N° RG 21/00841 - N° Portalis DBV2-V-B7F-IWI4
COUR D'APPEL DE ROUEN
CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE
SECURITE SOCIALE
ARRET DU 23 JUIN 2023
DÉCISION DÉFÉRÉE :
19/1019
Jugement du POLE SOCIAL DU TJ DE ROUEN du 07 Janvier 2021
APPELANTE :
URSSAF NORMANDIE
[Adresse 2]
[Adresse 2]
[Localité 3]
représentée par Mme [V] [S] munie d'un pouvoir
INTIMEE :
S.A.S. [5]
[Adresse 4]
[Adresse 4]
[Localité 1]
représentée par Me Xavier PIGNAUD de l'AARPI RIGAUD AVOCATS, avocat au barreau de PARIS substituée par Me Matthieu DELPHA, avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 27 Avril 2023 sans opposition des parties devant Madame DE BRIER, Conseillère, magistrat chargé d'instruire l'affaire.
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Madame BIDEAULT, Présidente
Madame POUGET, Conseillère
Madame DE BRIER, Conseillère
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Mme WERNER, Greffière
DEBATS :
A l'audience publique du 27 Avril 2023, où l'affaire a été mise en délibéré au 23 Juin 2023
ARRET :
CONTRADICTOIRE
Prononcé le 23 Juin 2023, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,
signé par Madame BIDEAULT, Présidente et par M. CABRELLI, Greffier.
* * *
FAITS ET PROCÉDURE :
A la suite d'un contrôle comptable d'assiette portant sur la période du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2017, l'inspecteur du recouvrement de l'URSSAF Nord ' Pas-de-Calais a adressé à la société [5] une lettre d'observations du 6 juillet 2018 portant sur 11 points, dont un point n° 4 intitulé « indemnité compensatrice de préavis à verser suite à transaction conclue après un licenciement pour faute grave » qui a donné lieu à un redressement de cotisations et contributions de 24 683 euros.
L'URSSAF a maintenu ce redressement après avoir pris connaissance des arguments de la société, et lui a adressé une mise en demeure du 14 novembre 2018 portant sur un montant total de 53 746 euros pour l'ensemble du redressement (48 803 euros de cotisations et 4 943 euros de majorations).
Par lettre du 14 janvier 2018, la société a saisi la commission de recours amiable aux fins de contester ce redressement.
Face au silence de la CRA, valant décision implicite de rejet de son recours, la société a saisi le 17 avril 2019 le pôle social du tribunal de grande instance de Rouen, devenu depuis tribunal judiciaire.
Dans sa séance du 27 novembre 2019, la commission de recours amiable a rejeté le recours de la société.
Par jugement du 7 janvier 2021, le tribunal judiciaire de Rouen, pôle social, a :
- validé la mise en demeure,
- annulé le redressement opéré au titre de l'indemnité compensatrice de préavis à verser suite à la transaction conclue après un licenciement pour faute grave, d'un montant de 24 683 euros, ainsi que les majorations de retard y afférentes,
- ordonné à l'URSSAF la restitution à la société de la somme de 24 683 euros ainsi que les majorations de retard complémentaires afférentes, assortie des intérêts légaux à compter de la date de paiement,
- condamné l'URSSAF à verser à la société la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et à supporter les dépens.
Par déclaration adressée au greffe le 23 février 2021, l'URSSAF a relevé appel.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :
Par ses conclusions remises le 24 avril 2023 et soutenant oralement à l'audience, l'URSSAF Normandie demande à la cour de :
- confirmer le jugement en ce qu'il a validé la mise en demeure,
- infirmer le jugement pour le surplus,
- confirmer la décision rendue par la CRA le 27 novembre 2019,
- valider le chef de redressement relatif à l'accord transactionnel pour un montant de 24 683 euros en cotisations et 2 355 euros en majorations de retard,
- rejeter les autres demandes formées par la société.
Par ses conclusions remises et soutenant oralement à l'audience, la société [5] demande à la cour de confirmer le jugement et de :
$gt; sur la forme :
- annuler la mise en demeure et l'intégralité du redressement afférent,
- ordonner la restitution des sommes versées en paiement de la mise en demeure, assortie des intérêts légaux à compter de la date du paiement,
$gt; sur le fond :
- annuler le redressement opéré au titre du point 4 de la lettre d'observations (indemnité compensatrice de préavis à verser suite à transaction conclue après un licenciement pour faute grave), ainsi que les majorations de retard afférentes,
- ordonner la restitution du règlement effectué à ce titre, ainsi que les majorations de retard complémentaires afférentes, assortie des intérêts légaux à compter de la date du paiement,
$gt; en tout état de cause, condamner l'URSSAF au paiement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, avec intérêt légal à compter du prononcé du jugement, et à supporter les dépens.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
I. Sur la demande d'annulation de la mise en demeure
L'URSSAF ne développe aucun moyen à l'appui de sa demande de confirmation.
