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21/03/2024 | FRANCE | N°22/01243

France | France, Cour d'appel de Rouen, Chambre sociale, 21 mars 2024, 22/01243


N° RG 22/01243 - N° Portalis DBV2-V-B7G-JBVN





COUR D'APPEL DE ROUEN



CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE



ARRET DU 21 MARS 2024











DÉCISION DÉFÉRÉE :





Jugement du CONSEIL DE PRUD'HOMMES DE ROUEN du 15 Mars 2022





APPELANT :





Monsieur [B] [P]

[Adresse 1]

[Localité 3]



représenté par Me Michel ROSE de la SELARL DPR AVOCAT, avocat au barreau de ROUEN







INTIMEE :





S.A.R.L. SEINE ET QUAI

[Adresse 4]

[Localité 2]



représentée par Me Olivier TRESCA, avocat au barreau de LILLE









































COMPOSITION DE LA COUR  :





En application des dispositions de l'art...

N° RG 22/01243 - N° Portalis DBV2-V-B7G-JBVN

COUR D'APPEL DE ROUEN

CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE

ARRET DU 21 MARS 2024

DÉCISION DÉFÉRÉE :

Jugement du CONSEIL DE PRUD'HOMMES DE ROUEN du 15 Mars 2022

APPELANT :

Monsieur [B] [P]

[Adresse 1]

[Localité 3]

représenté par Me Michel ROSE de la SELARL DPR AVOCAT, avocat au barreau de ROUEN

INTIMEE :

S.A.R.L. SEINE ET QUAI

[Adresse 4]

[Localité 2]

représentée par Me Olivier TRESCA, avocat au barreau de LILLE

COMPOSITION DE LA COUR  :

En application des dispositions de l'article 805 du Code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 19 Janvier 2024 sans opposition des parties devant Madame ALVARADE, Présidente, magistrat chargé du rapport.

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame ALVARADE, Présidente

Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente

Madame BACHELET, Conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Mme DUBUC, Greffière

DEBATS :

A l'audience publique du 19 janvier 2024, où l'affaire a été mise en délibéré au 21 mars 2024

ARRET :

CONTRADICTOIRE

Prononcé le 21 Mars 2024, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

signé par Madame ALVARADE, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.

FAITS ET PROCÉDURE

M. [B] [P] a été engagé par la SARL Seine et Quai, exploitant un fonds de commerce de restauration, géré par Mme [R] [U] et M. [I] [F], en qualité de directeur d'établissement niveau V échelon 2 à compter du 22 mai 2017 suivant contrat à durée indéterminée, moyennant un salaire brut moyen mensuel qui était en dernier lieu de 5 549,36 euros, à raison de 43 heures par semaine.

Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale des hôtels-cafés et restaurants.

La société employait habituellement au moins onze salariés au moment du licenciement.

Le 16 juin 2019, une cession des parts sociales étaient opérée au profit de M. [T].

Le salarié a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 26 juillet 2019 par lettre du 19 juillet précédent, mis à pied à titre conservatoire à compter du 19 juillet 2019, puis licencié pour faute grave par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 29 juillet 2021.

Le 22 juillet 2019, il a été placé en arrêt de travail, prolongé jusqu'au 5 novembre 2019.

Faisant valoir que son licenciement est nul et subsidiairement sans cause réelle et sérieuse et estimant ne pas avoir été rempli de ses droits, le salarié a saisi la juridiction prud'homale, aux fins d'obtenir diverses sommes tant en exécution qu'au titre de la rupture du contrat de travail.

Par jugement rendu le 15 mars 2022, le conseil de prud'hommes de Rouen, a :

- rejeté la demande de sursis à statuer,

- dit que le licenciement de M. [B] [P] ne repose pas sur des faits graves,

- requalifié le licenciement de M. [B] [P] en un licenciement pour cause réelle et sérieuse,

En conséquence,

- condamné la société Seine et Quai à lui régler les sommes suivantes :

16.648,11 euros à titre de préavis,

1.664,81 euros au titre des congés payés sur préavis,

3.121,52 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement,

5 000 euros au titre du licenciement prononcé dans des conditions vexatoires et à raison du dénigrement de la société Seine et Quai,

1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté M. [B] [P] de l'intégralité de ses autres demandes,

- ordonné l'exécution provisoire pour toutes les causes ne bénéficiant pas de l'exécution provisoire,

- condamné la société Seine et Quai aux entiers dépens.

Le salarié a interjeté appel de cette décision dans des formes et délais qui ne sont pas critiqués.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 21 décembre 2023.

MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Par conclusions notifiées par voie électronique le 17 octobre 2022, l'appelant demande à la cour de :

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société Seine et Quai à lui payer les sommes suivantes :

16.648,11 euros au titre du préavis

1 664,81 euros au titre des congés payés sur préavis

3 121,52 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement

5 000 euros au titre du licenciement prononcé dans des conditions vexatoires et à raison du dénigrement opéré par la société Seine et Quai,

1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- infirmer le jugement pour le surplus et en conséquence :

- condamner la société Seine et Quai au paiement de la somme de 19.422,79 euros à titre d'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse en application de l'article L. 1235-3 du code du travail,

Subsidiairement,

- condamner la société Seine et Quai au paiement de la somme de 5.549,37 euros à titre d'indemnité de licenciement irrégulier et de celle de 10.000 euros au titre du manquement à l'obligation de sécurité prévus par l'article L. 4121-1 et suivant du code du travail,

- condamner en outre la société Seine et Quai au paiement des sommes suivantes :

3 918,71 euros à titre de rappel de salaires et d'heures supplémentaires, outre les congés payés y afférents,

20.989,92 euros à titre de dommages et intérêts pour travail dissimulé,

5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour non-respect des durées légales quotidiennes et hebdomadaires de travail,

En tout état de cause,

- débouter la société Seine et Quai de son appel incident concernant les condamnations au titre du préavis de l'indemnité de licenciement et de l'article 700 du code de procédure civile,

- constater que la société Seine et Quai n'a pas formé d'appel incident au titre des dommages et intérêts à raison du licenciement prononcé dans des conditions vexatoires et à raison du dénigrement qu'elle a opéré,

- constater l'absence d'appel incident de la part de la société Seine et Quai au titre de l'indemnité de congés payés sur préavis,

- ordonner la remise d'un bulletin de salaire récapitulant les heures de travail effectivement réalisées sous astreinte de 50 euros par jour de retard suivant un délai de 15 jours à compter de la notification de la décision à intervenir,

- condamner société Seine et Quai au paiement de la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile par devant la cour d'appel.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 3 octobre 2022, l'intimée demande à la cour de voir :

- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté M. [P] de ses demandes,

de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse,

de nullité du licenciement pour procédure irrégulière,

de dommages intérêts au titre d'un licenciement vexatoire,

de dommages intérêts au titre de la violation de l'obligation de sécurité,

de rappel d'heures supplémentaires et de congés payés sur heures supplémentaires,

de dommages intérêts pour travail dissimilé,

de dommages intérêts pour non-respect des durées légales quotidiennes et hebdomadaires de travail,

de sa demande d'astreinte,

-infirmer le jugement entrepris pour le surplus et,

-débouter M. [B] [P] de ses demandes relatives au préavis, à l'indemnité de licenciement et au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

-condamner M. [B] [P] en tous les frais et dépens de la procédure et au versement de la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1 - Sur les demandes relatives à l'exécution du contrat de travail

1- 1 Sur la demande au titre des heures supplémentaires

Aux termes de L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments.

Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.

Le salarié fait valoir qu'il a régulièrement effectué des heures supplémentaires depuis son embauche, que particulièrement pendant la période de l'Armada, en juin 2019, il a accompli 103 heures supplémentaires, alors qu'il s'est trouvé confronté à la défection d'un extra et à deux abandons de poste. Il ajoute que du 2 au 16 juillet, il a cumulé 120 heures qui ne seront comptabilisées qu'à hauteur de 83,25 heures, qu'il lui est dû une somme totale de 3 918,71 euros.

Il produit le décompte des heures supplémentaires qu'il estime avoir réalisées, soit 103 heures supplémentaires du 6 au 16 juin 2019 et le décompte des heures effectuées du 2 au 16 juillet 2019 à hauteur de 120,

les bulletins de salaire au titre des mois de mai 2017 à juillet 2019,

le relevé d'heures au titre du mois de juin 2019,

le planning prévisionnel de l'armada,

le planning du 23 mai 2019 établi par Lakson (M. [T]),

la lettre que lui a adressée M. [T] datée du 4 juillet 2019, à la suite de sa réclamation concernant les heures supplémentaires effectuées en juin 2019, actant qu'« il a été convenu ensemble d'une récupération rapide de 50 % des heures supplémentaires de juin ».

Ces éléments sont suffisamment précis pour permettre à l'employeur d'y répondre.

La société fait valoir en réplique que les pièces produites par le salarié sont des documents rédigés de sa main, par conséquent dépourvus de valeur probante,

que conformément aux termes de son contrat de travail, il avait en charge la gestion du personnel, l'établissement des plannings et le respect des dispositions légales en la matière,

que les échanges de mails avec l'expert-comptable de la société démontrent également qu'il gérait les salaires et ce depuis son adresse mail personnel et non par le biais de celle de l'entreprise,

que le salarié n'était pas soumis à un horaire de travail spécifique, l'article 5 de son contrat de travail fixant seulement à 43 heures par semaine sa durée hebdomadaire de travail,

qu'il est dans l'incapacité de produire le moindre élément justifiant de ce qu'il aurait sollicité l'autorisation d'effectuer des heures supplémentaires, ni même qu'il aurait informé les anciens gérants de la multiplication des heures supplémentaires qu'il prétend aujourd'hui avoir effectuées,

qu'il n'incombait pas à la nouvelle gérance de vérifier les horaires du personnel d'une société dans laquelle elle n'avait aucun pouvoir, alors que la cession de parts s'est opérée après la fin de l'Armada,

que la nouvelle direction de la société n'a pas davantage implicitement reconnu l'existence d'heures supplémentaires.

