N° RG 23/00569 - N° Portalis DBV2-V-B7H-JJKI
COUR D'APPEL DE ROUEN
1ERE CHAMBRE CIVILE
ARRET DU 17 AVRIL 2024
DÉCISION DÉFÉRÉE :
21/03349
Tribunal judiciaire de Rouen du 13 décembre 2022
APPELANT :
Monsieur [Y] [K]
né le [Date naissance 3] 1965 à [Localité 8]
[Adresse 1]
[Localité 5]
représenté et assisté par Me Frédéric CAULIER de la SELARL CAULIER VALLET, avocat au barreau de Rouen
INTIMEE :
SAS DEMI-LUNE & ASSOCIES
RCS de Rouen 341 421 956
[Adresse 2]
[Localité 7]
représentée et assistée par Me Pascal MARTIN-MENARD de la SCP EMO AVOCATS, avocat au barreau du Havre
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 12 février 2024 sans opposition des avocats devant Mme BERGERE, conseillère, rapporteur,
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour composée de :
Mme Edwige WITTRANT, présidente de chambre
Mme Magali DEGUETTE, conseillère
Mme Anne-Laure BERGERE, conseillère
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Mme Catherine CHEVALIER
DEBATS :
A l'audience publique du 12 février 2024, où l'affaire a été mise en délibéré au 17 avril 2024
ARRET :
CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 17 avril 2024, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
signé par Mme WITTRANT, présidente de chambre et par Mme CHEVALIER, greffier présent lors de la mise à disposition.
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* *
EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
M. [Y] [K] a exercé sous l'enseigne Af Dépannage une activité artisanale de prestations de services dépannage en menuiserie, petite électricité, plomberie, petites rénovations, pour laquelle il était immatriculé au répertoire des métiers.
Suivant acte authentique du 16 février 2011, reçu par Me [L] [I], notaire associé de la Scp Halgand [I] Parquet Lecoeur Leconte à [Localité 7],
M. [K] a procédé à une déclaration d'insaisissabilité portant sur une maison à usage d'habitation situé [Adresse 6] [Localité 4].
Par jugement du 28 juin 2011, M. [K] a été placé en redressement judiciaire, procédure convertie en liquidation judiciaire par jugement du 19 juin 2012.
Dans le cadre de cette procédure collective, le liquidateur a contesté l'opposabilité de la déclaration d'insaisissabilité de l'immeuble d'habitation des époux [K] au motif que celle-ci n'a pas été régulièrement déclarée au Registre du commerce et des sociétés, ni au Répertoire des métiers, ni publiée dans un journal d'annonces légales.
Par exploit d'huissier de justice en date du 22 septembre 2021, M. [K] a fait assigner la Sas Demi-Lune & Associés venant aux droits de la Scp Halgand [I] Parquet Lecoeur Leconte devant le tribunal judiciaire de Rouen aux fins de mise en oeuvre de sa responsabilité et de paiement de dommages et intérêts.
Par jugement du 13 décembre 2022, le tribunal judiciaire de Rouen a :
- rejeté l'ensemble des demandes de M. [K],
- rejeté les autres demandes plus amples ou contraires,
- condamné M. [K] aux entiers dépens, dont distraction au profit de la Scp Emo-Avocats,
- condamné M. [K] à payer à M. [I] la somme de 2 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- rappelé la présente décision est exécutoire de droit à titre provisoire.
Par déclaration reçue au greffe le 14 février 2023, M. [K] a interjeté appel de cette décision.
EXPOSÉ DES PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Par dernières conclusions notifiées le 12 mai 2023, M. [K] demande à la cour de :
- le déclarer recevable en son appel,
- infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
statuant à nouveau,
- juger que la responsabilité civile contractuelle de Me [I], notaire associé aux droits duquel vient la Sas Demi-Lune & Associés est engagée,
- condamner la Sas Demi-Lune & Associés à lui verser la somme de
334 511,58 euros à titre de dommages et intérêts pour les préjudices subis,
- condamner la Sas Demi-Lune & Associés à lui payer la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais engagés en première instance, la somme de 3 000 euros sur le même fondement pour les frais engagés en cause d'appel, outre les entiers dépens de première instance et d'appel.
M. [K] critique le jugement entrepris en ce qu'il n'a pas, d'une part, répondu sur la question de la perte de valeur de l'immeuble litigieux et d'autre part, en ce qu'il a considéré que quand bien même la faute du notaire était établie, il ne rapportait pas la preuve d'un lien de causalité entre l'absence d'accomplissement des formalités de publicité et la perte de valeur et la saisie de son bien.
Sur la perte de valeur, l'appelant fait valoir que l'immeuble était évalué en septembre 2016 à la somme de 380 000 euros. Or, il a été vendu dans le cadre de la procédure collective 220 000 euros. Il soutient que cette différence est liée au fait qu'après le décès de son épouse le 23 septembre 2017 et alors qu'il savait qu'il ne pourrait conserver le bien, la déclaration d'insaisissabilité n'étant pas opposable à ses créanciers, il n'en a plus assumé l'entretien courant, de sorte que celui-ci s'est considérablement dégradé et a perdu de sa valeur. Il évalue donc le préjudice résultant de cette situation à la somme de 170 000 euros.
