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17/04/2024 | FRANCE | N°22/03802

France | France, Cour d'appel de Rouen, 1ère ch. civile, 17 avril 2024, 22/03802


N° RG 22/03802 - N° Portalis DBV2-V-B7G-JHGM







COUR D'APPEL DE ROUEN



1ERE CHAMBRE CIVILE



ARRET DU 17 AVRIL 2024









DÉCISION DÉFÉRÉE :



15/01588

Tribunal judiciaire de Dieppe du 19 septembre 2022





APPELANTE :



SA CREDIT IMMOBILIER DE FRANCE DEVELOPPEMENT - CIFD

venant aux droits de la société CREDIT IMMOBILIER DE FRANCE OUEST

RCS de Paris 379 502 644

[Adresse 2]

[Localité 6]



représentée par

Me Guillaume De l'Aigle de la SCP BONIFACE DAKIN & ASSOCIES, avocat au barreau de Rouen et assistée de Me Delphine DURANCEAU avocat au barreau d'Aix et Provence et Grasse, substituée par Me Linda MECHANTEL, avocat au bar...

N° RG 22/03802 - N° Portalis DBV2-V-B7G-JHGM

COUR D'APPEL DE ROUEN

1ERE CHAMBRE CIVILE

ARRET DU 17 AVRIL 2024

DÉCISION DÉFÉRÉE :

15/01588

Tribunal judiciaire de Dieppe du 19 septembre 2022

APPELANTE :

SA CREDIT IMMOBILIER DE FRANCE DEVELOPPEMENT - CIFD

venant aux droits de la société CREDIT IMMOBILIER DE FRANCE OUEST

RCS de Paris 379 502 644

[Adresse 2]

[Localité 6]

représentée par Me Guillaume De l'Aigle de la SCP BONIFACE DAKIN & ASSOCIES, avocat au barreau de Rouen et assistée de Me Delphine DURANCEAU avocat au barreau d'Aix et Provence et Grasse, substituée par Me Linda MECHANTEL, avocat au barreau de Rouen

INTIMES :

Madame [K] [T] épouse [C]

née le 6 octobre 1977 à [Localité 13]

[Adresse 5]

[Localité 8]

représentée et assistée par Me Jean-Christophe LEMAIRE de la SCP LEMAIRE QUATRAVAUX, avocat au barreau de Dieppe substitué par Me DERNY

(bénéficie d'une aide juridictionnelle totale numéro 2022/011966 du 15/05/2023 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de Rouen)

Société de droit étranger QBE EUROPE

venant aux droits de QBE INSURANCE EUROPE LIMITED

RCS de Nanterre 842 689 556

prise en son établissement en France

[Adresse 10]

[Localité 9]

représentée par Me Simon MOSQUET-LEVENEUR de la SELARL LEXAVOUE NORMANDIE, avocat au barreau de Rouen et assistée par Me Armelle MONGODIN de la Selarl EQUITY JURIS, avocat au barreau de Paris

Monsieur [S] [C]

né le 27 février 1972 à [Localité 11]

[Adresse 4]

[Localité 7]

non constitué bien que régulièrement assigné par acte d'huissier remis le 27 janvier 2023 selon les dispositions de l'article 659 du code de procédure civile

Monsieur [V] [R]

ès qualités de mandataire liquidateur de la liquidation judiciaire de la SARL LES CONSTRUCTIONS DU PATRIMOINE

[Adresse 1]

[Localité 3]

non constitué bien que régulièrement assigné par acte d'huissier remis à personne le 24 janvier 2023

COMPOSITION DE LA COUR  :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 21 février 2024 sans opposition des avocats devant Mme DEGUETTE, conseillère, rapporteur,

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour composée de :

Mme Edwige WITTRANT, présidente de chambre

Mme Magali DEGUETTE, conseillère

Mme Anne-Laure BERGERE, conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Mme Catherine CHEVALIER

DEBATS :

A l'audience publique du 21 février 2024, où l'affaire a été mise en délibéré au 17 avril 2024

ARRET :

RENDU PAR DEFAUT

Prononcé publiquement le 17 avril 2024, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

signé par Mme WITTRANT, présidente de chambre et par Mme CHEVALIER, greffier présent lors de la mise à disposition.

