N° RG 22/03179 - N° Portalis DBV2-V-B7G-JF4D
COUR D'APPEL DE ROUEN
1ERE CHAMBRE CIVILE
ARRET DU 27 MARS 2024
DÉCISION DÉFÉRÉE :
Tribunal judiciaire d'Evreux du 2 mai 2022
DEMANDERESSE :
SCEA DE LA GALLINETTE
[Adresse 14]
[Adresse 14]
[Localité 4]
représentée et assistée par Me Nelly LEROUX-BOSTYN, avocat au barreau de l'Eure
DEFENDEUR :
SAS VITOGAZ FRANCE
[Adresse 13]
[Localité 6]
représentée par Me Gaëlle MELO de la SCP SPAGNOL DESLANDES MELO, avocat au barreau de l'Eure
INTERVENANTS VOLONTAIRES :
Monsieur [R] [S]
[Adresse 1]
[Localité 2]
représenté par Me Simon MOSQUET-LEVENEUR de la Selarl LEXAVOUE, avocat au barreau de Rouen et assisté de Me Cécile PLOT avocat au barreau de Paris
Maître [B] [I] épouse [H]
en qualité d'administratrice de l'étude de la SCP [R] [S]
[Adresse 5]
[Localité 3]
comparante, représentée par Me Simon MOSQUET-LEVENEUR de la Selarl LEXAVOUE, avocat au barreau de Rouen et assistée de Me Cécile PLOT avocat au barreau de Paris
COMPOSITION DE LA COUR :
Lors des débats et du délibéré :
Mme Edwige WITTRANT, présidente de chambre
Mme Magali DEGUETTE, conseillère
Mme Anne-Laure BERGERE, conseillère
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Mme [J] [E]
En présence du MINISTERE PUBLIC :
auquel le dossier a été communiqué pour ses réquisitions écrites
entendu en ses réquisitions orales
DEBATS :
A l'audience publique du 17 janvier 2024, où l'affaire a été mise en délibéré au 27 mars 2024
ARRET :
CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 27 mars 2024, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
signé par Mme WITTRANT, présidente de chambre et par Mme CHEVALIER, greffier présent lors de la mise à disposition.
*
* *
EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE
La SasVitogaz France, spécialisée dans la distribution de produits ou sous-produits pétroliers a, le 20 avril 2017, fait une proposition commerciale à l'Earl de la Gallinette, aux droits de laquelle vient la Scea de la Gallinette.
En juin 2017, la société de la Gallinette a souscrit cinq contrats de fourniture de gaz propane auprès de la société Vitogaz.
Le 16 avril 2019, à la suite d'un désaccord, la société Vitogaz a confirmé à la société de la Gallinette la résiliation de chacun des contrats, tout en rappelant à sa cliente qu'elle était redevable d'une indemnité de rupture et des frais d'enlèvement du matériel conformément aux termes des contrats.
Le 10 juillet 2019, la société de la Gallinette a contesté la facture adressée par la société Vitogaz.
En raison de la persistance des désaccords et de l'échec d'une issue amiable au litige, la société Vitogaz a fait assigner par acte du 3 janvier 2022, délivrée par Me [R] [S], huissier de justice, la société de la Gallinette devant le tribunal judiciaire d'Evreux.
Par jugement réputé contradictoire du 2 mai 2022, le tribunal judiciaire d'Evreux a :
- condamné la société de la Gallinette à restituer à la société Vitogaz les deux réservoirs n°049901 et 013399 appartenant à cette dernière et situées à [Adresse 10], dans un délai de deux mois à compter de la signification de la présente décision,
- dit que cette condamnation est assortie d'une astreinte provisoire de 50 euros par jour de retard si ces deux citernes ne sont pas restituées dans le délai de deux mois à compter de la signification de la présente décision,
- condamné la société de la Gallinette à payer à la société Vitogaz la somme de
7 202,18 euros au titre des frais de retrait des 11 réservoirs, ce inclus les frais de retrait des deux citernes encore sur site, avec les intérêts au taux légal à compter de l'assignation (3 janvier 2022),
- condamné la société de la Gallinette à payer à la société Vitogaz la somme de
10 000 euros à titre d'indemnité de résiliation assortie des intérêts au taux légal à compter de la présente décision,
- condamné la société de la Gallinette à payer à la société Vitogaz la somme de
500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la société de la Gallinette aux entiers dépens de l'instance.