Il n'est pas discuté que le salarié exerçait les fonctions de directeur d'établissement et avait en charge la gestion des plannings du personnel, y compris le sien et qu'il disposait d'une certaine autonomie. Par ailleurs, si aux termes de son contrat de travail, la durée de travail hebdomadaire se fixait à 43 heures, la possibilité d'effectuer des heures supplémentaires était expressément prévue.

Il est constant que la réalisation d'heures supplémentaires relève du pouvoir de direction de l'employeur, il est toutefois constant qu'en l'absence de demande explicite ou implicite de l'employeur, le salarié est en droit de prétendre au paiement des heures supplémentaires effectuées dès lors qu'elles étaient imposées par la nature ou la qualité du travail demandé.

Au cas d'espèce, il est établi que sous l'ancienne direction, le salarié a effectué de nombreuses heures supplémentaires en 2017 (260,28), en 2018 (420,92), et en 2019, (199h30 heures au 31 mai), qui lui ont régulièrement été payées, alors qu'il n'est pas contesté que pour 2017 et 2018, les feuilles d'heures supplémentaires ont été remises en main propre au dirigeant aux fins de validation. S'agissant du premier semestre 2019, le salarié peut se prévaloir d'un accord au moins implicite de la société, sans que celle-ci ne puisse valablement opposer un changement de direction, alors qu'elle reste débitrice du paiement des heures travaillées.

La société ne produisant pas d'éléments de nature à justifier les horaires précis effectivement réalisés par le salarié, se contentant de critiquer les décomptes établis par ce dernier, il sera fait droit à la demande, la cour ayant la conviction que des heures supplémentaires ont bien été effectuées à hauteur du montant réclamé, dont les modalités de calcul ne sont pas remises en cause par l'employeur, qui sera en conséquence condamné au paiement de la somme de 3 918,71 euros, outre les congés payés y afférents.

La décision entreprise sera infirmée en ce qu'elle déboute le salarié de sa demande.

1 - 2 - Sur la demande au titre du travail dissimulé

Par application de l'article L.8221-5, 2° du code du travail, la mention sur le bulletin de paie d'un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli constitue le travail dissimulé dans la mesure où elle est intentionnelle.

L'attribution par une juridiction au salarié d'heures supplémentaires non payées ne constitue pas à elle seule la preuve d'une dissimulation intentionnelle.

Faute pour le salarié de justifier d'éléments permettant de caractériser l'élément intentionnel de l'infraction, il doit être débouté de sa demande de ce chef, par confirmation du jugement.

1-3 - Sur le non-respect des amplitudes de travail

Le salarié indique avoir travaillé de façon continue du 1er juin au 14 juin 2019, sans repos hebdomadaire,

que la nouvelle direction n'ignorait pas les amplitudes horaires effectuées, le planning élaboré par celle-ci le 23 mai 2019 prévoyant qu'il devait travailler du jeudi 6 juin au dimanche 16 juin, pendant 121h50 avec une demi-journée de repos les samedi 8, mardi 11 et dimanche 16 juin.

La demande de dommages et intérêts est justifiée au regard du développement qui précède. Il y sera fait droit à hauteur de 500 euros, le jugement étant infirmé sur ce point.

1-4 Sur le manquement à l'obligation de sécurité

Le salarié prétend que l'employeur a manqué à son obligation de sécurité, que le 23 juillet 2019, il a allégué l'existence d'une situation de harcèlement moral en invoquant le fait que l'ensemble de ses dossiers, son ordinateur lui avaient été retirés dès le 18 juillet ainsi que la clef de son bureau, ne lui permettant pas d'effectuer la caisse et le mettant en difficulté vis-à-vis de l'employeur,

que ce manquement a eu des conséquences sur son état de santé au-delà de son licenciement, son employabilité ayant été affectée, puisqu'il a été placé à mi-temps thérapeutique du 3 décembre 2019 au 30 juin 2020.

Le manquement de l'employeur à son obligation de sécurité n'apparaît pas caractérisé dès lors qu'il résulte du dossier que le salarié a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement par lettre du 19 juillet 2019 et mis à pied conservatoire le même jour, qu'un précédent entretien avait été organisé avec M. [T] la veille au soir sur les difficultés mises en évidence quant à la gestion du restaurant, de sorte que la suppression de ces accès pouvait se justifier le temps de la mise en 'uvre de la procédure de licenciement et si le salarié indique avoir été placé en arrêt de travail le 22 juillet 2019, pour syndrome anxio-dépressif, il n'en est aucunement fait mention, la caisse primaire d'assurance maladie ayant du reste refusé de reconnaître à cet arrêt de travail la nature d'accident du travail ou de maladie professionnelle.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté le salarié de sa demande de ce chef.

2 - Sur les demandes relatives à la rupture du contrat de travail

2-1 Sur la cause réelle et sérieuse du licenciement

La lettre de licenciement du 29 juillet 2019 est ainsi motivée :

« (...)Vous exercez au sein de la société les fonctions de directeur d'établissement.

A ce titre, vous disposez d'une certaine autonomie tant pour organiser votre travail que dans un certain nombre de décisions qui relèvent de vos fonctions.

