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25/05/2023 | FRANCE | N°21/03980

France | France, Cour d'appel de Rouen, Chambre sociale, 25 mai 2023, 21/03980


N° RG 21/03980 - N° Portalis DBV2-V-B7F-I45I





COUR D'APPEL DE ROUEN



CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE



ARRET DU 25 MAI 2023











DÉCISION DÉFÉRÉE :





Jugement du CONSEIL DE PRUD'HOMMES DE LOUVIERS du 16 Septembre 2021





APPELANT :





Monsieur [M] [L]

[Adresse 1]

[Localité 3]



représenté par Me Medhi LOCATELLI de la SELARL CABINET LOCATELLI, avocat au barreau de l'EURE


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INTIMEES :





S.A.S. GROUPE PIERRE HENRY

[Adresse 4]

[Localité 6]



représentée par Me Ahmed AKABA de la SELARL NORMANDIE-JURIS, avocat au barreau de ROUEN substituée par Me Alexandre MAAT, avocat au barreau de ROUEN



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N° RG 21/03980 - N° Portalis DBV2-V-B7F-I45I

COUR D'APPEL DE ROUEN

CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE

ARRET DU 25 MAI 2023

DÉCISION DÉFÉRÉE :

Jugement du CONSEIL DE PRUD'HOMMES DE LOUVIERS du 16 Septembre 2021

APPELANT :

Monsieur [M] [L]

[Adresse 1]

[Localité 3]

représenté par Me Medhi LOCATELLI de la SELARL CABINET LOCATELLI, avocat au barreau de l'EURE

INTIMEES :

S.A.S. GROUPE PIERRE HENRY

[Adresse 4]

[Localité 6]

représentée par Me Ahmed AKABA de la SELARL NORMANDIE-JURIS, avocat au barreau de ROUEN substituée par Me Alexandre MAAT, avocat au barreau de ROUEN

S.A.S. ALTERNATIVE [Localité 7]

[Adresse 2]

[Localité 5]

représentée par Me Nathalie DEVILLERS-LANGLOIS, avocat au barreau de ROUEN substitué par Me Estelle HERVIEUX-DUVAL, avocat au barreau de ROUEN

COMPOSITION DE LA COUR  :

En application des dispositions de l'article 805 du Code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 12 Avril 2023 sans opposition des parties devant Madame BERGERE, Conseillère, magistrat chargé du rapport.

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente

Madame BACHELET, Conseillère

Madame BERGERE, Conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

M. GUYOT, Greffier

DEBATS :

A l'audience publique du 12 Avril 2023, où l'affaire a été mise en délibéré au 25 Mai 2023

ARRET :

CONTRADICTOIRE

Prononcé le 25 Mai 2023, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

signé par Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.

EXPOSÉ DU LITIGE

M. [M] [L] a été mis à disposition de la SAS Groupe Pierre Henry par l'intermédiaire de la SAS Alternative [Localité 7], agence de travail temporaire, pour occuper des fonctions de préparateur de commandes dans le cadre de contrats de missions conclus entre le 1er décembre 2017 et le 17 mars 2020.

Les relations contractuelles des parties étaient régies par la convention collective nationale de la métallurgie.

Le 20 novembre 2019, M. [L] a été victime d'un accident du travail et placé en arrêt jusqu'au 13 décembre 2019.

Par requête du 10 novembre 2020 réinscrite le 18 mars 2021 après radiation, M. [L] a saisi le conseil de prud'hommes de Louviers en requalification de ses contrats de mission en un contrat de travail à durée indéterminée et paiement de rappels de salaires et indemnités.