Par déclaration reçue au greffe le 27 juin 2022 et enregistrée sous le n°RG 22/02137, la Scea de la Gallinette a formé appel de ce jugement.
EXPOSE DES PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Par déclaration d'inscription de faux contre un acte authentique déposée au greffe le 30 septembre 2022 enregistrée sous le n°RG 22/03179 puis par dernières conclusions notifiées le 16 janvier 2024, la Scea de la Gallinette demande à la cour, au visa des articles 286, 310, 654 et suivants et 693 du code de procédure civile, de :
- la déclarer recevable et bien fondée en sa demande d'inscription de faux,
- constater que l'acte d'huissier du 3 janvier 2022 dont se prévaut la Sas Vitogaz France est nul et de nul effet, en ce qu'il n'a pas été signifié entre les mains du représentant légal, un fondé de pouvoir ou toute personne habilité à recevoir l'acte,
- dire que l'assignation du 3 janvier 2022 est nulle et de nul effet,
- ordonner que le 'jugement' déclarant le faux soit mentionné en marge de l'acte et que celui-ci, soit réintégré dans les minutes d'où il avait été extrait ou conservé au greffe,
- débouter Me [S] et Me [H] de leurs demandes,
à défaut de communication spontanée,
- enjoindre Me [S] de communiquer l'original de sa pièce n°15 sous astreinte de 150 euros par jour,
- condamner Me [S] à lui verser une somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts,
- condamner la Sas Vitogaz France et Me [S] au paiement de la somme de
5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la Sas Vitogaz France et Me [S] au paiement des dépens de la première instance, avec faculté de recouvrement conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Pour rappeler qu'il incombe à un huissier de justice de mettre tout en oeuvre pour délivrer l'acte à signifier au représentant légal de la société, elle soutient que par principe, la signification de l'acte doit être faite au représentant légal de la société. Ce n'est que lorsque la signification entre les mains du représentant légal ou toute personne habilitée à recevoir l'acte n'est pas possible, que sa remise à l'étude est envisageable. Elle ajoute que si l'huissier ne peut pas procéder à la signification de l'acte entre les mains du représentant légal de la société ou de toute personne habilité à recevoir l'acte, il doit, à peine de nullité, mentionner les investigations concrètes et précises qui empêchent la signification entre les mains du représentant légal et mentionner les circonstances concrètes et précises qui empêchent une telle signification.
Elle soutient que les mentions indiquées par Me [S], chargé par la société Vitogaz de lui signifier son assignation devant le tribunal judiciaire d'Evreux, ne respectent pas les obligations mises à la charge d'un huissier et sont insuffisantes pour caractériser son impossibilité de remplir ses obligations.
Elle estime que Me [S] n'a donc pas signifié l'acte au représentant légal de la société de la Gallinette qui n'a pas davantage été signifié à l'un de ses établissements ; que Me [S] ne s'est pas déplacé sur les lieux dans la mesure où aucun pli n'a été déposé dans la boîte aux lettres, pourtant visible et parfaitement identifiée, et que le 3 janvier 2022, des salariés étaient présents sur le site entre 8 heures et 17 heures. Elle fait donc valoir qu'aucune recherche auprès des services postaux, ni auprès de la mairie n'a été effectuée.
Elle allègue encore que la signification à l'étude n'a pas été faite dans les règles de l'art puisqu'elle n'a reçu aucun avis de passage en application de l'article 655 du code de procédure civile, ni aucune lettre simple reprenant les termes de l'avis de passage en application de l'article 658 du code de procédure civile.
Elle considère que dans ses conditions, l'huissier de justice a commis un faux en rédigeant un acte sans se présenter sur les lieux d'exercice de la société. Elle conteste en cela les propos tenus par Me [S] lors de son audition devant la cour.
Par dernières conclusions notifiées le 16 janvier 2024, la Sas Vitogaz France demande à la cour de :
- débouter la société de la Gallinette de son action en inscription de faux dirigée contre l'assignation délivrée par le ministère de Me [S], huissier de justice, le 3 janvier 2022,
- condamner la partie succombante à lui verser une indemnité de 5 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la partie succombante aux entiers dépens de l'instance avec droit de recouvrement direct au profit de la Scp Spagnol Deslandes Melo.
