N° RG 22/03213 - N° Portalis DBV2-V-B7G-JF6T
COUR D'APPEL DE ROUEN
CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE
SECURITE SOCIALE
ARRET DU 07 MARS 2024
DÉCISION DÉFÉRÉE :
Jugement du CONSEIL DE PRUD'HOMMES D'EVREUX du 06 Septembre 2022
APPELANTE :
S.A.R.L. [C] VAL AUX FLEURS
[Adresse 3]
[Localité 2]
représentée par Me Fabien LACAILLE, avocat au barreau de ROUEN
INTIMEE :
Madame [R] [B]
[Adresse 10]
[Localité 1]
représentée par Me Kevin HAMELET, avocat au barreau de l'EURE
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2022/010836 du 30/11/2022 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de Rouen)
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 805 du Code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 18 Janvier 2024 sans opposition des parties devant Madame DE BRIER, Conseillère, magistrat chargé du rapport.
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Madame BIDEAULT, Présidente, rédactrice
Madame POUGET, Conseillère
Madame DE BRIER, Conseillère
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Mme WERNER, Greffière
DEBATS :
A l'audience publique du 18 janvier 2024, où l'affaire a été mise en délibéré au 07 mars 2024
ARRET :
CONTRADICTOIRE
Prononcé le 07 Mars 2024, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,
signé par Madame BIDEAULT, Présidente et par Mme DUBUC, Greffière.
EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
La société [C] Val aux Fleurs (la société ou l'employeur) a pour activité l'hébergement médicalisé pour personnes âgées.
Elle appartient au groupe [C], emploie plus de 11 salariés et applique la convention collective nationale de l'hospitalisation privée.
Mme [R] [B] (la salariée) a été embauchée par la société dans le cadre de différents contrats de travail à durée déterminée à compter du 7 août 2017 en qualité d'agent de vie sociale.
A compter du 2 mai 2018, elle est engagée en qualité d'agent de service hôtelier (ASH) polyvalent, position employé, niveau 1 coefficient 210 aux termes d'un contrat de travail à durée indéterminée à temps complet.
A compter du 20 mars 2019, la salariée a été placée en arrêt de travail pour maladie, arrêt de travail régulièrement renouvelé.
Par avis en date du 2 mars 2010, le médecin du travail a conclu à l'inaptitude de la salariée.
Mme [B] a été convoquée à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 28 mai 2020 par lettre du 15 mai précédent puis licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 3 juin 2020 motivée comme suit :
'Nous faisons suite à notre entretien préalable du 29 mai 2020 et vous notifions aux termes de la procédure votre licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement, pour les motifs suivants.
Vous avez été engagée le 7 août 2017, en qualité d'ASH.
A l'issue de votre visite médicale en date du 3 mars 2020, faisant suite à une étude de poste et nos différents échanges, le médecin du travail vous a déclaré inapte à votre poste dans les termes suivants : 'inapte au poste ASH. Préconisations pour une recherche de reclassement: capacités résiduelles restantes : tâches sans contact avec les résidents. Pas de contre-indication médicale à une formation.'
Dès lors, nous avons entrepris des recherches de reclassement au sein de l'établissement et des entreprises du Groupe sur des postes qui pourraient vous convenir, tout en tenant compte des restrictions émises par le médecin du travail, des caractéristiques de notre activité et de votre profil.
Les représentants de proximité ont été consultés le 14 avril 2020 et ont rendu un avis favorable sur les possibilités concernant votre reclassement. Le CSE a été consulté le 23 avril 2020 et a rendu un avis défavorable.