Il se trouve que depuis mon arrivée au sein de la société, j'ai pu constater un certain nombre de graves anomalies pour lesquelles vous ne m'avez fourni aucune explication.

En ce qui concerne l'exécution de votre prestation de travail en salle, j'ai pu constater de nombreuses erreurs pendant le service.

A titre d'exemple et sans que cette liste soit exhaustive, je suis contraint de constater de votre part :

-Des erreurs de table,

-Des prises de commandes en plusieurs fois car vous ne retenez pas les commandes et refusez de les noter sur un bloc prévu à cet effet,

-Oublis de commander les plats en cuisine,

- Laisser attendre quelques fois 45 min les clients avant de prendre leurs commandes

- Oublis d'apporter les apéritifs ou les amuses bouche

- Erreurs dans la facturation ou de changement du plan des tables pour satisfaire « vos clients» au détriment d'autres.

Cette attitude, en contradiction avec les fonctions qui sont les vôtres n'est pas admissible et est de nature à mécontenter la clientèle et à nuire à la réputation de notre établissement.

Cette attitude en salle se double hélas d'une attitude dans le cadre de vos fonctions de directeur d'établissement totalement incompatible avec votre maintien dans cette fonction.

Il apparaît en effet que vous vous êtes autorisé, sans aucune autorisation de qui que ce soit à demander à l'entreprise Naviseo qui gère la comptabilité de changer votre rémunération mensuelle en convertissant votre prime de 13ème mois versée en deux fois en prime mensuelle pour des raisons de convenance personnelle.

Vous vous êtes octroyé sans l'accord des anciens dirigeants des heures supplémentaires sans aucun justificatif.

Je vous ai demandé de me justifier des 103 heures supplémentaires revendiquées pour le mois de juin sans avoir pu obtenir d'explication ou de justificatifs.

Vous utilisez la boîte mail personnelle de l'ancienne gérante sans en avoir été autorisé sans changer la signature ce qui n'est pas d'avantage acceptable.

Un inventaire de la cave a permis de constater que vous avez conservé par devers vous les bouteilles offertes à la société par les fournisseurs de vin (Domaine Chatelain, Domaine

Chantemerle, Domaine Raffaitin) ce qui constitue l'appropriation inadmissible de biens appartenant à la société.

Quant à la gestion de la cave, vous n'avez pas su anticiper les besoins en raison notamment d'une absence d'inventaire, ni tenu ni mis à jour, ce qui a entrainé une multiplication des commandes chez les fournisseurs et donc une multiplication des frais de livraison (exemple : domaine Chatelain 4 commandes de 120 bouteilles en 6 mois : 4x 41 euros 50 de frais de livraison au lieu d'une seule commande de 480 bouteille et 95 euros de frais de livraison).

Vous avez également engagé sans aucune autorisation des dépenses très importantes sur le compte de l'entreprise (bâches extérieures 750 euros, parasols 4 000 euros, 3 000 cartes de visite S&Q, abonnements divers') malgré la situation financière de l'entreprise.

Enfin, en ce qui concerne la gestion du personnel ici encore votre attitude est de nature à mettre en péril les intérêts de l'entreprise.

Ainsi, il apparaît que vous invoquez des erreurs de vos équipes pour compenser celles-ci par des prélèvements sur la caisse pourboires ce qui est totalement interdit et constitue également à tout le moins une sanction financière totalement prohibée par la Loi.

Votre gestion des heures supplémentaires est également en totale contradiction avec la législation puisque vous vous autorisez tant pour vous que pour les membres du personnel et les extras (composés pour une partie de membres de votre famille) à exploser le contingent autorisé par la loi en la matière.

Il vous appartenait avant le période de « l'armada » de prendre toutes dispositions utiles pour vous permettre de faire face à l'afflux prévisible de clientèle pour respecter la législation applicable en matière d'heures supplémentaires.

Est-il besoin de vous rappeler que ce comportement est de nature à exposer les dirigeants de la société à des poursuites pénales.

Ce comportement ne me permet pas d'envisager la poursuite de votre contrat de travail même durant la période du préavis.

(...)».

Au soutien de la contestation de la légitimité de son licenciement, le salarié fait valoir qu'en l'absence de toute matérialité du grief, son licenciement se trouve privé de cause réelle et sérieuse, qu'il est fondé à réclamer l'indemnisation afférente.

Pour satisfaire à l'exigence de motivation posée par l'article L.1232-6 du code du travail, la lettre de licenciement doit comporter l'énoncé de faits précis et contrôlables, à défaut de quoi le licenciement doit être jugé sans cause réelle et sérieuse.

La faute grave s'entend d'une faute d'une particulière gravité ayant pour conséquence d'interdire le maintien du salarié dans l'entreprise.

La preuve des faits constitutifs de faute grave incombe à l'employeur et à lui seul et il appartient au juge du contrat de travail d'apprécier au vu des éléments de preuve figurant au dossier si les faits invoqués dans la lettre de licenciement sont établis, imputables au salarié, et s'ils ont revêtu un caractère de gravité suffisant pour justifier son éviction immédiate de l'entreprise.

Par ailleurs, en application de l'article L 1332-4 du code du travail, aucun fait fautif ne peut plus donner lieu à lui seul à une sanction disciplinaire au-delà du délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales.

