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04/06/2024 | FRANCE | N°24/00177

France | France, Cour d'appel de Rouen, Chambre premier président, 04 juin 2024, 24/00177


N° RG 24/00177 - N° Portalis DBV2-V-B7I-JRUW





COUR D'APPEL DE ROUEN



JURIDICTION DU PREMIER PRÉSIDENT



ORDONNANCE DU 4 JUIN 2024





DÉCISION DÉFÉRÉE :



Décision rendue par le bâtonnier de l'ordre des avocats de Dieppe en date du 5 décembre 2023





DEMANDEUR AU RECOURS :



Monsieur [E] [P]

[Adresse 2]

[Localité 4]



représenté par sa partenaire de Pacs, Mme [B] [J], munie d'un pouvoir







DÉFENDERESSE AU RECOURS

:



SCP GARRAUD OGEL

[Adresse 1]

[Adresse 1]

[Localité 3]



représentée par Me Anne-Sophie LEBLOND, avocat au barreau de Dieppe







DEBATS :



A l'audience publique du 2 avril 2024, devant Mme Marie-Chr...

N° RG 24/00177 - N° Portalis DBV2-V-B7I-JRUW

COUR D'APPEL DE ROUEN

JURIDICTION DU PREMIER PRÉSIDENT

ORDONNANCE DU 4 JUIN 2024

DÉCISION DÉFÉRÉE :

Décision rendue par le bâtonnier de l'ordre des avocats de Dieppe en date du 5 décembre 2023

DEMANDEUR AU RECOURS :

Monsieur [E] [P]

[Adresse 2]

[Localité 4]

représenté par sa partenaire de Pacs, Mme [B] [J], munie d'un pouvoir

DÉFENDERESSE AU RECOURS :

SCP GARRAUD OGEL

[Adresse 1]

[Adresse 1]

[Localité 3]

représentée par Me Anne-Sophie LEBLOND, avocat au barreau de Dieppe

DEBATS :

A l'audience publique du 2 avril 2024, devant Mme Marie-Christine LEPRINCE, première présidente de la cour d'appel de Rouen, assistée de Mme Catherine CHEVALIER, greffier ; après avoir entendu les observations des parties présentes, la première présidente a mis l'affaire en délibéré au 4 juin 2024.

DECISION :

contradictoire

Prononcée publiquement le 4 juin 2024, par mise à disposition de l'ordonnance au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

Signée par Mme LEPRINCE, première présidente et par Mme CHEVALIER, greffier présent lors de la mise à disposition.

EXPOSE DU LITIGE

M. [E] [P] a recouru aux services de la Scp Garraud [G], en la personne de Me [G], aux fins de contester son licenciement.

Par convention d'honoraires signée le 10 décembre 2019, il a été convenu d'un honoraire de base de 800 euros TTC pour la procédure de première instance, et de 900 euros TTC en procédure d'appel. En cas de dessaisissement de l'avocat, il était prévu que les diligences effectuées soient rémunérées au taux horaire de 200 euros HT, et non plus selon les honoraires de base susmentionnés.

Par jugement du 3 février 2022, le conseil de prud'hommes de Dieppe a notamment confirmé le motif de licenciement de M. [P].

Par déclaration d'appel du 1er mars 2022, M. [P] a interjeté appel de la décision.

Par tentative de règlement amiable du différend, Me [G] a obtenu acceptation d'une proposition d'indemnisation de M. [P] par son ancien employeur, à hauteur de 50 000 euros nets, le 20 juillet 2022. M. [P] n'a, par suite, pas signé le protocole d'accord transactionnel.

Par courrier du 9 août 2022, M. [P] a dessaisi Me [G] de la défense de ses intérêts et a mis fin à sa mission.

Par facture n°22090010 du 2 septembre 2022, la Scp Garraud Ogel a réclamé à

M. [P] le paiement de la somme de 1 440 euros TTC, au titre de ses diligences accomplies en procédure d'appel.

Par protocole d'accord transactionnel signé le 24 novembre 2022, M. [P] a obtenu une indemnisation de 60 000 euros nets de son ancien employeur.