*

* *

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

Le 23 février 2012, M. [S] [C] et Mme [K] [T] ont conclu avec la Sarl Les Constructions du patrimoine un contrat de construction d'une maison individuelle avec fourniture d'un plan sur un terrain situé route départementale n°113, [Adresse 12], [Localité 7], pour le prix de

130 823 euros.

L'achat du terrain et la construction ont été financés par le biais de trois prêts immobiliers conclus avec la Sa Crédit Immobilier de France Ouest le 4 juin 2012 pour les montants de 6 070 euros (prêt à l'habitat), 24 143,28 euros (prêt à taux 0 +), et 148 308,72 euros (prêt à l'habitat).

En mars 2013, deux pignons de la maison en construction se sont effondrés causant la casse de la dalle, qui a été reprise partiellement par la Sarl Les Constructions du patrimoine.

Le 19 juin 2013, un avenant au contrat de construction, prévoyant une moins-value de 10 166 euros TTC, a été conclu.

Suivant courrier du 9 septembre 2013 signifié le 10 septembre 2013, la Sarl Les Constructions du patrimoine a invité les maîtres de l'ouvrage à une réunion de réception de l'ouvrage le 17 septembre 2013 et à la remise d'un chèque de banque de 17 572,54 euros pour solde de tout compte, ce que ces derniers ont refusé.

Par ordonnance du 9 janvier 2014, le juge des référés du tribunal de grande instance de Dieppe, saisi par la Sarl Les Constructions du patrimoine, a fait droit à sa demande d'expertise. Il a désigné M. [I] [J] pour réaliser cette mesure. Ce dernier a établi son rapport d'expertise le 15 septembre 2014.

Suivant actes d'huissier de justice des 27 novembre, 4 et 7 décembre 2015, M. et Mme [C] ont fait assigner la Sarl Les Constructions du patrimoine et son assureur la Sa Qbe Insurance Europe Limited, également garante de livraison, ainsi que la Sa Crédit Immobilier de France Ouest, devant le tribunal de grande instance de Dieppe aux fins notamment d'annulation et/ou de résolution du contrat de construction, d'annulation des contrats de prêts, et d'indemnisation de leurs préjudices.

Par exploit du 24 juillet 2020, M. et Mme [C] ont appelé à la cause Me [V] [R], mandataire liquidateur de la Sarl Les Constructions du patrimoine, placée en liquidation judiciaire par jugement du tribunal de commerce de Chartres du 24 octobre 2019.

Ces instances ont été jointes.

Par jugement du 19 septembre 2022, le tribunal judiciaire de Dieppe a :

- déclaré recevable et bien fondé l'appel en la cause de Me [V] [R] ès qualités de mandataire liquidateur de la Sarl Les Constructions du patrimoine,

- dit que la jonction de l'assignation du 24 juillet 2020 avec la procédure n°15/01588 a été prononcée par le juge de la mise en état le 29 octobre 2020,

- déclaré la société Qbe Europe, venant aux droits de la société Qbe Insurance Europe Limited, hors de cause,

- prononcé la nullité du contrat de construction conclu le 23 février 2012,

- dit que le contrat de construction est anéanti avec effet rétroactif,

- rejeté la démolition de l'ouvrage sollicitée,

- fixé la créance de [S] [C] et [K] [T] épouse [C] à la liquidation judiciaire de la société Les Constructions du patrimoine à la somme de 18 000 euros à titre de dommages et intérêts,

- prononcé la nullité des trois contrats de prêt immobilier souscrits par les époux [C] auprès de la Sa Crédit Immobilier de France Développement venant aux droits de la Sa Crédit Immobilier de France Ouest,

- ordonné à [S] [C] et [K] [T] épouse [C] de restituer à la Sa Crédit Immobilier de France Développement le capital emprunté au titre des trois prêts à l'exclusion des intérêts contractuels et après déduction des règlements effectués,

- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,

- condamné Me [V] [R] ès qualités à payer à [S] [C] et [K] [T] épouse [C] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonné l'exécution provisoire,

- condamné Me [V] [R] ès qualités au paiement des dépens qui comprendront les frais de procès-verbal de constat de Me [H] du 8 juillet 2013 et de Me [G] du 5 juillet 2013.

Par déclaration du 25 novembre 2022, la Sa Crédit Immobilier de France Développement (Cifd) a formé un appel contre le jugement.