Elle rappelle qu'il est vain de reprocher à Me [S] de ne pas avoir cherché en tout lieu le représentant légal de la société de la Gallinette, alors que la signification d'un acte à une personne morale s'effectue en application de l'article 690 du code de procédure civile, au lieu de son établissement.
Elle affirme que l'huissier de justice a pu déterminer avec certitude et après vérification au moyen d'un extrait Kbis sur Infogreffe, ce lieu, qui est celui du siège social de la société et qui n'est pas contesté. Elle considère que Me [S] n'avait pas à se rendre dans l'un des autres établissements de la société de la Gallinette, ou à procéder à des recherches supplémentaires pour tenter d'y trouver son dirigeant.
Elle fait valoir que les mentions d'un acte pouvant être considéré nul ne sont en effet pas nécessairement fausses, et que l'admission d'un faux suppose la démonstration de l'inexactitude des diligences que l'huissier a déclaré avoir accomplies. En l'espèce, la société de la Gallinette ne démontre, ni ne prétend que la mention du lieu de son siège social est fausse. Ainsi, cette dernière opère une confusion entre la nullité éventuelle de l'assignation et la fausseté des mentions que cet acte pourrait contenir. La société doit dès lors être déboutée de son action en inscription de faux.
Par conclusions d'intervention volontaire notifiées le 5 janvier 2024, Me [S] et Me [H] ès qualités d'administratrice de la Scp [R] [S], demandent à la cour, au visa des articles 554 et 55 du code de procédure civile, de :
- juger recevable leur intervention volontaire,
- juger valable l'acte de signification en date du 3 janvier 2022 dressé par Me [S],
- débouter la société de la Gallinette de sa requête afin d'inscription de faux incidente à l'encontre du procès-verbal de signification du 3 janvier 2022,
- la juger mal fondée,
- condamner la société de la Gallinette à une amende civile au visa de l'article 305 du code de procédure civile,
- condamner la société de la Gallinette à payer à Me [H] la somme de
10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et atteinte à l'honneur de la Scp [S],
- condamner la société de la Gallinette à leur payer la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Ils rappellent les exigences des juridictions quant aux diligences de l'huissier pour vérifier la réalité de l'adresse du destinataire et ensuite joindre effectivement le destinataire de la signification et, à défaut d'atteindre ce résultat, pour justifier d'une réelle impossibilité. Ils exposent qu'en effet, il est demandé aux huissiers de fournir des renseignements suffisamment précis et concrets propres à l'affaire pour savoir si toutes les diligences exigées par la loi ont été correctement effectuées afin qu'aucun doute ne subsiste sur l'impossibilité d'une signification à personne.
Ils font valoir que les huissiers doivent alors effectivement préciser les conditions dans lesquelles ils ont vérifié l'exactitude du domicile et la raison pour laquelle il n'a pas pu procéder à une signification à personne : pour chacune de ces deux diligences, le détail des recherches des huissiers doit apparaître dans l'acte. Ils se réfèrent à la sanction tiré de l'insuffisance des mentions des constatations matérielles faites par l'huissier, la nullité de droit commun.
Ils considèrent donc que la demanderesse opère une confusion entre les diligences des huissiers pour la remise de l'acte à personne qui relèvent des mentions sanctionnées par la procédure en inscription de faux et des vérifications matérielles effectuées par les huissiers qui ne rentrent pas dans la catégorie des mentions intrinsèques et qui supportent facilement la preuve matérielle contraire comme un constat.
Ils précisent que la qualification de faux civil ne couvre pas toutes les mentions de l'acte de signification compte tenu des erreurs qui peuvent exister dans leur rédaction mais qui n'entacheraient pas leur valeur probante. Ils entendent ainsi affirmer que le faux intellectuel ne comporte aucune rectification matérielle de l'acte, puisqu'il consiste pour le rédacteur de l'acte authentique à énoncer des faits ou à rapporter des déclarations inexactes.
Ils allèguent que la procédure en inscription de faux n'a pas lieu d'être dès lors qu'une mention apposée à l'acte peut être déclarée nulle sans y avoir recours. Ils ajoutent que si l'acte contient une erreur matérielle, notamment s'agissant des constatations purement matérielles de l'huissier, susceptible d'être contredite par la preuve contraire, ou encore un vice, une cause de nullité, soumise au droit commun, la procédure en inscription de faux n'a pas à être utilisée.