Par requête reçue à l'ordre des avocats au barreau de Dieppe le 7 avril 2023, la Scp Garraud Ogel a saisi le bâtonnier en taxation de ses honoraires, tant au titre des diligences accomplies dans le cadre de la procédure d'appel, 1 440 euros TTC d'après facture susmentionnée, que pour perception d'un honoraire de résultat de 6 000 euros TTC, soit un total de 7 440 euros TTC, outre 50 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Par ordonnance rendue après prorogation le 5 décembre 2023, et notifiée le 14 décembre 2023, le bâtonnier a taxé les honoraires de la Scp Garraud [G] à hauteur de 5 440 euros TTC, outre 50 euros de frais irrépétibles.

Par lettre recommandée avec avis de réception reçue au greffe de la cour d'appel le 12 janvier 2024, M. [P] a formé recours contre la décision du bâtonnier.

L'audience a été fixée au 2 avril 2024.

A l'audience, M. [P], régulièrement représenté par pouvoir donné à Mme [J] sa conjointe, demande l'infirmation de l'ordonnance de taxe en ce qu'elle l'a condamné à payer à la Scp Garraud [G] un honoraire de résultat ; subsidiairement il demande que ledit honoraire soit calculé en fonction de la contribution effective de l'avocat au résultat obtenu. Il demande la réduction de l'honoraire facturé au titre des diligences accomplies dans le cadre de la procédure d'appel à 300 euros, et l'infirmation de sa condamnation au paiement de frais irrépétibles à la Scp Garraud [G], outre le paiement par cette dernière de la somme de 200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

M. [P] soutient que Me [G] a manqué à ses obligations professionnelles, tant dans la défense de ses intérêts devant le conseil de prud'hommes qu'en appel en ne tenant pas compte de sa volonté quant à la teneur des conclusions produites, par ailleurs déposées sans son accord en appel. Il explique en outre que Me [G] l'a harcelé afin qu'il signe un protocole d'accord transactionnel fin juillet 2022, tandis qu'il avait besoin de temps pour se décider.

Concernant l'honoraire de résultat, M. [P] argue de ce que la convention d'honoraires prévoit qu'il doit être perçu sur les sommes obtenues des condamnations par décision de justice, mais qu'il n'est rien prévu en cas de transaction. Subsidiairement, si la convention devait s'appliquer à la transaction intervenue,

M. [P] expose que Me [G] n'a en rien contribué à l'obtention du résultat de

60 000 euros nets, né des négociations et du nouvel accord amiable conclu le 24 novembre 2022, après son dessaisissement.

Sur la facture de 1 440 euros TTC du 2 septembre 2022, M. [P] conteste le temps facturé au regard des diligences accomplies, indiquant notamment que les conclusions produites en cause d'appel sont un 'copié-collé' des conclusions de première instance.

Enfin, sur la demande en paiement de 50 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, M. [P] soutient qu'elle est disproportionnée s'agissant de la saisine du bâtonnier par un avocat.

La Scp Garraud Ogel, représentée par Me Leblond demande la confirmation de l'ordonnance de taxe.

La Scp Garraud [G] explique que M. [P] a décidé de changer d'avocat, car il était en opposition avec la teneur des conclusions de Me [G] en appel, précisant néanmoins qu'il les avait acceptées et qu'un dossier ne se 'réinvente' pas entre la première instance et l'appel.

Sur l'honoraire de résultat, la Scp Garraud [G] soutient qu'elle a mené les négociations jusqu'à l'accord de la partie adverse de transiger pour une indemnisation de 50 000 euros nets, acceptable pour son client. Elle indique qu'il était nécessaire de transiger avant l'écoulement du délai de trois mois dont disposait l'ancien employeur de M. [P] pour conclure en appel, d'où les relances à son client entre le 20 juillet et le 2 août 2022.

