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06/06/2024 | FRANCE | N°23/04143

France | France, Cour d'appel de Rouen, Chambre de la proximité, 06 juin 2024, 23/04143


N° RG 23/04143 - N° Portalis DBV2-V-B7H-JQ46





COUR D'APPEL DE ROUEN

CHAMBRE DE LA PROXIMITE



ARRET DU 06 JUIN 2024









DÉCISION DÉFÉRÉE :



23/01730

Jugement du juge de l'execution du Havre du 04 décembre 2023





APPELANTS :



Monsieur [M] [T]

né le [Date naissance 4] 1953 à [Localité 6]

[Adresse 3]

[Localité 6]



représenté et assisté par Me Mathilde THEUBET de la SELARL SELARL RIQUE-SEREZAT THEUBET, avocat au barrea

u du HAVRE





Madame [L] [H] épouse [T]

née le [Date naissance 1] 1956 à [Localité 6]

[Adresse 3]

[Localité 6]



représentée et assistée par Me Mathilde THEUBET de la SELARL SELARL RIQUE-SEREZAT THEU...

N° RG 23/04143 - N° Portalis DBV2-V-B7H-JQ46

COUR D'APPEL DE ROUEN

CHAMBRE DE LA PROXIMITE

ARRET DU 06 JUIN 2024

DÉCISION DÉFÉRÉE :

23/01730

Jugement du juge de l'execution du Havre du 04 décembre 2023

APPELANTS :

Monsieur [M] [T]

né le [Date naissance 4] 1953 à [Localité 6]

[Adresse 3]

[Localité 6]

représenté et assisté par Me Mathilde THEUBET de la SELARL SELARL RIQUE-SEREZAT THEUBET, avocat au barreau du HAVRE

Madame [L] [H] épouse [T]

née le [Date naissance 1] 1956 à [Localité 6]

[Adresse 3]

[Localité 6]

représentée et assistée par Me Mathilde THEUBET de la SELARL SELARL RIQUE-SEREZAT THEUBET, avocat au barreau du HAVRE

INTIMEE :

S.C.I. MIL COUP

[Adresse 2]

[Localité 5]

représentée par Me Claude AUNAY de la SCP AUNAY, avocat au barreau du HAVRE substituée par Me Caroline PAILLOT, avocat au barreau de ROUEN

COMPOSITION DE LA COUR  :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 18 avril 2024 sans opposition des avocats devant Monsieur MELLET, Conseiller, rapporteur.

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour composée de :

Madame GOUARIN, Présidente

Madame TILLIEZ, Conseillère

Monsieur MELLET, Conseiller

DEBATS :

Madame DUPONT greffière

A l'audience publique du 18 avril 2024, où l'affaire a été mise en délibéré au 06 juin 2024

ARRET :

Contradictoire

Prononcé publiquement le 06 juin 2024, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

signé par Madame GOUARIN, présidente et par Madame DUPONT, greffière lors de la mise à disposition.

Exposé des faits et de la procédure

Par acte authentique du 19 janvier 2010, la SCI le Big ben, aux droits de laquelle vient la Sci Mil Coup, a donné bail à M. [T] un local commercial à usage de bar-brasserie situé à Fécamp (76).

Le contrat prévoyait notamment, en cas de cession du bail ou du fonds de commerce, que M. [T] resterait tenu solidairement des obligations prévues au bail avec son cessionnaire.

Suivant acte authentique du 27 février 2015, M. et Mme [T] ont cédé le bail et le fonds à Mme [D] [S], avec l'accord du bailleur.

Par jugement du 26 mai 2023, le tribunal de commerce du Havre a prononcé l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de Mme [S].

