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03/04/2024 | FRANCE | N°23/02170

France | France, Cour d'appel de Rouen, 1ère ch. civile, 03 avril 2024, 23/02170


N° RG 23/02170 - N° Portalis DBV2-V-B7H-JMXA





COUR D'APPEL DE ROUEN



1ERE CHAMBRE CIVILE



ARRET DU 3 AVRIL 2024







DÉCISION DÉFÉRÉE :



21/01341

Juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Rouen du 8 juin 2023





APPELANTE :



SARL ANGER

RCS de Dieppe 333 466 472

[Adresse 2]

[Localité 7]



représentée et assistée par Me Jérôme DEREUX de la Selarl CARNO AVOCATS, avocat au barreau de Rouen substituée par Me LETOUE







INTIMES :



Monsieur [S] [E]

né le 9 avril 1974 à [Localité 11]

[Adresse 5]

[Localité 8]



représenté et assisté par Me Arnaud VALLOIS de la Selarl ARNAUD VALLOIS-CLAIRE MOINARD AVOCATS ASSOCIES...

N° RG 23/02170 - N° Portalis DBV2-V-B7H-JMXA

COUR D'APPEL DE ROUEN

1ERE CHAMBRE CIVILE

ARRET DU 3 AVRIL 2024

DÉCISION DÉFÉRÉE :

21/01341

Juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Rouen du 8 juin 2023

APPELANTE :

SARL ANGER

RCS de Dieppe 333 466 472

[Adresse 2]

[Localité 7]

représentée et assistée par Me Jérôme DEREUX de la Selarl CARNO AVOCATS, avocat au barreau de Rouen substituée par Me LETOUE

INTIMES :

Monsieur [S] [E]

né le 9 avril 1974 à [Localité 11]

[Adresse 5]

[Localité 8]

représenté et assisté par Me Arnaud VALLOIS de la Selarl ARNAUD VALLOIS-CLAIRE MOINARD AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de Rouen

Madame [O] [K]

née le 28 janvier 1974 à [Localité 9]

[Adresse 5]

[Localité 8]

représentée et assistée par Me Arnaud VALLOIS de la Selarl ARNAUD VALLOIS-CLAIRE MOINARD AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de Rouen

CAISSE DE REASSURANCE MUTUELLE AGRICOLE DU CENTRE MANCHE - GROUPAMA CENTRE MANCHE

RCS de Chartres 383 853 801

[Adresse 1]

[Localité 4]

représentée et assistée par Me Jérôme VERMONT de la Selarl VERMONT TRESTARD & ASSOCIES, avocat au barreau de Rouen substitué par Me CHERRIER

SASU S.I.M.P. PRODUCTION

RCS du Havre 341 362 291

[Adresse 3]

[Localité 6]

représentée et assistée par Me Laurent LEPILLIER de la Selarl LEPILLIER BOISSEAU, avocat au barreau du Havre

COMPOSITION DE LA COUR  :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 22 janvier 2024 sans opposition des avocats devant Mme BERGERE, conseillère, rapporteur,

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour composée de :

Mme Edwige WITTRANT, présidente de chambre

Mme Magali DEGUETTE, conseillère

Mme Anne-Laure BERGERE, conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Mme Catherine CHEVALIER

DEBATS :

A l'audience publique du 22 janvier 2024, où l'affaire a été mise en délibéré au 3 avril 2024

ARRET :

CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 3 avril 2024, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

signé par Mme WITTRANT, présidente de chambre et par Mme CHEVALIER, greffier présent lors de la mise à disposition.

*

* *

EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

M. [S] [E] et Mme [O] [K] sont propriétaires d'un immeuble à usage d'habitation sis [Adresse 5] à [Localité 10].

Ils ont recouru à la Sarl Anger pour réaliser des travaux de charpente et la pose de menuiseries intérieures et extérieures, fournies par la Sas Sima Production, sur leur bien.

La réception des travaux a eu lieu le 28 février 2018.

Par exploit d'huissier en date du 27 février 2019, M. [E] et Mme [K] ont assigné la Sarl Anger en référé-expertise devant le tribunal de grande instance de Rouen. Cette dernière a appelé à la cause la Sas Sima Production, aux droits de laquelle vient la Sasu Simp Production.