MOTIFS

Sur la responsabilité professionnelle de l'avocat

La procédure de contestation en matière d'honoraires et débours d'avocat, fondée sur les articles'174 et suivants du décret du 27 novembre 1991, concerne les seules contestations relatives au montant et au recouvrement des honoraires, de sorte que le juge de l'honoraire n'a pas le pouvoir de connaître, même à titre incident, de la responsabilité de l'avocat à l'égard de son client résultant d'un manquement à son devoir de conseil et d'information, laquelle obéit au droit commun de la responsabilité.

Le juge de l'honoraire n'étant pas le juge de la responsabilité civile professionnelle de l'avocat, l'argumentation de M. [P] tenant à la qualité du travail réalisé par son avocat est hors débats et ne peut qu'être écartée.

Sur les honoraires de l'avocat

L'article 10 de la loi n°71-1130 du 31 décembre 1971 tel qu'il résulte de la modification de la loi n°2015-990 du 6 août 2015 dispose en ses alinéas'1, 3 et 4'que les honoraires de postulation, de consultation, d'assistance, de conseil, de rédaction d'actes juridiques sous seing privé et de plaidoirie sont fixés en accord avec le client.

Sauf en cas d'urgence ou de force majeure ou lorsqu'il intervient au titre de l'aide juridictionnelle totale ou de la troisième partie de la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, l'avocat conclut par écrit avec son client une convention d'honoraires, qui précise, notamment, le montant ou le mode de détermination des honoraires couvrant les diligences prévisibles, ainsi que les divers frais et débours envisagés.

Les honoraires tiennent compte, selon les usages, de la situation de fortune du client, de la difficulté de l'affaire, des frais exposés par l'avocat, de sa notoriété et des diligences de celui-ci.

Sur l'honoraire de diligences

Le dessaisissement de l'avocat ne rend pas inapplicable la convention qui a organisé les modalités de paiement de l'honoraire de diligence dans cette hypothèse.

En l'espèce, la convention d'honoraires du 10 décembre 2019 prévoit qu'en cas de dessaisissement de l'avocat par son client, les diligences déjà effectuées seront rémunérées par référence au taux horaire de 200 euros HT, et non plus sur la base des honoraires forfaitaires qui avaient été convenus.

La facture n°22090010 du 2 septembre 2022, d'un montant de 1 440 euros TTC, applique le taux horaire prévu par la convention en cas de dessaisissement de l'avocat.

Les diligences facturées sont :

- rédaction de la déclaration d'appel : 1h,

- analyse du jugement et recherche de la jurisprudence : 1h,

- établissement des conclusions d'appelant : 3h,

- établissement du bordereau de communication de pièces + communication des pièces : 1h.

M. [P] conteste le temps passé à la rédaction de la déclaration d'appel, ainsi que celui consacré à la rédaction des conclusions dont il soutient qu'elles sont une copie des conclusions de première instance.

Après examen de la déclaration d'appel, il apparaît que le temps facturé de 1h correspond au travail de rédaction de la déclaration, de mise en forme de la liste des pièces, de relecture attentive de l'acte de procédure et de communication.

Quant aux conclusions de première instance et d'appel, leur lecture révèle certes de grandes similitudes eu égard à la cohérence de la défense adoptée, néanmoins le temps facturé de 3 heures n'est pas disproportionné considérant les modifications apportées aux conclusions d'appel, lesquelles ont nécessairement compris un temps de réflexion et de relecture.

Le taux horaire de 200 euros HT appliqué en cas de dessaisissement se situe dans les taux moyens pratiqués par les avocats du ressort de la cour.

M. [P] se trouve devoir la somme de 1 440 euros TTC à la Scp Garraud [G] au titre de ses honoraires de diligences, d'après facture n°22090010 du 2 septembre 2022.