EXPOSÉ DES PRÉTENTIONS ET DES MOYENS DES PARTIES

Par dernières conclusions notifiées le 14 août 2023, la Sa Crédit Immobilier de France Développement (Cifd) venant aux droits de la Sa Crédit Immobilier de France Ouest demande, sur la base des articles 1304, 1907, 1382 du code civil, de :

- voir infirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Dieppe le 19 septembre 2022 en ce qu'il a :

. déclaré la société Qbe Europe venant aux droits de la société Qbe Insurance Europe Limited hors de cause,

. rejeté la démolition de l'ouvrage sollicitée,

. prononcé la nullité des trois contrats de prêt immobilier souscrits par les époux [C] auprès de la Sa Cifd venant aux droits de la Sa Crédit Immobilier de France Ouest,

. ordonné à [S] [C] et [K] [T] épouse [C] de restituer à la Sa Cifd le capital emprunté au titre des trois prêts à l'exclusion des intérêts contractuels et après déduction des règlements effectués,

. débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires dont notamment celles relatives à l'opposition du Cifd à l'annulation des prêts et à l'absence de prise en considération de la demande de dissocier des opérations d'acquisition de celles de construction,

. ordonné l'exécution provisoire,

statuant à nouveau sur les chefs de jugement infirmés,

- se voir donner acte de ce qu'elle s'en remet à la sagesse de la cour d'appel si un appel incident devait être formé sur la demande de nullité ou de résolution du contrat de construction de maison individuelle en l'espèce,

- voir débouter M. et Mme [C]-[T] de leur demande de nullité des prêts qu'elle leur a accordés,

subsidiairement, en cas d'annulation ou de caducité de ces prêts :

- voir prendre acte qu'elle reconnaît, si la cour d'appel confirme l'annulation du prêt à l'habitat n°5300000015591001, devoir restituer les règlements reçus à hauteur des intérêts perçus (597,78 euros), le capital remboursé (166,57 euros) à l'exclusion des frais d'assurances (4 387,24 euros), soit la somme totale de 764,35 euros,

- voir ordonner la compensation des créances réciproques entre elle et M. et Mme [C]-[T],

- voir condamner M. et Mme [C]-[T] à lui restituer la somme de

119 107,71 euros outre intérêts au taux légal jusqu'à parfait règlement pour le prêt à l'habitat n°5300000015591001,

- voir prendre acte qu'elle reconnaît, si la cour d'appel confirme l'annulation du prêt Ptz+ n°5300000015591002, devoir restituer les règlements reçus à hauteur des intérêts perçus (0 euro), le capital remboursé (669,15 euros) et les frais de retard (10,71 euros) à l'exclusion des frais d'assurances (755,91euros), soit la somme totale de 679,86 euros,

- voir ordonner la compensation des créances réciproques entre elle et M. et Mme [C]-[T],

- voir condamner M. et Mme [C]-[T] à lui restituer la somme de

23 463,42 euros outre intérêts au taux légal jusqu'à parfait règlement pour le prêt Ptz+ n°5300000015591002,

- voir prendre acte qu'elle reconnaît, si la cour d'appel confirme l'annulation du prêt A L'Habitat n°5300000015591003, devoir restituer les règlements reçus à hauteur des intérêts perçus (109,85 euros), le capital remboursé (323,80 euros) et des frais de retard (15,15 euros) à l'exclusion des frais d'assurances (220,51euros), soit la somme totale de 448,80 euros,

- voir ordonner la compensation des créances réciproques entre elle et M. et Mme [C]-[T],

- voir condamner M. et Mme [C]-[T] à lui restituer la somme de

5 521,20 euros outre intérêts au taux légal jusqu'à parfait règlement pour le prêt à l'habitat n°5300000015591003,

- voir condamner M. et Mme [C]-[T] à lui restituer la somme globale de

148 092,33 euros outre intérêts au taux légal jusqu'à parfait règlement pour les trois prêts en cas d'annulation,

- voir prononcer la condamnation solidaire de Me [R] ès qualités et la société Qbe Europe à lui payer le montant des intérêts contractuellement prévus depuis l'origine et jusqu'au terme du contrat initialement prévu soit la somme totale au titre des trois prêts de 153 978,59 euros à titre de dommages-intérêts pour le préjudice qu'elle a subi,

- voir rejeter toutes prétentions contraires,

- voir fixer au passif de la Sarl Les Constructions du patrimoine sa créance à hauteur de 153978,59 euros,

- voir rappeler le maintien automatique des sûretés inscrites sur le bien financé tant que sa créance n'est pas intégralement soldée,

- voir condamner solidairement Me [R] ès qualités et la société Qbe Europe à lui verser la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi que les entiers dépens de l'instance d'appel et de première instance,

- voir fixer sa créance au titre de l'article 700 du code précité et des dépens au passif de la Sarl Les Constructions du patrimoine.

