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25/05/2023 | FRANCE | N°21/02174

France | France, Cour d'appel de Rouen, Chambre sociale, 25 mai 2023, 21/02174


N° RG 21/02174 - N° Portalis DBV2-V-B7F-IZA6





COUR D'APPEL DE ROUEN



CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE



ARRET DU 25 MAI 2023











DÉCISION DÉFÉRÉE :





Jugement du CONSEIL DE PRUD'HOMMES DE ROUEN du 26 Avril 2021





APPELANTE :





S.A.S. THOM

[Adresse 3]

[Localité 4]



représentée par Me Vincent MOSQUET de la SELARL LEXAVOUE NORMANDIE, avocat au barreau de ROUEN substituée par Me Gwl

adys DA SILVA, avocat au barreau de PARIS









INTIMEE :





Madame [M] [S] épouse [L]

[Adresse 1]

[Localité 2]



représentée par Me Céline ULBRICH, avocat au barreau de ROUEN



































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N° RG 21/02174 - N° Portalis DBV2-V-B7F-IZA6

COUR D'APPEL DE ROUEN

CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE

ARRET DU 25 MAI 2023

DÉCISION DÉFÉRÉE :

Jugement du CONSEIL DE PRUD'HOMMES DE ROUEN du 26 Avril 2021

APPELANTE :

S.A.S. THOM

[Adresse 3]

[Localité 4]

représentée par Me Vincent MOSQUET de la SELARL LEXAVOUE NORMANDIE, avocat au barreau de ROUEN substituée par Me Gwladys DA SILVA, avocat au barreau de PARIS

INTIMEE :

Madame [M] [S] épouse [L]

[Adresse 1]

[Localité 2]

représentée par Me Céline ULBRICH, avocat au barreau de ROUEN

COMPOSITION DE LA COUR  :

En application des dispositions de l'article 805 du Code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 12 Avril 2023 sans opposition des parties devant Madame BERGERE, Conseillère, magistrat chargé du rapport.

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente

Madame BACHELET, Conseillère

Madame BERGERE, Conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

M. GUYOT, Greffier

DEBATS :

A l'audience publique du 12 Avril 2023, où l'affaire a été mise en délibéré au 25 Mai 2023

ARRET :

CONTRADICTOIRE

Prononcé le 25 Mai 2023, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

signé par Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.

EXPOSÉ DU LITIGE

Mme [M] [L] a été engagée le 1er décembre 2016 par la SAS Thom exploitant des commerces de bijouterie notamment sous l'enseigne Histoire d'Or sur plusieurs sites par contrat de travail à durée indéterminée à temps partiel de 20 heures par semaine.

Les relations contractuelles des parties étaient soumises à la convention collective nationale du commerce de détail de l'horlogerie bijouterie.

Le 31 mai 2019, un avertissement a été notifié à Mme [L].

Le 21 juin 2019, Mme [L] a dénoncé à son employeur un accident du travail à la suite d'une altercation avec un client. Elle a été placée en arrêt maladie du 26 juin au 31 août 2019.

Par courrier du 28 août 2019, Mme [L] a pris acte de la rupture de son contrat de travail.

Par requête du 25 mai 2020, Mme [L] a saisi le conseil de prud'hommes de Rouen en requalification de son contrat de travail en contrat à temps plein, en requalification de sa prise d'acte en licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse et en paiement de rappels de salaires et indemnités.

Par jugement du 26 avril 2021, le conseil de prud'hommes a prononcé la requalification du contrat de Mme [L] en un contrat à temps plein, à compter du début du premier contrat irrégulier débutant le 14 janvier 2019, condamné la société Thom à payer à titre de rappels de salaires la somme de 4 689,71 euros bruts, outre 10 % au titre de l'indemnité de congés payés soit 468,97 euros bruts, débouté Mme [L] de sa demande de dommages et intérêts pour son préjudice moral et financier résultant du non-respect par l'employeur des règles relatives à la durée minimum légale du travail à temps partiel et absence d'exécution de bonne foi du contrat de travail, condamné la société Thom à payer à Mme [L] la somme de 1 000 euros en l'absence de démonstration de la régularité du recours aux avenants de compléments d'heures, fixé le salaire moyen de référence de Mme [L] à la somme de 1 643,48 euros, condamné la société Thom à payer à Mme [L] les sommes suivantes :

dommages et intérêts pour son préjudice moral résultant du harcèlement moral : 2 000 euros,

dommages et intérêts résultant de la violation de l'obligation de sécurité : 1 000 euros

dommages et intérêts résultant de la non déclaration de l'accident du travail du 21 juin 2019 : 1 000 euros,