Par jugement du 16 septembre 2021, le conseil de prud'hommes a dit que les contrats antérieurs au 10 novembre 2018 étaient prescrits, requalifié en contrat de travail à durée indéterminée la relation de travail du 10 novembre 2018 au 17 mars 2020 entre M. [L] et la société Groupe Pierre Henry, dit que la société Alternative [Localité 7] n'a pas violé les délais de carence des contrats de mission, dit que le licenciement de M. [L] n'est pas nul et l'a débouté de sa demande à ce titre, condamné in solidum la société Groupe Pierre Henry et la société Alternative [Localité 7] à payer à M. [L] les sommes suivantes :

indemnité de requalification : 1 962,80 euros,

indemnité compensatrice de préavis : 1 962,80 euros,

congés payés afférents : 196,28 euros,

indemnité légale de licenciement : 650, 81 euros,

article 700 du code de procédure civile : 1 000 euros, outre les entiers dépens,

- ordonné à la société Groupe Pierre Henry de remettre à M. [L], un bulletin de paie conforme à la décision, sous astreinte de 30 euros par jour de retard à compter du 8ème jour suivant la notification du jugement, le conseil se réservant la compétence pour la liquidation de l'astreinte, dit que les sommes porteront intérêts au taux légal à compter du dépôt de la requête, rappelé qu'en application de l'article D. 1251-3 du code du travail, lorsqu'un conseil de prud'hommes est saisi d'une demande de requalification d'un contrat de mission en contrat à durée indéterminée, sa décision est exécutoire de droit à titre provisoire, débouté les sociétés Groupe Pierre Henry et Alternative [Localité 7] de leur demande respective au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

M. [L] a interjeté appel de cette décision le 16 octobre 2021.

Par conclusions remises le 14 décembre 2021, auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé des moyens, M. [L] demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, à l'exception de celles relatives aux frais irrépétibles et aux dépens, statuant à nouveau, requalifier en contrat de travail à durée indéterminée la relation de travail du 1er décembre 2017 au 22 novembre 2019 et condamner in solidum la société Groupe Pierre Henry et Alternative [Localité 7] à lui payer les sommes suivantes :

indemnité de requalification : 4 500 euros,

indemnité compensatrice de préavis : 3 925,60 euros,

congés payés afférents : 392,56 euros,

indemnité légale de licenciement : 1 063,18 euros,

dommages et intérêts pour nullité du licenciement : 20 000 euros ou subsidiairement pour absence de cause réelle et sérieuse : 6 869,80 euros,

article 700 du code de procédure civile : 2 500 euros, outre les entiers dépens.

Par conclusions remises le 11 mars 2022, auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé des moyens, la société Groupe Pierre Henry demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il l'a condamnée au paiement des indemnités afférentes au titre de la requalification de la relation de travail en contrat à durée indéterminée du 10 novembre 2018 au 17 mars 2020,

statuant à nouveau, à titre principal, débouter M. [L] de toute ses demandes et le condamner à lui payer la somme de 1 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en première instance et la somme de 1 000 euros pour les frais exposés en cause d'appel, le condamner à lui rembourser les sommes d'ores et déjà perçues au titre de l'exécution provisoire,

à titre subsidiaire, confirmer la condamnation in solidum avec la société Alternative [Localité 7], débouter M. [L] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, ou à défaut la limiter à un mois de salaire, fixer l'indemnité de requalification à la somme de 535,50 euros, l'indemnité légale de licenciement à la somme de 481,36 euros, l'indemnité compensatrice de préavis à la somme de 1 444,08 euros, outre les congés payés afférents, débouter M. [L] de sa demande au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, celui-ci bénéficiant de l'aide juridictionnelle,

à titre infiniment subsidiaire, débouter M. [L] de sa demande d'indemnité pour licenciement nul ou la limiter à la somme de 8 664,48 euros.

Par conclusions remises le 14 mars 2022, auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé des moyens, la société Alternative [Localité 7] demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris et à titre principal, débouter M. [L] de toutes ses demandes et le condamner à lui payer une somme de 2 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

à titre subsidiaire, si la cour juge que sa responsabilité peut être engagée pour non-respect du délai de carence, fixer l'indemnité de requalification à la somme de 535,50 euros, le montant de l'indemnité de licenciement à 481,36 euros, l'indemnité compensatrice de préavis à la somme de 1 444,08 euros, outre les congés afférents, débouter M. [L] de sa demande au titre de la nullité du licenciement et de sa demande au titre des frais irrépétibles, plus subsidiairement, si la cour juge le licenciement sans cause réelle et sérieuse, limiter à la somme de 4 332,24 euros le montant des dommages et intérêts, débouter M. [L] de sa demande au titre des frais irrépétibles, à titre infiniment subsidiaire, limiter les dommages et intérêts à la somme de 6 869,80 euros.

