N° RG 23/00578 - N° Portalis DBV2-V-B7H-JJK2
COUR D'APPEL DE ROUEN
CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE
SECURITE SOCIALE
ARRET DU 24 MAI 2024
DÉCISION DÉFÉRÉE :
21/00048
Jugement du POLE SOCIAL DU TJ DE ROUEN du 20 Janvier 2023
APPELANT :
Monsieur [Z] [U]
[Adresse 4]
[Localité 6]
représenté par Me Fabien LACAILLE, avocat au barreau de ROUEN
INTIMEES :
Société [9]
[Adresse 2]
[Localité 8]
représentée par Me Eric DI COSTANZO de la SELARL ACT'AVOCATS, avocat au barreau de ROUEN
Société [12]
[Adresse 1]
[Localité 7]
représentée par Me Jérôme DEREUX de la SELARL CABINET CARNO AVOCATS, avocat au barreau de ROUEN
CPAM [Localité 13]-[Localité 11]-[Localité 10]
[Adresse 3]
[Localité 5]
dispensée de comparaître
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 27 Mars 2024 sans opposition des parties devant Madame ROGER-MINNE, Conseillère, magistrat chargé d'instruire l'affaire.
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Madame BIDEAULT, Présidente
Madame ROGER-MINNE, Conseillère
Madame DE BRIER, Conseillère
GREFFIER LORS DES DEBATS :
M. GUYOT, Greffier
DEBATS :
A l'audience publique du 27 mars 2024, où l'affaire a été mise en délibéré au 24 mai 2024
ARRET :
CONTRADICTOIRE
Prononcé le 24 Mai 2024, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,
signé par Madame BIDEAULT, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.
* * *
EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
La société [12] (ci-après l'entreprise de travail temporaire ou l'ETT) a mis à la disposition de la société [9] (ci-après l'entreprise utilisatrice ou l'EU) M. [Z] [U], exerçant en qualité de tourneur, à compter du 7 janvier 2019.
Elle a déclaré à la caisse primaire d'assurance maladie de [Localité 13] [Localité 11] [Localité 10] (la caisse) un accident concernant le salarié, en indiquant que le 10 juin 2020 il s'était fait mal au genou, le certificat médical initial faisant état d'une gonalgie droite.
La caisse a pris en charge cet accident au titre de la législation sur les risques professionnels, a déclaré l'état de santé de M. [U] guéri au 11 septembre 2020, a pris en charge une rechute du 30 septembre 2020, déclarée consolidée au 24 mars 2023.
M. [U] a saisi le pôle social du tribunal judiciaire de Rouen d'une demande de reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur.
Par jugement du 20 janvier 2023, le tribunal :
- l'a débouté de ses demandes,
- l'a condamné à payer à la société utilisatrice la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- l'a condamné aux dépens.
M. [U] a interjeté appel de cette décision le 14 février 2023.
EXPOSÉ DES PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Par conclusions remises le 17 août 2023, soutenues oralement, M. [U] demande à la cour de :
- confirmer le jugement en ce qu'il l'a déclaré recevable en sa demande et le réformer pour le surplus,
- reconnaître la faute inexcusable de l'employeur,
- ordonner la majoration de la rente à son maximum, une fois la consolidation intervenue,
- condamner la caisse à lui verser une provision de 10 000 euros,
- condamner l'entreprise utilisatrice et l'entreprise de travail temporaire aux dépens et au paiement d'une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- ordonner l'exécution provisoire.
Il fait valoir que le jour des faits, il est descendu de la machine et a été victime d'une chute, à la suite d'une glissade sur le sol vétuste ; que l'entreprise utilisatrice a exercé des menaces et des pressions sur l'ensemble des salariés pour dissimuler l'accident du travail et a procédé, après l'accident, au nettoyage des sols. Il précise que la description des faits dans la déclaration d'accident du travail a été faite de façon non contradictoire. Il considère que les circonstances de l'accident sont déterminées et indiquent que la cour d'appel, dans un litige prud'homal, a reconnu le manquement à l'obligation de sécurité de résultat de la société.
Il soutient que la faute inexcusable de l'employeur est de droit dans la mesure où le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) avait mentionné l'état de vétusté des locaux et le caractère glissant des sols, le 5 juin 2020. Il estime que la société utilisatrice doit produire les rapports du CHSCT de cette date.
Il fait valoir qu'en tout état de cause la faute inexcusable doit être retenue dès lors qu'aucune pièce ne démontre que les mesures de sécurité élémentaires ont été prises pour protéger les salariés d'un risque de glissade et de chute.