Par courrier recommandé avec AR en date du 27 avril 2020, nous vous avons donc proposé les postes de:
Postes administratifs en CDI:
- SSR/[9] 1: Agent administratif H/F/CDI/0,75 temps partiel de jour
- SSR 13 Bouches- du -Rhône Le Puy Sainte Reparade Korian Les Oliviers 1 Agent administratif H/F/CDI/0,8 temps partiel de jour
- EHPAD [15] 1 agent d'accueil H/F 1 temps plein de jour
- [14] 1 agent gestionnaire de paie et facturation CDI 1 temps plein de jour
- EHPAD [6] secrétaire administrative H/F CDI 1 temps plein de jour
Postes administratifs en CDD:
- EHPAD 06 [13] du Var [C] le Grand Mas 1 agent administratif H/F CDD 0,6 temps plein de jour
- EHPAD [11] 1 agent administratif H/F CDD 1 temps plein de jour
- EHPAD [8] 1 agent administratif H/F CDD 1 temps plein de jour
- EHPAD [12] 1 agent d'accueil H/F CDD 1 temps plein de jour
- EHPAD [5] 1 agent d'accueil H/F CDD 1 temps plein de jour
- SSR [7] 1 agent d'accueil H/F CDD 1 temps plein de jour
- EHPAD [4] 1 agent d'accueil H/F CDD 1 temps plein de jour
L'ensemble de ces établissements appartenant au Groupe [C].
Par courrier en date du 6 mai 2020, vous nous avez indiqué refuser cette proposition de reclassement.
N'ayant pas d'autre poste vacant susceptible de correspondre à votre profit et de répondre aux préconisations du médecin du travail, nous avons été amenés à vous recevoir le 28 mai 2020, à un entretien préalable à une éventuelle rupture de votre contrat. Vous étiez assistée de Mme [H] [X], représentante de proximité. Au cours de cet entretien, vous avez confirmé refuser ces postes.
Etant dans l'impossibilité de maintenir nos relations contractuelles, nous avons le regret de vous notifier votre licenciement en raison de l'avis d'inaptitude physique définitive à votre poste prononcé par la médecine du travail et de l'impossibilité de pourvoir à votre reclassement au sein de l'entreprise et du Groupe.
Votre contrat prendra fin à compter du jour de l'envoi du présent courrier. (...)'.
Contestant la légitimité de son licenciement et estimant ne pas avoir été remplie de ses droits au titre de l'exécution et de la rupture de son contrat de travail, Mme [B] a saisi le conseil de prud'hommes d'Evreux, lequel, par jugement du 6 septembre 2022, a :
- dit que la société est responsable de l'inaptitude de la salariée,
- dit que la société n'a pas respecté son obligation de reclassement,
- requalifié le licenciement de la salariée en licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- condamné la société à verser à la salariée :
3 268,24 euros brut à titre d'indemnité compensatrice de préavis outre 326,82 euros brut au titre des congés payés afférents,
3 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
175,67 euros net à titre de rappel d'indemnité de licenciement,
3 491,14 euros brut à titre de rappel de salaire outre 349,11 euros brut au titre des congés payés afférents,
- pris acte de ce que la société reconnaissait être redevable des sommes de 150,84 euros brut au titre des rappels de salaire de mars 2020 et de 15,08 euros au titre des congés payés afférents,
- ordonné à la société de remettre à la salariée un bulletin de paie, une attestation Pôle Emploi et un certificat de travail rectifiés sous astreinte de 50 euros par jour et par document à compter du trentième jour suivant le prononcé du jugement, le conseil se réservant la liquidation de l'astreinte,
- dit que les condamnations produiront intérêts au taux légal à compter de la saisine,
- condamné la société à verser à Me [Y] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et de l'article 37 de la loi de 1991 relative à l'aide juridique,
- débouté les parties du surplus de leurs demandes,
- condamné la société aux dépens.
La société a interjeté appel le 3 octobre 2022 à l'encontre de cette décision.
La salariée a constitué avocat par voie électronique le 28 octobre 2022.
Par dernières conclusions enregistrées au greffe et notifiées par voie électronique le 24 avril 2023, l'employeur appelant sollicite l'infirmation du jugement entrepris sauf en ce qu'il a débouté la salariée de sa demande de dommages et intérêts au titre du préjudice subi en l'absence de maintien de salaire.
Il demande à la cour de débouter la salariée de l'intégralité de ses demandes et, à titre subsidiaire, si la cour venait à considérer le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, de réduire à de plus justes proportions le montant des dommages et intérêts accordés.
En tout état de cause, il requiert la condamnation de la salariée au paiement de la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et sa condamnation aux dépens.