L'ordonnance de clôture de la procédure a été rendue le 30 mars 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION

I - Sur l'action en requalification

I - a) Sur la recevabilité

Aux termes de l'article 122 du code de procédure civile, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel la prescription.

Selon l'article L. 1471-1 du code du travail dans sa version applicable au litige, toute action portant sur l'exécution ou la rupture du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit. Toute action portant sur la rupture du contrat de travail se prescrit par douze mois à compter de la notification de la rupture.

L'action en requalification d'une mission de travail temporaire ou de missions de travail temporaires successives en un contrat à durée indéterminée s'analyse en une action portant sur l'exécution du contrat de travail et non sur une action portant sur la rupture du contrat de travail. Elle est donc soumise, en application de l'article L. 1471-1 susvisé, à un délai de prescription de deux ans.

Le point de départ de ce délai diffère selon le fondement de l'action, le critère étant le moment où le salarié a connaissance du fait qui lui permet d'exercer l'action en requalification du contrat à durée déterminée, et donc du moment où il a été en mesure de constater l'irrégularité du contrat. Ainsi :

- Si est invoquée l'absence d'une mention au contrat, le point de départ de l'action est la date de conclusion du contrat de travail temporaire,

- Si l'action est fondée sur la réalité du motif du recours au contrat de travail temporaire indiqué sur le contrat, le point de départ du délai de prescription est le terme du contrat ou, en cas de succession de contrats de travail temporaire, le terme du dernier contrat, peu important que ces contrats aient été interrompus entre eux et que le salarié ait été engagé par d'autres employeurs sur ces périodes, sauf à ce que la prescription alors applicable ait été acquise durant l'une de ces interruptions.

En l'espèce, il est constant que M. [L] a été mis à disposition de la société Groupe Pierre Henry du 1er décembre 2017 au 17 mars 2020 en exécution de 56 contrats de travail temporaire de manière quasiment ininterrompue ou tout au plus séparés entre eux de quelques jours.

L'action en requalification intentée par le salarié le 10 novembre 2020 est fondée uniquement sur la critique de la réalité du motif du recours aux contrats précaires, celui-ci estimant qu'il n'a pas été engagé pour remédier à un accroissement temporaire d'activité mais pour pourvoir un emploi durable au sein de l'entreprise. Aussi, le point de départ du délai de prescription doit ainsi être fixé au 17 mars 2020, de sorte que son action en requalification n'est prescrite pour aucun des contrats litigieux.

En conséquence, il convient d'infirmer le jugement entrepris et de déclarer recevable l'action de M. [L] en requalification de l'ensemble des contrats de mission conclus au profit de la société Groupe Pierre Henry du 1er décembre 2017 au 22 novembre 2019.

I - b) Sur la requalification

Aux termes de l'article L.1251-5 du code du travail, le contrat de mission, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise utilisatrice.

Selon l'article L.1251-6 du même code, sous réserve des dispositions de l'article L.1251-7, il ne peut être fait appel à un salarié temporaire que pour l'exécution d'une tâche précise et temporaire dénommée 'mission' et seulement dans des cas limitativement énumérés, dont l'accroissement temporaire de l'activité de l'entreprise ou le remplacement d'un salarié absent.

Il incombe à l'entreprise utilisatrice de rapporter la preuve du motif invoqué, celui-ci s'appréciant au jour de la conclusion du contrat de mission.