Ils prétendent alors que la procédure en inscription de faux n'est justifiée que lorsque les erreurs volontaires, graves et substantielles de l'acte authentique lui font perdre son caractère probant.
Se fondant sur les dispositions du code de procédure civile relatives aux modalités de signification des actes d'huissier, ils exposent que l'acte de signification litigieux a pour destinataire la Scea de la Gallinette, personne morale, et que l'acte précise effectivement la date, la forme, la dénomination, et le domicile de la société au vu de son Khis, conformément à l'article 648 du code de procédure civile.
Ils estiment que non seulement le choix de cette procédure n'est pas fondé mais que la procédure pourtant bien décrite aux articles 306 et suivants du code de procédure civile combinée avec les dispositions d'ordre général du même code n'ont pas été respectées par les demanderesses.
Ils arguent que la société de la Gallinette semble faire grief à l'huissier de ne pas avoir accompli les démarches nécessaires pour signifier l'assignation à son représentant légal, alors qu'elle ne conteste nullement que l'adresse où s'est rendu l'huissier est bien l'adresse de son siège social.
Contrairement à ce que conclut la Scea de la Gallinette, ils soutiennent que dès lors que l'acte est signifié au siège social de la société, non contesté, l'huissier n'a guère d'autres diligences à effectuer au visa de l'article 690 de code de procédure civile, de sorte qu'il n'a pas à chercher l'adresse du représentant légal, ni même un autre établissement car une telle signification pourrait lui être reprochée.
Ils énoncent que la Scea de la Gallinette ne peut commencer par arguer d'un défaut de diligences pour ne pas être allé ailleurs qu'au siège social, pour ensuite dans le cadre de la procédure en inscription de faux, affirmer que la société était ouverte toute la journée, et non fermée selon les indications dans l'acte attaqué pour faux.
Rappelant que l'article 655 du code de procédure civile a trait au cas où la signification à personne s'avérerait impossible, et que dans ce cas, l'acte peut être délivré soit à domicile, soit, à défaut de domicile connu, à résidence, ils avancent le fait qu'en l'espèce, il est indiqué que la société était fermée, et qu'à aucun moment la demanderesse n'a rapporté la preuve que la société était ouverte toute la journée de 6 heures à 21 heures, puisque les significations sont autorisées entre ces heures conformément à l'article 644 du même code.
Versant aux débats deux bulletins d'hospitalisation du 3 janvier 2022, ils affirment qu'entre 7 heures et 11 heures, Me [S] a eu le temps d'effectuer quatre significations d'actes, y compris celui à destination de la Scea de la Gallinette qu'il a pu préparer lors d'une permission de sortie. Plus précisément, sur le défaut de mention de l'heure à laquelle l'acte à été signifié, ils estiment que celle-ci ne saurait lui en être fait grief, qu'il ne peut se voir reprocher de signifier à une heure matinale, alors que les textes l'y autorisent, sans que cela ne caractérise un manquement déontologique.
Si la signification de l'acte litigieux n'est pas mentionnée dans le cahier de liaison, lequel est établi en dehors de toute procédure, et est sans rapport avec le répertoire visé par les textes, ils versent aux débats l'extrait du répertoire de Me [S] justifiant de l'inscription de son acte au répertoire qui conditionne l'envoi du courrier conformément à l'article 658.
Ils se prévalent du fait qu'il est impossible pour Me [S] de prouver matériellement que les deux employés n'étaient effectivement pas présents au moment de son passage, d'autant plus que les attestations de MM. [X] ne sont pas suffisantes d'une part, parce qu'ils sont partis au plus tard à 17 heures, et d'autre part, parce qu'ils rapportent qu'ils faisaient au même moment une chute de tranchée pour l'évacuation des eaux de lavage du bâtiment PS, de sorte que cela signifie que les deux employés ne pouvaient pas être à l'intérieur du bâtiment des bureaux au moment où Me [S] s'est présenté. Sur ce point, ils ajoutent qu'affirmer que Me [S] aurait dû repasser dans l'après-midi n'a rien à voir avec l'existence d'un faux et reviendrait à faire peser de nouvelles obligations sur cette profession.