En outre, il expose qu'il résulte de l'état de créances dressé par le liquidateur que seule la créance du Crédit industriel de Normandie au titre du crédit immobilier contracté pour l'acquisition de la maison d'habitation était une créance antérieure à la déclaration d'insaisissabilité. Il estime donc que son préjudice résultant de l'absence d'accomplissement des formalités de publicité imposées par les articles L. 526-1 et L. 526-2 du code de commerce s'établit à la différence entre le prix de vente de l'immeuble et le montant de la créance hypothécaire du Crédit industriel de Normandie, soit 164 511,58 euros.
Par dernières conclusions notifiées le 28 juillet 2023, la Sas Demi-Lune & Associés demande à la cour de :
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté l'ensemble des demandes de
M. [K],
- débouter M. [K] de toutes ses demandes,
- rectifiant l'erreur matérielle commise par le jugement entrepris, condamner
M. [K] à payer à la Sas Demi-Lune & Associés la somme de 2 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en première instance,
- condamner M. [K] à lui payer la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel, outre les entiers dépens avec distraction au profit de la Scp Emo-Avocats, conformément à l'application de l'article 699 du code de procédure civile.
L'intimée ne conteste pas la faute de Me [I] qui n'a pas procédé aux démarches nécessaires pour mentionner la déclaration d'insaisissabilité reçue le 16 février 2011 au répertoire des métiers auquel était inscrit M. [K] ni la publier dans un journal d'annonces légales.
Néanmoins, elle soutient, ainsi que l'a justement retenu le premier juge, qu'il n'existe aucun lien de causalité entre cette faute et les préjudices de perte de valeur du bien immobilier et d'utilisation du prix de vente pour paiement de créanciers postérieurs revendiqués par M. [K]. En outre, en tout état de cause, elle affirme que la preuve de l'existence de ces deux postes de préjudice n'est pas rapportée, puisque
M. [K] ne justifie pas valablement de la perte de valeur de l'immeuble allégué, la production d'un seul mandat de vente n'ayant aucune valeur probante. De même, la Sas Demi-Lune & Associés fait observer que M. [K] ne rapporte pas la preuve que son passif n'étaient pas constitués uniquement de créanciers antérieurs à la déclaration d'insaisissabilité, à qui, en tout état de cause, même si elle avait été valablement publiée, cette formalité n'était pas opposable.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 24 janvier 2024.
MOTIFS
Sur la responsabilité de la Sas Demi-Lune & Associés
Aux termes de l'article 1240 du code civil, tout fait quelconque qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
En tant que rédacteur de l'acte, le notaire est tenu de prendre toutes dispositions utiles pour en assurer la validité et l'efficacité.
Aux termes de l'article L. 526-1 du code de commerce dans sa rédaction applicable à la date de l'acte litigieux, par dérogation aux articles 2284 et 2285 du code civil, une personne physique immatriculée à un registre de publicité légale à caractère professionnel ou exerçant une activité professionnelle agricole ou indépendante peut déclarer insaisissables ses droits sur l'immeuble où est fixée sa résidence principale ainsi que sur tout bien foncier bâti ou non bâti qu'elle n'a pas affecté à son usage professionnel.
Cette déclaration, publiée au bureau des hypothèques ou, dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, au livre foncier, n'a d'effet qu'à l'égard des créanciers dont les droits naissent, postérieurement à la publication, à l'occasion de l'activité professionnelle du déclarant. [...]
Selon l'article L. 526-2 du même code, la déclaration, reçue par notaire sous peine de nullité, contient la description détaillée des biens et l'indication de leur caractère propre, commun ou indivis. L'acte est publié au bureau des hypothèques ou, dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, au livre foncier, de sa situation.
Lorsque la personne est immatriculée dans un registre de publicité légale à caractère professionnel, la déclaration doit y être mentionnée.
Lorsque la personne n'est pas tenue de s'immatriculer dans un registre de publicité légale, un extrait de la déclaration doit être publié dans un journal d'annonces légales du département dans lequel est exercée l'activité professionnelle pour que cette personne puisse se prévaloir du bénéfice du premier alinéa de l'article L. 526-1.
L'établissement de l'acte prévu au premier alinéa et l'accomplissement des formalités donnent lieu au versement aux notaires d'émoluments fixes dans le cadre d'un plafond déterminé par décret.
En l'espèce, suivant acte authentique du 16 février 2011, reçu par Me [L] [I], notaire associé de la Scp Halgand [I] Parquet Lecoeur Leconte à [Localité 7], M. [K] a procédé à une déclaration d'insaisissabilité portant sur une maison à usage d'habitation situé [Adresse 6]e [Localité 4].
Cet acte a été publié au service de la publicité foncière mais n'a fait l'objet ni d'une mention au Répertoire des métiers, ni d'une publication dans un journal d'annonces légales.
Ces formalités de publicité conditionnant l'opposabilité de la déclaration d'insaisissabilité aux créanciers dont la créance naît postérieurement à cette démarche, la faute de Me [I] est donc avérée.