Ces dispositions ne font pas obstacle à la prise en considération de faits antérieurs à deux mois dès lors que le comportement du salarié s'est poursuivi ou s'est réitéré dans ce délai, l'employeur pouvant ainsi invoquer une faute prescrite lorsqu'un nouveau fait fautif est constaté, à condition toutefois que les deux fautes procèdent d'un comportement identique.

Il sera rappelé que la lettre de licenciement fixe les limites du litige sur la cause du licenciement, ce qui interdit à l'employeur d'invoquer de nouveaux ou d'autres motifs ou griefs par rapport à ceux mentionnés dans la lettre de licenciement.

Il apparaît qu'outre les griefs exposés dans la lettre de rupture, la société reproche au salarié un détournement de bouteilles de champagne et l'appropriation de données confidentielles, en particulier le fait d'avoir produit des documents confidentiels échangés entre Mme [U] et son avocat lors des négociations de la cession de l'entreprise, profité de l'accès à sa boîte mail pour transmettre des données comptables et fait copie de documents qui ne concernent en rien ses fonctions, ainsi que d'avoir violé le principe d'égalité de traitement (discrimination à l'embauche), en octroyant aux membres de sa famille une rémunération supérieure au détriment des autres extras pendant la période de l'Armada.

Ces griefs, non visés dans la lettre de licenciement, ne seront pas examinés.

Sur le grief tenant à la qualité du service

La société reproche au salarié un certain nombre de dysfonctionnements, en particulier de nombreuses erreurs commises en salle, telles des erreurs de table, des prises de commandes mal exécutées, une attente importante des clients avant la prise de commande, des oublis d'apéritifs, des erreurs dans la facturation', ces éléments étant notamment attestés par Mme [Y] [X], demi chef de rang, et M. [K] [S], chef de rang, lequel ajoute avoir vu le salarié prendre les pourboires pour payer un plongeur ayant fait un essai, pour payer des vins manquants dans les stocks ou encore des coupes de champagne.

Le salarié indique qu'à supposer les faits allégués avérés, ils se rattachent en réalité à une insuffisance professionnelle qui n'a jamais été constatée par les précédents gérants et qui ne sauraient être considérée comme fautive. Il conteste la valeur probante des attestations versées aux débats par l'employeur et produit pour sa part les attestations de M. [L] [A], retraité, président fondateur de l'Armada de la liberté et de M. [N], restaurateur, vantant ses compétences professionnelles et faisant part de leur surprise à l'annonce de son licenciement.

Il sera rappelé concernant la valeur probante des témoignages produits par l'employeur, qu'en matière prud'homale, la preuve est libre et dès l'instant que la partie à qui sont opposées des attestations a pu en contester la force probante, notamment en faisant valoir que les auteurs des attestations étaient soumis à un lien de subordination avec l'employeur, il appartient au juge saisi de cette contestation d'apprécier souverainement la valeur et la portée desdites attestations, le juge ne pouvant, par principe, dénier toute valeur probante à une attestation émanant d'un salarié soumis à un lien de subordination avec son employeur sans un examen préalable du contenu de l'attestation et des circonstances de l'espèce.

L'insuffisance professionnelle, sans présenter un caractère fautif, traduit l'inaptitude du salarié à exercer de façon satisfaisante, conformément aux prévisions contractuelles, les fonctions qui lui ont été confiées. Elle ne saurait donc fonder un licenciement pour faute grave.

Au cas d'espèce, les erreurs commises par le salarié de façon répétée, qu'il ne conteste pas sérieusement, constituent des négligences fautives, traduisant dans une certaine mesure, un manque de considération pour la clientèle, ce qui se vérifie à la lecture de l'attestation de Mme [X] qui rapporte notamment « qu'un couple avait réservé ' une table spéciale en bord de Seine pour leurs 15 ans de vie commune et que le salarié les a déplacé à une table moins bien placé contre le mur dans l'entrée de la terrasse et donner cette table à un couple de sa connaissance. », mais aussi de M. [S] qui décrit des faits insusceptibles de s'apparenter à une insuffisance professionnelle, le salarié contestant au demeurant que ses compétences professionnelles soient en cause, sans que les témoignages produits par le salarié émanant d'amis, de membres de la famille (MM. [D], [O], [W], Mmes [M] et [E]) ou encore de quelques clients, qui ne sont pas régulièrement présents, ne puissent venir modifier l'appréciation de la cour. C'est donc à tort que le conseil de prud'hommes a écarté ce grief, matériellement caractérisé, le salarié ne pouvant se prévaloir d'une tolérance des anciens gérants, alors qu'il n'est pas établi qu'ils avaient connaissance de ces faits.

Sur la modification des éléments de salaire sans autorisation

La société reproche au salarié d'avoir, en décembre 2018, modifié son mode de rémunération sans aucune autorisation, expliquant qu'il a profité du fait qu'il était en charge de la gestion des salaires et de l'établissement des fiches de paye de l'ensemble du personnel et qu'il a abusé de la confiance que lui avait accordée la précédente gérante, Mme [U], pour transmettre ses propres consignes à l'expert-comptable en charge de l'édition des documents.