Dans la mesure où si personne n'était présent sur les lieux, ils considèrent qu'il était pour le moins aisé de conclure à l'absence de personne habilitée à recevoir un pli, de sorte que ce moyen de faux devra donc être écarté également, et qu'il n'existe donc aucun fondement valable pour affirmer que cet acte est un faux.
Rappelant les dispositions de l'article 658 du code de procédure civile, ils affirment qu'en l'espèce, Me [S] a bien laissé un avis de passage dans la boîte aux lettres de la société, et demandent en définitive à la cour de rejeter la procédure en inscription de faux.
Enfin, ils demandent à ce que leur soit allouée une somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts après avoir rapporté être choqués qu'une procédure d'inscription de faux, avec les conséquences pénales que cela peut engendrer pour son métier, ait été déposée à son encontre dans le seul but de paralyser une saisie-attribution, outre une indemnité de procédure de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par conclusions notifiées le 19 octobre 2023, le Ministère public requiert qu'il plaise à la cour de :
- déclarer le faux acte authentique établi le 3 janvier 2022 par Me [S],
- faire procéder aux mentions et aux prescriptions prévues à l'article 310 du code de procédure civile.
Au regard de ses règles déontologiques, il expose que l'huissier devait se rendre dans les locaux de la société de la Gallinette à des heures permettant la signification à personne. Or, il estime qu'il paraît improbable d'envisager que Me [S] se soit réellement déplacé pour procéder à la signification, encore moins à une heure où il aurait eu conscience de la faible probabilité de rencontrer une personne sur le site.
Il expose que Me [S] était hospitalisé à l'hôpital d'[Localité 8] le même jour jusqu'à 7 heures, à 20 minutes du siège de la société de la Gallinette, de sorte que pour pouvoir arriver à 7 heures 30, comme il l'affirme, il devait être, au cours de son hospitalisation, déjà en possession des actes à signifier. Si ce n'est pas le cas, il lui était nécessaire de repasser à son étude de [Localité 11], à 1 heure du siège de la société de la Gallinette, ce qui laisserait supposer d'une arrivée non pas à 7 heures 30, mais plutôt après 8 heures, ce qui lui aurait permis de croiser des salariés de la société.
Il précise que l'étude de Me [S] a un taux de signification des actes à étude qui excède de beaucoup la moyenne observée dans les autres offices du ressort et qui interroge sur la réalité des tournées organisées quotidiennement par ce dernier pour procéder aux significations à personne, et ajoute que Me [S] a fait l'objet d'une instance disciplinaire ayant abouti à sa destitution le 20 janvier 2023.
Enfin, il relève que la signification litigieuse a été omise du répertoire de l'étude de Me [S] qui met en cause son secrétariat, sans assumer ses responsabilités.
A l'audience du 20 septembre 2023, Me [S] a été entendu par la cour en présence des parties et du Ministère public Il a confirmé s'être déplacé 'tôt dans la matinée sur les lieux de la Scea', 'entre 7h30 et 8h00', n'avoir vu personne ni boîte aux lettres et avoir laissé un avis de passage sous la porte d'un bâtiment. Il a fait état des consignes de la chambre des huissiers sur la nécessité d'éviter les remises à personne durant la période de la crise sanitaire. Il conteste la matérialité des faits qui lui sont reprochés au titre du faux allégué.
Le conseil de la Scea de la Gallinette a relevé que le gérant de la société s'était présenté à l'accueil de l'étude et que la secrétaire avait précisé que l'acte n'avait pas été porté sur le répertoire de l'étude ; que la production de ce répertoire n'a pu être obtenue.
L'affaire a été plaidée à l'audience du 17 janvier 2024.
Me Plot, conseil de Me [S], demande le rejet de la pièce 14 communiquée le 16 janvier 2024 par Me [U] s'agissant du bulletin de sortie de l'hôpital de son client le 3 janvier 2022 comme constituant une pièce couverte par le secret médical.
Me [U] fait valoir en réponse qu'il ne s'agit que d'un document administratif, disponible sans difficulté lors de sa demande faite à l'hôpital, lui permettant de remettre en cause la pièce 15 versée par Me Plot qui semble tronquée et dont elle réclame, suivant sommation de communiquer délivrée le 17 janvier 2024, production en original.
L'affaire a été mise en délibéré au 27 mars 2024.