Elle fait valoir que le code de la consommation n'impose pas l'annulation automatique du contrat de prêt si le contrat de construction de maison individuelle est annulé, que les prêts ont en l'espèce étaient souscrits pour la construction mais également pour l'acquisition du terrain qui n'est pas annulée, que ces prêts, conformes à la loi, ne souffrent aucune contestation intrinsèque justifiant leur annulation.

Elle expose à titre subsidiaire qu'elle n'a commis aucune faute de sorte qu'en cas d'annulation des contrats de prêt, son préjudice consiste en la perte d'une chance de percevoir la rémunération attendue jusqu'à leur terme, c'est-à-dire la perception des intérêts conventionnels prévus ; qu'il serait injuste qu'elle rembourse les cotisations d'assurance acquittées par les emprunteurs puisqu'elle ne les a pas perçues, que le risque a été assuré, et qu'il l'est d'ailleurs toujours aujourd'hui.

Au soutien de son recours subsidiaire contre le constructeur et la société Qbe Europe, elle soutient que la Sarl Les Constructions du patrimoine a commis une faute à l'origine de l'annulation du contrat de construction qui lui a causé son préjudice explicité ci-dessus, à laquelle s'ajoute la perte des frais accessoires aux trois contrats de prêt (frais de garantie, de dossier, d'acquisition, et d'assurance).

Par dernières conclusions notifiées le 25 mai 2023 et signifiées à Me [V] [R] ès qualités le 31 mai 2023 et à M. [S] [C] le 9 juin 2023, Mme [K] [T] sollicite, sur la base des articles 1134, 1147, 1184, 1382 du code civil, L.121-21 à L.121-43 du code de la consommation, L.230-1, L.231-1, L.231-2, L.231-3, R.231-8, L.230-4, et L.271-1 du code de la construction et de l'habitation, de :

- voir infirmer le jugement de première instance en ce qu'il a :

. rejeté les demandes d'indemnisation des différents préjudices subis par Mme [T],

. fixé la créance de celle-ci à la liquidation judiciaire de la société Les Constructions du patrimoine uniquement à la somme de 18 000 euros à titre de dommages et intérêts,

. ordonné à Mme [T] de restituer à la Sa Cifd le capital emprunté au titre des trois prêts,

. rejeté la demande de condamnation de la société Qbe Europe, ainsi que de garantie,

en cause d'appel,

- voir débouter la Sa Cifd de sa demande tendant à rejeter l'annulation des prêts accordés à M. [C] et Mme [T], de toutes les conséquences et condamnations financières sollicitées à l'encontre de Mme [T] du fait de l'annulation des trois contrats de prêts, et de ses demandes tant au titre de l'article 700 du code de procédure civile qu'au titre des dépens,

- dès lors que l'annulation des contrats de prêts sera confirmée, voir débouter la Sa Cifd de toute demande en paiement et juger qu'elle ne sera tenue à aucun remboursement, y compris du capital restant dû,

- voir condamner la Sa Cifd à lui restituer l'ensemble des sommes par elle perçues au titre des remboursements des trois prêts et ce, du fait de leur annulation,

- voir fixer sa créance à la liquidation de la Sarl Les Constructions du patrimoine aux sommes suivantes :

. 4 400 euros au titre des travaux de reprise,

. 12 000 euros au titre des pénalités de retard,

. 10 000 euros au titre du préjudice de jouissance du terrain sur lequel l'immeuble d'habitation avait été érigé,

. 10 000 euros au titre du préjudice moral,

. 2 632,83 euros au titre du remboursement des frais de dossier versés à la Sa Cifd,

. 3 510,44 euros au titre du remboursement des frais d'hypothèque versés à la Sa Cifd,