La société fait valoir que la mise en demeure ne mentionne pas la référence de la « lettre d'observations du 10 septembre 2018 », de sorte qu'elle ne satisfait pas aux exigences légales et réglementaires, en particulier aux règles de forme exigées par l'article R. 244-1 du code de la sécurité sociale. Elle n'estime pas nécessaire de justifier d'un préjudice pour que la nullité de la mise en demeure soit constatée, et partant, la nullité du redressement.
Sur ce,
Contrairement à ce que prétend la société, la mise en demeure fait bien référence à la lettre d'observations, qui est datée du 6 juillet 2018 et non du 10 septembre 2018 (cette dernière date correspondant en réalité à la lettre de la société en réponse à la lettre d'observations), de sorte qu'aucune nullité n'est encourue au regard des dispositions de l'article R. 244-1 du code de la sécurité sociale.
Le jugement ayant débouté la société de sa demande est confirmé de ce chef.
II. Sur le redressement relatif aux transactions conclues après un licenciement pour faute grave
L'URSSAF soutient que tout avantage attribué en contrepartie ou à l'occasion du travail est soumis à cotisations et contributions sociales ; que sont aussi prises en considération les indemnités versées à l'occasion de la rupture du contrat de travail à l'initiative de l'employeur, à hauteur de la fraction de ces indemnités qui est assujettie à l'impôt sur le revenu en application de l'article 80 duodecies du code général des impôts ; qu'en revanche sont exclues les sommes ayant le caractère de dommages et intérêts. Elle fait remarquer qu'en principe, en cas de faute grave, aucune indemnité de licenciement ni aucune indemnité de préavis n'est versée. Elle estime que dans la mesure où la société ne rapporte pas la preuve du caractère indemnitaire des sommes versées dans le cadre des transactions litigieuses, indépendamment de la qualification de ces sommes dans l'acte transactionnel, elle est fondée à réintégrer dans l'assiette des cotisations le montant de l'indemnité de préavis conventionnellement prévue.
La société fait valoir qu'aucun texte de loi ne fait dépendre le régime social des indemnités de rupture du motif du licenciement, et qu'en application de la circulaire Acoss du 25 janvier 2001, les indemnités transactionnelles faisant suite à un licenciement sont assimilées aux indemnités de licenciement et se voient appliquer le traitement social de faveur de celles-ci (dans une certaine limite). Elle fait valoir que la Cour de cassation a récemment reconnu que les indemnités transactionnelles versées à la suite d'un licenciement pour faute grave n'incluaient pas nécessairement des indemnités compensatrices de préavis et de licenciement, que le versement d'une indemnité transactionnelle n'impliquait pas nécessairement et automatiquement renonciation à la faute grave. Elle soutient que si le protocole transactionnel exprime de manière claire, précise et sans ambiguïté la volonté des parties de ne pas renoncer à la qualification de faute grave et le fait que l'indemnité transactionnelle ne comporte aucune indemnité de préavis, alors cette indemnité transactionnelle n'a pas à être réintégrée dans l'assiette des cotisations sociales.
Par ailleurs, elle reproche à l'URSSAF d'invoquer dans sa réponse du 18 octobre 2018 un autre motif de redressement que celui invoqué dans la lettre d'observations, ce qu'elle estime constituer une violation du principe du contradictoire.
La société soutient qu'en l'occurrence, les termes des transactions conclues expriment clairement la volonté de la société d'éviter une action contentieuse, ne remettent pas en cause la qualification de licenciement pour faute grave, ne comportent ni indemnités de préavis ni aucune autre indemnité qui serait assimilable à une rémunération (et ne portent que sur des dommages et intérêts indemnisant le préjudice subi par les salariés qui ont renoncé à la requalification de leur licenciement et à solliciter une indemnité de préavis, et compte tenu de leur ancienneté), permettent de constater que les salariés n'entendent pas effectuer leur préavis, qu'ils renoncent à toute indemnité et en particulier à l'indemnité de préavis.
Sur ce,
En premier lieu, il est relevé que l'URSSAF justifie le redressement dans la lettre d'observations en considérant que du fait de la signature d'une transaction, le licenciement pour faute grave devait en réalité s'analyser en un licenciement fondé sur une autre cause, ce qui implique le versement d'une indemnité de préavis au salarié. Dans sa lettre du 18 octobre 2018, elle répond à l'argumentation de la société évoquant la jurisprudence de la cour de cassation en 2018, pour en déduire qu'à défaut de maintien dans les protocoles transactionnels de la qualification de faute grave, le licenciement ouvrait bien droit à l'indemnité de préavis. Cet échange d'arguments autour de la jurisprudence ne saurait en aucune manière être analysée comme un changement de motif de redressement, de sorte qu'il n'y a pas lieu à annulation du redressement pour ce motif.
S'agissant du bien-fondé de celui-ci, il est rappelé qu'en application du premier alinéa de l'article L. 242-1 du code de la sécurité sociale applicable au litige, sont considérées comme rémunérations ' et soumises comme telles aux cotisations de sécurité sociale - toutes les sommes versées aux travailleurs en contrepartie ou à l'occasion du travail.