MOTIFS
Sur la recevabilité de l'intervention volontaire de l'huissier de justice et du représentant légal de l'étude
Selon l'article 330 du code de procédure civile, l'intervention est accessoire lorsqu'elle appuie les prétentions d'une partie. Elle est recevable si son auteur a intérêt, pour la conservation de ses droits, à soutenir cette partie. L'intervenant à titre accessoire peut se désister unilatéralement de son intervention.
La recevabilité de l'intervention volontaire de Me [S], huissier de justice, auteur de l'acte critiqué et de Me [H] en sa qualité d'administratrice de la Scp [R] [S] n'est pas contestée. Compte tenu des sanctions encourues par le professionnel, des conséquences financières possibles, les intervenants ont intérêt à agir.
Leur intervention sera déclarée recevable.
Sur la communication des pièces
L'article 132 du code de procédure civile dispose que la partie qui fait état d'une pièce s'oblige à la communiquer à toute autre partie à l'instance. La communication des pièces doit être spontanée.
Selon l'article 133 suivant, si la communication des pièces n'est pas faite, il peut être demandé, sans forme, au juge d'enjoindre cette communication.
Selon l'article 135 du même code, le juge peut écarter du débat les pièces qui n'ont pas été communiquées en temps utile.
Par bordereau notifiée le 5 janvier 2024, le conseil de Me [S] et de Me [H] a notifié :
- la pièce n°15 : la lettre de liaison de l'hôpital d'[Localité 8] du 3 janvier 2022,
- la pièce n°16 : le bulletin d'entrée à la clinique des [Localité 7] du 3 janvier 2022 concernant Me [S].
Par bordereau de communication de pièces remis au greffe le 16 janvier 2024 à 15h23, le conseil de la Scea de la Gallinette a notifié la pièce 14 soit le bulletin de sortie du 3 janvier 2022 de Me [S].
Par sommation de communiquer remise au greffe le 17 janvier à 9h03, le conseil de la Scea de la Gallinette demande la communication de :
- le bulletin de sortie d'hospitalisation de l'hôpital de Navarre de Me [S] du 3 janvier 2022,
- l'original de la pièce n°15 avec la précision suivante : 'la production d'une photocopie ne saurait suppléer l'original dont la communication peut toujours être exigée.'.
La pièce n°15 des intervenants volontaires, la lettre de liaison adressée à M. [S] le 3 janvier 2022, émanant du pôle départemental de psychiatrie de l'hôpital d'[Localité 8] précise que le patient est entrée dans l'établissement le 11 décembre 2021 et en est sorti le 3 janvier 2022 pour 'BURN OUT' dans le cadre d'un transfert à la clinique des [Localité 7].
La pièce 16 suivante indique que le patient a dans le cadre d'un transfert intégré la clinique des [Localité 7] à [O] le 3 janvier 2022 à 11h39 pour sortir de l'établissement le 11 février 2022 à 18 heures.
La pièce litigieuse n°14 a été notifiée au conseil de Me [S] dès le 12 janvier 2024. Il s'agit d'un bulletin de sortie concernant Me [S] précisant outre les informations susvisées que le patient est sorti de l'hôpital de [Localité 12] le 3 janvier 2022 à 11h09 soit exactement trente minutes avant son intégration au sein de la clinique de [O] distante de 17,5 km parcourus en 23 minutes selon l'itinéraire décrit sur Google maps produit par la Scea de la Gallinette.
Bien que disposant de plusieurs jours pour examiner la pièce et développer, par conclusions, des moyens pour s'opposer à la production de la pièce de la Scea de la Gallinette, les intervenants volontaires se bornent à invoquer le secret médical alors que :
- d'une part, ils se sont eux-mêmes prévalus de l'hospitalisation de Me [S] avec à leur soutien une pièce précisant la pathologie dont il souffrait et ont apporté les informations utiles quant au changement de structure de soins entre [Localité 8] et [O] ;
- d'autre part, ils ne visent aucun texte relatif aux conditions de délivrance d'un 'bulletin de sortie' démontrant une violation de la part de la Scea de la Gallinette ou de son conseil du secret médical.
Aucun élément ne permet de caractériser une obtention frauduleuse de la pièce qui ne comporte que , comme seul élément essentiel supplémentaire, l'heure de sortie de M. [S] de l'hôpital le 3 janvier 2022.
