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02/04/2024 | FRANCE | N°23/03197

France | France, Cour d'appel de Rouen, Chambre premier président, 02 avril 2024, 23/03197


N° RG 23/03197 - N° Portalis DBV2-V-B7H-JO4P





COUR D'APPEL DE ROUEN



JURIDICTION DU PREMIER PRÉSIDENT



RÉPARATION DU PRÉJUDICE LIÉ À

UNE DÉTENTION PROVISOIRE INJUSTIFIÉE



ORDONNANCE DU 02 AVRIL 2024









DEMANDERESSE A LA REQUÊTE :



Madame [U] [R]

née le [Date naissance 1] 1974 à [Localité 7]

[Adresse 3]

[Localité 2]



comparant en personne,



assistée de Me Grégoire ETRILLARD, avocat au barreau de PARIS,

su

bstitué par Me Céline FONTAINE, avocate au barreau de PARIS







DÉFENDEURS A LA REQUÊTE :



LA PROCUREURE GENERALE

[Adresse 4]

[Adresse 4]

[Localité 8]



représentée par M. COUDERT, avocat général







A...

N° RG 23/03197 - N° Portalis DBV2-V-B7H-JO4P

COUR D'APPEL DE ROUEN

JURIDICTION DU PREMIER PRÉSIDENT

RÉPARATION DU PRÉJUDICE LIÉ À

UNE DÉTENTION PROVISOIRE INJUSTIFIÉE

ORDONNANCE DU 02 AVRIL 2024

DEMANDERESSE A LA REQUÊTE :

Madame [U] [R]

née le [Date naissance 1] 1974 à [Localité 7]

[Adresse 3]

[Localité 2]

comparant en personne,

assistée de Me Grégoire ETRILLARD, avocat au barreau de PARIS,

substitué par Me Céline FONTAINE, avocate au barreau de PARIS

DÉFENDEURS A LA REQUÊTE :

LA PROCUREURE GENERALE

[Adresse 4]

[Adresse 4]

[Localité 8]

représentée par M. COUDERT, avocat général

AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT

[Adresse 5]

[Adresse 5]

[Localité 6]

représenté par Me Jérémie PAJEOT, avocat au barreau de CAEN,

substitué par Me Simon MOSQUET, avocate au barreau de ROUEN

DÉBATS :

A l'audience publique, en l'absence de demande contraire, du 09 Janvier 2024, où l'affaire a été mise en délibéré au 02 Avril 2024, devant Marie-Christine LEPRINCE, première présidente de la cour d'appel de ROUEN, assistée de Fanny GUILLARD, greffière.

DÉCISION :

CONTRADICTOIRE

Prononcée publiquement le 02 Avril 2024, par mise à disposition de l'ordonnance au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

signée par Marie-Christine LEPRINCE et par Fanny GUILLARD, greffière présente à cette audience.

*****

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Le 17 novembre 2017, Madame [U] [R] a été mise en examen du chef de violences volontaires sur un mineur de moins de quinze ans ayant entraîné la mort sans l'intention de la donner par le juge d'instruction du Tribunal d'Evreux.

À l'issue de l'information judiciaire, elle a été mise en accusation de ce même chef devant la Cour d'assises de l'Eure.

Le 28 mai 2021, elle était déclarée coupable, condamnée à la peine

de huit années d'emprisonnement et incarcérée à la maison d'arrêt de [Localité 8].

Le 3 juin 2021, Madame [U] [R] interjetait appel de cette décision.

Le 29 juillet 2021, elle déposait une demande de mise en liberté.

Le 16 septembre 2021, la Chambre de l'instruction de la Cour d'appel de Rouen rejetait la demande de mise en liberté.

Le 17 septembre 2021, Madame [R] formait un pourvoi en cassation à l'encontre de cet arrêt.

Par décision en date du 1er décembre 2021, la Chambre criminelle de la Cour de cassation cassait et annulait en toutes ses dispositions l'arrêt rendu par la Chambre de l'instruction de la cour d'appel de Rouen.

Le 25 janvier 2022, la Chambre de l'instruction de la Cour d'appel de Caen ordonnait la mise en liberté sous contrôle judiciaire de Madame [U] [R].

Suivant arrêt de la Cour d'assises de la Seine-Martime en date du 30 mars 2023, Madame [U] [R] était acquittée. Cette décision, n'ayant pas fait l'objet d'un pourvoi, est devenue définitive.

Par une requête reçue au greffe de la cour le 26 septembre 2023, Madame [U] [R] a saisi la Première présidente de la Cour d'appel de Rouen, sur le fondement de l'article 149 du code de procédure pénale, d'une demande en réparation de la détention préventive. Elle sollicite l'allocation des sommes suivantes :

' 70.000 € en réparation de son préjudice moral ;

' 23.219,64 € en réparation de son préjudice économique ;

' 16.346 € au titre des frais d'avocat ;

' 3.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Dans des conclusions en réponse reçues au greffe de la cour le 28 décembre 2023, elle a maintenu ces demandes passant toutefois le montant de l'indemnisation au titre de l'article 700 du code de procédure civile à la somme de 4.000 €.