. 87 437 euros au titre du préjudice matériel et des loyers exposés pour la période de septembre 2013 à ce jour,

- voir condamner la société Qbe Europe à garantir la Sarl Les Constructions du patrimoine des sommes précitées,

subsidiairement, sur les demandes de paiement de la Sa Cifd au titre des trois contrats d'assurance,

- dans l'hypothèse où des condamnations devaient intervenir en exécution de ces contrats souscrits par la Sa Cifd, voir fixer à la liquidation judiciaire de la Sarl Les Constructions du patrimoine le montant des condamnations à intervenir au titre des différents contrats de prêts,

- en tout état de cause, voir la société Qbe Europe la garantir de toute condamnation pouvant intervenir à son encontre,

- voir fixer à la liquidation judiciaire de la Sarl Les Constructions du patrimoine la somme de 200 000 euros au titre de la remise en état de l'immeuble lui appartenant, à savoir plus précisément au titre de la démolition de l'ouvrage et la remise en état du terrain,

- voir condamner la société Qbe Europe au paiement de la somme de 200 000 euros en qualité d'assureur de la Sarl Les Constructions du patrimoine au titre de la démolition de l'ouvrage et la remise en état du terrain appartenant à Mme [T],

- voir condamner Me [R] ès qualités au paiement de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens, tant de première instance, qu'en cause d'appel.

Elle fait valoir que, selon la Cour de cassation, du fait de l'effet rétroactif de l'annulation du contrat de construction, ce contrat est censé n'avoir pas été conclu dans le délai fixé par la loi, de sorte que le prêt souscrit pour assurer globalement l'ensemble de l'opération se trouve annulé de plein droit ; que la banque qui a débloqué des fonds sur un contrat entaché de nullité sera privée de sa créance de restitution ; que subsidiairement le jugement sera confirmé en ce qu'il a exclu les intérêts contractuels ; qu'il appartient à la Sa Cifd de solliciter le cas échéant la fixation de sa créance et la restitution des sommes versées directement à la Sarl Les Constructions du patrimoine à la liquidation de celle-ci avec une demande de garantie à l'encontre de la société Qbe Europe.

Elle estime ensuite que c'est à tort que le premier juge a décidé de mettre hors de cause la société Qbe Europe, car les préjudices qu'elle subis interviennent du fait de l'acte de construction de l'assurée de celle-ci.

Par dernières conclusions notifiées le 20 juin 2023 et signifiées à Me [V] [R] ès qualités le 10 juillet 2023 et à M. [S] [C] le 18 juillet 2023, la société Qbe Europe venant aux droits de la société Qbe Insurance Europe Limited demande de voir :

- débouter la Sa Cifd de son appel principal et Mme [T] de son appel incident,

- confirmer le jugement rendu le 19 septembre 2022 par le tribunal judiciaire de Dieppe en ce qu'il a :

. déclaré recevable et bien fondé l'appel en cause de Me [V] [R] ès qualités de mandataire liquidateur de la Sarl Les Constructions du patrimoine,

. déclaré la société Qbe Europe venant aux droits de la société Qbe Insurance Europe Ltd hors de cause,

. prononcé la nullité du contrat de construction conclu le 23 février 2012,

. dit que le contrat de construction est anéanti avec effet rétroactif,

. rejeté la démolition de l'ouvrage sollicitée,

. prononcé la nullité des trois contrats de prêt immobilier souscrits par les époux [C] auprès de la Sa Cifd venant aux droits de la Sa Crédit Immobilier de France Ouest,

. ordonné à M. et Mme [C] de restituer à la Sa Cifd le capital emprunté au titre des trois prêts à l'exclusion des intérêts contractuels et après déduction des règlements effectués,

. condamné Me [R] ès qualités à payer à M. et Mme [C] la somme de

3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

. condamné Me [R] ès qualités aux dépens,

. fixé la créance des époux [C] à la liquidation judiciaire de la Sarl Les Constructions du patrimoine à la somme de 18 000 euros à titre de dommages et intérêts,