Elle ajoute que cette modification n'est pas sans conséquence, car en intégrant le douzième de la prime de 13ème mois au salaire mensuel, le salarié a augmenté d'autant la base de sa rémunération horaire, ce qui lui permettait de se faire payer ses heures supplémentaires et ses arrêts maladie également sur une base supérieure.

Le salarié fait observer que les éléments de salaire sont adressés à partir de la boîte mail commune et partagée aux trois établissements dirigés par Mme [U] et M. [F], à laquelle il avait accès ainsi que les dirigeants qui l'utilisaient également de telle sorte que tous étaient informés de cette modification de la structure de sa rémunération, que ce grief, ancien, est en outre prescrit.

Il n'est pas discuté que le salarié bénéficiait d'un 13ème mois versé en deux fois en juillet et en décembre. Il n'est pas non plus discuté que ladite prime a été répartie sur l'ensemble de l'année, le salaire brut passant en 2019 de 3 622,56 euros à 3 924,46 euros, après lissage du 13ème mois.

La cour constate que les courriels produits par le salarié au soutien de ses affirmations concernant la société Seine et Quai sont afférents à des factures et à des règlements de tickets de parking, alors que le surplus des échanges ayant pour objet « éléments de salaire » provenant du service comptable à destination de Mme [U], par le biais de la boîte commune, concerne les seuls établissements « Poissonnerie des Halles » et « Comptoir ». Il ne peut être déduit de ces éléments que la gérante avait connaissance de la mensualisation de la prime de treizième mois, alors que le salarié ne conteste pas qu'il était chargé de l'établissement de l'ensemble des bulletins de paie du personnel incluant le sien, et encore moins qu'elle l'avait autorisée.

Le grief est matériellement établi.

Sur les heures supplémentaires effectuées sans autorisation de l'employeur

La société fait valoir que le salarié accomplissait des heures supplémentaires sans aucune autorisation, ainsi que cela résulte de ses propres pièces, alors que si Mme [U] contrôlait la paye des deux établissements qu'elle gérait personnellement, lui seul avait la charge d'établir les fiches de salaires pour Seine et Quai les adressant d'ailleurs à l'expert-comptable par le biais de sa boîte personnelle, que le salarié est dans l'incapacité en dépit des multiples pièces qu'il produit d'établir qu'il aurait averti les gérants ou leur aurait demandé l'autorisation d'effectuer des heures supplémentaires.

Il a été retenu ci-avant que pour 2017 et 2018, les heures supplémentaires ont été accomplies avec l'assentiment de l'employeur et pour 2019 avec son accord implicite, étant observé que les heures supplémentaires n'avaient pas été expressément interdites.

Le grief n'est donc pas fondé.

Sur l'absence de justificatifs des heures supplémentaires au titre du mois de juin 2019

La société fait valoir que le salarié ne rapporte pas la preuve des heures supplémentaires qu'il soutient avoir accompli, ni de ce que la société lui aurait ordonné d'effectuer ces heures, ou qu'elle aurait été informée de leur réalisation.

Ce grief n'est pas fondé au regard des développements ci-avant, étant rappelé que la preuve du grief allégué incombe à l'employeur.

Sur l'utilisation de la messagerie personnelle de l'ancienne gérante

Ce grief n'est pas non plus fondé, alors qu'il ressort des pièces du dossier que la boîte mail en cause est commune aux trois établissements appartenant aux anciens gérants, que les échanges se faisaient par l'intermédiaire de cette messagerie et qu'il incombait au nouveau gérant de procéder à toute modification pour en réduire l'accès. Ce grief ne sera pas retenu.

Sur le détournement de bouteilles offertes

La société reproche au salarié d'avoir détourné des bouteilles de vin offertes dans le cadre des rapports entre le restaurant et ses fournisseurs et ainsi que des bouteilles de champagne.

Elle a ainsi constaté après inventaire que des bouteilles offertes de vin n'apparaissaient pas en stock, que manquaient encore deux cartons de six bouteilles de champagne livrés le 24 mai 2019, que le salarié a réceptionnés, indiquant sur la facture d'origine que la marchandise était en bon état.

Le salarié conteste la réalité du grief, faisant observer, que la lettre de licenciement ne vise pas des bouteilles de champagne, produisant en outre des attestations établies par les sociétés Domaine Chatelain et Domaine Chantemerle, déclarant ne pas avoir expédié de bouteilles de vin en cadeau ou expédié d'échantillons en 2019, et par la société Domaine Raffaitin expliquant avoir commis une erreur en mentionnant l'offre d'une bouteille de vin de Sancerre blanc à la société Seine et quai, gamme habituellement non vendue au restaurant, alors qu'elle était destinée au salarié. Ce dernier ajoute que les bouteilles en cause étaient stockées dans un dépôt commun aux différents établissements appartenant aux gérants et étaient réceptionnées, soit par lui, soit par M. [V] [Z], de sorte qu'en tout état de cause, la société ne saurait lui imputer d'éventuelles disparitions de bouteilles.