En l'espèce, il est constant que M. [L] a été mis à disposition de la société Groupe Pierre Henry du 1er décembre 2017 et le 17 mars 2020 en exécution de 56 contrats de travail temporaire conclus de manière quasiment ininterrompue, à l'exception de la période d'arrêt maladie du salarié entre le 22 novembre et le 13 décembre 2019, tous au motif d'accroissement temporaire d'activité, les contrats de décembre 2017 visant plus spécifiquement 'l'arrivée de nouveaux containers', puis les contrats suivants des commandes de clients précisément dénommés ou le motif 'stock après congés'.

La société Groupe Pierre Henry ne produit aucun document attestant de son activité de décembre 2017. Quant aux années 2018- 2022, les seules pièces qu'elle verse aux débats sont une note d'accompagnement de mise en place de l'activité partielle à partir du 17 mars 2020 en raison de la crise sanitaire liée au Covid et un graphique censé représenter la variation mensuelle de son chiffre d'affaire entre janvier 2018 et novembre 2020, sans qu'il ne soit précisé l'origine de ces informations. Ces éléments sont parfaitement insuffisants pour établir la réalité de l'accroissement temporaire d'activité justifiant le recours à l'emploi de M. [L] en exécution d'une cinquantaine de contrats de mission, et ce d'autant que lesdits contrats ont été exécutés de manière quasiment ininterrompue, élément qui conforte le caractère permanent de la prestation réalisée par le salarié.

Au vu de ces éléments, la requalification de la relation contractuelle est justifiée à compter du premier contrat de mission donc à partir du 1er décembre 2017.

Les conséquences juridiques de cette requalification s'appliquant indistinctement aux deux parties au contrat, c'est en vain que M. [L] soutient qu'il peut circonscrire unilatéralement la période sur laquelle porte sa demande de requalification et qu'il est donc bien fondé à choisir la date à laquelle il souhaite faire cesser les effets de cette fiction juridique. Seule la rupture de la relation contractuelle doit être prise en compte.

En outre, il ne peut être soutenu que cette requalification a cessé de produire ses effets le 22 novembre 2019, terme du contrat de mission au cours duquel il a subi un accident de travail, qui lui a occasionné un arrêt maladie jusqu'au 13 décembre 2019.

En effet, la requalification en contrat à durée indéterminée étant rétroactive à compter du 1er décembre 2017, il y a lieu de considérer que M. [L], à la date de son accident de travail et de son arrêt maladie, n'était pas en contrat à durée déterminée qui a pris fin le 22 novembre 2019, mais en contrat à durée indéterminée suspendu par l'arrêt maladie jusqu'au 13 décembre 2019 inclus (un vendredi), M. [L] ne contestant pas qu'il a recommencé à travailler pour le compte de la société Groupe Pierre Henry dès le lundi 16 décembre 2019 et ce jusqu'au 17 mars 2020.

Eu égard aux motifs précédents relatifs à la prescription, il convient d'infirmer le jugement entrepris et d'ordonner la requalification des contrats de travail temporaires exécutés par M. [L] entre le 1er décembre 2017 et le 17 mars 2020 au profit de la société Groupe Pierre Henry.

I - c) Sur les conséquences financières

A titre liminaire, il convient de rappeler qu'en application de l'article L. 1251-40 du code du travail, par l'effet de la requalification des contrats de missions temporaires, le salarié est réputé avoir occupé un emploi à durée indéterminée depuis le jour de son engagement par un contrat intérimaire irrégulier. Il en résulte que le salarié est en droit, lorsque la demande en requalification est reconnue fondée, de se prévaloir d'une ancienneté remontant au premier contrat irrégulier, sans que l'employeur ne puisse valablement opposer le caractère discontinu du travail puisque par l'effet de la requalification le contrat de travail a été maintenu sans interruption à compter de la première mission.

En l'espèce, la requalification étant effective à compter du 1er décembre 2017, M. [L] peut se prévaloir d'une ancienneté de 2 ans et 3 mois, la relation contractuelle ayant pris fin le 20 mars 2020.

Au vu de l'attestation Pôle emploi et des douze derniers bulletins de salaires de M. [L], il convient de fixer son salaire mensuel moyen à la somme de 1 444,08 euros.