- débouté Mme [L] de sa demande d'annulation de l'avertissement du 31 mai 2019, jugé que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail de Mme [L] en date du 28 août 2019 est justifiée et repose sur les torts exclusifs de la société Thom, en conséquence condamné la société Thom à payer à Mme [L] les sommes suivantes :

indemnité de licenciement : 1 129,89 euros

indemnité compensatrice de préavis : 3 286,96 euros

congés payés afférents : 328,69 euros,

dommages et intérêts pour licenciement nul : 9 860,88 euros,

- condamné la société Thom à la remise des documents légaux, en rejetant la demande d'astreinte, débouté Mme [L] de sa demande d'intérêts légaux depuis le 28 août 2019 et de sa demande d'exécution provisoire, condamné la société Thom à verser à Mme [L] la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens et débouté les parties du surplus de leurs demandes.

La société Thom a interjeté appel de cette décision le 26 mai 2021.

Par conclusions remises le 23 mars 2023, auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé des moyens, la société Thom demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris et, en conséquence, débouter Mme [L] de sa demande requalification de son contrat de travail à temps partiel, dire que la prise d'acte doit produire les effets d'une démission et en conséquence, débouter Mme [L] de toutes ses demandes, à titre reconventionnel, condamner Mme [L] à lui verser la somme de 1 959,54 euros à titre de dommages et intérêts pour préavis non effectué, outre la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, débouter Mme [L] de toutes ses demandes formées au titre de son appel incident.

Par conclusions remises le 4 novembre 2021, auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé des moyens, Mme [L] demande à la cour :

- à titre principal, d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a refusé de prononcer l'annulation de l'avertissement prononcé le 31 mai 2019 et en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de dommages et intérêts pour son préjudice financier et moral résultant du non-respect par la société Thom des règles relatives au travail à la durée minimum légale du travail à temps partiel et absence d'exécution de bonne foi du contrat de travail, en conséquence annuler l'avertissement du 31 mai 2019, condamner la société Thom à lui payer la somme de 500 euros à titre de dommages et intérêts à ce titre ainsi que la somme de 1 000 euros pour le non respect de la durée minimum légale du travail et absence d'exécution de bonne foi du contrat de travail,

- confirmer pour le surplus, le jugement entrepris,

- à titre subsidiaire, requalifier le contrat de travail en contrat à temps partiel de 24 heures hebdomadaire à compter du début du contrat irrégulier débutant le 14 janvier 2019 et condamner la société Thom à lui payer à titre de rappels de salaires la somme de 1 299,92 euros bruts outre 10 % au titre des congés payés afférents, fixer son salaire mensuel moyen de référence sur la base d'un contrat de travail à hauteur de 24 heures à 1 151,59 euros bruts ou 979,77 euros sur la base d'un contrat de 20 heures, et calculer sur cette base les sommes à lui revenir au titre de l'indemnité de licenciement et de l'indemnité de préavis, en assortissant ces condamnations de l'intérêt légal à compter de la date de la prise d'acte du 28 août 2019, si la nullité du licenciement n'est pas reconnue, lui allouer à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse une indemnité équivalente à neuf mois de salaire en écartant le barème d'indemnisation de l'article L. 1235-3 du code du travail,

- en tout état de cause, ordonner la remise des documents légaux sous astreinte de 100 euros par jour de retard et par document, la cour se réservant la compétence de liquider l'astreinte, assortir les autres condamnations à intervenir d'un intérêt au taux légal à compter de la saisine du conseil avec capitalisation des intérêts, condamner la société Thom à lui payer la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, débouter la société Thom de toutes ses demandes.