Par dernières conclusions enregistrées au greffe et notifiées par voie électronique le 29 août 2023, la salariée intimée, appelante incidente, réfutant les moyens et l'argumentation de la partie appelante, sollicite pour sa part la confirmation de la décision déférée sauf à porter à 5 719,42 euros le quantum des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, ou subsidiairement à la somme de 4 902,36 euros ; à lui accorder 1 500 euros au titre du préjudice subi en l'absence de maintien de salaire.
En tout état de cause, elle sollicite la condamnation de l'appelante à verser à Me [Y] la somme de 2 500 euros HT au titre de l'article 700 du code de procédure civile et de l'article 37 de la loi de 1991 relative à l'aide juridique ; la condamnation de la société à lui remettre un bulletin de paie, une attestation Pôle Emploi et un certificat de travail rectifié sous astreinte de 50 euros par jour et par document et de la débouter du surplus de ses demandes.
L'ordonnance de clôture en date du 21 décembre 2023 a renvoyé l'affaire pour être plaidée à l'audience du 18 janvier 2024.
Il est expressément renvoyé pour l'exposé détaillé des prétentions et moyens présentés en cause d'appel aux écritures des parties.
MOTIFS DE LA DÉCISION
1/ Sur l'exécution du contrat de travail
La salariée soutient que l'employeur n'a pas intégralement respecté son obligation de maintien de salaire au cours de sa période d'arrêt de travail conformément aux dispositions de la convention collective.
Elle rappelle que les dispositions conventionnelles prévoient un maintien de salaire à 100 % pour les 90 premiers jours d'arrêt puis à 80 % pour la suite.
Pour la période comprise entre le 20 mars 2019 et le 28 février 2020, elle indique qu'elle aurait dû percevoir, après déduction des IJSS, la somme totale de 6 494,74 euros brut ; qu'elle n'a perçu que la somme de 3 003,61 euros, de sorte que l'employeur demeure redevable de la somme de 3 491,14 euros brut.
Elle requiert la confirmation du jugement entrepris de ce chef.
En outre, elle indique avoir subi un préjudice en raison des versements tardifs et incomplets de la société et requiert, par infirmation du jugement entrepris, la condamnation de l'employeur à lui verser 1 500 euros à titre de dommages et intérêts.
L'employeur, qui indique que, conformément aux dispositions conventionnelles, il avait l'obligation de maintenir 100 % de la rémunération nette et non brute à la salariée, conteste la pertinence des calculs opérées par cette dernière puisqu'ils sont effectués en brut.
En outre, il précise que la salariée n'a pas tenu compte du délai de carence de 3 jours.
L'employeur soutient avoir respecté son obligation de maintien de salaire et conteste l'existence du préjudice allégué.
Sur ce ;
Selon l'article 84 -1 de la convention collective nationale de l'hospitalisation privée du 28 avril 2002, en cas d'absence au travail des salariés cadres et non-cadres justifiée par l'incapacité résultant de maladie ou d'accident non professionnel,
- ceux-ci percevront 100 % de la rémunération nette qu'ils auraient perçue s'ils avaient travaillé pendant la période d'incapacité de travail et ce durant toute l'incapacité temporaire indemnisée par la sécurité sociale,
- de cette garantie complémentaire seront déduites les indemnités journalières nettes versées par la sécurité sociale,
- en tout état de cause, ces garanties ne doivent pas conduire le bénéficiaire, compte tenu des sommes versées de toute provenance, à percevoir pour la période indemnisée à l'occasion d'une maladie ou d'un accident une somme supérieure à la rémunération nette qu'il aurait effectivement perçue s'il avait continué à travailler.
Il résulte de ce texte conventionnel que l'employeur remplit son obligation au maintien de salaire lorsqu'il utilise une méthode de calcul garantissant au salarié, pendant sa période d'incapacité de travail, le maintien de la rémunération nette qu'il aurait perçue s'il avait continué à travailler.
Il y a lieu de constater que l'employeur, à qui incombe la charge de la preuve du paiement du salaire, ne verse aux débats aucun élément et notamment, ne produit pas de tableaux reconstituant les salaires nets mensuels qui auraient dû être versés à la salariée si celle-ci avait travaillé pendant toute la période concernée, se contentant de contester la pertinence des calculs effectués par la salariée.