Ces demandes ont été reprises oralement à l'audience du 9 janvier 2024.

Par des conclusions déposées le 21 novembre 2023, soutenues oralement à l'audience, l'État français, pris en la personne de l'agent judiciaire de l'État, offre à Madame [R] les sommes suivantes;

' 25.000 € en réparation de son préjudice moral ;

' 12.380 € en réparation de son préjudice économique ;

'  3.600 € au titre des frais d'avocat.

L'agent judiciaire de l'État souhaite que Madame [U] [R] soit déboutée du surplus de ses demandes indemnitaires ainsi que de la somme sollicitée au titre des frais irrépétibles, à titre subsidiaire que ses prétentions soient réduites.

Par des observations retournées au greffe le 12 décembre 2023, le parquet général a également sollicité la réduction des prétentions financières de la requérante au titre du préjudice moral, de la perte de chance et des frais de défense. Il s'oppose à toute indemnité au titre des frais de visite.

A l'audience, il a soutenu que l'indemnisation au titre de la détention injustifiée devait être atténuée entre le jour de l'incarcération et celle de l'appel puis entre celle de l'appel et la demande de mise en liberté.

SUR CE

- Sur la recevabilité de la requête :

Aux termes de l'article 149 du code de procédure pénale, la personne qui a fait l'objet d'une détention provisoire au cours d'une procédure terminée à son égard par une décision de non lieu, de relaxe ou d'acquittement devenue définitive a droit, à sa demande, à réparation intégrale du préjudice moral et matériel que lui a causé cette détention.

En application de l'article R 26 du code de procédure pénale, la requête en indemnisation doit être signée du demandeur ou d'un des mandataires mentionnés à l'article R 27, contenir le montant de l'indemnité demandée et être présentée dans un délai de six mois à compter du jour où la décision de non lieu, de relaxe ou d'acquittement acquiert un caractère définitif, ce délai ne courant que si, lors de la notification de cette décision, la personne a été avisée de ce droit ainsi que des dispositions de l'article 149-1 du code de procédure pénale.

En l'espèce, la requérante a produit un certificat de non pourvoi de l'arrêt de la Cour d'assises de la Seine-Martime en date du 21 juillet 2023.

La requête, présentée le 26 septembre 2023, est donc recevable.

- Sur le préjudice moral :

Il est constant que Madame [U] [R] a été placée en détention provisoire du 28 mai 2021 au 25 janvier 2022, date de sa mise en liberté sous contrôle judiciaire.

La période de détention injustifiée s'élève donc à 243 jours.

En application de l'article 149 du code de procédure pénale, Madame [U] [R] a droit à la réparation intégrale du préjudice que lui a causé cette détention, sans qu'il ne soit distingué, comme le requiert le ministère public, la période antérieure à sa déclaration d'appel, puis celle antérieure à sa demande de mise en liberté.

L'agent judiciaire de l'Etat et le Ministère public n'entendent pas en contester le principe.

Madame [U] [R] considère que le préjudice moral et psychique qu'elle a subi du fait de cette incarcération est majoré pour les raisons suivantes :

' le choc carcéral ;

' les conditions détention à la maison d'arrêt de [Localité 8] ;

' la séparation de sa famille ;

' la médiatisation du procès.

Le choc carceral

Il n'est pas contesté que, Madame [U] [R] dont le casier judiciaire ne porte trace d'aucune condamnation, n'avait jamais été incarcérée avant le 28 mai 2021 et que cette circonstance accroit très nettement le choc de l'incarcération.

Les conditions de détention

Madame [U] [R] a été hébergée à la Maison d'arrêt de [Localité 8] identifiée pour des conditions matérielles extrêmement difficiles, en raison de la vétusté du bâtiment. Ces conditions ont été aggravées par le fait qu'elle a été incarcérée en période de restrictions post-covid. Toutefois, il doit être relevé que le quartier femmes ne connaît pas la promiscuité régulièrement dénoncée au sein de la détention réservée aux hommes.

Par ailleurs, rien ne permet à la requérante de dénoncer une absence de suivi médical pendant son incarcération, alors qu'il ressort au contraire de ses déclarations qu'elle a pu consulter régulièrement un médecin, qui lui a prescrit des antidépresseurs. Il n'apparaît pas, par ailleurs, que son état de santé nécessitait d'autres suivis spécialisés.

Enfin, il est exact qu'elle a subi des périodes de tension avec sa codétenue, ce qui sera retenu.

La séparation avec sa famille

Madame [U] [R], qui était âgée de 47 ans au jour de son incarcération, vivait en concubinage. Elle avait trois enfants; l'aîné majeur qui ne vivait plus au domicile et deux filles encore mineures qui étaient en garde partagée avec son ex conjoint. Il est incontestable que la séparation d'une mère avec ses enfants mineurs lui cause un préjudice extrêmement important qu'il convient de prendre en compte.

