N° RG 22/01394 - N° Portalis DBV2-V-B7G-JB74
COUR D'APPEL DE ROUEN
1ERE CHAMBRE CIVILE
ARRET DU 28 JUIN 2023
DÉCISION DÉFÉRÉE :
19/00393
Tribunal judiciaire de Dieppe du 30 mars 2022
APPELANTE :
Maître [P] [I]
[Adresse 2]
[Localité 4]
représentée par Me Marc ABSIRE de la SELARL DAMC, avocat au barreau de Rouen et assistée de Me Carl WALLART de l'Aarpi Wallart-Ruellan, avocat au barreau d'Amiens
INTIMEE :
Madame [Z] [E]
née le [Date naissance 3] 1964 à [Localité 6]
[Adresse 1]
[Localité 5]
représentée et assistée par Me Alain PIMONT de la SPE PIMONT & BURETTE, avocat au barreau de Rouen plaidant par Me Morgane BEAUVAIS
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 12 avril 2023 sans opposition des avocats devant Mme Magali DEGUETTE, conseillère, rapporteur,
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour composée de :
Mme Edwige WITTRANT, présidente de chambre
M. Jean-François MELLET, conseiller
Mme Magali DEGUETTE, conseillère
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Mme Catherine CHEVALIER,
DEBATS :
A l'audience publique du 12 avril 2023, où l'affaire a été mise en délibéré au 28 juin 2023
ARRET :
CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 28 juin 2023, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
signé par Mme WITTRANT, présidente de chambre et par Mme CHEVALIER, greffier présent lors de la mise à disposition.
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* *
EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
Par courrier du 4 janvier 2011, la Sas Cavatorta France a mis fin au contrat d'agent commercial de Mme [Z] [E] à compter du 5 mars 2011.
Le 18 juillet 2012, Mme [Z] [E] l'a faite assigner devant le tribunal de commerce de Paris, par le biais de Me Dany Fourdrinier-Poilly, avocate au barreau d'Amiens, aux fins de paiement des indemnités dues en application du contrat.
A l'issue, Mme [Z] [E] a déchargé Me [P] [I] et a mandaté Me Jérôme Crépin, avocat inscrit au même barreau, pour poursuivre la défense de ses intérêts.
Par jugement du 24 mars 2014, le tribunal de commerce de Paris, ayant constaté la tardiveté des demandes de Mme [Z] [E], l'en a déboutée et l'a condamnée au paiement à la Sas Cavatorta France d'une indemnité de 2 000 euros au titre de ses frais de procédure, outre les dépens.
Suivant acte d'huissier de justice du 18 mars 2019, Mme [Z] [E] a fait assigner Me [P] [I] devant le tribunal de grande instance de Dieppe pour manquement à son devoir de conseil.
Par jugement du 30 mars 2022, le tribunal judiciaire de Dieppe a :
- constaté que l'action entreprise par Mme [Z] [E] à l'encontre de Me [P] [I] est recevable,
- dit que Me [P] [I] a commis une faute dans le cadre de la défense des intérêts de Mme [Z] [E] de nature à lui causer un préjudice,
- condamné en conséquence Me [P] [I] à verser à Mme [Z] [E] la somme de 33 082 euros à titre de dommages et intérêts, avec intérêts au taux légal à compter de la présente assignation,
- condamné Me [P] [I] à verser à Mme [Z] [E] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- ordonné l'exécution provisoire de la décision.
Par déclaration du 26 avril 2022, Mme [P] [I] a formé appel du jugement en toutes ses dispositions.
EXPOSÉ DES PRÉTENTIONS ET DES MOYENS DES PARTIES
Par dernières conclusions notifiées le 30 mai 2022, Mme [P] [I] sollicite de voir en application des articles 2225 et 1991 du code civil, 13 et 14 du décret n°2005-790 du 12 juillet 2005 :
- réformer en l'ensemble de ses dispositions la décision rendue par le tribunal judiciaire de Dieppe le 30 mars 2022,
- faire droit à l'ensemble des demandes de Me [P] [I] et déclarer l'action de Mme [Z] [E] irrecevable,
- condamner Mme [Z] [E] à payer à Me [P] [I] la somme de 3 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers frais et dépens de première instance et d'appel dont distraction, pour la procédure d'appel, au profit de la Selarl Damc prise en la personne de Me Marc Absire, avocat aux offres de droit.
Elle fait valoir que, pour rejeter l'exception d'irrecevabilité pour prescription qu'elle a soulevée, le premier juge a appliqué l'article 2224 du code civil au lieu de l'article 2225, texte spécial qui vise le mandat de représentation et détermine la fin de mission comme point de départ du délai de prescription de cinq ans ; que la fin de sa mission à l'égard de Mme [Z] [E] date du courrier du 17 octobre 2012, soit plus de cinq ans avant que cette dernière l'assigne en responsabilité civile professionnelle, de sorte que cette action est prescrite ; que la jurisprudence est constante pour dire que la réalisation et la connaissance du dommage sont indifférentes dans la détermination du point de départ de la prescription dérogatoire prévue à l'article 2225.
