N° RG 21/04606 - N° Portalis DBV2-V-B7F-I6HX
COUR D'APPEL DE ROUEN
1ERE CHAMBRE CIVILE
ARRET DU 28 JUIN 2023
DÉCISION DÉFÉRÉE :
19/04657
Tribunal judiciaire de Rouen du 29 octobre 2021
APPELANTS :
Monsieur [G] [U]
né le 19 août 1952 à [Localité 8] (Pologne)
[Adresse 4]
[Localité 3]
représenté par Me Marc ABSIRE de la SELARL DAMC, avocat au barreau de Rouen et assisté par Me Antoine ETCHEVERRY
(bénéficie d'une aide juridictionnelle totale numéro 2021/014905 du 01/02/2022 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de Rouen)
Madame [T] [J] épouse [U]
née le 25 mai 1963 à [Localité 7] (Pologne)
[Adresse 4]
[Localité 3]
représentée par Me Marc ABSIRE de la SELARL DAMC, avocat au barreau de Rouen et assistée de Me Antoine ETCHEVERRY
(bénéficie d'une aide juridictionnelle totale numéro 2021/014924 du 14/02/2022 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de Rouen)
INTIMES :
Madame [R] [E] épouse [I]
née le 5 mars 1957 à [Localité 9]
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentée et assistée par Me Patrick ROBERT, avocat au barreau de Rouen
Monsieur [F] [I]
né le 14 juin 1955 à [Localité 9]
[Adresse 1]
[Localité 3]
représenté et assisté par Me Patrick ROBERT, avocat au barreau de Rouen
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 5 avril 2023 sans opposition des avocats devant Mme Edwige WITTRANT, présidente de chambre, rapporteur,
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour composée de :
Mme Edwige WITTRANT, présidente de chambre
M. Jean-François MELLET, conseiller
Mme Magali DEGUETTE, conseillère
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Mme Catherine CHEVALIER,
DEBATS :
A l'audience publique du 5 avril 2023, où l'affaire a été mise en délibéré au 28 juin 2023
ARRET :
CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 28 juin 2023, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
signé par Mme WITTRANT, présidente et par Mme CHEVALIER, greffier présent lors de la mise à disposition.
*
* *
EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE
Le 6 janvier 2001, M. [G] [U] et Mme [T] [J], son épouse, ont acquis une parcelle sur laquelle est édifiée une maison, [Adresse 4] à [Localité 3], cadastré section AM n° [Cadastre 5].
M. [F] [I] et Mme [R] [E], son épouse, sont propriétaires du fonds voisin cadastré section AM n° [Cadastre 6] sur lequel ils ont fait édifier une maison en 1984.
Par exploit d'huissier du 28 novembre 2019, reprochant à M. et Mme [I] d'avoir construit, en juin 2018, un ouvrage adossé au mur séparatif des deux fonds dont ils revendiquent la propriété exclusive, et par exploit d'huissier du 28 novembre 2019, M. et Mme [U] ont fait assigner leurs voisins devant le tribunal.
Par jugement contradictoire du 29 octobre 2021, le tribunal judiciaire de Rouen a :
- débouté M. et Mme [U] de leurs demandes,
- débouté M et Mme [U] de leur demande de dommages et intérêts,
- condamné M. et Mme [U] à payer à M. et Mme [I] la somme de
1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner M. et Mme [U] aux dépens.
Par déclaration reçue au greffe le 6 décembre 2021, M. et Mme [U] ont formé appel de la décision.
EXPOSE DES PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Par dernières conclusions notifiées le 20 juillet 2022, M. [G] [U] et Mme [T] [J], son épouse, demandent à la cour, au visa des articles 653 et 654, 662, 2272 du code civil, de :
- infirmer le jugement entrepris,
- constater que le mur séparant leur fonds de celui des voisins est non mitoyen et dès lors privatif à leur profit,
- à défaut constater qu'aucun accord n'a été donné pour la réalisation de la construction litigieuse,
en conséquence,
- enjoindre à M. et Mme [I] de desceller la construction adossée sur leur mur privatif sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter de la signification de la décision à intervenir,
en tout état de cause,
- débouter M. et Mme [I] de leur demande reconventionnelle indemnitaire fondée sur l'abus du droit d'ester en justice,
- condamner M. et Mme [I] à leur payer la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner M. et Mme [I] aux dépens.