L'ordonnance de clôture de la procédure a été rendue le 23 mars 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION

I - Sur les demandes au titre de l'exécution du contrat de travail

I - a) Sur les demandes de rappel de salaire

À titre principal, Mme [L] sollicite un rappel de salaire à partir du mois de janvier 2019 fondé sur la requalification de son contrat de travail à temps partiel en temps plein au motif qu'elle a très fréquemment travaillé un nombre d'heures supérieur au nombre fixé dans son contrat de travail, par le mécanisme des avenants prévu par la convention collective applicable, mais dans des limites qui n'ont pas été respectées, la société Thom ne rapportant pas la preuve des absences alléguées pour fonder le recours à ces avenants. En outre, elle fait valoir que ces avenants ont eu pour effet de porter la durée hebdomadaire à 34 heures, soit une durée très proche d'un temps plein, sans que ses jours de travail et ses horaires ne soient arrêtés de manière fixe ce qui a porté gravement atteinte à sa vie privée et familiale. Enfin, elle soutient qu'à partir du moment où elle a été affectée au magasin de [Localité 5], sa responsable changeait très régulièrement ses jours de présence, sans respecter de délai de prévenance suffisant. Au vu de ces éléments, elle estime qu'elle était contrainte de demeurer à la disposition permanente de l'employeur ce qui justifie son action en requalification.

À titre subsidiaire, Mme [L] demande un rappel de salaire sur la base de 24 heures par semaine faisant valoir qu'elle n'a jamais demandé à travailler moins, le document produit par son employeur à ce titre étant peu probant, car non daté et concernant uniquement le magasin '017" sans autre élément d'identification alors qu'elle a travaillé dans trois magasins différents.

La société Thom estime que dans la mesure où elle démontre que la condition posée par l'article L. 3123-7 du code du travail sur l'accord de la salariée pour réaliser 20 heures par semaine est remplie, elle conclut au rejet de la demande de requalification. En outre, elle relève que le fait que Mme [L] ait une seconde activité démontre qu'elle n'était pas en permanence à la disposition de son employeur, précisant que les avenants à la durée contractuelle initiale de 20 heures par semaine ont été conclus dans le strict respect des dispositions conventionnelles applicables.

* Sur la régularité des avenants de complément d'horaire

Aux termes de l'article L. 3123-22 du code du travail, une convention ou un accord de branche étendu peut prévoir la possibilité, par un avenant au contrat de travail, d'augmenter temporairement la durée de travail prévue par le contrat. La convention ou l'accord :

1° Détermine le nombre maximal d'avenants pouvant être conclus, dans la limite de huit par an et par salarié, en dehors des cas de remplacement d'un salarié absent nommément désigné ;

2° Peut prévoir la majoration salariale des heures effectuées dans le cadre de cet avenant ;

3° Détermine les modalités selon lesquelles les salariés peuvent bénéficier prioritairement des compléments d'heures.

Les heures complémentaires accomplies au delà de la durée déterminée par l'avenant donnent lieu à une majoration salariale qui ne peut être inférieure à 25 %.

À défaut de remplir les conditions fixées par l'article L. 3123-22 sus-visé dont la charge de la preuve repose sur l'employeur notamment quant à la réalité du motif du recours à un tel avenant, l'aménagement contractuel de complément d'horaire est illicite, de sorte que le contrat de travail encourt la requalification en contrat à temps complet.

En outre, l'avenant pris en application de cette disposition doit, conformément à l'application du dernier alinéa de l'article L. 3123-6 du code du travail, mentionner les modalités de réalisation de ces compléments d'heures, à savoir leur durée d'application, le nombre d'heures de travail, ainsi que leur répartition entre les jours de la semaine ou les semaines du mois. À défaut, il y a lieu à requalification du contrat de travail à temps partiel en temps complet.

Enfin, la conclusion d'un avenant de complément d'heures à un contrat de travail à temps partiel, ne peut avoir pour effet de porter la durée du travail convenue à un niveau égal à la durée légale du travail ou à la durée fixée conventionnellement.

L'article 50 - 10° de la convention collective nationale du commerce de détail de l'horlogerie bijouterie relatif aux 'avenants temporaires de compléments d'horaires' stipule qu' 'avec l'accord du salarié, il est possible, par avenant signé par les deux parties, d'augmenter temporairement la durée du travail prévue par le contrat, sans pour autant atteindre la durée légale du travail.

Le refus du salarié d'augmenter temporairement sa durée de travail par avenant ne peut entraîner de sanction disciplinaire ni de rupture anticipée du contrat de travail.

Le nombre d'avenants maximal pouvant être conclus pour surcroît d'activité est fixé à 7 par salarié et par an. La durée cumulée de ces avenants ne peut excéder 16 semaines civiles par an et par salarié.