Il ressort des éléments produits par la salariée que contrairement aux allégations de l'employeur celle-ci a tenu compte dans sa demande de la période de carence de 3 jours.
Si la salariée effectue ses calculs en brut, elle a effectivement déduit les sommes versées au titre du maintien de salaire par l'employeur ainsi que les IJSS perçues et il n'est pas contesté qu'elle ne percevra la somme qu'en net.
L'employeur ne démontrant pas avoir rempli la salariée de ses droits au titre du maintien de salaire et ne contredisant pas utilement les calculs effectués par cette dernière, il y a lieu, par confirmation du jugement entrepris de faire droit à la demande formée par la salariée.
Mme [B] justifie du versement tardif par l'employeur des sommes dues au titre du maintien de salaire en ce que celles-ci ne lui ont été versées qu'en octobre et décembre 2019, soit plus de 8 mois après le début de son arrêt travail.
Si l'employeur se prévaut d'un retard de la société Ageo Prévoyance, il y a lieu de rappeler que le fait que ces retards soient imputables au tiers prestataire n'exonère pas l'employeur de sa responsabilité mais lui permet, le cas échéant d'exercer un recours contre ce tiers.
La salariée verse aux débats les justificatifs des frais bancaires prélevés sur son compte à compter de mai 2019 (frais sur rejet de prélèvement, commission d'intervention, frais sur chèque sans provision).
Au regard de ces éléments, la salariée justifie avoir été victime d'un préjudice en raison de l'absence de maintien de salaire, le versement tardif des sommes dues que l'employeur devra lui indemniser par le versement de 800 euros de dommages et intérêts.
Le jugement entrepris est infirmé de ce chef.
2/ Sur le licenciement
Au soutien de la contestation de la légitimité de son licenciement, la salariée invoque le manquement de l'employeur à l'origine de son inaptitude, le non respect de l'obligation de reclassement, l'absence de notification écrite des motifs s'opposant au reclassement.
L'employeur pour sa part conteste tout manquement à l'origine de l'inaptitude de la salariée ; soutient avoir loyalement rempli son obligation de reclassement et affirme qu'il était dispensé de l'obligation de notification écrite des motifs s'opposant au reclassement ayant proposé à la salariée, qui l'a refusé, un emploi, dans les conditions prévues à l'article L. 1226-10 du code du travail.
Sur ce ;
Sur le manquement de l'employeur à l'origine de l'inaptitude de la salariée
Lorsque l'inaptitude physique du salarié trouve sa cause dans un comportement fautif de l'employeur, le licenciement consécutif à cette inaptitude se trouve privé de cause réelle et sérieuse.
A titre liminaire, l'employeur considère que la salariée n'a pas formé une telle demande devant les premiers juges, de sorte que la cour ne pourra qu'infirmer le jugement entrepris.
Cependant, d'une part la cour constate que le manquement de l'employeur à l'origine de l'inaptitude de la salariée ne constitue pas une demande mais un moyen au soutien de la demande tendant à voir déclarer le licenciement illégitime ; d'autre part que la salariée, qui verse aux débats ses conclusions de première instance, avait effectivement soutenu ce moyen devant les premiers juges et qu'enfin, en application de l'article 954 du code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et qu'en l'espèce, la société ne se prévaut d'aucune irrecevabilité à ce titre au sein du dispositif de ses conclusions.
La salariée soutient que son inaptitude a pour origine le manquement de l'employeur qui a unilatéralement modifié ses fonctions.
Elle expose avoir été recrutée en qualité d'agent de service hôtelier ; s'être vue ensuite confier des tâches d'animation et de réception, puis avoir été affectée, du jour au lendemain, sans aucune formation, sans aucun avenant, à des fonctions relevant d'un poste d'assistante de vie sociale.
Ainsi, elle indique qu'elle est passée d'une activité d'entretien, de ménage, à une activité d'animation et réception puis à une activité de soin des résidents, en contact physique avec eux, sans aucune formation préalable alors que le poste exige que le salarié soit titulaire d'un diplôme d'Etat d'AVS.