Par acte de commissaire de justice du 5 septembre 2023, M. et Mme [T] ont fait citer la Sci Mil coup devant le juge de l'exécution du tribunal judiciaire du Havre afin d'obtenir la mainlevée de la saisie-conservatoire mise en oeuvre sur les comptes ouverts par M. [T] auprès de la Sa Banque CIC et leur compte joint pour garantie d'une créance de loyers commerciaux de 12 859,56 euros, déclarée à la liquidation judiciaire de Mme [S], ainsi que sa condamnation à leur payer 2 000 euros de dommages et intérêts pour procédure abusive, à supporter les dépens et à leur verser une indemnité de 2 000 euros en contrepartie des frais exposés pour assurer la défense de leurs intérêts.

Par jugement contradictoire du 4 décembre 2023, le juge de l'exécution du tribunal judiciaire du Havre a :

- débouté M. et Mme [T] de l'ensemble de leurs demandes ;

- condamné in solidum M. et Mme [T] aux dépens ;

- condamné M. et Mme [T] à payer à la SCI Mil coup une indemnité de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Par déclaration électronique du 15 décembre 2023, M. et Mme [T] ont relevé appel de cette décision.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 11 avril 2024.

Exposé des prétentions des parties

Par leurs dernières conclusions communiquées le 11 avril 2024, auxquelles il convient de se référer pour l'exposé des motifs, M. et Mme [T] demandent à la cour de réformer le jugement entrepris et :

- d'ordonner la mainlevée de la procédure de saisie conservatoire diligentée à la requête de la SCI Mil coup du 19 août 2023 et dénoncée le 24 août 2023 à M. [T] sur les comptes ouverts au nom de M. [T] au CIC et le compte joint des époux [T] ;

- de débouter la SCI Mil coup de toutes ses demandes, notamment de ses demandes d'indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la SCI Mil coup à la somme de 2 000 euros de dommages et intérêts pour procédure abusive ;

- condamner la SCI Mil coup à la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles engagés tant en première instance qu'en appel et aux entiers dépens.

Par conclusions communiquées le 16 février 2024, auxquelles il convient de se référer pour l'exposé des motifs, la SCI Mil coup demande à la cour de confirmer le jugement entrepris et débouter les époux [T] ;

Y ajoutant,

- condamner M. et Mme [T] au paiement de la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

MOTIFS DE LA DÉCISION

En application de l'article 1415 du code civil, chacun des époux ne peut engager que ses biens propres et ses revenus, par un cautionnement ou un emprunt, à moins que ceux-ci n'aient été contractés avec le consentement exprès de l'autre conjoint qui, dans ce cas, n'engage pas ses biens propres.

ll en résulte que, s'agissant d'époux soumis au régime légal, et sauf consentement exprès du conjoint, les sommes déposées sur un compte joint ou un compte ouvert au nom de l'un des époux, présumées communes tant qu'acquêt de communauté en vertu de l'article 1402 du code civil, ne sont pas saisissables, faute pour le créancier d'identifier les revenus propres de l'époux débiteur.

La charge de la preuve du caractère personnel des fonds pèse sur le saisissant.

La clause litigieuse, insérée en page 8 du bail, stipule qu'en cas de cession, le preneur demeurera tenu solidairement avec son cessionnaire ou son sous-locataire du paiement du loyer et de l'exécution des conditions du bail. Elle précise que cette obligation de garantie s'étendra à tous les cessionnaires et sous-locataires successifs occupants ou non les lieux, et ce, pendant le bail en cours et l'entière durée de son renouvellement.

Les appelants conviennent que l'engagement pris par M. [T] est un engagement de garantie solidaire et non un cautionnement, mais soutiennent que les dispositions de l'article 1415 ci-dessus prévoyant un consentement exprès du conjoint sont néanmoins applicables. Dès lors, les voies d'exécution engagées seraient illicites, pour porter sur le compte joint et des comptes de M. [T] qui contiennent des actifs présumés communs en application de l'article 1402 du même code.

En réplique, l'intimée fait valoir que les dispositions de l'article 1415 du code civil ne s'appliquent pas à la garantie solidaire d'un bail commercial en cas de cession de celui-ci, et précise que Mme [T] a manifesté son consentement au bail commercial qui stipule la clause litigieuse.