Ce même article précise néanmoins en son dixième alinéa qu'est exclue de l'assiette des cotisations, dans la limite d'un montant fixé à deux fois la valeur annuelle du plafond mentionné à l'article L. 241-3, la part des indemnités versées à l'occasion de la rupture du contrat de travail qui n'est pas imposable en application de l'article 80 duodecies du code général des impôts.
Sur le fondement de l'article 80 duodecies du code général des impôts, toute indemnité versée à l'occasion de la rupture du contrat de travail constitue une rémunération imposable, à l'exception des dommages-intérêts.
Il en résulte que les sommes versées au salarié lors de la rupture du contrat de travail autres que les indemnités mentionnées au dixième alinéa de l'article L. 242-1 précité, sont comprises dans l'assiette des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales, à moins que l'employeur ne rapporte la preuve qu'elles concourent, pour tout ou partie de leur montant, à l'indemnisation d'un préjudice.
En l'espèce, il ressort des protocoles transactionnels versés aux débats que chacun d'eux a pour objet de régler définitivement tout litige de quelque nature que ce soit, relatif aux conséquences issues « de la formation, de l'exécution et de la rupture » des relations contractuelles entre les parties.
Il y est stipulé qu'en contrepartie de la somme versée par l'employeur, le salarié accepte de se considérer comme rempli de l'intégralité des droits pouvant être les siens au titre de l'exécution du contrat de travail comme au titre du licenciement et de ses conséquences, de ses préjudices de tous ordres. Pour quatre d'entre eux, il y est précisé que le salarié s'estime totalement rempli de ses droits, nés ou à naître, tant en matière de salaires, accessoires de salaires, RAV (le cas échéant), commissions, frais, primes, indemnités de congés payés, contrepartie pécuniaire de la clause de non-concurrence, dommages-intérêts, et toutes autres sommes concernant la formation, l'exécution, la rupture, les motifs et procédure de rupture de son contrat de travail, et plus généralement concernant les conditions tant de fond que de forme concernant son activité et départ de la société.
Si ces protocoles sont susceptibles de couvrir ainsi toutes sortes de litiges entre l'employeur et le salarié, force est de constater qu'en l'occurrence ils n'évoquent que le motif du licenciement pour faute grave (refus d'une nouvelle affectation pour quatre des salariés, comportement fautif sur un chantier pour le cinquième salarié), sans faire état d'une quelconque autre difficulté.
Aux termes des protocoles, l'employeur ne remet certes pas en cause la qualification de faute grave, mais n'exprime pas non plus clairement la volonté de ne pas renoncer à la qualification de faute grave. Il y est seulement indiqué que le versement de l'indemnité transactionnelle ne constitue en aucun cas une reconnaissance par la société du bien fondé des demandes formulées par le salarié.
Or le motif de faute grave implique que le salarié ne perçoive ni indemnité de licenciement ni indemnité de préavis, ce qui entre en contradiction avec le versement d'une indemnité.
L'employeur n'apporte aux débats aucun élément qui permettrait d'établir que l'indemnité transactionnelle porte également sur un différend autre que le motif de la rupture du contrat de travail.
La seule volonté de l'employeur d'éviter une action contentieuse ne peut justifier le versement d'une indemnité transactionnelle s'il n'établit pas l'existence d'un potentiel préjudice à indemniser.
Le seul préjudice envisageable en l'espèce est celui d'une requalification du licenciement, qui donnerait nécessairement lieu au versement d'une indemnité compensatrice de préavis.
La mention des protocoles selon laquelle « compte tenu des circonstances de la rupture, [le salarié] indique, en tant que de besoin, qu'il n'entend pas effectuer de préavis et renonce à toute indemnité de préavis », ne permet pas d'exclure que l'indemnité transactionnelle indemnise l'absence de paiement d'une indemnité de préavis susceptible d'être due.
C'est donc à bon droit que l'URSSAF a estimé devoir opérer le redressement litigieux.
Le jugement est infirmé en ce sens, le chef de redressement n° 4 est validé à hauteur de 24 683 euros en principal et 2 355 euros à titre de majorations de retard, montants non contestés, et la société est déboutée de toutes ses demandes.
III. Sur les frais du procès
La société, partie perdante, est condamnée aux dépens de première instance et d'appel.
Par suite, elle est déboutée de sa demande d'indemnité procédurale.
PAR CES MOTIFS,
Infirme le jugement rendu le 7 janvier 2021 par le tribunal judiciaire de Rouen, pôle social, sauf en ce qu'il a validé la mise en demeure,
Statuant à nouveau :
Valide le chef de redressement n° 4 relatif aux accords transactionnels après licenciement pour faute grave, pour un montant de 24 683 euros en cotisations et 2 355 euros en majorations de retard,
Déboute la société [5] de ses demandes,
Et y ajoutant,
Déboute la société [5] de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la société [5] aux dépens de première instance et d'appel.
LE GREFFIER LA PRESIDENTE