* Sur l'indemnité de requalification

Conformément à l'article L.1251-41 du code du travail, il convient d'infirmer le jugement entrepris et d'allouer à M. [L] la somme de 1 444,08 euros bruts correspondant à un mois de salaire au titre de l'indemnité de requalification.

* Sur l'indemnité de préavis

Aux termes de l'article L.1234-1 du code du travail, le salarié qui justifie chez le même employeur d'une ancienneté de services continus d'au moins deux ans a droit à un préavis de deux mois. La convention collective applicable ne comporte pas de dispositions plus favorables en la matière.

Par conséquent, il convient d'infirmer la décision des premiers juges et d'allouer à M. [L] la somme de 2 888,16 euros, outre celle de 288,82 euros au titre des congés payés y afférents.

* Sur l'indemnité légale de licenciement

En application des dispositions des articles L.1234-9 et R.1234-1 à R.1234-4 du code du travail, le salarié licencié qui compte au moins une année d'ancienneté au service du même employeur a droit à une indemnité de licenciement dont le montant ne peut être inférieur à un quart de mois de salaire par année d'ancienneté, auquel s'ajoutent un tiers de mois par année au delà de dix ans d'ancienneté.

En l'espèce, compte tenu de l'ancienneté de M. [L] en ce compris la durée du préavis (2 ans et 5 mois), il convient d'infirmer le jugement entrepris et d'allouer à M. [L] la somme de (1 444,08/4 x 2) + (1 444,08/4 x 5/12) = 872,46 euros

* Sur l'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse

La relation de travail ayant été requalifiée en contrat à durée indéterminée, la rupture est intervenue sans mise en oeuvre d'une procédure de licenciement et sans justification d'un motif, de sorte qu'elle est sans cause réelle et sérieuse.

Conformément à l'article L. 1235-3 du code du travail, en considération de l'ancienneté acquise par M. [L], qui fixe le montant de l'indemnité entre 3 et 3,5 mois de salaire, de son âge (49 ans au moment de la rupture), du montant de son salaire, de ce qu'il justifie être actuellement toujours en recherche d'emploi, il convient de lui allouer à ce titre une somme de 4 500 euros.

Enfin, les conditions de l'article L.1235-4 du code du travail étant réunies, il convient d'ordonner le remboursement par l'employeur fautif aux organismes intéressés des indemnités chômage versées au salarié licencié dans la limite d'un mois d'indemnités de chômage, du jour de la rupture au jour de la présente décision.

II - Sur la responsabilité de la société de travail temporaire

Les dispositions de l'article L.1251-40 du code du travail, qui sanctionnent l'inobservation par l'entreprise utilisatrice des dispositions des articles L.1251-5 à L.1251-7, L.1251-10 à L.1251-12, L.1251-30 et L.1251-35 du même code, n'excluent pas la possibilité pour le salarié d'agir contre l'entreprise de travail temporaire lorsque les conditions à défaut desquelles toute opération de prêt de main-d'oeuvre est interdite n'ont pas été respectées.

Or, il résulte des articles L.1251-36 et L.1251-37 du code du travail que l'entreprise de travail temporaire ne peut conclure avec un même salarié sur le même poste de travail, des contrats de missions successifs qu'à la condition que chaque contrat en cause soit conclu pour l'un des motifs limitativement énumérés par le second de ces textes, au nombre desquels ne figure pas l'accroissement temporaire d'activité.

Aussi, en ne respectant pas le délai de carence prévu par l'article L. 1251-36 du code du travail, l'entreprise intérimaire se place hors du champ d'application du travail temporaire et se trouve lié au salarié par un contrat de droit commun à durée indéterminée, peu important qu'aucun texte ne sanctionne par la requalification la violation de l'interdiction de recourir à un nouveau contrat de mission pendant le délai de carence.

En l'espèce, il n'est pas contesté que les contrats de mission exécutés par M. [L], dès le mois de janvier 2018, se sont succédés sans respect du délai de carence.