Suivant ordonnances des 16 avril et 22 octobre 2019, le juge des référés du tribunal de grande instance de Rouen a confié une mission d'expertise judiciaire à

M. [N].

Le rapport d'expertise a été déposé le 4 janvier 2021.

Par acte du 13 avril 2021, M. [E] et Mme [K] ont assigné la Sarl Anger et la Sasu Simp Production devant le tribunal judiciaire de Rouen afin d'obtenir la réalisation de travaux de reprise sur les menuiseries extérieures.

Le 10 décembre 2021, la Sarl Anger a assigné son assureur Groupama Centre Manche en garantie.

Par ordonnance du 12 octobre 2022, la jonction des deux instances a été ordonnée.

Par ordonnance du 8 juin 2023, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Rouen a notamment :

- déclaré irrecevable l'action en garantie de la société Anger à l'égard de la compagnie Groupama en ce qu'elle est frappée par la prescription biennale,

- condamné la société Anger aux dépens,

- condamné la société Anger à verser à Groupama la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- rejeté toutes demandes plus amples ou contraires.

Par déclaration reçue au greffe le 23 juin 2023, la Sarl Anger a interjeté appel de cette décision.

Par décision de la présidente de chambre du 18 septembre 2023, l'affaire a été fixée suivant les modalités des articles 905 et suivants du code de procédure civile, à l'audience du 22 janvier 2024.

EXPOSÉ DES PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Par dernières conclusions notifiées le 22 septembre 2023, la Sarl Anger demande à la cour, au visa des articles L.114-1 et L.114-2 du code des assurances, de :

- infirmer l'ordonnance du 8 juin 2023 entreprise en ce qu'elle a :

. déclaré irrecevable l'action en garantie de la société Anger à l'égard de la compagnie Groupama en ce qu'elle est frappée par la prescription biennale,

. condamné la société Anger aux dépens,

. condamné la société Anger à verser à Groupama la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

. rejeté toutes demandes plus amples ou contraire ;

statuant à nouveau,

- déclarer l'action de la société Anger à l'encontre de la société Groupama recevable ;

- constater l'existence d'une action directe des consorts [E] à l'encontre de Groupama ;

- dire n'y avoir lieu à mettre hors de cause la société Groupama ;

- condamner la société Groupama à lui payer la somme de 2 400 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens de l'incident.

La Sarl Anger soutient que son action à l'encontre de Groupama n'est pas prescrite dès lors que son point de départ doit être fixé au jour de l'assignation au fond et non au jour de l'assignation en référé, car alors, au stade du référé-expertise, aucune demande indemnitaire susceptible d'ouvrir sur une déclaration de sinistre aux fins de garantie, n'avait été formulée. Elle ajoute que le délai de prescription biennale lui est inopposable car le délai de prescription de l'article L.114-1, et les dispositions de l'article L.114-2, du code des assurances ne sont pas rappelés dans les conditions particulières de la police signée, pas plus qu'une remise des dispositions générales ne lui a été faite.

Par dernières conclusions notifiées le 13 octobre 2023, la Caisse de Réassurance Mutuelle Agricole du Centre Manche (Groupama Centre Manche) demande à la cour, au visa des articles 122 du code de procédure civile et L.114-1 du code des assurances, de :

- confirmer l'ordonnance entreprise,

- débouter la société Anger de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,

- condamner la société Anger à lui payer la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens dont distraction au profit de la Selarl Vermont Trestard & Associés en application de l'article 699 du code de procédure civile,

- rejeter toutes demandes contraires.

Groupama Centre Manche rappelle, en premier lieu, que l'expert judiciaire a conclu à l'absence de caractère décennal des désordres constatés. En second lieu, sur le fondement des articles 122 du code de procédure civile et L.114-1 du code des assurances, elle argue de ce que le point de départ de l'action à son encontre est celui de l'action en référé-expertise, expliquant qu'à défaut cela reviendrait à priver les assureurs de la possibilité de participer à des opérations d'expertise judiciaire. Dès lors, elle affirme n'avoir pas été mise en cause en temps utile par son assurée.