Quel que soit le motif de l'avenant, les compléments d'heures font l'objet d'une majoration salariale de 12 %.

Tous les compléments d'heures réalisés au-delà de la durée définie par l'avenant donneront lieu, quant à eux, à une majoration de 25 %.

Les salariés ayant des compétences équivalentes, ou ayant le plus petit volume d'heures, ou souhaitant occuper ou reprendre un emploi à temps complet, bénéficieront prioritairement de cette possibilité d'avenants.'

En l'espèce, à titre liminaire, il y a lieu de préciser que si Mme [L] sollicite un rappel de salaire uniquement à compter du mois de janvier 2019 sur la base d'une requalification de son contrat de travail en temps plein, les moyens visant à obtenir cette requalification portent sur les conditions dans lesquelles le contrat de travail a été exécuté depuis son origine et notamment sur les conditions de modification de la durée de travail.

Aussi, alors même que la date de requalification retenue par les premiers juges n'est pas remise en question devant la présente cour, il convient d'examiner la régularité de tous les avenants au contrat de travail à temps partiel régularisés depuis l'origine de la relation contractuelle, dans la mesure où la requalification encourue pour irrégularité desdits avenants produit ses effets sur toute la période d'exécution du contrat de travail.

Le contrat de travail initial conclu entre les parties prévoit un emploi à temps partiel de 20 heures par semaine répartie comme suit : 6 heures le jeudi, 7 heures le vendredi et 7 heures le samedi avec une clause prévoyant la possibilité d'accomplir des heures complémentaires dans la limite légale et conventionnelle.

Sur l'année 2017, Mme [L] a accepté neuf avenants de complément d'horaires portant sa durée hebdomadaire à 34 heures, selon une répartition par semaine spécifiée sur une période totale de 15 semaines, 2 avenants ayant été conclus pour accroissement d'activités et 7 pour remplacement de salariés absents nommément désignés dans chaque contrat.

En l'absence de justifications par la société Thom de la réalité des absences ainsi visées dans les avenants litigieux, il y a lieu de considérer que celle-ci ne rapporte pas la preuve qu'elle a, sur l'année 2017, respecté les prescriptions conventionnelles qui limitent, hors remplacement d'un salarié absent, le recours à l'avenant de complément d'horaire pour accroissement temporaire d'activité, au nombre de sept.

En conséquence, cette limite de sept avenants ayant été atteinte par la conclusion du contrat de complément d'horaire concernant la période du 11 au 17 septembre 2017, le suivant, pour la période du 30 octobre au 5 novembre 2017 est irrégulier, de sorte que la requalification de la relation contractuelle en contrat à temps plein est encourue à compter du 30 octobre 2017.

Dans ces conditions, il convient d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a requalifié la relation contractuelle en temps plein seulement à compter du 14 janvier 2019, mais en revanche, la décision sera confirmée en ce qu'elle a condamné la société Thom à payer à titre de rappels de salaires la somme de 4 689,71 euros bruts outre 10 % au titre de l'indemnité de congés payés soit 468,97 euros bruts, à partir de cette date, conformément à la demande de Mme [L].

Le préjudice résultant de l'irrégularité des avenants de compléments d'horaires étant réparé par le rapport de salaire octroyé conformément à la demande présentée par la salariée, et en l'absence de tout préjudice distinct allégué et a fortiori établi, il convient d'infirmer la décision entreprise ayant alloué à Mme [L] la somme de 1 000 euros à titre de dommages et intérêts en l'absence de démonstration de la régularité du recours aux avenants de compléments d'heures.

I - b) Sur la demande de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail liée au non-respect de la durée minimale conventionnelle du travail à temps partiel

Mme [L] sollicite à ce titre 1 000 euros arguant qu'en tant que professionnel expérimenté dans un domaine d'activité dans lequel il est courant d'avoir recours au temps partiel, son employeur ne pouvait ignorer les règles applicables à ce type de contrat, de sorte qu'il a commis une faute. Afin de contribuer à éviter le risque de récidive de la société Thom dans de telles pratiques, elle réclame des dommages et intérêts pour le manque à gagner subi sur la période d'exécution du contrat de travail.

Force est de constater que le préjudice dont elle entend obtenir ainsi réparation correspond à la perte de salaire subie déjà réparée dans les limites de sa demande. Aussi, et en l'absence de tout élément établissant l'existence d'un préjudice distinct, il convient de confirmer la décision entreprise sur ce point.