Au vu des observations et justifications présentées par le salarié, ne peut être retenu que l'appropriation d'une bouteille de Sancerre, dont il n'est pas démontré qu'elle lui était destinée alors qu'elle apparaît sur la facture établie au nom de la société Seine et Quai, qui aurait légitimement dû en bénéficier en tant que cliente.

Sur l'engagement de dépenses importantes et sans autorisation sur le compte de la société

La société fait valoir, qu'après inventaire comptable, il est apparu que le salarié avait procédé à l'acquisition de parasols, sans qu'aucune commande n'ait été effectuée, ni qu'aucune facture ne soit enregistrée en comptabilité, qu'après vérification, trois grands parasols sont manquants, estimant soit qu'ils n'ont jamais été livrés soit qu'ils n'ont pas été conservés dans l'entreprise.

Les autres dépenses engagées ne font plus l'objet de critiques par la société.

S'agissant des parasols, le salarié produit deux devis établis par la société Graphiprint le 12 avril 2019 au nom de Seine et Quai, acceptés par Mme [U] le 17 avril 2019 pour l'acquisition et la livraison de 7 parasols pour un prix total de 4 149,60 euros, d'une part et de trois parasols pour un prix total de 3 045,60 euros d'autre part, ainsi qu'une attestation établie par M. [G], gérant de la société Graphiprint, expliquant avoir vendu et livré 13 parasols au profit de la société Seine et Quai, le devis ayant été validé et signé par Mme [U], laquelle a procédé à un paiement par chèques, que 7 parasols ont été livrés au Restaurant Seine et Quai, 3 autres ont été livrés le même jour à la demande des gérants à la Poissonnerie des Halles et les trois derniers étant destinés au Comptoir des Halles.

Le grief n'est pas établi dès lors que lesdites dépenses ont été effectuées par la gérante et non par le salarié. Aucun détournement n'est caractérisé.

Sur l'absence d'anticipation des besoins

La société ne produit aucun élément à l'appui du grief allégué qui sera écarté.

Sur la gestion du personnel

Il est rappelé que la lettre de licenciement reproche au salarié d'invoquer des erreurs de ses équipes pour compenser celles-ci par des prélèvements sur la caisse pourboires et sa gestion des heures supplémentaires en totale contradiction avec la législation applicable.

Le premier grief a déjà été évoqué au titre de la qualité du service et le second n'a pas été développé par la société, ce qui ne permet pas à la cour de vérifier son caractère réel et sérieux.

***

Au regard de la nature des griefs subsistants tenant aux nombreuses erreurs commises lors du service de salle, à l'appropriation d'une bouteille de vin offerte à la société en contrepartie des achats effectués et à la mensualisation du treizième mois sans autorisation, augmentant de fait la base de la rémunération horaire et permettant notamment le règlement de sommes supérieures au titre des heures supplémentaires, et au regard des fonctions assumées par le salarié, la cour considère que les faits reprochés présentaient un caractère de gravité empêchant son maintien dans l'entreprise.

En conséquence, le jugement entrepris qui a requalifié le licenciement en licenciement pour cause réelle et sérieuse sera infirmé.

Le licenciement étant motivé par une faute grave, le salarié ne peut prétendre au préavis, à l'indemnité compensatrice de préavis, à une indemnité de licenciement, et sera débouté du surplus de ses prétentions d'indemnisation mal fondées compte tenu de l'issue de l'appel.

2-2 Sur la régularité du licenciement

Le salarié fait valoir que l'ensemble des griefs visés dans la lettre de licenciement n'ont pas été abordés lors de l'entretien préalable, seuls deux griefs ont été évoqués relativement aux heures supplémentaires au titre du mois de juin 2019 et à la prétendue augmentation qu'il se serait octroyée, produisant le témoignage de M. [C], conseiller du salarié qui l'a assisté et rappelant le principe de la liberté de la preuve en matière prud'homale (attestation établie le 5 août 2019),

que son licenciement encourt la nullité,

qu'il est en outre fondé à solliciter des dommages-intérêts à hauteur d'un mois de salaire à raison de l'irrégularité de la rupture du contrat de travail, prononcé en violation de l'article 6 § 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

L'employeur répond que le salarié a été informé de l'intégralité des griefs relevés à son encontre lors de l'entretien,

qu'aucun compte-rendu signé des parties n'a été établi par le conseiller du salarié,

que l'attestation versée aux débats est dépourvue de valeur probante,

que le salarié ne saurait non plus prétendre à des dommages-intérêts au titre d'un non-respect de la procédure et pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, ces indemnités ne pouvant se cumuler au cas d'espèce.

L'article L.1332-2 alinéa 3 du code du travail impose à l'employeur d'énoncer, au cours de l'entretien, les motifs pour lesquels il envisage de sanctionner le salarié. Il s'ensuit que l'employeur est tenu, lors de l'entretien préalable au licenciement, tant en vertu de cet article qu'en vertu de son obligation de bonne foi, d'expliquer au salarié les griefs qu'il forme à son encontre.

Il est toutefois constant que la circonstance que les motifs énoncés dans la lettre de licenciement n'aient pas été indiqués par l'employeur au cours de l'entretien préalable caractérise une irrégularité de forme, qui n'empêche pas le juge de décider que le motif invoqué peut fonder le licenciement.