En outre, Groupama Centre Manche rapporte que la Sarl Anger a signé les conditions particulières applicables au sinistre. Elle expose, d'une part, que par sa signature, la SarlAnger a expressément reconnu avoir pris connaissance des dispositions générales, ce qui équivaut à une remise avant signature du contrat. D'autre part, Groupama Centre Manche fait valoir que lesdites dispositions générales visent les règles gouvernant la prescription prévue à l'article L.114-1 du code des assurances. Dès lors, l'intimée soutient que la Sarl Anger n'est pas fondée à se prévaloir de l'inopposabilité de la prescription biennale à son encontre.

Par dernières conclusions notifiées le 17 octobre 2023, M. [S] [E] et Mme [O] [K] demandent à la cour de :

- condamner tout succombant à leur régler la somme de 1 200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens d'appel.

M. [E] et Mme [K] exposent que bien qu'aucune demande n'ait été formée à leur encontre en cause d'appel, ils ont néanmoins été attraits dans la procédure et contraints de constituer avocat. Ils entendent donc que tout succombant les indemnise de leurs frais irrépétibles.

Par dernières conclusions notifiées le 17 octobre 2023, la Sasu Simp Production demande à la cour de :

- condamner tout succombant à la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens d'appel.

La Sasu Simp Production soutient avoir été contrainte de constituer avocat et d'exposer des frais irrépétibles et dépens qu'ils seraient inéquitable de laisser à sa charge, tandis qu'attraite dans la cause, aucune demande n'a été formée à son encontre devant la cour.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 22 janvier 2024.

MOTIFS

Sur la prescription

- Sur l'opposabilité du délai biennal

L'article 2223 du code civil prévoit que les dispositions du titre dont il relève, relatif à la prescription extinctive, ne font pas obstacle à l'application des règles spéciales prévues par d'autres lois.

Il résulte des termes de l'article R.112-1 du code des assurances, selon lequel les polices d'assurance relevant des branches 1 à 17 de l'article R. 321-1 doivent rappeler les dispositions des titres I et II du livre Ier de la partie législative du code des assurances concernant la prescription des actions dérivant du contrat d'assurance, que l'assureur est tenu de rappeler dans le contrat d'assurance, sous peine d'inopposabilité à l'assuré du délai de prescription édicté par l'article L. 114-1 du code des assurances, tant ledit délai de prescription biennale, que les causes de son interruption prévues à l'article L. 114-2 du même code, outre le fait que quand l'action de l'assuré contre l'assureur a pour cause le recours d'un tiers, le délai de la prescription court du jour où ce tiers a exercé une action en justice contre l'assuré ou a été indemnisé par ce dernier.

Enfin, par application des dispositions de l'article 1103 du code civil, les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits, et sauf preuve contraire, la signature apposée par l'assuré sous une mention des conditions particulières ou d'un avenant stipulant qu'il a reçu un exemplaire des conditions générales, vaut preuve de ce celles-ci lui ont été remises et qu'elles lui sont donc opposables.

En l'espèce, les conditions particulières du contrat d'assurance conclu entre la Sarl Anger et Groupama Centre Manche le 21 février 2018 produites aux débats non seulement portent la signature du représentant légal de la société Anger, mais, de plus renvoient expressément aux dispositions générales du fascicule n°3350-220959-092014 dont l'assuré souscripteur reconnaît avoir pris connaissance.

Les dispositions générales figurant au fascicule n°3350-220959-092014 rappellent en leur point 4.6 consacré à la prescription, tant les dispositions de l'article L.114-1 que L. 114-2 du code des assurances selon les modalités explicitées plus haut.

Ainsi, il apparaît, aux termes du contrat, que Groupama Centre Manche a respecté le formalisme informatif imposé à l'assureur, outre le fait que la signature du contrat des conditions particulières par la Sarl Anger emporte acceptation des dispositions générales dont la société reconnaît avoir pris connaissance.

En conséquence, les dispositions dérogatoires au droit commun du code des assurances trouvent ici à s'appliquer, la prescription biennale est opposable à la Sarl Anger.