I - c) Sur le défaut de déclaration de l'accident du travail

L'article L 441-1 du code de la sécurité sociale dispose que la victime d'un accident de travail doit, dans un délai déterminé, sauf le cas de force majeure, d'impossibilité absolue ou de motifs légitimes, en informer ou en faire informer l'employeur ou l'un de ses préposés.

L'article L. 441-2 du même code impose à l'employeur ou l'un de ses préposés de déclarer tout accident dont il a eu connaissance à la caisse primaire d'assurance maladie dont relève la victime selon des modalités et dans un délai déterminés. La déclaration à la caisse peut être faite par la victime ou ses représentants jusqu'à l'expiration de la deuxième année qui suit l'accident.

En l'espèce, il est constant que le 21 juin 2019, Mme [L] a été victime d'un client mécontent qui a proféré des insultes à son encontre. Il est également établi qu'elle a été placée en arrêt de travail à compter du 26 juin 2019 jusqu'à la rupture du contrat de travail.

Toutefois, en l'absence de constatations médicales, il n'est pas possible d'affirmer que l'arrêt de travail ainsi prononcé a un lien de causalité avec un dommage physique ou psychologique qui aurait été subi par la salariée en raison de cette altercation.

Au demeurant, il convient de relever que si, dans son courrier daté également du 26 juin 2016 adressé à Mme [W], la directrice du personnel, Mme [L] évoque cet incident, c'est uniquement pour décrire le comportement harcelant de sa responsable Mme [F] qui lui aurait reproché le fait qu'elle soit allée 'prendre l'air' après cet échange violent, l'estimant complice de l'agression subie. De même, dans le cadre de la présente instance, Mme [L] soutient qu'elle a été contrainte à être placée en arrêt maladie en raison du harcèlement dont elle était victime, sans évoquer l'existence d'un dommage psychologique spécifiquement causé par les insultes du client.

Au vu de ces éléments, il est parfaitement légitime que la société Thom n'ait déclaré aucun accident du travail survenu le 21 juin 2019.

Le jugement est donc infirmé sur ce point.

I - d) Sur l'avertissement du 31 mai 2019

En vertu de l'article L. 1332-2 du code du travail, lorsque l'employeur envisage de prendre une sanction, il convoque le salarié en lui précisant l'objet de la convocation, sauf si la sanction envisagée est un avertissement ou une sanction de même nature n'ayant pas d'incidence, immédiate ou non, sur la présence dans l'entreprise, la fonction, la carrière ou la rémunération du salarié. Lors de son audition, le salarié peut se faire assister par une personne de son choix appartenant au personnel de l'entreprise. Au cours de l'entretien, l'employeur indique le motif de la sanction envisagée et recueille les explications du salarié.

La sanction ne peut intervenir moins de deux jours ouvrables, ni plus d'un mois après le jour fixé pour l'entretien. Elle est motivée et notifiée à l'intéressé.

Et selon les articles L. 1333-1 et L.1333-2 du même code, en cas de litige, le conseil de prud'hommes apprécie la régularité de la procédure suivie et si les faits reprochés au salarié sont de nature à justifier une sanction. L'employeur fournit au conseil de prud'hommes les éléments retenus pour prendre la sanction. Au vu de ces éléments et de ceux qui sont fournis par le salarié à l'appui de ses allégations, le conseil de prud'hommes forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié.

Le conseil de prud'hommes peut annuler une sanction irrégulière en la forme ou injustifiée ou disproportionnée à la faute commise.

En l'espèce, par courrier du 31 mai 2019, la société Thom a adressé à Mme [L] un avertissement pour avoir, le 22 mai 2019, 'laissé sans surveillance son réassort 'tout or' pour aller faire une mise à taille sur une montre, ce qui est contraire aux règles internes', pour 'avoir quitté la bergerie en laissant un placard grand ouvert, un collier sur le sol et l'ensemble des bijoux de votre réassort sur le comptoir à la vue et à la disposition des clients' et pour s'être 'rendue en réserve avec votre téléphone portable sans prendre en considération la remarque faite par votre responsable' sur ce comportement inadapté et contraires aux règles de sécurité.