. débouté les parties de leurs plus amples demandes,

statuant à nouveau,

- au vu des articles L.231-6 du code de la construction et de l'habitation et L.242-1 du code des assurances, dire et juger que la garantie de livraison est anéantie rétroactivement en cas d'anéantissement rétroactif du contrat de construction de maison individuelle et que, ni la garantie de livraison qu'elle a souscrite, ni la police responsabilité civile décennale du constructeur qu'elle a souscrite, ne couvre les conséquences de l'anéantissement rétroactif du contrat de construction de maison individuelle, et, en conséquence, ordonner sa mise hors de cause,

- vu l'article 1147 du code civil, même en l'absence de nullité du contrat de construction de maison individuelle ou d'anéantissement rétroactif du contrat, constater que la Sarl Les Constructions du Patrimoine n'était pas défaillante au sens de l'article L.231-6 précité à la date de l'acte introductif d'instance, dire et juger au contraire que M. et Mme [C] sont responsables de leur préjudice de jouissance, faute d'avoir réceptionné leur ouvrage le 17 septembre 2013 et d'avoir procédé au paiement de 95 % du prix convenu dû à la Sarl Les Constructions du patrimoine, et que l'estimation des désordres ne saurait excéder la somme de 4 980 euros TTC de sorte que M. et Mme [C] restent devoir à la Sarl Les Constructions du patrimoine la somme de 12 592,54 euros TTC, et, en conséquence, ordonner sa mise hors de cause,

- vu les articles 1792 et suivants du code civil et L.242-1 et suivants du code des assurances, dire et juger que la police responsabilité civile décennale du constructeur n'est pas mobilisable, faute de réception et de désordre compromettant la solidité de l'ouvrage ou sa destination, et, en conséquence, ordonner sa mise hors de cause en sa qualité d'assureur du chef des polices responsabilité civile décennale de la Sarl Les Constructions du patrimoine,

- à titre très infiniment subsidiaire, dans l'éventualité où une condamnation interviendrait au bénéfice de M. et Mme [C], dire et juger qu'elle peut opposer, dans les conditions de l'article 1294 du code civil, la compensation de ce que M. et Mme [C] doivent à la Sarl Les Constructions du Patrimoine, soit la somme de 17 572,54 euros TTC, avec les créances qu'ils invoquent à l'encontre de la société Qbe Europe, qu'elle peut leur opposer compensation avec une franchise de 5 % du prix convenu soit la somme de 4 950 euros, et qu'aucune condamnation ne pourra prospérer à son encontre à la demande de M. et Mme [C] si elle n'est pas constitutive d'un dépassement du prix convenu excédant la somme de

17 572,54 euros TTC et d'une franchise de 4 950 euros supplémentaires, soit un dépassement de 22 522,54 euros, et, en conséquence, ordonner la compensation entre les créances respectives des parties et débouter M. et Mme [C] de toute demande de dépassement de prix d'un montant inférieur à 22 522,54 euros,

- vu les articles L.443-1 du code des assurances, 1251-3, 2305, 2306 et 2309 du code civil, et L.624-2 du code de commerce, ordonner son admission au passif chirographaire de la Sarl Les Constructions du patrimoine à concurrence de toutes condamnations qui seraient prononcées par la cour d'appel au bénéfice de M. et Mme [C],

- condamner ces derniers à lui payer la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, en plus des dépens de l'instance, lesquels seront recouvrés par Me Mosquet, avocat au barreau de Rouen, conformément à l'article 699 du code précité.

Elle ajoute que la Sa Cifd est seule responsable des conséquences pécuniaires de l'annulation des contrats de prêt, consécutive à l'annulation du contrat de construction, pour avoir encaissé un acompte alors qu'aucune garantie de remboursement n'avait été fournie en violation de l'article L.231-10 du code de la construction et de l'habitation.

Pour un plus ample exposé des faits et des moyens, il est renvoyé aux écritures des parties ci-dessus.

La clôture de l'instruction a été ordonnée le 31 janvier 2024. A cette date, Me [V] [R] ès qualités et M. [S] [C], à qui la déclaration d'appel avait été signifiée respectivement les 24 janvier 2023 à personne habilitée et 27 janvier 2023 par procès-verbal de recherches infructueuses, n'avaient pas constitué avocat.

MOTIFS

Sur l'annulation des contrats de prêt et ses conséquences

La nullité du contrat de construction du 23 février 2012, prononcée par le tribunal pour absence d'annexion de l'attestation de garantie de remboursement à ce contrat, n'est pas contestée.