Or, c'est de manière inopérante que la société Alternative [Localité 7] tente de justifier cette situation en invoquant l'application de l'accord de branche du 29 juin 2018 relatif au contrat de travail à durée déterminée et au contrat de travail temporaire dans la métallurgie, puisque ce texte, conformément à l'arrêté d'extension publié le 23 décembre 2018, n'a pu recevoir application qu'à compter du 24 décembre 2018, soit après près d'un an d'exécution de contrats de missions sans respect du délai de carence.

En outre, il convient de rappeler que le motif d'accroissement temporaire d'activité n'est pas justifié.

En conséquence, c'est à juste titre que M. [L] sollicite la condamnation in solidum de la société Alternative [Localité 7].

Néanmoins, il résulte de l'article L.1251-41 du code du travail qu'en cas de requalification d'un contrat de mission en contrat à durée indéterminée, le juge doit accorder au salarié, à la charge de l'utilisateur, une indemnité qui ne peut être inférieure à un mois de salaire. Il s'ensuit que le salarié temporaire, dont le contrat de mission est requalifié en contrat à durée indéterminée, ne peut prétendre qu'à la condamnation in solidum de l'entreprise utilisatrice et de l'entreprise de travail temporaire au titre de la rupture du contrat, à l'exclusion de l'indemnité de requalification.

En conséquence, il convient de condamner in solidum la société Alternative [Localité 7] et la société Groupe Pierre Henry au paiement des indemnités allouées à M. [L] au titre de la rupture du contrat de travail, la solidarité s'appliquant également pour le remboursement des indemnités versées par Pôle Emploi et de débouter M. [L] de sa demande de condamnation in solidum au titre de l'indemnité de requalification.

III - Sur les dépens et frais irrépétibles

En qualité de partie succombante il y a lieu de condamner in solidum la société Groupe Henry Pierre et la société Alternative [Localité 7] aux entiers dépens, y compris ceux de première instance, de les débouter de leur demande formulée en application de l'article 700 du code de procédure civile et de les condamner in solidum à payer à M. [L] la somme de 2 000 euros sur ce même fondement.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Statuant publiquement par arrêt contradictoire rendu par mise à disposition au greffe,

Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions à l'exception des dispositions relatives aux demandes présentées sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Statuant à nouveau,

Déclare recevable l'action de M. [L] en requalification de l'ensemble des contrats de mission conclus au profit de la société Groupe Pierre Henry du 1er décembre 2017 au 22 novembre 2019, comme étant non prescrite ;

Ordonne la requalification des contrats de travail temporaire exécutés par M. [M] [L] au profit de la SAS Groupe Pierre Henry en un contrat à durée indéterminée à effet au 1er décembre 2017 ;

Dit que la rupture intervenue le 17 mars 2020 s'analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Condamne la SAS Groupe Pierre Henry à payer à M. [M] [L] la somme de 1 444,08 euros au titre de l'indemnité de requalification ;

Déboute M. [M] [L] de sa demande de condamnation in solidum de la SAS Alternative [Localité 7] au titre de l'indemnité de requalification ;

Condamne, in solidum, la SAS Groupe Pierre Henry et la SAS Alternative [Localité 7] à payer à M. [M] [L] les sommes suivantes :

indemnité compensatrice de préavis : 2 888,16 euros

congés payés afférents : 288,82 euros

indemnité légale de licenciement : 872,46 euros

dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 4 500 euros

frais irrépétibles : 2 000 euros

Ordonne in solidum la SAS Groupe Pierre Henry et la SAS Alternative [Localité 7] de rembourser à Pôle emploi les indemnités chômage versées à M. [M] [L] du jour de son licenciement au jour du présent arrêt, dans la limite d'un mois ;

Condamne in solidum la SAS Groupe Pierre Henry et la SAS Alternative [Localité 7] aux entiers dépens de première instance et d'appel ;

Déboute la SAS Groupe Pierre Henry et la SAS Alternative [Localité 7] de leur demande respective au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

La greffière La présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rouen
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 21/03980
Date de la décision : 25/05/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-05-25;21.03980 ?
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