Ils reprochent au premier juge d'avoir retenu à tort que le mur séparant les deux fonds était mitoyen sur le fondement de la présomption légale, d'avoir observé que M. et Mme [I] ne justifiaient pas d'une autorisation sans en tirer les conséquences, considéré ; que ces derniers bénéficiaient de la prescription acquisitive sur l'ouvrage litigieux alors qu'il a été construit en 2018 de sorte que l'article 2272 du code civil n'était pas applicable.
Au visa de l'article 653 du code civil, ils font valoir qu'ils produisent suffisamment d'éléments permettant d'opérer un renversement de la présomption simple de mitoyenneté. Le conseil de M. et Mme [I] a reconnu que ce mur était leur propriété dans deux correspondances. Le chapeau du mur est constitué d'un plan incliné qui déverse les eaux sur leur propriété. Le mur préexistait à la construction de la maison des intimés, alors que la parcelle n'était qu'un terrain vague selon un témoin. La huche à bois a été scellée dans leur mur en juin 2018.
Si la cour écarte le caractère privatif du mur, il sera retenu que la construction a été édifiée sans leur consentement ; que suivant constat d'huissier du 5 novembre 2018, il est observé que la couverture était disposée sur une planche prenant appui sur une cornière métallique implantée dans leur mur, en exerçant une pression susceptible de provoquer des dommages telles que des fissures.
Enfin, les intimés ne peuvent se prévaloir de la prescription acquisitive puisque même s'il existait auparavant un abri, le percement du mur constitue la marque de la construction nouvelle et récente.
Ils contestent tout abus de droit dans la défense de leurs intérêts.
Par dernières conclusions notifiées le 1er juin 2022, M. et Mme [I] demandent à la cour de :
- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il les a déboutés de leur demande en dommages et intérêts pour procédure abusive,
- constater que M. et Mme [U] ne démontrent pas que le mur séparatif leur serait privatif,
- juger qu'aucun accord n'avait à être donné par M. et Mme [U] pour la réalisation de la huche de bois qui a été construite plus de quinze ans avant l'acquisition par M. et Mme [U] de leur fonds,
- débouter M. et Mme [U] de leur demande d'injonction de descellement de la construction adossée sur le mur séparatif sous astreinte de 50 euros par jour de retard, et à titre infiniment subsidiaire, dire n'y avoir lieu à astreinte immédiate,
- débouter M. et Mme [U] de leur demande d'indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner M. et Mme [U] solidairement à leur payer la somme de
3 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,
- condamner M et Mme [U] solidairement à leur payer la somme de
3 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner M. et Mme [U] aux dépens.
Ils invoquent le bénéfice de la présomption légale de mitoyenneté en soulignant que les correspondances de leur conseil antérieurs à toute procédure et sans recherche documentée préalable sont sans effet. Les plans établis par les géomètres-experts le 17 février 2004 vise le mur litigieux comme mitoyen, la « limite replacée suivant les archives du 16.07.1982 de Mr [L], géomètre à [Localité 9] ». Le mur a été érigé sur des fondations qui dépassent sur leur propriété et se révèle donc mitoyen.
Ils soutiennent qu'ils avaient obtenu l'accord verbal de l'ancienne propriétaire du fonds voisin pour adosser un petit bâtiment servant de huche à bois en 1984 ; qu'en aucun cas, ils n'ont construit le local en 2018 comme l'affirment M. et Mme [U] ; qu'ils n'ont fait que le consolider en remplaçant les vis rouillées et n'avaient pas besoin du consentement des appelants.
Ils versent de nombreux témoignages démontrant les faits, l'existence ancienne de la huche à bois de sorte qu'ils peuvent bénéficier de la prescription acquisitive du droit d'adosser leur ouvrage au mur mitoyen.
Ils réclament le paiement d'indemnités au titre de l'abus du droit d'ester en justice et par ailleurs, des frais irrépétibles.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 15 mars 2023.