Par dernières conclusions notifiées le 3 août 2022, Mme [Z] [E] demande de voir :
- confirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Dieppe du 30 mars 2022 en ce qu'il a :
. constaté que l'action entreprise par Mme [Z] [E] à l'encontre de Me [P] [I] est recevable,
. dit que Me [P] [I] a commis une faute dans le cadre de la défense des intérêts de Mme [Z] [E] de nature à lui causer un préjudice,
. condamné en conséquence Me [P] [I] à verser à Mme [Z] [E] la somme de 33 082 euros à titre de dommages et intérêts, avec intérêts au taux légal à compter de la présente assignation,
. condamné Me [P] [I] à verser à Mme [Z] [E] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
. ordonné l'exécution provisoire de la décision,
- débouter Me [P] [I] de l'ensemble de ses demandes,
- condamner celle-ci à lui payer la somme de 3 500 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouter Me [P] [I] de la demande dirigée contre elle de condamnation à la somme de 3 000 euros par application de l'article 700 précité,
- condamner Me [P] [I] au paiement des entiers frais et dépens de première instance et d'appel.
Elle expose qu'à juste titre, le tribunal a retenu la date du 24 mars 2014 comme point de départ du délai de prescription quinquennale pour juger que son action n'était pas prescrite.
Elle indique qu'il ne peut pas être demandé au titulaire d'une action de l'engager alors que celle-ci n'est pas née ; qu'au jour où elle a déchargé Me [P] [I] de sa mission en octobre ou novembre 2012, le délai de prescription n'avait pas commencé à courir contre elle car elle n'avait pas connaissance des faits lui permettant d'exercer son droit, qu'elle ne l'a eue qu'à compter du jugement du 24 mars 2014 ayant constaté la tardiveté de son action devant le tribunal de commerce de Paris.
Elle fait valoir sur le fond que Me [P] [I] ne conteste pas avoir été saisie par elle peu de temps après la rupture de son contrat le 5 mars 2011 ; que la saisine du tribunal de commerce a été faite plus d'un an après le délai contractuellement prévu et en violation de l'article L.134-12 du code de commerce ; que cette erreur de Me [P] [I] lui a causé un préjudice constitué par la perte de chance certaine d'obtenir une indemnité de rupture de 33 082 euros.
La clôture de l'instruction a été ordonnée le 22 mars 2023.
MOTIFS
Sur la recevabilité de l'action
L'article 122 du code de procédure civile prévoit que constitue une fin de non recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.
En l'espèce, la responsabilité civile de Me [I] est recherchée au titre de l'exercice de sa mission d'assistance et de représentation en justice. Elle relève donc de l'article 2225 du code civil selon lequel l'action en responsabilité dirigée contre les personnes ayant représenté ou assisté les parties en justice, y compris à raison de la perte ou de la destruction des pièces qui leur ont été confiées, se prescrit par cinq ans à compter de la fin de leur mission.
Il se déduit de ce texte que le critère à prendre en considération pour la fixation du point de départ de la prescription de cette action en responsabilité n'est pas la révélation de la faute imputée à l'avocat, mais la date de la fin de sa mission.
Mme [E] a mis fin au mandat de Me [I] au plus tard le 17 octobre 2012, date du courrier par lequel cette dernière a adressé à son confrère Me [B] le dossier de celle-ci. Dans son courrier de réponse du 27 novembre 2012, Me [B] lui a confirmé qu'il lui avait succédé dans la défense des intérêts de Mme [E].
Cette dernière ne peut donc pas se prévaloir d'un achèvement de la mission de son premier avocat à l'issue de la procédure judiciaire ayant donné lieu au jugement du 24 mars 2014.
Le point de départ du délai de prescription doit être fixé à la date de cessation définitive de sa mission par Me [I] le 17 octobre 2012. Ce délai a expiré le 17 octobre 2017. En l'absence d'acte interruptif, la prescription était acquise au jour de l'assignation délivrée le 18 mars 2019 par Mme [E] à l'encontre de Me [I]. Cette action est irrecevable. La décision du tribunal l'ayant reçue sera infirmée.
Sur les demandes accessoires
Le jugement sera infirmé en ses dispositions sur les dépens et les frais de procédure.
Partie perdante, Mme [E] sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel, avec bénéfice de distraction pour la procédure d'appel au profit de l'avocat de l'appelante qui en a fait la demande.
Il n'est pas inéquitable de la condamner également à payer à Me [I] la somme de 3 000 euros au titre de ses frais non compris dans les dépens.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire, rendu publiquement par mise à disposition au greffe :
Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Déclare Mme [Z] [E] irrecevable en son action pour cause de prescription,
Condamne Mme [Z] [E] à payer à Me [P] [I] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne Mme [Z] [E] aux dépens de première instance et d'appel, avec bénéfice de distraction pour la procédure d'appel au profit de la Selarl Damc prise en la personne de Me Marc Absire, avocat, en application de l'article 699 du code de procédure civile.
Le greffier, La présidente de chambre,