En conséquence, il n'y a pas lieu d'écarter cette pièce.
Compte tenu des pièces décrites, il n'y a pas lieu de faire injonction aux intervenants volontaires de communiquer la pièce 15 en original.
Sur l'inscription de faux incidente
L'article 1371 du code civil dispose que l'acte authentique fait foi jusqu'à inscription de faux de ce que l'officier public dit avoir personnellement accompli ou constaté.
En premier lieu, l'article 648 du code de procédure civile, dispose que tout acte d'huissier de justice indique, indépendamment des mentions prescrites par ailleurs :
1. sa date,
2.a) si le requérant est une personne physique : ses nom, prénoms, profession, domicile, nationalité, date et lieu de naissance,
b) si le requérant est une personne morale : sa forme, sa dénomination, son siège social et l'organe qui le représente légalement,
3. les nom, prénoms, demeure et signature de l'huissier de justice,
4. si l'acte doit être signifié, les nom et domicile du destinataire, ou, s'il s'agit d'une personne morale, sa dénomination et son siège social.
Ces mentions sont prescrites à peine de nullité.
En second lieu, au visa des articles 306 à 312 du code de procédure civile, il appartient au juge d'admettre ou de rejeter l'acte litigieux au vu des éléments dont il dispose. La décision qui déclare le faux est mentionnée en marge de l'acte reconnu faux.
L'inscription de faux suppose que l'acte comporte une mention fausse et donc contraire à la réalité. La fausseté de cette mention s'apprécie au regard de la véracité des énonciations qu'elle contient et se distingue de la validité de l'acte sanctionnée par la nullité en cas de manquement aux dispositions des articles 653 et suivants du code de procédure civile s'agissant d'une signification d'acte.
En l'espèce, l'acte critiqué est la signification de l'acte introductif d'instance délivrée le 3 janvier 2022 par lequel la Sas Vitogaz France a assigné la Scea de la Gallinette en restitution de matériels et paiement, procédure aboutissant à un jugement réputé contradictoire du 2 mai 2022 dont appel.
Le dispositif et la discussion développés dans les conclusions de la Scea de la Gallinette révèlent une confusion entre :
- l'existence d'un faux et la transcription de la déclaration de faux devant être portée en marge de l'acte,
- la violation des obligations de l'huissier de justice dans le cadre de la délivrance des actes sanctionnée par une nullité.
En l'espèce, l'examen ne peut porter par procédure incidente que sur la déclaration de faux.
Il comporte une erreur matérielle en ce que le dispositif vise un jugement au lieu de l'arrêt devant être rendu par la cour.
Cependant, la saisine de la cour respecte la procédure en déclaration de faux y compris dans le libellé du dispositif analysé en ce sens.
L'acte délivré le 3 janvier 2022 à la Scea de la Gallinette dont le siège social se situe à [Localité 9] porte les mentions suivantes :
'N'ayant pu, lors de mon passage, avoir de précisions suffisantes sur le lieu où rencontrer le destinataire de l'acte.
. Le domicile étant certain ainsi qu'il résulte des vérifications suivantes :
Tribunal de Commerce (Infogreffe)
. Circonstances rendant impossible la signification à personne :
La société est fermée.
La signification à destinataire s'avérant impossible, et en l'absence de toute personne présente au domicile capable ou acceptant de recevoir l'acte, copie de l'acte a été déposée...'.
Les pièces 15 et 16 susvisées produites par Me [S] lui-même démontrent qu'il était hospitalisé à [Localité 8] puis [O] en psychiatrie, soit dans ses services supposant une vulnérabilité certaine.
Si lors de son audition, Me [S] a déclaré avoir procédé à la signification de l'assignation critiquée vers 7h30/8h soit tôt le matin durant un créneau horaire peu crédible avec le régime de l'hospitalisation suivi, la production du bulletin de sortie pour transfert de l'hôpital d'[Localité 8], parfaitement concordant avec le certificat d'entrée à [O] démontre qu'il a quitté le pôle hospitalier à 11h09 pour intégrer la clinique des [Localité 7] à 11h39.
Si besoin était, la production de l'itinéraire tiré de l'internet qu'aurait dû suivre Me [S] pour signifier les quatre actes visés au répertoire de l'étude rapporte la preuve que le temps de trajet entre les établissements de soins et ces points de signification représentait une durée de 3h20 minutes.