Elle verse aux débats les descriptifs des postes ASH et AVS élaborés par le groupe [C], le procès-verbal du CSE du 23 avril 2020 dont il ressort une modification de ses fonctions.
La salariée précise que l'avis d'inaptitude préconisait, au titre des capacités restantes, l'absence de tout contact physique avec les résidents.
L'employeur soutient que la salariée n'étaye pas ses allégations avec des éléments probants. Il dénie toute valeur probante au procès-verbal du CSE considérant que celui-ci ne relate que les dires et opinions de ses membres.
Il expose que les postes de ASH et de AVS prévoient un contact avec les résidents quasi-permanent.
En l'espèce, il ressort du contrat de travail de la salariée qu'elle a été embauchée en qualité d'agent de service hôtelier (ASH) et il n'est pas contesté qu'aucun avenant au contrat de travail n'a été formalisé au cours de la relation contractuelle.
Selon la fiche de poste éditée par le groupe [C], le poste d'ASH consiste pour le salarié qui l'occupe à s'assurer de la propreté et de la bonne tenue de l'établissement. Ses missions consistent à nettoyer au quotidien, à entretenir les chambres et le linge, à distribuer les petits déjeuners et à échanger avec les résidents/patients à l'occasion des opérations de ménage de leurs chambres.
Le poste d'agent de vie sociale est décrit dans la fiche de poste élaborée par [C] comme un poste réservé au titulaire d'un diplôme d'Etat d'auxiliaire de vie sociale, dont les missions consistent pour le salarié à réaliser les soins quotidiens d'hygiène et de confort, à veiller aux modifications de l'état de santé des résidents, à participer à la distribution et aux services des repas, à assurer le nettoyage des chambres.
Le poste d'agent de vie sociale, qui nécessite un diplôme, comporte en conséquence pour le salarié des contacts plus fréquents avec les résidents en ce que le salarié doit notamment réaliser leurs soins quotidiens d'hygiène et de confort.
Il ressort du procès-verbal du CSE du 23 avril 2020, qu'interrogée sur la situation de Mme [B], la directrice de l'établissement, Mme [N], a précisé : 'elle a été mise dans les soins, car, à l'époque, elle n'avait pas été identifiée comme quelqu'un ne pouvant pas effectuer les soins qui lui ont été proposés. Pourtant, il a fallu du temps avant qu'elle dise que cela ne lui convenait pas' puis 'elle a été embauchée sur un poste d'ASH et a été mise à l'accueil par nécessité, à l'époque'.
Lorsque la représentante syndicale observe que 'la personne était ASH, puis est passée en réception et enfin en soins, et sans formation', la directrice précise qu'elle était encadrée par les IDE et les AS.
Quand des employés rappellent lors de la réunion que d'une part 'à la base' elle n'était pas formée pour cela et que pour être aide-soignant, il faut suivre huit modules de formations, la directrice de l'établissement a répondu 'certes'.
La cour rappelle qu'en droit du travail, la preuve est libre et que dès l'instant que la partie à qui est opposée une preuve a pu en contester sa force probante, il appartient aux juges saisis de cette contestation d'apprécier souverainement la valeur et la portée des dites pièces.
En l'espèce, les propos tenus au cours de la réunion par la directrice de l'établissement au sein duquel était employée la salariée sont clairs, précis, circonstanciés et confirmés par ceux tenus par les salariés présents.
En conséquence, le compte-rendu du CSE est un élément preuve dont la salariée a légitimement pu faire état.
Il résulte de ces éléments qu'au cours de la relation contractuelle, les missions de la salariée ont été unilatéralement modifiées par l'employeur, sans son accord ; que dans le cadre des tâches exercées elle a été contrainte d'effectuer des soins aux résidents.
En modifiant unilatéralement le contrat de travail de la salariée, l'employeur a commis une faute.
La cour constate en outre qu'il n'est pas justifié par l'employeur de la mise en oeuvre d'une formation de la salariée ou de l'existence d'un accompagnement spécifique dans l'exercice des nouvelles missions qui lui ont été confiées.