L'employeur, débiteur de cette obligation de mener loyalement cet entretien, doit rapporter la preuve qu'il l'a satisfaite, ce qu'il ne fait pas en l'espèce, se contentant d'indiquer que le salarié a été informé de l'intégralité des griefs relevés à son encontre lors de l'entretien et de remettre en cause l'attestation produite par le salarié.

Aux termes de l'attestation en cause établie par son conseiller, M. [J] [C], il ressort que seuls deux faits ont été évoqués, les heures supplémentaires et le problème de salaire, l'attestant indiquant en outre que « la lecture du contrat de travail n'était pas la même du côté des parties », avoir « fait remarquer que ce qui avait été évoqué ne justifiait pas cette procédure » et qu'il n'y avait « pas de motif réel et sérieux pour rompre le contrat de travail ».

Nonobstant les prises de position du conseiller du salarié, la cour considère qu'elles n'ont aucune influence sur les constatations qui ont pu être faites quant aux faits évoqués et qu'en tout état de cause, l'employeur ne démontre pas avoir respecté son obligation. La procédure de licenciement est dès lors entachée d'une irrégularité. Au cas d'espèce, le salarié peut prétendre à réparation à hauteur d'un mois de salaire au plus, le jugement étant infirmé sur ce point, sans qu'il y ait lieu à statuer sur la demande dommages et intérêts pour nullité du licenciement.

Aux termes du dernier alinéa de l'article L.1235-2 du code du travail, lorsqu'une irrégularité a été commise au cours de la procédure, notamment si le licenciement d'un salarié intervient sans que la procédure requise à l'article L.1332-4 ait été observée, mais pour une cause réelle et sérieuse, le juge accorde au salarié, à la charge de l'employeur, une indemnité qui ne peut être supérieure à un mois de salaire.

La cour considère que le préjudice est établi au regard de la multiplicité des faits reprochés au salarié, non constitués pour une part, de sorte qu'il a été empêché d'assurer convenablement sa défense. Il lui sera octroyé une somme de 1 000 euros.

3 - Sur les autres demandes

3-1- Sur les dommages-intérêts pour préjudice distinct

En application de l'article 1240 du code civil, des articles 1103 et 1231-1 du code civil, le salarié sollicite la confirmation du jugement qui a condamné la société à réparer le préjudice subi en raison du caractère brutal et/ou vexatoire de son licenciement ainsi que son préjudice moral en lui octroyant une somme de 5 000 euros, retenant que la convocation avec mise à pied conservatoire a été remise au salarié en présence du personnel et que les fournisseurs ont été informés du fait qu'il se faisait livrer du vin destiné à la société à son domicile, alors que ces faits ne sont pas avérés.

Les premiers juges ont accordé au salarié une somme de 5 000 euros de ce chef. Quand bien même, la société sollicite la « confirmation du jugement en ce qu'il a débouté le salarié de sa demande », il est à tout le moins demandé le rejet de celle-ci, la cour étant donc en mesure d'octroyer une somme moindre.

La somme de 1 000 euros constituera une juste réparation du préjudice subi.

3-2- Sur la remise de documents

La cour ordonne à la société de remettre au salarié un bulletin de salaire récapitulant les heures de travail effectivement réalisées.

Il n'est pas nécessaire d'assortir cette obligation d'une astreinte.

4 - Sur les frais du procès

En application des dispositions des articles 696 et 700 du code de procédure civile, la société sera condamnée aux dépens ainsi qu'au paiement d'une indemnité de 1 000 euros au titre de la procédure d'appel.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

après en avoir délibéré, statuant par arrêt contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe, en matière prud'homale,

Infirme le jugement en ses dispositions soumises à la cour, sauf en ce qu'il a rejeté les demandes de dommages et intérêts pour nullité du licenciement et pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et en ce qu'il a dit le licenciement prononcé dans des conditions vexatoires,

Statuant à nouveau des chefs infirmés,

Constate l'irrégularité de la procédure de licenciement et dit le licenciement fondé sur une faute grave,

Condamne la SARL Seine et Quai à payer à M. [B] [P] la somme de 1 000 euros au titre de l'irrégularité de procédure,

Déboute M. [B] [P] de ses demandes au titre du préavis et des congés payés y afférents et au titre de l'indemnité de licenciement,

Condamne la SARL Seine et Quai à payer à M. [B] [P] les sommes de :

3 918,71 euros au titre des heures supplémentaires, outre les congés payés y afférents,

500 euros pour non-respect des amplitudes de travail,

1 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement vexatoire,

Y ajoutant,

Ordonne à la SARL Seine et Quai de remettre à M. [B] [P] un bulletin de salaire rectifié conforme au présent arrêt,

Dit n'y avoir lieu de prononcer une astreinte,

Condamne la SARL Seine et Quai aux dépens de la procédure d'appel,

Condamne la SARL Seine et Quai à payer à M. [B] [P] une somme de 1 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Rejette toute autre demande.

La greffière La présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rouen
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 22/01243
Date de la décision : 21/03/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 30/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-03-21;22.01243 ?
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