Sera retenue aussi la séparation de son compagnon avec lequel elle entretenait une relation stable depuis plusieurs années.

Il ressort par ailleurs des éléments de personnalité versés au dossier que Madame [R] est issue d'une famille aimante dont elle était proche notamment ses parents et sa s'ur. La séparation sera également considérée comme un élément aggravant sans que ne puisse être retenu l'état de santé dégradé de son père dont il n'est pas justifié.

Il sera toutefois relevé que Madame [R] a reçu un nombre important de visites des membres de sa famille, visites qui doivent être considérées comme ayant contribué à atténuer son isolement social.

La médiatisation du procès

Madame [U] [R] verse au débats deux articles de presse dont l'un évoque sa mise en examen et son placement sous contrôle judiciaire et l'autre évoque sa condamnation à huit années de prison en première instance par la Cour d'assises. Il ne ressort nullement de ces éléments que le retentissement médiatique qui accompagne en général les affaires de mort d'un enfant, soit lié à l'incarcération de la requérante, celle-ci n'étant aucunement évoquée dans les articles.

En considération de la durée de cette détention et des différents facteurs d'aggravation qui ont été exposés, il convient d'allouer à Madame [U] [R] la somme de 30.000 € en réparation de son préjudice moral.

- Sur le préjudice économique:

Sur les pertes de salaires:

Madame [R] dépendait d'une agence d'intérim au moment de son incarcération. S'agissant d'un emploi présentant un caractère précaire à la différence d'un contrat à durée indéterminée, elle devra être indemnisée sur la base d'une perte de chance.

Elle verse aux débats des photos difficilement lisibles de huit bulletins de salaire sur la période du 3 octobre 2020 au 18 mai 2021 laissant apparaître un salaire moyen de 1.900 € avant impôt.

S'il ressort de ces pièces une certaine continuité dans les embauches, il sera regretté que la requérante se soit abstenue de verser aux débats les déclarations de revenus pour les années 2020, 2021 et 2022, qui auraient permis d'apprécier le caractère récurrent de son travail intérimaire.

Dès lors, elle sera indemnisée au titre de la perte de chance à hauteur de 90% de la perte de salaire des mois précédents son incarceration, soit 1.900 € X 8 mois X 90% =13.680 €.

Sur la perte des points retraite:

Il n'est pas contesté que pendant cette période d'incarcération, Madame [U] [R] qui travaillait donc en interim, n'a pas cotisé pour sa retraite.

Au vu de son relevé de carrière versé aux débats, il apparaît qu'en comparaison des années 2020, 2021 et 2022, elle aurait perdu environ 80 points.

Il lui sera alloué au titre de la perte de chance la somme de 1.580 € sur la base de calcul proposée par l'AJE avec une valeur du point fixée à 1.398€.

Sur les frais de déplacement:

Madame [R] sollicite la somme de 2.659,64 € au titre des frais de transport exposés par son concubin qui lui a rendu visite à 27 reprises pendant son incarcération. Elle précise qu'à chaque visite, il lui emmenait ses filles, dont il convient toutefois de préciser qu'il n'avait pas juridiquement la garde.

Il est de jurisprudence constante de la Commission nationale que seuls les frais supportés par le requérant sont indemnisables. En l'espèce, les frais de visite exposés par Monsieur [T] ne sauraient ouvrir droit à indemnisation.

Madame [R] sera déboutée de la demande présentée de ce chef.

Sur les frais d'avocat:

Madame [R] a droit à l'indemnisation complète des frais d'avocat exposés dans le cadre du contentieux de la détention, frais dont elle justifie par le versement de facturations détaillées. Il sera rappelé qu'après avoir sollicité sa mise en liberté devant la Chambre de l'instruction de la Cour d'appel de Rouen, elle a formé pourvoi et qu'après cassation, sa demande a été étudiée par la Chambre de l'instruction de la cour d'appel de Caen. Elle a été, à chaque étape, assistée par ses avocats.

Il lui sera alloué la somme réclamée soit 16 346 €.

- Sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile :

Il convient de laisser les dépens à la charge de l'Etat et, en équité, de faire droit à la demande d'indemnité formée par Madame [U] [R] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur de la somme de 1.200 euros.

PAR CES MOTIFS :

Vu les articles 149 et 150 du code de procédure pénale ;

Déclarons la requête de Madame [U] [R] recevable ;

Disons que l'État français devra verser à Madame [U] [R] les sommes de:

- 30.000 € en réparation de son préjudice moral ;

- 15.260 € euros en réparation de son préjudice économique ;

- 16.346 € au titre des frais d'avocat ;

- 1.200 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

du fait de sa détention provisoire injustifiée du 28 mai 2021 au 25 janvier 2022.

Disons que l'Etat devra supporter les dépens.

LA GREFFIERE, LA PREMIERE PRESIDENTE,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rouen
Formation : Chambre premier président
Numéro d'arrêt : 23/03197
Date de la décision : 02/04/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 09/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-04-02;23.03197 ?
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