En raison de l'interdépendance de ce contrat avec les trois contrats de prêt souscrits pour assurer globalement le financement de l'ensemble de l'opération constituée par l'achat du terrain et la construction, l'annulation du premier entraîne celle des contrats de prêt.

L'article L.231-10 alinéa 1er du code de la construction et de l'habitation précise qu'aucun prêteur ne peut émettre une offre de prêt sans avoir vérifié que le contrat comporte celles des énonciations mentionnées à l'article L. 231-2 qui doivent y figurer au moment où l'acte lui est transmis et ne peut débloquer les fonds s'il n'a pas communication de l'attestation de garantie de livraison.

L'article L.231-2 du code précité, dans sa rédaction en vigueur au jour de la conclusion des contrats en cause, dispose que le contrat visé à l'article L.231-1 doit comporter les énonciations suivantes, notamment : k) les justifications des garanties de remboursement et de livraison apportées par le constructeur, les attestations de ces garanties étant établies par le garant et annexées au contrat.

La banque n'est pas tenue de s'immiscer dans les affaires de ses clients. Mais, elle doit s'assurer, en sa qualité de banquier professionnel prêtant son concours à un contrat de construction de maison individuelle, de ce que ce contrat respecte les mentions obligatoires de l'article L.231-2.

En l'espèce, la garantie de remboursement n'a pas été justifiée. Le déblocage d'un acompte sans cette garantie caractérise une faute de la banque qui a permis par le biais de son accord de financement la poursuite du chantier ouvert malgré la nullité du contrat de construction. Ce manquement justifie que son droit à restitution soit limité au capital emprunté au titre des trois contrats de prêts à l'exclusion des intérêts contractuels.

Le jugement du tribunal ayant prononcé la nullité des trois contrats de prêt immobiliers et ordonné à M. et Mme [C] de restituer à la banque le capital emprunté à l'exclusion des intérêts contractuels et après déduction des règlements effectués sera confirmé.

Sur la mise hors de cause de la société Qbe Europe

Comme l'a exactement retenu le premier juge, la garantie de livraison est anéantie rétroactivement par la nullité du contrat de construction de maison individuelle. De plus, les polices responsabilité civile et responsabilité décennale souscrites par le constructeur auprès de la société Qbe Insurance Europe Limited ne garantissent pas les conséquences de l'annulation du contrat de construction.

Mme [T] recherche subsidiairement la garantie de la société Qbe Europe sur le fondement principal de la responsabilité contractuelle de l'article 1147 ancien du code civil et sur le fondement subsidiaire de la responsabilité extracontractuelle de l'article 1382 ancien du même code.

Cependant, elle ne caractérise aucune faute de la société Qbe Europe à l'origine des préjudices qu'elle allègue.

Il y a donc lieu de faire droit à la demande de mise hors de cause de la société Qbe Europe et de rejeter les recours de Mme [T] et de la Sa Cifd formés à son encontre. La décision du tribunal ayant statué en ce sens sera confirmée.

Sur les recours formés contre la Sarl Les Constructions du patrimoine

1) Sur le recours formé par la Sa Cifd

Selon l'article 1382 du code civil en vigueur avant l'entrée en vigueur de l'ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

En l'espèce, la Sa Cifd ne caractérise pas la faute de la Sarl Les Constructions du patrimoine.

De plus, le défaut de restitution des intérêts contractuels sanctionne le manquement de la banque à son devoir de vérification du respect des mentions exigées par l'article L.231-2 précité.

En conséquence, ce recours sera rejeté. Le jugement du tribunal ayant statué en ce sens sera confirmé.

2) Sur le recours formé par Mme [T]

L'article 1147 du code civil en vigueur avant l'entrée en vigueur de l'ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 précise que le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part.