Par conclusions remises le 25 octobre 2023, soutenues oralement, l'ETT demande à la cour de :
- confirmer le jugement en toutes ses dispositions,
- condamner M. [U] aux dépens et au paiement d'une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- à titre subsidiaire, avant-dire droit, compléter la mission de l'expert dont la désignation est sollicitée, afin de déterminer l'existence éventuelle d'un état pathologique antérieur susceptible d'évoluer pour son propre compte, afin qu'il dise si les lésions constatées sont compatibles avec une chute depuis une machine, avec une chute de plain-pied lors d'une poussée de chariot ou avec une glissade sur un sol insalubre et qu'il dise si la pathologie décrite est la conséquence directe et exclusive des missions confiées au salarié dans le cadre de son travail,
- débouter ce dernier de ses autres demandes, en ce compris la demande d'indemnisation à titre provisionnel,
- à titre infiniment subsidiaire, condamner l'entreprise utilisatrice à la relever et la garantir de l'intégralité des conséquences financières de la reconnaissance de la faute inexcusable et pour toute condamnation au titre des dépens et de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle précise qu'elle a, dès le début, émis des réserves quant aux conditions de réalisation de la chute invoquée par le salarié, compte tenu des imprécisions quant à l'heure, quant aux circonstances, du fait de l'absence de témoin et de description claire et constante des faits par M. [U]. Elle indique que la juridiction prud'homale a requalifié la relation contractuelle à l'encontre de l'entreprise utilisatrice, de sorte qu'au moment de l'accident, elle n'était plus l'employeur de M. [U]. Elle en déduit qu'il ne saurait y avoir de condamnation, même solidaire, à son encontre si la cour réformait le jugement du pôle social.
Elle fait valoir par ailleurs que les circonstances de la chute restent inconnues et que la preuve d'une insalubrité ou saleté ayant pu générer une glissade n'est pas rapportée, M. [U] ayant plusieurs fois changé de version sur les circonstances de la chute.
Par conclusions remises le 10 novembre 2023, soutenues oralement, la société utilisatrice demande à la cour de :
- confirmer le jugement en toutes ses dispositions,
- condamner M. [U] aux dépens et au paiement d'une somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle expose que le dernier contrat de mission a pris fin le 26 juin 2020 et conteste avoir fait pression sur ses salariés pour masquer la réalité de l'accident. Elle soutient que le 10 juin 2020, le salarié n'a prévenu ni son manager ni un représentant de la société d'intérim qu'il avait « chuté » et était rentré chez lui ; qu'il ne s'est pas présenté à son poste de travail le lendemain, sans prévenir et que ce n'est que lorsque le responsable de fabrication l'a contacté par SMS pour s'étonner de son absence, qu'il a indiqué avoir fait une chute la veille. Elle indique qu'il n'y a aucun témoin de l'accident ; que la visite du CHSCT du 5 juin 2020 ne laissait pas apparaître que les locaux étaient vétustes ou qu'au moment de l'accident le sol était glissant ; que le sol avait été nettoyé la veille ; que l'assuré a bénéficié de formations à la sécurité et possédait des équipements individuels de sécurité, dont des chaussures antidérapantes. Elle en déduit que M. [U] ne peut revendiquer le bénéfice de la faute inexcusable de droit et qu'elle a mis en place des mesures de prévention et de protection de ses salariés.
Par conclusions remises le 19 mars 2024, la caisse, qui a été dispensée de comparution à l'audience, demande à la cour de :
- lui donner acte de ce qu'elle s'en rapporte à justice en ce qui concerne la reconnaissance d'une faute inexcusable de l'employeur,
- en cas de reconnaissance d'une telle faute, condamner la société [12] à lui rembourser le montant de l'ensemble des réparations qui pourraient être allouées à M. [U].
Il est renvoyé aux conclusions des parties pour l'exposé détaillé de leurs moyens.
MOTIVATION
1. Sur la faute inexcusable
C'est par de justes motifs que la cour adopte que le tribunal judiciaire a considéré que les circonstances de l'accident du travail n'étaient pas établies au vu des mentions de la déclaration d'accident du travail, de l'enquête de la caisse, des photographies inexploitables produites aux débats par M. [U] et de l'attestation de M. [S], responsable qualité sécurité hygiène environnement de l'EU, qui a appelé l'intéressé le 11 juin en fin de journée pour prendre connaissance des circonstances de l'accident et qui indique : « la victime a déclaré au téléphone : 'avoir descendu de la machine, puis souhaitant pousser le chariot de broches, son genou est parti en arrière et il a chuté au sol. La victime m'a raconté je cite ses mots (j'ai fait une roulade pour rigoler)' [...] ».
Il convient par ailleurs d'observer que M. [C] qui atteste en faveur de M. [U] n'a pas assisté à l'accident mais l'a seulement vu en train de se relever.
Il en résulte qu'en présence de circonstances indéterminées aucune faute inexcusable ne peut être retenue.
Le jugement est en conséquence confirmé.
2. Sur les frais du procès
M. [U] qui perd le procès est condamné aux dépens d'appel et débouté de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile. Il n'est pas inéquitable de laisser à la charge de la société utilisatrice ses frais non compris dans les dépens.
PAR CES MOTIFS :
La cour
Statuant publiquement par arrêt contradictoire et en dernier ressort :
Confirme le jugement du tribunal judiciaire de Rouen du 20 janvier 2023,
Y ajoutant :
Condamne M. [U] aux dépens d'appel ;
Déboute les parties de leur demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LA PRESIDENTE