Alors que suivant courrier du 13 juin 2019, Mme [L] a immédiatement contesté ces faits, contextualisant leur dénonciation en faisant état du harcèlement dont elle s'estimait victime déjà depuis plusieurs mois de la part de sa responsable, et qu'elle les conteste toujours dans le cadre de la présente procédure, la société Thom ne produit aucun élément, et notamment aucune attestation des autres salariés présents le 31 mai 2019 au sein de la boutique 'Histoire d'Or', pour établir la véracité du comportement sanctionné.

En conséquence, il convient d'infirmer le jugement entrepris, d'annuler cet avertissement injustifié du 31 mai 2019 et de condamner la société Thom à verser à Mme [L] la somme de 100 euros en réparation du préjudice subi.

I - e) Sur le harcèlement moral

Aux termes de l'article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale de compromettre son avenir professionnel.

L'article L. 1154-1 du même code prévoit qu'en cas de litige, le salarié concerné présente des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et il incombe à l'employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

En l'espèce, Mme [L] soutient qu'à partir du mois de janvier 2019, elle a été affectée à la boutique Histoire d'Or du centre [Localité 5] et que dès son arrivée, elle a été 'prise en grippe' par Mme [F], la responsable, de sorte que ses conditions de travail se sont progressivement détériorées, au point qu'elle a été contrainte d'être placée en arrêt maladie à compter du 26 juin 2019, alors que depuis son embauche, elle n'avait jamais rencontré de difficultés. Elle explique que le comportement harcelant de Mme [F] s'est manifesté par les éléments suivants :

- une inégalité de traitement en ce qu'elle était systématiquement affectée à la fermeture du magasin, Mme [F] cachant cette situation en établissant des planning officiels sur le logiciel de la société et des plannings officieux,

- un refus de lui faire exécuter des heures complémentaires alors qu'elle souhaitait accéder à un contrat à temps plein et que dans cette optique, elle avait accepté en 2017 et 2018 des avenants de compléments d'horaires, en renonçant à son autre emploi à temps partiel, ce qui a engendré une baisse significative de ses revenus,

- un refus injustifié de ses congés d'été,

- des humiliations répétées devant l'équipe, situation qui a atteint son apogée le 21 juin 2019 lorsqu'elle a été agressée verbalement par un client, Mme [F] plutôt que de tenter d'apaiser la situation ayant attisé le ressentiment du client à son encontre et ayant ainsi concouru à la réalisation de l'agression.

Il est avéré, au vu des avenants produits aux débats, alors que Mme [L] a accepté et exécuté, sur l'année 2017 et 2018, des avenants de compléments d'horaires dans la limite du plafond prévu conventionnellement, la conduisant à réaliser très régulièrement des semaines de 34 heures, qu'à compter de son affectation au sein du magasin de [Localité 5] au mois de janvier 2019, elle n'a plus eu aucune proposition en ce sens.

En outre, pour étayer ses allégations, Mme [L] verse aux débats des photographies de plusieurs plannings hebdomadaire établis sur le logiciel informatique de la société Thom et les plannings papier transmis aux salariés sur les mêmes semaines, dont l'origine et la valeur probante ne sont nullement contestées par l'employeur. Or, la comparaison , sur une même semaine, de ces deux documents démontre la véracité des explications de la salariée sur la tenue d'une double organisation et le fait qu'elle était systématiquement affectée à la fermeture du magasin à 21 heures alors que cela n'apparaît pas sur les plannings du logiciel. Au demeurant, cette organisation est implicitement reconnue par l'employeur dans son courrier du 17 mai 2019.

La salariée produit également des échanges de mails et courriers émanant de M. [C], directeur de secteur ou de Mme [W], la directrice du personnel, desquels il infère que Mme [L] a effectivement été confrontée à une absence de validation de ses congés d'été en 2019, obligeant cette dernière à en référer à ces responsables, pour pouvoir obtenir trois semaines, dont une semaine qui lui a été imposée sans aucune explication.