MOTIFS
Sur la propriété du mur séparatif des fonds
L'article 653 du code civil dispose que dans les villes et les campagnes, tout mur servant de séparation entre bâtiments jusqu'à l'héberge, ou entre cours et jardins, et même entre enclos dans les champs, est présumé mitoyen s'il n'y a titre ou marque du contraire.
L'article 654 suivant précise qu'il y a marque de non-mitoyenneté lorsque la sommité du mur est droite et à plomb de son parement d'un côté, et présente de l'autre un plan incliné. Lors encore qu'il n'y a que d'un côté ou un chaperon ou des filets et corbeaux de pierre qui y auraient été mis en bâtissant le mur. Dans ces cas, le mur est censé appartenir exclusivement au propriétaire du côté duquel sont l'égout ou les corbeaux et filets de pierre.
Le premier juge a considéré qu'à défaut de preuve contraire, le mur était mitoyen et que l'appui de la construction sur ce mur datait de plus de trente ans avant l'assignation délivrée le 28 novembre 2019 à M. et Mme [I] pour débouter les appelants.
Sur le plan matériel, les photographies démontrent que le couvre-mur, en béton ou dans un matériau de même nature ancien, penche exclusivement vers la propriété de M. et Mme [U]. Le mur d'enceinte en fond de propriété est de la même facture que les deux murs se poursuivant de chaque côté du mur litigieux.
Il ressort en outre des pièces produites par M. et Mme [I] qu'ils ont sollicité un permis de construire une maison individuelle le 12 octobre 1982 sur une parcelle acquise le 25 août 1975 prévoyant au titre des clôtures des haies vives. Le plan cadastral alors produit présente la limite séparative des fonds entre les sections AM [Cadastre 6] (M. et Mme [I]) et AM [Cadastre 5] (M. et Mme [U]). La limite est, du côté de la section AM [Cadastre 5], complétée par un tiret ayant pour signification l'existence d'un mur séparatif non mitoyen comme ceci : -
Cette légende est identique aux plans de masse versés par M. et Mme [U] édités en 1971 et 1983, ce dernier avec la mention « Feuille renouvelée pour 1971 Edition à jour pour 1983 » au soutien de la démonstration visant à établir la propriété du mur délimitant la propriété qu'ils ont acquise de Mme [M] [Z] le 6 janvier 2001.
Dans leur intérêt, Mme [W] [B], épouse [S], déclare qu'étant venue sur les lieux de 1953 à 1972 « avoir toujours connu le mur d'enceinte de la propriété de Monsieur et Madame [Z], comme mur privatif. Le mur jouxtant notre logement (maison et jardin) était selon les dires de mon père : propriété de M. et Mme [Z]' La parcelle [Cadastre 2] était un terrain vague à l'endroit actuel de la parcelle de
M. et Mme [I] ». Elle a annexé des photographies anciennes de 1955 et 1964 selon ses annotations démontrant l'ancienneté du mur clôturant la propriété devenue celle de M. et Mme [U].
Il n'existe pas de contentieux préalable sur l'existence d'un éventuel empiétement de ce mur sur la propriété voisine, la construction bénéficiant en toute hypothèse de la prescription acquisitive. Si M. et Mme [I] évoquent dans leurs conclusions un empiétement des fondations du mur sur leur parcelle, ils n'en font pas la démonstration. Ils communiquent une correspondance d'un géomètre-expert du 17 février 2004, MM. [P] et [A] comprenant en pièce jointe un plan portant la mention d'un « mur mitoyen (archives de M. [L], géomètre) ». Cette dernière référence n'est pas produite. M. et Mme [I] ne justifient pas de leur acceptation expresse de la proposition formulée par le professionnel qui d'une part n'est pas conforme aux plans cadastraux et d'autre part n'a pas fait l'objet d'un débat contradictoire.
Sa force probante est limitée.
Mme [M] [Z], venderesse de l'immeuble appartenant désormais à M. et Mme [U], atteste « ne pas avoir le souvenir d'avoir donné la permission à Mr & Mme [I] d'adosser leur huche à bois ni de percer le mur privatif à notre famille. Je ne me souviens pas non plus que mon père Mr [C] [Z] l'ai fait. ».
A l'origine, le mur était privatif.