Sur le préjudice subi par M. [K], c'est en vain que celui-ci affirme que son bien immobilier a perdu de la valeur en raison de l'inopposabilité de la déclaration d'insaisissabilité, soutenant que cette situation l'a encouragée à ne pas l'entretenir puisqu'il ne pouvait le conserver de sorte qu'alors que sa maison d'habitation valait 380 000 euros, elle n'a pu être vendue que 220 000 euros.
En effet, d'une part, il convient de relever que M. [K] est défaillant à rapporter la preuve de la valeur de l'immeuble litigieux. Alors qu'aux termes de ce contrat, le mandant fixe unilatéralement le prix de son bien et qu'en outre, ce mandat a été conclu à une période où M. [K] était déjà informé depuis plusieurs années de la liquidation judiciaire de son activité et de l'inopposabilité de la déclaration d'insaisissabilité signalée par le liquidateur dès le 15 novembre 2012, la production d'un unique mandat de vente au prix de 380 000 euros confié au mois de mai 2016 n'a aucune valeur probante.
D'autre part, et en tout état de cause, il n'existe aucun lien de causalité entre la faute commise par Me [I] et le caractère saisissable du bien, puisqu'il résulte du titre de propriété des époux [K] que l'immeuble litigieux a été acquis les 17 et 18 octobre 2000 au moyen d'un prêt contracté auprès de la banque Crédit industriel de Normandie, garanti par un privilège de prêteur de deniers régulièrement publié au service de la publicité foncière.
M. [K] ne contestant pas que l'établissement bancaire était créancier à ce titre d'une somme de 55 488,42 euros et que la déclaration d'insaisissabilité lui était inopposable, cette unique situation rendait l'immeuble litigieux parfaitement saisissable, indépendamment de toute faute commise par le notaire dans l'accomplissement des formalités de publicité.
Quant au préjudice résultant du montant du passif réglé au moyen du prix de vente de l'immeuble litigieux, il convient de rappeler que la déclaration d'insaisissabilité a été souscrite le 16 février 2011 et publiée au service de la publicité foncière le 3 mars 2011.
Il y a lieu de prendre cette date comme référence pour apprécier la qualité de créanciers postérieurs à qui la déclaration d'insaisissabilité aurait dû être opposable si Me [I] n'avait pas omis de procéder, dans le même temps, à la mention de cet acte au répertoire des métiers.
Pour établir la réalité de son préjudice, M. [K] doit donc rapporter la preuve que le prix de vente de sa maison d'habitation, soit 208 750 euros, frais de négociation déduit, a été affecté au paiement de créances nées après le mois de mars 2011.
Or, il convient de constater que M. [K] est défaillant à rapporter cette preuve.
En effet, il résulte de la requête aux fins de clôture pour insuffisance d'actifs rédigée par le liquidateur de M. [K] que le passif de ce dernier a été arrêté à la somme de 244 783,34 euros, dont un passif postérieur à l'ouverture du redressement judiciaire d'un montant de 22 687,70 euros.
Le passif de M. [K] à l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire, soit le 28 juin 2011, s'élevait donc à la somme de 222 095,64 euros.
Or, les explications données par le liquidateur dans cette requête couplées aux informations contenues dans l'état des créances produit par M. [K], permettent de considérer que la très grande majorité de ce passif antérieur trouve naissance dans des contrats conclus bien avant le mois de mars 2011 ou rompus, s'agissant des contrats de travail, avant cette date.
En tout état de cause, M. [K] ne produit aucun élément probant permettant d'établir que son passif constitué de créances antérieures à la déclaration d'insaisissabilité était inférieur au prix de vente de sa maison d'habitation, de sorte que le solde constituerait le montant de son préjudice.
En conséquence, c'est en vain que M. [K] tente de mettre en oeuvre la responsabilité de la Sas Demi-Lune & Associés.
Il convient donc de confirmer le jugement entrepris.
Sur les dépens et frais irrépétibles
Les dispositions de première instance relatives aux dépens et frais irrépétibles seront confirmées, sauf à rectifier l'erreur matérielle affectant le jugement et à dire que la condamnation au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile est prononcée au profit de la Sas Demi-Lune & Associés et non de Me [I].
M. [K] succombant, il sera condamné aux dépens de la présente instance d'appel, dont distraction au profit de la Scp Emo-Avocats conformément à l'application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
L'équité et la nature du litige commandent qu'il soit fait application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit de la Sas Demi-Lune & Associés à concurrence de la somme de 2 000 euros.
PAR CES MOTIFS,
La cour statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,
Confirme en toutes ses dispositions le jugement entrepris, sauf à rectifier l'erreur matérielle affectant le jugement et à dire que la condamnation au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile est prononcée au profit de la Sas Demi-Lune & Associés et non de Me [I],
Y ajoutant,
Condamne M. [Y] [K] à payer à la Sas Demi-Lune & Associés la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne M. [Y] [K] aux entiers dépens d'appel, dont distraction au profit de la Scp Emo-Avocats,
Le greffier, La présidente de chambre,