieux,
1 771,99 euros à titre d'indemnité de requalification,
3 981,45 euros à titre de rappel de salaire,
398,14 euros au titre des congés payés y afférents,
10 760,05 euros à titre de rappel de participation et d'intéressement.
Condamne la société SOS [Localité 7] intérim à payer à M. [O] [P] les sommes suivantes et dit qu'elle sera tenue in solidum à due concurrence avec la société Schneider electric industries :
1 771,99 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,
177,19 euros au titre des congés payés y afférents,
885,99 euros à titre d'indemnité légale de licenciement ;
5 315,97 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Y ajoutant,
Condamne la société Schneider electric industries et la société SOS [Localité 7] intérim aux dépens de la procédure d'appel, la société SOS [Localité 7] interim étant tenue in solidum à hauteur d'1/3,
Ordonne le remboursement des indemnités chômage dans la limite de trois mois
Rejette toute autre demande.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE