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28/03/2024 | FRANCE | N°15/03389

France | France, Cour d'appel de Rouen, Ch. civile et commerciale, 28 mars 2024, 15/03389


N° RG 15/03389 - N° Portalis DBV2-V-B67-GZKL





COUR D'APPEL DE ROUEN



CH. CIVILE ET COMMERCIALE



ARRET DU 28 MARS 2024











DÉCISION DÉFÉRÉE :



14-2170...

Tribunal de commerce de Dieppe du 26 juin 2015





APPELANTE :



S.A. AXA FRANCE

[Adresse 2]

[Localité 6]



représentée par Me Simon MOSQUET-LEVENEUR de la SELARL LEXAVOUE NORMANDIE, avocat au barreau de ROUEN





INTIMEES :



SAS CA

PIK

[Adresse 11]

[Adresse 8]

[Localité 3]



représentée et assistée par Me Jérôme VERMONT de la SELARL VERMONT TRESTARD & ASSOCIES, avocat au barreau de ROUEN



SARL IDEAL TECHNOLOGIES

SMART City Campus

[Adresse 1]

[Localité 4]...

N° RG 15/03389 - N° Portalis DBV2-V-B67-GZKL

COUR D'APPEL DE ROUEN

CH. CIVILE ET COMMERCIALE

ARRET DU 28 MARS 2024

DÉCISION DÉFÉRÉE :

14-2170...

Tribunal de commerce de Dieppe du 26 juin 2015

APPELANTE :

S.A. AXA FRANCE

[Adresse 2]

[Localité 6]

représentée par Me Simon MOSQUET-LEVENEUR de la SELARL LEXAVOUE NORMANDIE, avocat au barreau de ROUEN

INTIMEES :

SAS CAPIK

[Adresse 11]

[Adresse 8]

[Localité 3]

représentée et assistée par Me Jérôme VERMONT de la SELARL VERMONT TRESTARD & ASSOCIES, avocat au barreau de ROUEN

SARL IDEAL TECHNOLOGIES

SMART City Campus

[Adresse 1]

[Localité 4]

représentée et assistée par Me Patrice LEMIEGRE de la SELARL PATRICE LEMIEGRE PHILIPPE FOURDRIN SUNA GUNEY ASSOCIÉS, avocat au barreau de ROUEN, substitué par M. Philippe FOURDRIN de la SELARL PATRICE LEMIEGRE PHILIPPE FOURDRIN SUNA GUNEY ASSOCIÉS, avocat au barreau de ROUEN

SAS IKOS ENVIRONNEMENT

[Adresse 11]

[Adresse 9]

[Localité 3]

représentée et assistée par Me Jérôme VERMONT de la SELARL VERMONT TRESTARD & ASSOCIES, avocat au barreau de ROUEN

Société SPIESSENS MACHIBEBOUW

[Adresse 10]

[Localité 5] - BELGIQUE

représentée par Me Rose marie CAPITAINE, avocat au barreau de DIEPPE

COMPOSITION DE LA COUR  :

Lors des débats et du délibéré :

Mme FOUCHER-GROS, présidente

M. URBANO, conseiller

Mme MENARD-GOGIBU, conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Mme RIFFAULT, greffière

DEBATS :

A l'audience publique du 23 janvier 2024, où l'affaire a été mise en délibéré au 14 mars 2024 puis prorogé à ce jour.

ARRET :

CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 28 mars 2024, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

signé par Mme FOUCHER-GROS, présidente et par Mme RIFFAULT, greffière.

*

* *

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

La SAS Capik a été créée le 4 mars 2009 pour les besoins de la construction et de l'exploitation, sur le territoire de la commune de [Localité 7], d'une unité de méthanisation à partir de déchets céréaliers. Elle produit du biogaz ainsi que des digestats, déchets fermentescibles liquides et pâteux.

La société Capik a fait installer une unité de séchage afin de transformer les digestats en engrais et la SAS Ikos est chargée de la valorisation des produits générés par Capik.

La société Verdesis achète du biogaz à la société Capik et à la société Ikos Environnement à un tarif qui dépend du volume fourni et elle approvisionne en chaleur la société Capik afin de sécher les digestats produits.

L'unité de séchage mise en service en avril 2011 a subi le 22 avril 2012 un important incendie.

La reconstruction de l'unité de séchage et de traitement de l'air, suivant marché signé au cours de l'année 2012, a été en partie confiée à la SARL Idéal Technologies, spécialisée en solutions de transformation et de valorisation de déchets industriels. Des équipements fabriqués et fournis par Spiessens Machibebouw ont été installés, la société Capik conservant la gestion des énergies.

Pour les besoins de ce chantier, la société Idéal Technologies a souscrit le 9 octobre 2012 auprès de la compagnie Axa France un contrat d'assurance responsabilité civile avant et après livraison ou réception des travaux, prenant effet au 1er janvier 2013.

Faisant valoir que la mise en route de l'installation de séchage, initialement prévue pour le 15 février 2013, n'était toujours pas réceptionnée ni réceptionnable au 27 décembre 2013 du fait de nombreux dysfonctionnements auxquels les sociétés Idéal Technologies et Spiessens n'avaient pu apporter remède, la société Capik a saisi d'heure à heure le juge des référés du tribunal de commerce de Dieppe qui par ordonnance rendue le 3 janvier 2014, a ordonné une expertise.

L'expert, M. [O], a déposé une note technique le 10 mai 2014, au vu de laquelle la société Capik a mis en demeure la société Idéal Technologies de tout mettre en 'uvre pour rendre l'installation conforme pour le 16 mai 2014.

N'ayant pas obtenu satisfaction, la société Capik a fait assigner à jour fixe la société Idéal Technologies, qui a fait assigner en intervention forcée et garantie la société Axa France Iard, laquelle a à son tour fait assigner en intervention forcée la société Spiessens Machinebouw et diverses sociétés Spiessens.

La société Ikos chargée de la valorisation des produits générés par Capik est intervenue volontairement à l'instance.

Par jugement du 26 juin 2015, assorti de l'exécution provisoire, le tribunal de commerce de Dieppe a :

- joint les instances 2014002170 / 2014002400 / 2015000025,

- débouté la compagnie Axa France Iard de son assignation auprès des sociétés NV Spiessens Construtie et BVBA Spiessens pour non-respect de la procédure,

- dit que la société Ideal Technologies a failli à ses obligations contractuelles par l'absence de résultat prévu dans le contrat finalisé en décembre 2012 avec la société Capik,

- déclaré recevable l'intervention volontaire de la société Ikos Environnement et dit que la société Ideal Technologies était responsable des préjudices causés à la société Ikos Environnement,

- condamné in solidum la société Ideal Technologies et la compagnie Axa France Iard à payer à la société Capik les sommes suivantes :

*travaux de réparation : 81 136 euros,

*pénalités de retard : 488 400 euros,

*préjudices liés aux travaux de reprise : 481 330 euros,

*perte d'exploitation : 725 000 euros,

- donné acte à la société Capik qu'elle a prononcé la réception de l'installation avec réserves le 23 mai 2014 et que de ce fait le transfert de propriété s'est opéré à cette date,

- condamné la société Ideal Technologies, sous astreinte de 300 euros par jour de retard à compter de la notification de ce jugement, d'avoir à remettre à la société Capik les documents écrits concernant la formation du personnel, la mise en route, l'exploitation du quotidien, la maintenance et le fonctionnement en mode dégradé pour l'installation,

- débouté la société Ideal Technologies et la compagnie Axa Iard de l'ensemble de leurs demandes,

- condamné in solidum la société Ideal Technologies et la compagnie Axa France Iard à payer à la société Capik la gamme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné in solidum la société Ideal Technologies et la compagnie Axa France Iard aux entiers dépens de l'instance en ce compris les frais d'expertise judiciaire et les frais de greffe liquidés pour la somme de 117,00 euros dont TVA à 20%.

La société Axa France a interjeté appel de ce jugement par déclaration du 9 juillet 2015 et la société Idéal Technologie a interjeté appel par déclaration du 15 juillet 2015.

Par ordonnance du 25 août 2015, le premier président de la cour d'appel de Rouen a ordonné l'arrêt de l'exécution provisoire assortissant les condamnations prononcées en principal au bénéfice de la société Capik par le jugement du 26 juin 2015.

Par arrêt du 10 novembre 2016 :

- la déclaration d'appel de la société Axa France IARD a été déclarée caduque à l'égard des sociétés Capik et Ikos ;

- la déclaration d'appel de la société Idéal Technologie a été déclarée caduque à l'égard de la société Capik ;

- les appels incident et provoqués formés par Axa France IARD ont été déclarés recevables.

Par arrêt du 18 janvier 2018, la cour a :

Infirmé le jugement en ce qu'il a :

- débouté la compagnie Axa France Iard de son assignation auprès des sociétés NV Spiessens Constructie et BVBA Spiessens pour non-respect de la procédure ;

- condamné in solidum la société Idéal Technologies et la compagnie Axa France Iard aux dépens afférents à la mise en cause de la société Spiessens

Statuant à nouveau de ces chefs et, y ajoutant,

Constaté que la société BVBA Spiessens n'est pas partie à la procédure ;

Déclaré irrecevable comme mal dirigée l'action à l'encontre de la société NV Spiessens Constructie ;

Condamné la société Axa France Iard à payer à la société NV Spiessens Constructie la somme de 8 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamné la société Axa France Iard aux dépens de première instance et d'appel de la société NV Spiessens Constructie ;

Annulé le jugement entrepris en toutes ses dispositions concernant la société Axa France Iard ;

Statuant à nouveau par l'effet dévolutif de l'appel et, y ajoutant,

Débouté les sociétés Capik, Ikos Environnement et Idéal Technologies de l'ensemble de leurs prétentions à l'encontre de la société Axa France Iard ;

Condamné les sociétés Capik, Ikos Environnement et Idéal Technologies in solidum à payer à la société Axa France Iard la somme de 10 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamné les sociétés Capik, Ikos Environnement et Idéal Technologies in solidum aux dépens de la société Axa France Iard en première instance et dans la procédure d'appel initialement enregistrée sous le numéro RG 15/03505, et la société Idéal Technologies aux dépens de la société Axa France dans la procédure d'appel enregistrée sous le numéro RG 15/03389 ;

Sursis à statuer sur les demandes en paiement des sociétés Capik et Ikos Environnement à l'encontre de la société Idéal Technologies, et de la société Idéal Technologies à l'encontre de la société Capik ;

Ordonné une expertise et commis pour y procéder, en qualité de co experts MM. [S] [O] et [L] [M]

M. [O] ayant été remplacé par M. [V] [P], le rapport a été déposé le 20 février 2023.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 16 janvier 2024.

EXPOSE DES PRETENTIONS

Vu les conclusions du 18 septembre 2023, auxquelles il est renvoyé pour exposé des prétentions et moyens des sociétés Capik et Ikos Environnement qui demande à la cour de :

A titre principal :

- confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Dieppe le 26 juin 2015, sauf en ce qu'il a débouté la société Capik de sa demande de condamnation au titre des préjudices résultant des moyens humains mis en 'uvre par la société Capik et en ce qu'il a omis de prononcer la condamnation au titre des préjudices subis au titre de la perte de valorisation de la totalité de l'énergie thermique disponible au profit de la Société Ikos Environnement,

Statuant à nouveau et en tout état de cause :

- condamner la société Ideal Technologies à payer à la société Capik la somme de

535 750,00 euros au titre des pénalités contractuelles,

- condamner la société Ideal Technologies à payer à la société Capik la somme de

1 243 425,00 euros au titre des préjudices matériels

- condamner la société Ideal Technologies à payer à la société Capik la somme de

496 183,00 euros au titre des pertes d'exploitation,

- condamner la société Ideal Technologies à payer à la société Ikos Environnement la somme de 697 650,00 euros au titre des pertes d'exploitation,

- débouter purement et simplement la société Ideal Technologies de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,

- condamner la société Ideal Technologies à payer aux sociétés Capik et Ikos Environnement, unis d'intérêt la somme de 50 000,00 euros en cause d'appel au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner la société Ideal Technologies à payer aux sociétés Capik et Ikos Environnement, unis d'intérêt, les entiers dépens en ce compris les frais des deux expertises judiciaires de Messieurs [O], [V] [P] et [M].

Vu les conclusions du 15 septembre 2023, auxquelles il est renvoyé pour exposé des prétentions et moyens de la société Ideal Technologies qui demande à la cour de :

Il est demandé à la Cour de bien vouloir :

Infirmer le jugement du 26 juin 2015 en ce qu'il a rejeté les demandes formées par la société Ideal Technologies et a prononcé diverses condamnations à son encontre,

Statuant de nouveau,

Débouter les sociétés Capik et Ikos Environnement de leurs demandes formées à l'encontre de la société Ideal Technologies

Condamner la société Capik à verser à la société Ideal Technologies la somme de 82.895,37 € avec intérêts au taux de 1% soit 83.061.24 €, au titre des éléments livrés conformément au contrat restant impayés.

Condamner les sociétés Capik et Ikos Environnement à verser à la société Ideal Technologies la somme de 50.000€ au titre de l'article 700 du CPC.

Condamner les sociétés Capik et Ikos Environnement aux entiers dépens qui pourront être recouvrés directement par Me Lemiegre, Avocat, par application des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la responsabilité de la société Idéal Technologies :

La société Capik et la société Ikos Environnement soutiennent que :

- l'action dirigée contre la société Idéal Technologies est fondée sur les articles 1147 et suivants du code civil dans leur version applicable aux faits de l'espèce et la société Idéal Technologies n'a pas satisfait à son obligation de résultat ;

- l'installation devant être fournie par la société Idéal Technologies n'a jamais fonctionné et elle a été réceptionnée avec réserves le 23 mai 2014 en l'absence de cette dernière malgré une sommation ;

- la société Idéal Technologies n'a jamais levé les réserves, l'installation n'est pas fonctionnelle et les pertes subies par la société Capik sont catastrophiques ;

- par ailleurs, devant livrer une installation n'ayant jamais pu être mise en route, la société Idéal Technologies a manqué à son obligation de délivrance ;

- la société Idéal Technologies s'était engagée à concevoir, fournir et assurer le montage de l'installation, mettre à disposition des informations nécessaires à la supervision du processus pour les sociétés Capik et Verdesis, assurer le transport le déchargement l'implantation et le montage des équipements, assurer la formation du personnel, assurer la fin de livraison des équipements au 11 janvier 2013, la fin du montage des équipements et réception des travaux au 1er février 2013, la fin de la mise en route de l'installation de séchage au 15 février 2013 avec, ultérieurement des délais prévus pour la réception des performances et avait garanti la performance de l'installation ; les experts ont constaté des défauts de conception et d'exécution ayant entraîné de multiples désordres ; la responsabilité de la société Idéal Technologies, qui a tenté en vain de les résoudre, est patente et entière ;

- l'allégation de la société Idéal Technologies selon lesquelles il n'y avait pas d'électricité sur place est inexacte, n'a jamais été invoquée devant les experts et aucune anomalie sur ce point n'a été retenue par eux ;

- la société Idéal Technologies ne peut s'exonérer de sa responsabilité que si elle justifie que l'inexécution provient d'une cause étrangère et le moyen soutenu par l'intimée selon lequel la société Capik serait contractuellement responsable à son égard est inopérant ; par ailleurs, les griefs allégués contre la société Capik manquent en fait ainsi que les experts ont pu le relever.

La société Idéal Technologies soutient que :

- le contrat conclu avec la société Capik prévoyait que cette dernière aurait la charge de la gestion des énergies et devait désigner un maître d''uvre ce qu'elle n'a jamais fait alors que le cahier des charges était erroné sur de nombreux points ;

- l'installation a pu démarrer le 4 juillet 2013 après de nombreux incidents, après que la société Capik a renoncé aux pénalités de retard et s'est engagée à régler les échéances dues à la société Idéal Technologies ainsi que la retenue de garantie ;

- l'installation a dû être arrêtée par la suite du fait d'un manque de personnel de la société Capik et de diverses difficultés imputables à cette dernière ;

- tous les documents ont été remis à la société Capik le 18 décembre 2013, l'installation a fonctionné en continu à compter du 30 avril 2014 et un procès-verbal de réception avec réserves a été signé le 5 juin 2014 ;

- la société Idéal Technologies a rempli ses obligations en fournissant une installation produisant du digestat sec qui a fait l'objet d'une réception mais c'est la société Capik qui a manqué à ses obligations en ne fournissant ni les caractéristiques de l'énergie devant être produite par Verdesis ni celle des divers fluides nécessaires de sorte que la société Idéal Technologies a dû régler et adapter l'installation ;

- c'est la société Capik qui a décidé d'abandonner l'installation quoique réceptionnée de sorte que les experts n'ont pu tester son fonctionnement et que leurs conclusions sont nécessairement insuffisantes ;

- la société Capik n'a pu résoudre des problèmes de fuite d'énergie continue, n'a pas respecté les consignes de maintenance et de sécurité, a fait fonctionner en horaires partiels l'installation conçue pour fonctionner en horaire continu, a refusé de mettre du personnel pour que l'installation fonctionne en continu et a refusé de régler certaines prestations à la société Idéal Technologies pour 82 895,37 euros ; les défaillances de l'installation étant de son fait, la société Capik ne peut agir en responsabilité contre la société Idéal Technologies qui était en droit de lui opposer l'exception d'inexécution ;

Réponse de la cour

L'article 1147 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 disposait que « Le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part. »

Par marché de travaux non daté la société Capik a confié à la société Idéal Technologies la réalisation d'une installation industrielle permettant la fabrication de digestats secs et de traitement de l'air utilisant l'énergie thermique produite par la société Verdesis. Le même acte a prévu de multiples exigences techniques, notamment en matière de performances, qui étaient garanties par la société Idéal Technologies.

Après que des opérations d'expertise ont été menées par M. [O], premier expert judiciaire désigné par ordonnance de référé du 3 janvier 2014, au cours desquelles il a été constaté que l'installation ne fonctionnait pas, un procès-verbal de réception signé par la seule société Capik contenant de nombreuses réserves a été établi le 23 mai 2014.

Il ressort de la note technique du 10 mai 2014 de M. [O] que le 30 avril 2014, l'installation ne fonctionnait pas en ce sens qu'elle ne permettait pas de produire du digestat sec de façon industrielle, qu'elle était alors impropre à son usage mais que les parties s'accordaient pour dire que le fonctionnement de l'installation était en voie d'amélioration. M.[O] avait analysé que les dysfonctionnements résultaient d'un défaut de conception de la régulation du pilotage de l'installation et de désordres multiples de ses composants.

Monsieur [O] a fait parvenir le 15 juillet 2014 au tribunal une synthèse technique où, répondant à un dire présenté pour la société Ideal Technologie il écrit que ; « l'installation n'était pas exploitable de façon industrielle jusqu'au 30 avril 2014 ('). Une amélioration du fonctionnement de l'installation avec production de digestat sec en fin d'après midi le 30 avril 2014 a été effectivement constatée. Elle n'a pas été mesurée, les parties n'ayant pas fourni les moyens matériels pour ce faire. De toutes façons, les multiples dysfonctionnements constatés sur le 30 avril 2014 ne correspondent pas à une installation industrielle. »

Il ressort du rapport d'expertise du 14 février 2023 de MM. [V] [P] et [M] que :

Le collège d'experts n'a pas vu fonctionner l'installation mais que toutes leurs observations à l'arrêt confirment l'état de l'installation décrit le 30 avril 2014 par M. [O]. La société Capik a déclaré ne pas avoir utilisé l'unité de séchage depuis le 30 avril 2014 et la société Idéal Technologie n'a pas fait parvenir d'éléments relatifs à une date postérieure au 15 juillet 2014, date de dépôt du rapport de synthèse technique de M. [O]. MM. [V] et [P] ont synthétisé en page 104 de leur rapport que « la cause et l'origine de chacun de ces désordres relèvent principalement de défauts de conception et d'exécution. Les défauts de conception sont principalement constitués de l'inadaptation de la régulation aux caractéristiques du processus du matériau transformé.

Les défauts d'exécution sont caractérisés par l'absence de fonctionnement de la boucle de régulation, qui bien que comportant des carences, aurait cependant permis de recueillir des informations de pilotage relatives au cheminement des matières et distillats. »

En réponse au chef de mission qui leur demandait de « décrire les diligences accomplies et travaux réalisés par la société Ideal Technologies ou tout autre intervenant identifié, en vue de parvenir à la mise en fonctionnement de l'installation, en déterminer les coûts et dire à qui ils doivent être imputés », le collège d'expert s'est approprié les observations de M. [O] dans son rapport de synthèse technique, et a estimé que « Idéal n'est pas parvenue à mettre en 'uvre l'installation. Les diligences et les travaux exécutés avant l'intervention du collège d'experts, lesquels n'ont apporté aucune amélioration tangible et n'ont de ce fait, pas de valeur »

MM. [V] et [P] ont précisé que :

- le choix de la société Capik de ne pas faire fonctionner l'installation en continu 24h/24 est cohérent tant que celle-ci n'avait pas atteint ses performances optimales en journée et ce fonctionnement partiel n'est pas la cause du désordre général affectant l'installation.

- la régulation ne prend pas en compte le taux réel de matière sèche dans l'installation, ce qui constitue un défaut de conception.

- les réserves émises le 23 mai 2014 n'ont jamais été levées par la société Idéal Technologies ;

- la société Capik a tenté, en vain, de faire fonctionner l'installation entre les mois de mai 2014 et d'août 2016.

Le marché prévoyait que la société Capik devait désigner un maître d''uvre qui aurait en charge la revue du process et la supervision de l'ensemble des travaux. La société Capik n'a pas procédé à cette désignation. Toutefois, la société Ideal Technologie, spécialiste des solutions techniques pour la transformation et la valorisation de déchets industriels et responsable des constituants de l'installation de séchage a accepté de démarrer les travaux en l'absence de maître d''uvre. Dès lors, elle ne peut s'exonérer de sa responsabilité en alléguant que la société Capik a manqué à son obligation.

C'est en vain que la société Idéal Technologies soutient que l'installation a fonctionné en continu à compter du 30 avril 2014 et qu'elle a dû être arrêtée par la

suite du fait d'un manque de personnel de la société Capik et de diverses difficultés imputables à cette dernière dès lors qu'il ressort des rapports techniques non utilement contredits que l'installation n'a jamais atteint les performances industrielles attendues contractuellement, en raison de ses erreurs de conception et d'exécution auxquelles les travaux de reprise qu'elle a effectués n'ont pu remédier. Dès lors, ni la gestion des énergies ni la quantité de personnel de la société Capik ne sont de nature à l'exonérer de sa responsabilité.

La société Idéal Technologies n'a pas fourni une installation susceptible d'assurer le résultat industriel qu'elle s'était engagée à procurer, elle a ainsi manqué à ses obligations contractuelles et a engagé sa responsabilité envers la société Capik.

Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a dit que la société Idéal Technologies a failli à ses obligations contractuelles.

Sur l'intervention volontaire de la société Ikos Environnement :

La société Capik et la société Ikos Environnement soutiennent que la société Ikos Environnement, étant un tiers au contrat ayant lié la société Capik à la société Idéal Technologies, est en droit d'intervenir à l'instance pour réclamer l'indemnisation du préjudice qu'elle a subi du fait de la méconnaissance fautive de ce contrat par la société Idéal Technologies.

La société Idéal Technologies soutient que la société Ikos Environnement ne justifie d'aucun intérêt à agir à l'encontre de la société Idéal Technologies et ne justifie d'aucun lien de causalité entre le prétendu manquement imputé à cette dernière et son préjudice que les experts n'ont fixé qu'à la suite d'hypothèses.

Réponse de la cour :

Aux termes de l'article 1165 du code civil dans sa rédaction applicable aux faits de l'espèce, les conventions n'ont d'effet qu'entre les parties contractantes ; elles ne nuisent point au tiers, et elles ne lui profitent que dans le cas prévu par l'article 1121 du même code.

Le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage.

La société Ikos Environnement étant chargée de la valorisation des produits générés par la société Capik, la société Ikos Environnement, l'absence de production résultant de l'impropriété à son usage de l'installation fournie par la société Idéal Technologies lui a par voie de conséquence causé un préjudice.

Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a déclaré recevable l'intervention volontaire de la société Ikos Environnement.

Sur l'indemnisation des préjudices :

La société Capik et la société Ikos Environnement soutiennent que :

- le contrat prévoit l'indemnisation des préjudices par le biais de pénalités de retard ;

- le rapport des experts doit être entériné s'agissant des pénalités de retard à hauteur de 535 750 euros auxquelles la société Capik n'a jamais renoncé, son courrier électronique du 5 juillet 2013 conditionnant l'absence de pénalités au fait que l'installation ait été en état de fonctionnement ;

- le rapport des experts doit être entériné s'agissant des dépenses matérielles couvrant les frais engagés par la société Capik pour tenter de pallier les carences de la société Idéal Technologies et pour reconstruire une installation conforme ;

- le rapport des experts doit être entériné s'agissant des pertes d'exploitation à hauteur de 496 183 euros pour la société Capik et de 697 650 euros pour la société Ikos Environnement qui doivent courir à compter du mois d'avril 2013, période à laquelle la société Idéal Technologies devait livrer l'installation et s'arrêter au mois de mars 2015, période à laquelle la société Capik a trouvé un autre mode d'exploitation après obtention d'une autorisation administrative d'épandage des digestats ;

- l'argument soutenu par la société Idéal Technologies selon lequel ces pertes d'exploitations ne seraient pas fondées dès lors que la société Capik avait à sa charge les apports d'énergie n'a pas été retenu par les experts ; en outre, ce n'était pas l'apport d'énergie qui devait être valorisée mais son utilisation dans le cadre d'un processus industriel ; par ailleurs, le dommage était prévisible dès lors que le contrat prévoyait un tel processus de valorisation.

La société Idéal Technologies soutient que :

- les sommes réclamées par la société Capik et la société Ikos Environnement sont sans commune mesure avec le montant du marché et entraîneraient leur enrichissement ;

- les pertes d'exploitation allégués étaient imprévisibles et cette demande doit être rejeté au visa de l'article 1150 du code civil dans sa version applicable ;

- la preuve de la perte de la prime efficacité énergétique n'est pas rapportée.

- en réclamant une pénalité de retard et une perte d'exploitation couvrant la période d'avril 2013 à mai 2014, la société Capik réclame une double indemnisation d'un même préjudice ;

- le contrat mentionne une date de mise en route de l'installation du 15 février 2012 qui est inexacte de sorte qu'une incertitude demeure sur les délais contractuels et sur le calcul des pénalités de retard alors, en outre, que les retards ne sont pas du fait de la société Idéal Technologies ;

- le contrat prévoit que la société Idéal Technologies devra payer des pénalités de retard ou proposer une solution de rechange et la société Capik ne l'a jamais sollicitée pour qu'une telle proposition soit faite ; par courrier électronique du 5 juillet 2013 la société Capik a renoncé à réclamer des pénalités de retard.

-Par ailleurs, le calcul de ces pénalités, totalement disproportionnées, est inexact et ces pénalités, qui constituent une clause pénale, doivent être réduites ;

- les dépenses pour travaux de reprise n'étaient pas prévisibles.

Réponse de la cour :

Sur les préjudices matériels et les travaux de reprise :

Aux termes de l'article 1149 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 : « Les dommages et intérêts dus au créancier sont, en général, de la perte qu'il a faite et du gain dont il a été privé, sauf les exceptions et modifications ci-après »

Il résulte des dispositions de l'article 1150 du même code dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, qu'en matière de responsabilité contractuelle, le dommage n'est indemnisable que s'il était prévisible lors de la conclusion du contrat et a constitué une suite immédiate et directe de l'inexécution de ce contrat.

La victime d'un préjudice est en droit d'en obtenir réparation intégrale et, à cet égard, le montant du contrat initial ne constitue pas une limite de responsabilité du cocontractant auteur du préjudice.

A partir des factures et pièces produites par chacune des parties, les experts judiciaires ont calculé que les dépenses de construction étaient de 1 141 001 euros et celles engagées à partir de la date de réception jusqu'à l'abandon du projet étaient de 102 424 euros.

Le coût de reprise de l'installation qui n'a jamais été opérationnelle du fait des erreurs de conception et d'exécution imputables à la société Idéal Technologies constitue la suite immédiate et directe de l'inexécution totale du contrat par la société Idéal Technologies. Il s'ensuit que celle-ci est tenue d'indemniser la société Capik de ce préjudice, sans pouvoir utilement opposer que la demande formée par la société Capik au titre de ces travaux de reprise était imprévisible comme n'étant pas prévue dans le contrat.

Le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il a fixé à la charge de la société Idéal Technologies la somme de 81 136 euros au titre de travaux de réparation et la somme de 481 330 euros au titre des préjudices liés aux travaux de reprise et la société Idéal Technologies sera condamnée à payer à la société Capik la somme de 1 243 425 euros à ce titre (1141 001 € + 102 424 €).

Sur les pertes d'exploitation :

Pour déterminer les pertes d'exploitation subies par la société Capik et la société Ikos Environnement, MM [M] et [V] [P] ont émis deux hypothèses selon que les pertes sont calculées sur la période comprenant les mois d'avril 2013 à mars 2015 ou celle comprenant les mois de juin 2014 à mars 2015.

La société Capik et la société Ikos Environnement demandent l'indemnisation de leurs pertes d'exploitation respectivement à hauteur de 496 183 euros et de 697 650 euros en se fondant sur l'hypothèse couvrant la période du mois d'avril 2013 à celui de mars 2015.

La société Capik soutient que le marché a été conclu à la fin de l'année 2012 alors que le rapport d'expertise retient la date du mois de juillet 2012. La société Capik affirme que, selon le marché, l'installation devait être livrée au mois de février 2013 et qu'elle a accepté un report du démarrage de l'installation au 11 avril 2013. Le contrat passé entre les parties ne comporte pas de date. Il prévoit en son article 4 que les 11 janvier, 1er février et 15 février 2012, les équipements doivent être livrés, les équipements doivent être montés, que les travaux doivent être réceptionnés et que l'installation doit être mise en route. Toutefois, le marché ayant été conclu au plus tôt au mois de juillet 2012, il s'en déduit que la date de livraison est effectivement le 15 février 2013 et non 2012.

La société Capik justifie par la production de sa lettre du 11 avril 2013, qu'elle a accepté un report du démarrage de l'installation à cette date. La société Ideal Technologies soutient que la date de démarrage a été reportée au mois de mai en raison d'une fuite de chaleur du fait de la société Capik. Elle produit un devis de remplacement des câbles de connexion qui n'est pas suffisant, à lui seul, à rapporter la preuve d'un retard imputable à son co-contractant. Par ailleurs, ainsi qu'il a été exposé plus haut, la société Ideal Technologie qui a accepté d'effectuer ses travaux sans qu'un maître d''uvre ait été désigné ne peut invoquer cette absence de maître d''uvre pour s'exonérer de sa responsabilité. La période retenue sera celle comprise à partir du mois d'avril 2013 et mars 2015.

L'installation commandée à la société Idéal Technologies était destinée à valoriser les activités complémentaires de la SAS Capik et de la société Verdesis. La société Capik produisait du biogaz ainsi que des digestats. Aussi qu'il a été exposé plus haut, la société Verdesis achetait ce biogaz à la société Capik et à la société Ikos Environnement a un tarif qui dépendait du volume fourni et elle approvisionnait, en retour, en chaleur la société Capik afin de sécher les digestats produits. Par ailleurs, Verdesis produisait de l'électricité qu'elle revendait à EDF selon un tarif dépendant de la chaleur qu'elle revendait à la société Capik laquelle était tenue d'en consommer une quantité déterminée, des pénalités étant dues à Verdesis en cas de sous-consommation.

Le marché de travaux conclu entre la société Capik et la société Idéal Technologies prévoit spécialement que cette dernière est tenue d'une garantie de performances de l'installation en page 16 de l'acte portant notamment sur une « utilisation maximale de l'énergie fournie par Verdesis » et « une capacité minimale de traitement de

15 000T de digestat liquide avec la quantité maximale d'énergie disponible ».

Dès lors qu'au mois d'avril 2013 l'installation n'a pas fonctionnée normalement et qu'aucune des performances garanties n'a pu être atteinte, la société Idéal Technologie doit indemniser sa co-contractante du préjudice de pertes d'exploitation résultant de sa défaillance à compter de cette date.

Ainsi qu'il a été exposé ci-dessus, la société Ikos Environnement peut se prévaloir d'un préjudice résultant d'un manquement de la société Idéal Technologies envers la société Capik. La société Ikos Environnement était chargée de valoriser les produits de la société Capik et une perte d'exploitation, subie par la société Capik n'a pu qu'entrainer une perte subie par la société Ikos Environnement. Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a dit que la société Ideal Technologies était responsable des préjudices causés à la société Ikos Environnement.

Les experts ont distingué les pertes subies par chacune des deux sociétés de sorte que le moyen soulevé par la société Idéal Technologies selon lequel la société Capik ferait état d'un préjudice subi par la société Ikos Environnement est inopérant.

Les sociétés Capik et Ikos ont allégué lors du rapport d'expertise qu'elles cumulaient à elles deux des pertes d'exploitation de 1 864 788 euros. Les experts ont analysé cette prétention avec un regard critique. Ils ont expliqué leur mode de calcul en page 47 de leur rapport « Les experts ont retenu les chiffres de rapports d'activités Ikos-Capik pour les entrants, la production de bio gaz, la production d'électricité, et calculé la production de CH4 (méthane) à partir des taux fournis par les rapports d'activité Verdesis » Après s'être fait communiquer le contrat Ikos-Verdesis, et les factures, ils ont déterminé le prix d'achat du bio gaz.

Ils ont retenu, pour le calcul des pertes d'exploitation sur la période comprenant les mois d'avril 2013 à mars 2015, les éléments suivants :

Avril 2013-Mars 2015

CAPIX

Pertes de rémunération directe Bio gaz

259 071 €

Charges variables

124 781 €

Total pertes d'exploitation

496 183 €

IKOS

Manque à gagner par moindre production du

Bio gaz produit par Ikos

316 973 euros

Remboursement PEE

380 677 €

Total pertes d'exploitation

697 650 €

Total pertes d'exploitation Ikos + Capik

1 193 833 €

En ce qui concerne le remboursement de la PEE, les experts ont constaté qu'il avait été de 259 396 € en 2013 et de 187 130 € en 2014. Après avoir étudié un dire de la société Capik, qu'ils reprennent en page 64 de leur rapport, ils ont estimé que dans l'hypothèse de fonctionnement du séchoir à compter du mois d'avril 2013, la PEE n'aurait pas été entièrement obtenue. En l'absence d'autres indications, ils ont retenu les trois quarts de la demande pour l'année 2013, soit 194 547 € et la totalité du remboursement pour l'année 2014.

Contrairement à ce que soutient la société Idéal Technologies, le rapport d'expertise circonstancié démontre l'existence d'un préjudice réel direct et certain pour chacune des deux sociétés.

Le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il a condamné la société Ideal Technologies à payer à la société Capik 725 000 euros au titre des pertes d'exploitation. La société Idéal Technologies sera condamnée à lui payer la somme de 496 183 euros. Elle sera condamnée à payer à la société Ikos Environnement la somme de 697 650 euros au titre de ses pertes d'exploitation.

Sur les pénalités de retard :

L'article 1152 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 disposait que : « Lorsque la convention porte que celui qui manquera de l'exécuter payera une certaine somme à titre de dommages-intérêts, il ne peut être alloué à l'autre partie une somme plus forte, ni moindre.

Néanmoins, le juge peut, même d'office, modérer ou augmenter la peine qui avait été convenue, si elle est manifestement excessive ou dérisoire. Toute stipulation contraire sera réputée non écrite. »

L'article 6 du marché liant la société Capik à la société Idéal Technologies stipule que : « Outre le préjudice subi, le soumissionnaire sera soumis à des pénalités de retard dans les situations suivantes de son fait :

-non-respect des garanties de performances

-non-respect des capacités de traitement annoncées dans le contrat

-arrêt de l'installation sur une durée de plus de 72h hors délais d'approvisionnement imputable aux pièces de rechange qui ne figurent pas dans la liste des pièces de rechange en annexe du présent document

-arrêt de l'installation sur un total annuel dépassant la disponibilité minimum garantie de 92% (taux de disponibilité calculé sur une période d'un an)

-non-respect du planning imputable à Idéal Technologie (hors cas de force majeur, ex : barrières de dégel, intempéries graves etc.)

Les préjudices seront calculés par quantité de digestat non traité à raison de 30 €/T. Par exemple pour un arrêt du sécheur ou retard d'installation entraînant un préjudice de 40T/j de digestats liquides non traités le soumissionnaire sera soumis à une pénalité de 1220 €/j. Idéal Technologies devra payer ces pénalités ou proposer une solution de traitement des digestats qu'il prendra intégralement en charge (coûts de traitement et de transport départ Capik). »

Par courrier électronique du 5 juillet 2013 (pièce 35), la société Capix a écrit : « Nous nous engageons formellement à vous payer ces 23 ou 24 K€, dès lors que nous pourrons constater que l'ensemble de l'installation est en état de marche. Nous y sommes quasiment ! reste quelques éléments qui n'ont pu être testés fin de cette semaine comme prévu.

Il semblerait que mardi soir des digestats auront pu être séchés (') Dès lors (mercredi première heure) le virement sera effectué (').

En ce qui concerne la retenue de garantie (') Je vous ai proposé d'en avancer le paiement aussitôt validation du protocole de test des performances (environ 15 jours maximum).

Nous avons pris l'engagement de ne pas retenir les pénalités contractuelles annoncées lors des retards constatés tout au long du déroulement des travaux. »

Ce courrier a été rédigé alors que les parties espéraient une mise en route définitive de l'installation. Ainsi dans ce courrier, le paiement du solde restant dû à la société Idéal Technologies est expressément conditionné à la mise en route de l'installation et il en est de même du paiement de la retenue de garantie. Il en résulte que la dernière phrase du courriel qui ne distingue pas le sort des pénalités de retard de celui du solde des travaux conditionne aussi la renonciation de la société Capik à réclamer des pénalités de retard à la mise en route de l'installation.

Dès lors que l'installation était affectée d'erreurs de conception et d'exécution rendant impossible cette mise en route, la condition affectant la renonciation n'a pas été satisfaite et la société Capik est en droit de réclamer les pénalités considérées.

Toutefois, les pénalités de retard énoncées au contrat s'analysent en une clause pénale, en ce qu'elles majorent significativement l'indemnisation du préjudice résultant de la quantité de digestat non traité, ce préjudice étant déjà indemnisé au titre des pertes d'exploitation, cette clause est manifestement excessive au regard de la réalité du préjudice subsistant.

Le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il a condamné la société Idéal Technologies à payer à la société Capik la somme de 488 400 euros au titre des pénalités de retard. Le montant des pénalités sera réduit à la somme de 10 000 euros que la société Idéal Technologies sera condamnée à payer à la société Capik.

Sur la remise de documents :

Exposé des moyens :

La société Idéal Technologies soutient que tous les documents ont été remis à la société Capik

La société Capik soutient que :

- la société Idéal Technologies s'était contractuellement engagée à transmettre, au plus tard le 30 novembre 2012 tous les documents et informations énoncés au paragraphe 3 dudit contrat relatif notamment à la formation du personnel pour la mise en route, l'exploitation au quotidien, la maintenance et le fonctionnement en mode dégradé ;

- elle n'a pas déféré à cette obligation bien qu'elle fasse état d'un document qu'elle a fait signer par un préposé de la société Capik alors même qu'elle est repartie avec le carton contenant la documentation le jour même ;

- au cours des opérations d'expertise, M. [O] a sollicité à maintes reprises cette documentation qu'il n'a jamais pu obtenir de la part de la société Idéal Technologies.

- la réception ayant été prononcée, la société Idéal Technologies doit fournir la base documentaire telle que prévue au contrat au titre des documents sur les ouvrages exécutés et la certification CE permettant d'acter le transfert de propriété résultant de ladite réception.

Réponse de la cour :

Nonobstant leurs développements les sociétés Capik et Ikos environnement demandent à la cour, dans le dispositif de leurs conclusions de confirmer le jugement entrepris sauf pour certaines de ses dispositions au nombre desquelles ne figure pas la condamnation sous astreinte de la société Idéal Technologie à remettre à la société Capik les documents écrits concernant la formation du personnel, la mise en route, l'exploitation du quotidien, la maintenance et le fonctionnement en mode dégradé pour l'installation.

Elles ne présentent dans le dispositif de leur conclusions aucune demande tendant à une remise différente.