L'article 1415 du code civil est applicable à la garantie souscrite en l'espèce, qui constitue une sûreté personnelle, puisque M. [T] s'est obligé personnellement, en considération de l'obligation souscrite par le cessionnaire de payer les loyers, à en garantir le paiement à la Sci Mil Coup pendant le bail en cours et la durée du renouvellement. Cet engagement est de nature à appauvrir le patrimoine de la communauté.

Toutefois, le consentement exprès requis du conjoint en application de l'article 1415 du code civil n'est pas soumis au formalisme prévu à l'article 1326 du même code. En l'espèce, Mme [T] a consenti expressément à la sûreté constituée par son époux, dès lors qu'elle est elle-même signataire du bail du 19 janvier 2010 en qualité d'associé gérant représentant le bailleur, la Sci Big Ben. Le caractère exprès de son accord, quand bien même il n'est pas formalisé par une stipulation spécifique, procède de la signature de ce bail, dès lors que la garantie litigieuse clairement stipulée en page 8 bénéficiait à la personne morale qu'elle représentait.

Il s'ensuit que le gage des créanciers était étendu aux biens communs et que le moyen soulevé ne peut qu'être rejeté.

Il résulte en revanche des articles L. 511-1 et L. 511-2 du code des procédures civiles d'exécution que le créancier muni d'un acte notarié valant titre peut faire pratiquer une saisie conservatoire sans commandement préalable et sans autorisation du juge. Il devra toutefois justifier, si la mesure est contestée, de l'existence, antérieurement à la signification de la mesure, de circonstances susceptibles de menacer le recouvrement de sa créance.

En l'espèce, la Sci Mil coup ne justifie d'aucune circonstance menaçant le recouvrement à la date de la saisie. Le fait que Mme [S], cessionnaire du bail, a fait l'objet d'une procédure de liquidation judiciaire le 26 mai 2023 ne constitue pas une circonstance menaçant le recouvrement de la créance de garantie due par M. [T]. Aucun élément ne permet d'établir que la situation financière de ce dernier était compromise à la date du 19 août 2023 ou qu'il n'aurait pas été en mesure de couvrir la créance de loyers commerciaux déclarée pour un montant de 12 859,56 euros. Aucune mise en demeure n'a été adressée à l'intéressé, et il n'a pas manifesté de refus de payer avant la saisie.

Cette mesure a donc été engagée de façon illicite et il doit en être donné mainlevée.

La saisie a été engagée fautivement dans des conditions relevant de la légèreté blâmable, et le quotidien des époux [T] a été perturbé subitement et sans explication par l'indisponibilité de leurs comptes, ce qui leur cause un préjudice moral justifiant l'octroi d'une somme de 1 000 euros en réparation du préjudice subi.

La décision sera donc infirmée.

Les dispositions du jugement relatives aux dépens et frais irrépétibles sont infirmées au vu de la solution apportée au litige.

La Sci Mil Coup qui succombe sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel, outre une somme pour frais irrépétibles qu'il est équitable de fixer à 3 000 euros.

PAR CES MOTIFS

La cour :

Infirme le jugement ;

Statuant à nouveau,

Ordonne la mainlevée de la procédure de saisie conservatoire diligentée à la requête de la SCI Mil coup du 19 août 2023 et dénoncée le 24 août 2023 à M. [T] sur les comptes ouverts au nom de M. [T] au CIC et le compte joint des époux [T] ;

Condamne la Sci Mil Coup à payer à M. [M] [T] et Mme [L] [T] la somme de 1 000 euros à titre de dommages et intérêts ;

Condamne la Sci Mil Coup aux dépens de première instance ;

Y ajoutant,

Condamne la Sci Mil Coup aux dépens d'appel ;

Condamne la Sci Mil Coup à payer à M. [M] [T] et Mme [L] [T] la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

La greffière La présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rouen
Formation : Chambre de la proximité
Numéro d'arrêt : 23/04143
Date de la décision : 06/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 13/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-06;23.04143 ?
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