Sur l'honoraire de résultat

Il résulte des articles 10 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 et 10 du décret n°2023-552 du 30 juin 2023 que si l'avocat ne peut réclamer un honoraire de résultat que lorsqu'il a été mis fin à l'instance par un acte ou une décision juridictionnelle irrévocable, une convention d'honoraires peut prévoir les modalités de sa rémunération en cas de dessaisissement avant l'obtention d'une telle décision. Il appartient alors au juge de l'honoraire de rechercher si l'avocat a contribué au résultat obtenu et de réduire cet honoraire s'il présente un caractère exagéré au regard du résultat obtenu ou du service rendu.

En l'espèce, la clause 'Honoraires de résultat' de la convention d'honoraires du 10 décembre 2019 dispose : 'Un honoraire de résultat sera perçu par l'Avocat en fonction des gains obtenus.

Les gains obtenus sont constitués par les sommes allouées au client au titre de l'ensemble des condamnations telles que mentionnées au dispositif du jugement (dommages et intérêts, article 700, salaires et accessoires de salaire etc..)

Ces honoraires hors taxes seront fixés à hauteur de 12% du résultat obtenu.

Cet honoraire de résultat sera réglé à l'Avocat lors de la perception effective par le client des sommes mises à la charge de la partie adverse'.

La clause suivante, intitulée 'Dessaisissement' prévoit :'Dans l'hypothèse où le client souhaiterait dessaisir l'Avocat, les diligences effectuées seront rémunérées par référence au taux horaire usuel de l'Avocat soit 200 € HT de l'heure et non sur la base des honoraires de base figurant aux points précédents'.

Les clauses précitées sont claires et précises. Les honoraires de résultat visent les sommes allouées au client au titre de l'ensemble des condamnations telles que mentionnées au dispositif du jugement. En outre, la convention d'honoraires ne prévoit pas de modalités de rémunération de l'avocat au titre de son honoraire de résultat en cas de dessaisissement anticipé.

Il résulte de l'article 1103 du code civil que les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits.

Il ressort de la convention d'honoraires que les sommes obtenues par transaction sont exclues de l'honoraire de résultat. M. [P] ne peut dès lors être tenu de son paiement à la Scp Garraud [G].

Au regard de ce qui précède, l'ordonnance de taxe rendue par le bâtonnier sera confirmée en son principe, en ce qu'elle accorde paiement de ses honoraires à la Scp Garraud Ogel par M. [P]. En revanche, ayant altéré le sens de la convention, elle sera réformée quant au montant alloué, l'honoraire de résultat n'étant pas dû.

En conséquence, M. [P] sera condamné à payer à la Scp Garraud Ogel la somme de 1 440 euros TTC au titre de son honoraire de diligences.

Sur les demandes accessoires

Considérant l'issue du litige, les dispositions de l'ordonnance de taxe relatives aux frais irrépétibles doivent être infirmées.

M. [P] et la Scp Garraud [G] succombent partiellement dans leurs prétentions et supporterons leurs propres dépens, de même qu'aucune considération d'équité ne justifie de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au bénéfice des parties.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement par décision contradictoire et en dernier ressort,

Confirme l'ordonnance de taxe rendue le 5 décembre 2023 par le batônnier de l'ordre des avocat au barreau de Dieppe en ce qu'elle a condamné M. [E] [P] au paiement de ses honoraires à la Scp Garraud Ogel ;

Infirme l'ordonnance de taxe en ce qu'elle a condamné M. [E] [P] à payer à la Scp Garraud Ogel la somme de 5 440 euros au titre de ses honoraires et celle de 50 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Statuant à nouveau,

Condamne M. [E] [P] à payer à la Scp Garraud Ogel la somme de

1 440 euros TTC ;

Déboute M. [E] [P] de sa demande en paiement sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Dit que chaque partie supportera la charge de ses dépens.

Le greffier, La première présidente,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rouen
Formation : Chambre premier président
Numéro d'arrêt : 24/00177
Date de la décision : 04/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 11/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-04;24.00177 ?
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