De plus, il résulte de ces échanges que la situation de Mme [L] a été peu prise en considération. Ainsi, le 31 mai 2019, elle justifie avoir adressé un mail à M. [C] pour se plaindre, en autres, de ses congés d'été et faire part d'un sentiment de représailles suite à sa démarche, Mme [F] adoptant des attitudes irrespectueuses et dénigrantes devant ses collègues, Mme [L] se retrouvant par ailleurs mise à l'écart de la surface de vente. La réponse de l'employeur à cette plainte va être l'envoi d'un avertissement injustifié délivré le jour même, ainsi que, pour faire suite à son courrier du 13 juin 2019 dénonçant cet avertissement, l'envoi d'une lettre dans laquelle il sera listé toutes les insuffisances professionnelles commises par Mme [L] depuis le 22 février 2019, sans que les faits dénoncés dans cette lettre ne soient corroborés par des éléments objectifs.

Enfin, à la suite de l'altercation du 21 juin 2016 et du comportement non soutenant de Mme [F] dénoncé par Mme [L] dans un courrier du 26 juin 2019, la réponse apportée par l'employeur le 6 août 2019 sera un courrier reprochant à Mme [L] d'avoir pris une pause de 30 minutes après cet échange verbal violent.

Au vu de l'ensemble de ces éléments, Mme [L] présente des faits, qui, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral imputable à son employeur. Il incombe donc à ce dernier de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que son comportement était justifié par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

La société Thom se contente, à cet effet, d'indiquer que Mme [L] a été traitée comme toutes les autres salariées, qu'elle n'avait pas de droits acquis aux heures complémentaires, qu'il n'existe aucun retour négatif sur Mme [F] et que les responsables des ressources humaines ont répondu à chacune des interpellations de Mme [L], en faisant preuve d'une grande patience et d'une attention particulière pour tenter d'améliorer la situation.

Ces arguments sont inopérants pour démontrer l'absence de harcèlement moral et ce d'autant qu'ils ne sont pas corroborés pas des justificatifs, les courriers de réponse adressés à Mme [L] établissant, au contraire, le dénigrement avec lequel ses plaintes contre l'attitude de Mme [F] ont été traitées.

En conséquence, il convient de confirmer le jugement entrepris.

I - f) Sur le manquement à l'obligation de sécurité

L'article L. 4121-1 du code du travail dispose que l'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, lesquelles comprennent des actions de prévention des risques professionnels, des actions d'information et de formation, la mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.

Par ailleurs, l'article L.1152-4 du même code impose à l'employeur de prendre toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral. Cette obligation de prévention est distincte de celle résultant de l'article L.1152-1. Aussi, la méconnaissance de chacune des obligations, lorsqu'elle entraîne des préjudices différents pour le salarié, peut ouvrir droit à des réparations spécifiques.

En l'espèce, alors qu'il ressort des motifs précédents que la situation de harcèlement moral dénoncée par Mme [L] est avérée, et que l'employeur a été alerté à plusieurs reprises par la salariée dès le 28 février 2019, puis le 8 mars , le 23 avril et le 31 mai 2019, force est de constater que la société Thom, si elle a reçu en entretien Mme [L], n'a en revanche, manifestement pas pris au sérieux ses déclarations.

Cette situation caractérise une violation manifeste par l'employeur de son obligation de sécurité, ce dernier n'ayant pris aucune mesure pour faire cesser les agissements dénoncés à plusieurs reprises par Mme [L], participant, au contraire, à l'amplification de ses effets délétères sur la salariée, en refusant d'y accorder le moindre intérêt.

En conséquence, il convient de confirmer le jugement entrepris.

II - Sur les demandes au titre de la rupture du contrat de travail

II - a) Sur la qualification de la prise d'acte

Lorsqu'un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison des faits qu'il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets soit d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient, soit dans le cas contraire d'une démission.

Dans le cadre de l'exception d'inexécution il est admis que les manquements de l'employeur à l'exécution de bonne foi du contrat de travail peuvent justifier la prise d'acte de la rupture de son contrat de travail par le salarié dès lors que ce dernier établit que ces manquements sont suffisamment graves pour rendre impossible la poursuite du contrat de travail, peu important que la lettre par laquelle le salarié prend acte ne stigmatise qu'une partie des griefs finalement évoqués à l'appui de la demande dès lors que cette lettre ne fixe pas les limites du litige.

En l'espèce, la lettre de prise d'acte de la rupture du contrat de travail adressée par Mme [L] à son employeur le 28 août 2019 et les conclusions de la salariée dans le cadre de la présente instance reprennent les éléments invoqués par cette dernière au soutien de sa demande indemnitaire pour harcèlement moral.