- Sur le point de départ de la prescription

L'article L. 114-1 alinéa 1er et 3 du code des assurances dispose que toutes actions dérivant d'un contrat d'assurance sont prescrites par deux ans à compter de l'événement qui y donne naissance; quand l'action de l'assuré contre l'assureur a pour cause le recours d'un tiers, le délai de la prescription ne court que du jour où ce tiers a exercé une action en justice contre l'assuré ou a été indemnisé par ce dernier.

L'assignation en référé en vue de la désignation d'un expert constituant une action en justice, l'assuré doit mettre son assureur en cause dans les deux ans suivant la date de celle-ci.

La Sarl Anger entend se prévaloir d'un revirement de jurisprudence aux termes duquel la prescription quinquennale des recours entre constructeurs, résultant de l'article 2224 du code civil, commence à compter de l'assignation accompagnée soit d'une demande de reconnaissance d'un droit, soit d'une demande de paiement ou d'exécution de l'obligation en nature, à l'exclusion de l'assignation en référé-expertise.

Or, cette solution ne s'étend pas à la relation assureur-assuré. L'action en justice au sens de l'article L. 114-1 alinéa 3 du code des assurances, même non assortie d'une demande d'indemnisation, en l'occurrence une assignation en référé-expertise délivrée à l'assuré, est de nature à faire courir le délai biennal de prescription opposable par son assureur.

En outre, pour être interruptive de prescription, une demande en justice doit être dirigée contre celui qu'on veut empêcher de prescrire. Ainsi, l'effet interruptif de la prescription biennale courant contre un assureur, résultant de la désignation en justice d'un expert ne peut jouer que si cet assureur a été appelé dans la procédure.

En l'espèce, la Sarl Anger a été assignée en référé-expertise par M. [E] et Mme [K] suivant exploit d'huissier à la date du 27 février 2019. Cet acte constitue à l'égard de l'entrepreneur le point de départ du délai de la prescription biennale de son action à l'encontre de son assureur, Groupama Centre Manche. En outre, il ne peut être avoir d'effet interruptif à l'égard de ce dernier, puisque la demande n'est pas dirigée contre lui.

Le premier acte interruptif de prescription à l'égard de l'assureur Groupama Centre Manche est intervenu le 10 décembre 2021, date de l'assignation en garantie délivrée contre lui par la société Anger.

Toutefois, il convient de constater que cet acte est intervenu après le 27 février 2021, de sorte que la prescription biennale, opposable à la Sarl Anger, est acquise.

Enfin, il importe peu que M. [E] et Mme [K] entendent exercer leur droit d'action directe à l'égard de Groupama, cette action étant indépendante de la garantie due par l'assureur à son assuré et ne peut donc permettre à la société Anger d'échapper à la prescription de son recours.

L'ordonnance déférée sera confirmée, et l'action de la Sarl Anger à l'égard de Groupama Centre Manche sera déclarée irrecevable.

Sur les demandes accessoires

Les dispositions de première instance relatives aux dépens et frais irrépétibles seront confirmées.

La Sarl Anger succombant, elle sera condamnée aux dépens d'appel, dont distraction au profit de la Selarl Vermont Trestard & Associés, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

L'équité et la nature du litige commandent qu'il soit fait application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit de Groupama Centre Manche à concurrence de la somme de 2 000 euros.

En revanche, il n'apparaît pas justifié de faire droit aux demandes présentées par

M. [E] et Mme [K], d'une part, et la société Simp Production, d'autre part, sur ce même fondement.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe,

Confirme l'ordonnance entreprise ;

Y ajoutant,

Condamne la Sarl Anger à payer à Groupama Centre Manche la somme de

2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Déboute les autres parties de leurs demandes présentées au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la Sarl Anger aux dépens d'appel, dont distraction au profit de la Selarl Vermont Trestard & Associés.

Le greffier, La présidente de chambre,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rouen
Formation : 1ère ch. civile
Numéro d'arrêt : 23/02170
Date de la décision : 03/04/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 09/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-04-03;23.02170 ?
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