L'article 11 du marché de travaux stipule une obligation pesant sur la société Idéal Technologies de fournir à la société Capik les documents et informations suivants :

« - procédures d'exploitation (mode normale et mode dégradé) procédures de maintenance, procédures de gestion des situations d'urgence (dont mise en sécurité et redémarrage),

- Plans (organes mécaniques, réseaux électriques, hydrauliques, pneumatiques)

- consignes de sécurité avec identification des zones à risque (zones ATEX, points chauds, pièces en mouvements, circulation de produits dangereux, bruits, vibrations)

- identification des produits nécessaires et fournitures des FDS associées

- Fourniture (avant la mise en service) de l'état 0 des capacités de traitement de l'air dans les locaux (mesure de l'efficacité)

- Un plan de prévention et de sécurité

- Habilitations nécessaires

- 3 exemplaires d'un DOE (Dossier des Ouvrages Exécutés) et d'un manuel d'utiIisation et de maintenance en français

- La liste et caractérisations techniques des équipements complémentaires que CAPIK devra fournir

- Assurance Dommages aux Tiers

- Responsabilité civile »

La société Idéal Technologies verse aux débats un écrit signé par M. ou Mme [E] le 18 décembre 2013 déclarant agir pour le compte de la société Capik aux termes duquel cette personne a déclaré avoir reçu de la société Idéal Technologies les documents suivants :

- mode d'emploi général,

- les annexes A à I intitulés : analyse et réduction des risques, électrique, automatisme, maintenance, fiches techniques, manuel d'utilisation, PID, mode emploi écran tactile conc et sécheurs, mode emploi écran tactile laveur.

La société Capik ne démontre pas que cet écrit ne reflète pas la réalité d'une remise. Toutefois, hormis la maintenance et la mise en route rien ne démontre que ces documents contiennent les informations nécessaires à la formation du personnel, l'exploitation du quotidien et le fonctionnement en mode dégradé.

Dès lors qu'une réception est intervenue avec réserve le 23 mai 2014, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a dit que le transfert de propriété s'était opéré à cette date et la société Idéal Technologie doit remettre à la société Capik, les documents demandés ;

Le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il a condamné la société Ideal Technologies, sous astreinte de 300 euros par jour de retard à compter de la notification de ce jugement, d'avoir à remettre à la société Capik les documents écrits concernant la formation du personnel, la mise en route, l'exploitation du quotidien, la maintenance et le fonctionnement en mode dégradé pour l'installation.

La société Idéal Technologies sera condamnée, sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter de la signification du présent arrêt et ce pour une durée de 60 jours au-delà de laquelle il sera de nouveau fait droit à remettre à la société Idéal Technologies les documents concernant la formation du personnel, l'exploitation du quotidien, et le fonctionnement en mode dégradé pour l'installation.

Sur la demande reconventionnelle de la société Idéal Technologies :

Exposé des moyens :

La société Idéal Technologies soutient que la société Capik a refusé de lui régler certaines prestations pour 82 895,37 euros.

La société Capik soutient que la somme réclamée par la société Idéal Technologies n'est pas justifiée alors que sur un marché de 790 594 euros (hors taxes), elle a versé 1 022 581,60 euros et que les réserves émises lors de la réception n'ont jamais été levées de sorte, qu'en outre, elle serait fondée à retenir 5% de la somme prévue au marché.

Réponse de la cour :

En pages 81 et 82 de leur rapport, les experts ont examiné cette prétention de la société Ideal Technologie et l'ont estimée acceptable. La société Capik a réglé la somme de 1 047 063 euros sur un total facturé par Ideal Technologies à hauteur de 1 270 972 euros. Elle est indemnisée de ses préjudices matériels à hauteur de 1 243 425 euros. Dès lors que son intention de reconstruire intégralement l'installation, elle ne peut utilement opposer à la demande de règlement du solde du marché que les réserves n'ont pas été levées.

Par voie de conséquence, la société Capik doit régler le solde de son marché à la société Ideal Technologies.

Le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il a débouté la société Ideal Technologies de cette demande, et la société Capik sera condamnée à lui verser la somme de 82 895,37 €. La société Ideal Technologies ne justifie aucunement du taux de 1% qu'elle entend voir affecter aux intérêts de retard. Elle sera déboutée du surplus de sa demande.

Le jugement sera confirmé, en ses dispositions sur les dépens et les frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant par arrêt contradictoire ;

Infirme le jugement du tribunal de commerce de Dieppe du 26 juin 2015 en ce qu'il a :

- condamné la société Ideal Technologies à payer à la société Capik les sommes suivantes :

*travaux de réparation : 81 136 euros,

*pénalités de retard : 488 400 euros,

*préjudices liés aux travaux de reprise : 481 330 euros,

*perte d'exploitation : 725 000 euros,

- condamné la société Ideal Technologies, sous astreinte de 300 euros par jour de retard à compter de la notification de ce jugement, d'avoir à remettre à la société Capik les documents écrits concernant la formation du personnel, la mise en route, l'exploitation du quotidien, la maintenance et le fonctionnement en mode dégradé pour l'installation,

- débouté la société Ideal Technologies de l'ensemble de ses demandes ;

Statuant à nouveau :

Condamne la société Idéal Technologies à payer à la société Capik la somme de

1 243 425 euros au titre des travaux de reprise de l'installation ;

Condamne la société Idéal Technologies à payer à la société Capik la somme de

496 183 euros au titre de ses pertes d'exploitation ;

Condamne la société Idéal Technologies à payer à la société Capik la somme de

10 000 euros au titre des pénalités de retard ;

Condamne la société Idéal Technologies, sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter de la signification du présent arrêt et ce pour une durée de 60 jours audelà de laquelle il sera de nouveau fait droit, à remettre à la société Idéal Technologies les documents concernant la formation du personnel, l'exploitation du quotidien, et le fonctionnement en mode dégradé pour l'installation.

Condamne la société Capik à payer à la société Idéal Technologies la somme de 82 895,37 euros ; et la déboute du surplus de ses dispositions ;

Confirme le jugement pour le surplus de ses dispositions ;

Y ajoutant

Condamne la société Idéal Technologies à payer à la société Ikos Environnement la somme de 697 650 euros au titre de ses pertes d'exploitation ;

Condamne la société Idéal Technologies aux dépens en cause d'appel y compris les frais des expertises judiciaires de MM. [O], [V] [P] et [M] ;

Condamne la société Idéal Technologies à payer à la société Capik et à la société Ikos Environnement la somme total de 20 000 euros au titre de leurs frais irrépétibles.

La greffière, La présidente,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rouen
Formation : Ch. civile et commerciale
Numéro d'arrêt : 15/03389
Date de la décision : 28/03/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 03/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-03-28;15.03389 ?
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