Il ressort des éléments médicaux produits par la salariée et de l'avis d'inaptitude rendu par le médecin du travail que Mme [B] a été placée en arrêt de travail pour un syndrome dépressif sévère en lien avec une souffrance au travail, qu'un reclassement pouvait être envisagé sans contact de la salariée avec les résidents.
Il résulte de ces éléments que l'inaptitude de la salariée a un lien avec le manquement de l'employeur puisque ce dernier a unilatéralement modifié le contrat de travail de la salariée et lui a confié un poste en contact avec les résidents sans aucune formation, ce qui a été source de souffrance au travail ; de sorte que, sans qu'il soit nécessaire d'examiner les moyens tirés du non respect de l'obligation de reclassement et de l'absence de notification écrite des motifs s'opposant au reclassement, il y a lieu, par confirmation du jugement entrepris, de juger le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.
La salariée est par conséquent en droit de prétendre, non seulement aux indemnités de rupture (indemnité compensatrice de préavis augmentée des congés payés afférents, indemnité légale ou conventionnelle de licenciement), mais également à des dommages et intérêts au titre de l'absence de cause réelle et sérieuse de licenciement.
La salariée a acquis une ancienneté de 2 ans et 8 mois au sein de l'entreprise.
Les droits de la salariée au titre de l'indemnité compensatrice de préavis tels que fixés par les premiers juges ne sont pas spécifiquement contestés dans leur quantum à hauteur de cour. Le jugement entrepris est confirmé de ce chef.
Les parties sont en désaccord sur le montant de l'indemnité de licenciement au regard de la durée de l'ancienneté de la salariée qui doit être prise en compte au regard de la durée de ses arrêts de travail pour maladie.
Pour le calcul de l'indemnité de licenciement, il convient de se placer au jour de l'expiration du préavis et non à la date de notification du licenciement.
L'ancienneté à considérer pour déterminer le montant de l'indemnité inclut par conséquent la durée du préavis.
Cependant, en application de l'article L 1234-11 du code du travail, à défaut de dispositions conventionnelles, d'usages ou de clauses contractuelles plus favorables, les périodes de suspension non assimilées à du temps de travail effectif par la loi n'entrent pas en compte dans la durée d'ancienneté exigée pour bénéficier de l'indemnité de licenciement. Elles peuvent donc être déduites de l'ancienneté totale du salarié, mais n'interrompent pas pour autant l'ancienneté de celui-ci.
En l'espèce, la convention collective applicable ne prend pas en considération la période de suspension du contrat de travail liée à une maladie non professionnelle pour le calcul de l'ancienneté.
Si la visite de reprise met fin à la suspension du contrat de travail, la salariée, qui a continué à bénéficier d'arrêts de travail postérieurement à cette visite, ne peut légitimement prétendre que cette période soit considérée comme du temps de présence au sens des dispositions conventionnelles et, par conséquent, devant être prise en compte au titre de l'ancienneté pour le calcul de l'indemnité de licenciement.
La salariée bénéficiait d'une ancienneté pour le calcul de l'indemnité de licenciement de 1 an 7 mois et 6 jours,
La salariée ayant perçu la somme de 584,20 euros au titre de l'indemnité de licenciement, l'employeur demeure redevable de la somme de 73,53 euros.
Le jugement entrepris est infirmé de ce chef.
Compte-tenu de la date du licenciement sont applicables les dispositions de l'article L 1235-3 du code du travail dans sa version issue de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017.
Selon ces dispositions si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, en cas de refus de la réintégration du salarié dans l'entreprise, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux fixés par ledit article, en fonction de l'ancienneté du salarié dans l'entreprise et du nombre de salariés employés habituellement dans cette entreprise.
Pour une ancienneté de 2 années dans une entreprise employant habituellement plus de onze salariés, l'article L. 1235-3 du code du travail prévoit une indemnité comprise entre 3 et 3,5 mois de salaire.
En considération de sa situation particulière et eu égard notamment à son âge, à l'ancienneté de ses services, à sa formation et à ses capacités à retrouver un nouvel emploi, la cour dispose des éléments nécessaires pour évaluer la réparation qui lui est due à la somme qui sera indiquée au dispositif de l'arrêt.