Toutefois, M. et Mme [I] invoquent la prescription trentenaire au visa de l'article 2272 du code civil en produisant de très nombreuses attestations et des photographies pour établir l'existence de l'appentis depuis presque quatre décennies soit 1984 lors de la délivrance des assignations le 28 novembre 2019. La présence d'un appentis depuis plus de trente ans à cette date est établie.
Si M. et Mme [U] soutiennent que des scellements ont été pratiqués en juin 2018 en versant quelques témoignages évoquant le bruit de travaux provenant de la propriété voisine, ils ne démontrent pas en réalité une réelle modification des lieux quant à l'appui de l'appentis sur le mur. M. et Mme [I] reconnaissent uniquement avoir remplacer les fixations usées de l'ouvrage.
L'article 2258 du code civil précise que la prescription acquisitive est un moyen d'acquérir un bien ou un droit par l'effet de la possession sans que celui qui l'allègue soit obligé d'en rapporter un titre ou qu'on puisse lui opposer l'exception déduite de la mauvaise foi. L'article 2272 du code civil dispose que le délai de prescription requis pour acquérir la propriété immobilière est de trente ans.
En conséquence, au regard de l'ancienneté de la construction s'appuyant sur le mur sans contestation durant plus de trente ans, les voisins ont acquis la mitoyenneté du mur sur la longueur correspondant à l'appentis.
Sur le sort de l'appentis
Selon l'article 657 du code civil tout copropriétaire peut faire bâtir contre un mur mitoyen, et y faire placer des poutres ou solives dans toute l'épaisseur du mur, à cinquante-quatre millimètres près, sans préjudice du droit qu'a le voisin de faire réduire à l'ébauchoir la poutre jusqu'à la moitié du mur, dans le cas où il voudrait lui-même asseoir des poutres dans le même lieu, ou y adosser une cheminée.
Selon l'article 662 du même code, l'un des voisins ne peut pratiquer dans le corps d'un mur mitoyen aucun enfoncement, ni y appliquer ou appuyer aucun ouvrage sans le consentement de l'autre, ou sans avoir, à son refus, fait régler par experts les moyens nécessaires pour que le nouvel ouvrage ne soit pas nuisible aux droits de l'autre.
A défaut de preuve de la création d'un nouvel ouvrage, et en l'espèce à tout le moins d'une modification de l'existant quant aux contraintes supportées par le mur mitoyen, M. et Mme [U] n'établissent pas le besoin qu'auraient leurs voisins de solliciter une autorisation. Le constat d'huissier dressé le 5 novembre 2018 prouve la réfection partielle de la couverture de l'abri, des pièces paraissant neuves, l'appui de l'ouvrage sur le mur, sans établir pour autant, en l'absence de constats plus anciens sur l'état antérieur, des changements dans les conditions de jouissance de l'enceinte.
Les appelants seront déboutés de leur prétention visant à la délivrance d'une injonction de détruire.
Le jugement entrepris est dès lors confirmée.
Sur les dommages et intérêts pour procédure abusive
Au visa de l'article 1240 du code civil, l'exercice d'une action en justice peut dégénérer en un abus du droit d'ester en justice qui suppose la démonstration d'une faute.
En l'espèce, M. et Mme [U] n'ont pas commis de faute dans la présente instance qui présente le mérite de fixer les droits et obligations des parties sur la partie mitoyenne par prescription acquisitive de la partie du mur séparatif des fonds. La demande de M. et Mme [I] en indemnisation sera rejetée.
Le jugement critiqué est confirmé.
Sur les frais de justice
M. et Mme [U] succombe à l'instance et en supporteront les dépens, avec applications des dispositions relatives à l'aide juridictionnelle.
En cause d'appel, au regard de la nature du litige et en équité, il ne sera pas fait application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de M. et Mme [I] pour frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS,
La cour, statuant par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe,
Confirme le jugement entrepris,
Y ajoutant,
Déboute M. [F] [I] et Mme [R] [E], son épouse de leur demande formée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne M. [G] [U] et Mme [T] [J], son épouse, aux dépens qui seront recouvrés selon les dispositions applicables en matière d'aide juridictionnelle.
Le greffier, La présidente de chambre,