Il se déduit des motifs précédemment développés que Mme [L] a été victime d'un harcèlement moral qui a eu pour effet une dégradation de ses conditions de travail dont la société Thom avait parfaitement connaissance avant la prise d'acte du 28 août 2019, puisque cette dernière avait déjà manifesté auprès de son employeur son insatisfaction sur ses conditions de travail par des courriels des 28 février et 31 mai 2019 adressés à M. [C], directeur de section ainsi que deux courriers en dates des 23 avril et 26 juin 2019 adressés à Mme [W], directrice du personnel. Ces faits constituent incontestablement une situation empêchant la poursuite de la relation de travail. Dès lors, la prise d'acte de Mme [L] était fondée et doit produire les effets d'un licenciement nul conformément aux dispositions de l'article L. 1152-3 du code du travail.

Le jugement entrepris est donc confirmé sur ce point, ainsi que sur les sommes allouées au titre des conséquences financières de ce licenciement nul, en l'absence de contestations sur les montants fixés par les premiers juges en conformité avec la requalification du contrat de travail en temps plein également confirmée par la présente cour.

Consécutivement, il convient de débouter la société Thom de sa demande au titre du préavis non effectué.

II- b) Sur les demandes accessoires

Les conditions de l'article L.1235-4 du code du travail étant réunies, il convient d'ordonner le remboursement par l'employeur fautif aux organismes intéressés des indemnités chômage versées à la salariée licenciée dans la limite de six mois d'indemnités de chômage, du jour de la rupture au jour de la présente décision.

III - Sur les intérêts

Les sommes à caractère salarial porteront intérêts au taux légal à compter de la convocation de l'employeur en conciliation et celles à caractère indemnitaire à compter du jugement déféré pour les dispositions confirmées et du présent arrêt pour les dispositions infirmées.

Par ailleurs, conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil, les intérêts échus produiront intérêts dés lors qu'ils seront dus au moins pour une année entière et ce, à compter de l'arrêt.

IV - Sur les dépens et frais irrépétibles

En qualité de partie succombante, il y a lieu de condamner la société Thom aux entiers dépens, y compris ceux de première instance, de la débouter de sa demande formulée en application de l'article 700 du code de procédure civile et de la condamner à payer à Mme [L] la somme de 1 500 euros sur ce même fondement pour les frais générés en cause d'appel pour les frais non compris dans les dépens.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Statuant publiquement par arrêt contradictoire rendu par mise à disposition au greffe,

Infirme le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société Thom à payer à Mme [L] la somme de 1 000 euros en l'absence de démonstration de la régularité du recours aux avenants de compléments d'heures et la somme de 1 000 euros à titre de dommages et intérêts résultant de la non déclaration de l'accident du travail du 21 juin 2019, en ce qu'il a débouté Mme [L] de sa demande d'annulation de l'avertissement du 31 mai 2019 ;

Confirme le jugement pour le surplus ;

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés,

Déboute Mme [M] [L] de ses demandes de dommages et intérêts pour absence de démonstration de la régularité du recours aux avenants de compléments d'heures et pour non déclaration de l'accident du travail du 21 juin 2019 ;

Annule l'avertissement du 31 mai 2019 ;

Condamne la SAS Thom à payer à Mme [M] [L] la somme de 100 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi à raison de l'avertissement injustifié ;

Dit que les sommes allouées en première instance et en appel à caractère salarial porteront intérêts au taux légal à compter de la convocation de l'employeur en conciliation et celles à caractère indemnitaire à compter du jugement de première instance pour les dispositions confirmées et du présent arrêt pour les dispositions infirmées ;

Y ajoutant,

Déboute la SAS Thom de sa demande de condamnation en paiement au titre du préavis non effectué ;

Dit que les intérêts échus produiront intérêts dés lors qu'ils seront dus au moins pour une année entière et ce, à compter de l'arrêt ;

Ordonne le remboursement par la SAS Thom aux organismes intéressés des indemnités chômage versées à Mme [M] [L] dans la limite de six mois d'indemnités de chômage, du jour de la rupture au jour de la présente décision ;

Condamne la SAS Thom aux entiers dépens de première instance et d'appel;

Déboute la SAS Thom de sa demande au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la SAS Thom à payer à Mme [M] [L] la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en cause d'appel.

La greffière La présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rouen
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 21/02174
Date de la décision : 25/05/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-05-25;21.02174 ?
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