Le jugement entrepris est infirmé de ce chef.
Aux termes de l'article L 1235-4 du code du travail dans sa version issue de la loi du 8 août 2016, dans les cas prévus aux articles L. 1132-4, L. 1134-4, L. 1144-3, L. 1152-3, L. 1153-4, L. 1235-3 et L. 1235-11, le juge ordonne le remboursement par l'employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage par salarié intéressé. Ce remboursement est ordonné d'office lorsque les organismes intéressés ne sont pas intervenus à l'instance ou n'ont pas fait connaître le montant des indemnités versées.
Il convient en conséquence de faire application des dispositions de l'article L.1235-4 du code du travail et d'ordonner à l'employeur de rembourser à l'Antenne Pôle Emploi concernée les indemnités de chômage versées à l'intéressée depuis son licenciement dans la limite de trois mois de prestations.
3/ Sur le rappel de salaire au titre du mois de mars 2020
A hauteur d'appel, les parties conviennent que l'employeur a régularisé la situation en reprenant le versement du salaire pour les 1er et 2 mars 2020.
En conséquence, il n'y a plus lieu à statuer sur cette demande.
4/ Sur la remise des documents de fin de contrat
Il sera ordonné la remise par l'employeur à la salariée de l'attestation Pôle Emploi, d'un bulletin de paie récapitulatif et d'un certificat de travail conformes au présent arrêt, sans que le prononcé d'une astreinte soit nécessaire à ce stade de la procédure.
5/ Sur les frais irrépétibles et les dépens
La société, appelante succombante dans la présente instance est condamnée aux dépens.
Aux termes de l'article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991, l'avocat du bénéficiaire de l'aide juridictionnelle peut demander au juge de condamner la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès et non bénéficiaire de l'aide juridictionnelle à lui payer une somme au titre des honoraires et frais non compris dans les dépens que le bénéficiaire de l'aide aurait exposés s'il n'avait pas eu cette aide, à charge pour l'avocat s'il a recouvré cette somme de renoncer à percevoir l'aide contributive de l'Etat.
En application de ce texte, il est équitable de condamner la société perdante à verser à Maître [Y] [O] la somme de 1 500 euros.
Il n'apparaît pas inéquitable de laisser à la charge de l'employeur les frais irrépétibles exposés par lui.
Le jugement entrepris est confirmé en ce qu'il a condamné l'employeur aux dépens ainsi qu'à une indemnité de procédure.
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Statuant contradictoirement, en dernier ressort ;
Confirme le jugement du conseil de prud'hommes d'Evreux du 6 septembre 2022 en ce qu'il a jugé le licenciement de la salariée dépourvu de cause réelle et sérieuse, en ses dispositions relatives à l'indemnité compensatrice de préavis augmentée des congés payés, au rappel de salaire au titre du maintien de salaire, aux dispositions relatives aux frais irrépétibles et aux dépens ;
L'infirme pour le surplus ;
Statuant à nouveau des chefs infirmés et ajoutant:
Condamne la société [C] Val aux Fleurs à verser à Mme [R] [B] les sommes suivantes :
800 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice subi en l'absence de maintien de salaire,
4 902,36 euros brut à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
73,53 euros à titre de complément d'indemnité de licenciement,
Rappelle que les créances salariales portent intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation et que les créances indemnitaires portent intérêts au taux légal à compter de leur prononcé ;
Ordonne à la société [C] Val aux Fleurs de remettre à Mme [R] [B] l'attestation Pôle Emploi, un bulletin de paie récapitulatif et un certificat de travail conformes au présent arrêt ;
Dit n'y avoir lieu à astreinte ;
Condamne la société [C] Val aux Fleurs à verser à l'organisme concerné le montant des indemnités chômage versées à Mme [R] [B] depuis son licenciement dans la limite de 3 mois de prestations ;
Condamne la société [C] Val aux Fleurs à verser à Me [Y] la somme de 1 500 euros en application de l'article 37 de la loi du 19 juillet 1991 ;
Rejette toute autre demande ;
Condamne la société [C] Val aux Fleurs aux dépens d'appel.
La greffière La présidente