Mme [T] sollicite l'indemnisation des préjudices suivants sans remettre en cause les motifs du tribunal retenant une réalisation à hauteur de 95 % des travaux de construction et un partage de responsabilité entre les maîtres de l'ouvrage et le constructeur au vu des conclusions de l'expert judiciaire selon lesquelles :

- l'ouvrage était en mesure d'être réceptionné avec réserves, par rapport aux travaux de maçonnerie, dans le délai contractuel, de sorte que le refus de la réception par les maîtres de l'ouvrage en septembre 2013 n'est pas justifié,

- le constructeur n'a pas livré le matériel sur le chantier en septembre 2013,

- dans le cadre du compte entre les parties, les maîtres de l'ouvrage sont redevables d'un solde de 17 572,54 euros sur le prix, outre son indexation, et le constructeur demeure débiteur de travaux de reprise de 4 400 euros, de pénalités de retard de

12 000 euros, et de la pose d'une sous-toiture de 2 000 euros, soit une somme à devoir par ce dernier aux maîtres de l'ouvrage arrêtée par l'expert à 717,46 euros.

a) le coût de la remise en état de l'immeuble litigieux et les pénalités de retard

Les sommes précitées de 4 400 euros et 12 000 euros dont le bien-fondé est établi seront retenues.

b) le trouble de jouissance du terrain

Les travaux de construction de la maison pour laquelle la demande de démolition a été rejetée ont été réalisés sur le terrain acquis à cet effet dans leur presque totalité. Mme [T] ne souffre donc pas d'un préjudice de jouissance afférent.

Sa demande indemnitaire sera rejetée.

c) l'impossibilité d'avoir pu mener un projet de vie familiale dans la maison dont la construction était envisagée et le préjudice moral

Le premier juge a partiellement fait droit à cette prétention.

Le bien-fondé du dommage moral subi par les maîtres de l'ouvrage n'étant pas contesté utilement par les parties adverses, sa réparation sera effectuée à hauteur de 1 600 euros.

d) le remboursement des frais de dossier, d'hypothèque, et de location

Le lien de causalité entre la faute du constructeur et les frais de dossier et d'hypothèque exposés lors de la conclusion des trois contrats de prêt avec la Sa Crédit Immobilier de France Ouest n'est pas démontré. Ne dirigeant pas sa réclamation afférente contre la Sa Cifd, Mme [T] en sera déboutée.

Concernant le remboursement des frais de location, l'expert judiciaire n'en fait pas état et aucun justificatif afférent n'est versé aux débats par Mme [T] en cause d'appel malgré l'indication de cette carence dans les motifs du jugement.

Cette réclamation sera donc rejetée.

f) l'impossibilité de reprise des désordres

Mme [T] demande l'octroi de la somme de 200 000 euros au titre de la remise en état de son immeuble et plus précisément au titre de sa démolition et de la remise en état du terrain.

Mais, les travaux de remise en état de l'immeuble, chiffrés par l'expert judiciaire à 4 400 euros, ont déjà été indemnisés ci-dessus. Mme [T] ne justifie pas de l'impossibilité de reprendre les désordres dans ces proportions et selon les préconisations de l'expert judiciaire.

En outre, elle n'a pas critiqué aux termes de son appel incident le rejet de la demande de démolition de l'ouvrage prononcé par le tribunal.

Elle n'est donc pas fondée à solliciter l'allocation de dommages et intérêts à ce titre.

Cette demande sera rejetée.

* * *

En définitive, les dispositions du jugement selon lesquelles la créance de M. et de Mme [C] a été fixée au passif de la liquidation judiciaire de la Sarl Les Constructions du Patrimoine à hauteur de 18 000 euros à titre de dommages et intérêts et le surplus de leurs demandes indemnitaire a été rejeté seront confirmées.

Sur les demandes accessoires

Le jugement sera confirmé en ses dispositions sur les dépens et les frais de procédure.

Partie perdante, la Sa Cifd sera condamnée aux dépens d'appel lesquels seront recouvrés conformément aux textes sur l'aide juridictionnelle. Le bénéfice de distraction sera accordé au profit de l'avocat de la société Qbe Europe.

Il n'est pas inéquitable de rejeter les réclamations présentées au titre des frais de procédure sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt par défaut, mis à disposition au greffe,

Dans les limites de l'appel formé,

Confirme le jugement entrepris,

Y ajoutant,

Déboute les parties du surplus des demandes,

Condamne la Sa Crédit Immobilier de France Développement aux dépens d'appel, lesquels seront recouvrés conformément aux textes sur l'aide juridicationnelle et avec bénéfice de distraction au profit de Me Mosquet-Leveneur, avocat, en application de l'article 699 du code de procédure civile.

Le greffier, La présidente de chambre,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rouen
Formation : 1ère ch. civile
Numéro d'arrêt : 22/03802
Date de la décision : 17/04/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 23/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-04-17;22.03802 ?
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