En outre, si la commune de [Localité 9] se situe à proximité de la ville d'[Localité 8], l'absence de précisions dans l'acte sur les conditions de délivrance de l'acte sur site est telle qu'aucun élément ne permet de conforter la thèse d'une présence réelle sur les lieux. Les conditions de dépôt de copie de l'acte ne sont pas précisées ; Me [S] a indiqué lors de son audition devant la cour avoir glissé le pli sous une porte de bâtiment.
La photographie de la boîte aux lettres produite par la Scea de la Gallinette n'est pas datée mais les clichés de l'exploitation agricole permettent de vérifier son étendue et sa composition s'agissant des immeubles de sorte que des précisions auraient été apportées sur les lieux quant aux diligences accomplies par l'huissier de justice.
Pour s'opposer à la déclaration de faux, Me [S] et le représentant légal invoquent :
- des permissions de sortie pendant lesquelles Me [S] auraient pu préparer les significations et notamment celles du 3 janvier 2022 ;
Les attestations produites ne sont pas de nature à anéantir les constatations ci-dessus effectuées quant aux conditions d'hospitalisation de M. [S], l'attestation visant la mise à disposition d'un véhicule repris sur le parking de l'établissement étant sur ce point inefficace pour établir l'autonomie de Me [S] quant à des déplacements.
- les mentions portées sur le répertoire de l'étude ;
Ces mentions sont sans portées dans la mesure où il est suffisamment établi par les pièces produites que Me [S] ne pouvait pas matériellement signifier les actes.
En conséquence, il convient de déclarer faux l'acte de signification de l'assignation du 3 janvier 2022 délivré à la Scea de la Gallinette, la mention devant en être porté sur l'acte ensuite réintégré dans les minutes de l'étude et le répertoire susvisé.
Les demandes indemnitaires des intervenants volontaires ne peuvent pas prospérer compte tenu de la décision.
Sur les dommages et intérêts
La Scea de la Gallinette sollicite le paiement de la somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts à l'encontre de Me [S].
Si la faute de l'huissier de justice est acquise par la rédaction d'un faux, le préjudice subi par la Scea de la Gallinette n'est pas démontré : cette dernière ne développe dans ses écritures aucune argumentation permettant de l'aprécier puisqu'elle indique uniquement que Me [S] n'a pas respecté ses obligations et est à l'origine d'une violation d'un principe essentiel du procès, le principe du contradictoire sans apporter à la cour des éléments d'appréciation du dommage.
La demande sera rejetée.
Sur les frais de procédure
La Sas Vitogaz France n'ayant pas participé à la matérialité du faux, elle ne supportera pas les dépens de l'instance.
En revanche, ayant fait choix d'intervenir volontairement à l'instance, Me [S] sera condamné aux dépens de l'instance en déclaration de faux, avec distraction au profit de la Scp Spagnol Deslandes Melo.
Ils seront également condamnés à payer à la Scea de la Gallinette d'une part, à la Sas Vitogaz France d'autre part la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe,
Déclare recevable l'intervention volontaire de Me [R] [S] et de Me [B] [H] en sa qualité d'administratrice légale de la Scp [R] [S],
Rejette les demandes tant de la Scea de la Gallinette que de Me [R] [S] et de Me [B] [H] en sa qualité d'administratrice légale de la Scp [R] [S], concernant la production des pièces respectivement n°15 et n°14 de la partie adverse,
Fait droit à la demande de la Scea de la Gallinette en déclaration de faux,
Déclare faux l'acte de signification délivré le 3 janvier 2022 par Me [R] [S], huissier de justice, à la Scea de la Gallinette,
Dit que mention sera portée sur l'acte détenu en l'étude pour la minute être ensuite réintégrée en son rang ainsi que sur le répertoire portant enregistrement de l'acte concerné,
Condamne Me [R] [S] à payer à la Scea de la Gallinette d'une part, à la Sas Vitogaz France d'autre part, la somme de 3 000 euros chacune en application de l'article 700 du code de procédure civile,
Déboute les parties pour le surplus,
Condamne Me [R] [S] aux dépens de l'instance en déclaration de faux, avec distraction au profit de la Scp Spagnol Deslandes Melo.
Le greffier, La présidente de chambre,