N° RG 21/04879 - N° Portalis DBV2-V-B7F-I62I
COUR D'APPEL DE ROUEN
1ERE CHAMBRE CIVILE
ARRET DU 10 MAI 2023
DÉCISION DÉFÉRÉE :
21/01183
Tribunal judiciaire d'Evreux du 14 décembre 2021
APPELANTE :
Madame [V] [O]
née le [Date naissance 1] 1971 à [Localité 10]
[Adresse 5]
[Localité 3]
représentée et assistée par Me Gontrand CHERRIER de la SCP CHERRIER BODINEAU, avocat au barreau de Rouen plaidant par Me BODINEAU
INTIMEES :
Madame [R] [G]
née le [Date naissance 2] 1962 à [Localité 8]
[Adresse 7]
[Localité 4]
représentée et assistée par Me Marie-Christine BEIGNET de la SCP PONCET DEBOEUF BEIGNET, avocat au barreau de l'Eure substituée par Me Renaud DE BEZENAC
SA MAAF ASSURANCES
RCS de [Localité 9] n° 542 073 580
Chaban
[Localité 6]
représentée et assistée par Me Marie-Christine BEIGNET de la SCP PONCET DEBOEUF BEIGNET, avocat au barreau de l'Eure substituée par Me Renaud DE BEZENAC
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 6 mars 2023 sans opposition des avocats devant Mme Magali DEGUETTE, conseillère, rapporteur,
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour composée de :
Mme Edwige WITTRANT, présidente de chambre,
M. Jean-François MELLET, conseiller,
Mme Magali DEGUETTE, conseillère,
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Mme [L] [I],
DEBATS :
A l'audience publique du 6 mars 2023, où l'affaire a été mise en délibéré au 10 mai 2023.
ARRET :
CONTRADICTOIRE
prononcé publiquement le 10 mai 2023, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
signé par Mme WITTRANT, présidente et par Mme CHEVALIER, greffier présent lors de la mise à disposition.
*
* *
Le 7 mai 2018, M. [S] [Y] a été victime d'un accident de la circulation impliquant le véhicule de Mme [R] [G], assurée auprès de la Sa Maaf assurances.
Par acte d'huissier de justice du 9 avril 2021, Mme [V] [O], compagne de M. [S] [Y], a fait assigner Mme [R] [G] et la Sa Maaf assurances devant le tribunal judiciaire d'Evreux en indemnisation de ses préjudices personnels.
Suivant jugement du 14 décembre 2021, le tribunal a :
- condamné in solidum Mme [R] [G] et la Sa Maaf assurances à verser à Mme [V] [O] une somme de 15 000 euros en réparation de son préjudice d'affection,
- condamné in solidum Mme [R] [G] et la Sa Maaf assurances à verser à Mme [V] [O] une somme de 1 000 euros en réparation des troubles dans ses conditions d'existence,
- condamné in solidum Mme [R] [G] et la Sa Maaf assurances à verser à Mme [V] [O] une somme de 1 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,
- condamné in solidum Mme [R] [G] et la Sa Maaf assurances aux dépens de l'instance,
- rappelé que l'exécution provisoire de la décision est de droit.
Par déclaration du 24 décembre 2021, Mme [V] [O] a formé un appel contre le jugement.
Par arrêt du 18 janvier 2023, la cour d'appel a :
- révoqué l'ordonnance de clôture du 28 décembre 2022,
- invité les parties à faire part de leurs observations sur l'effet dévolutif de la déclaration d'appel,
- dit qu'une clôture de l'instruction de l'affaire interviendra le 6 mars 2023 à 14h00,
- renvoyé l'affaire à l'audience des plaidoiries du 6 mars 2023 à 14h00,
- réservé les dépens.
EXPOSÉ DES PRÉTENTIONS ET DES MOYENS DES PARTIES
Par dernières conclusions notifiées le 20 février 2023, Mme [V] [O] sollicite de voir en application de la loi n°85-667 du 5 juillet 1985 et de l'article 1240 du code civil :
- infirmer le jugement rendu et statuant à nouveau,
- condamner in solidum Mme [R] [G] et la Sa Maaf assurances à lui payer les sommes suivantes :
. au titre de ses préjudices patrimoniaux, à titre principal, la somme de
252 777,61 euros, et à titre subsidiaire, la somme de 651 902,75 euros,
. au titre de ses préjudices extrapatrimoniaux la somme de 30 000 euros,
. 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens de l'instance.
Elle fait valoir qu'elle a précisé dans son acte d'appel qu'elle critiquait le jugement en ce qu'il n'avait pas accueilli sa demande de condamnation solidaire de Mme [R] [G] et de la Sa Maaf assurances à l'indemniser de ses préjudices patrimoniaux et extrapatrimoniaux et de ses frais de procédure, ce qui voulait dire qu'elle le critiquait en ce qu'il lui avait seulement octroyé des indemnités limitées à la réparation de son préjudice d'affection, de ses troubles dans les conditions d'existence, et de ses frais de procédure ; que, dans des arrêts des 9 et 30 juin 2022, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a jugé que sont dévolus à la cour d'appel les chefs expressément critiqués mentionnés dans la déclaration d'appel et ceux qui en dépendent et qui sont la conséquence d'un chef de jugement expressément critiqué ; que sa déclaration d'appel, qui indiquait que son appel tendait à la 'réformation et/ou l'annulation de la décision sur les chefs' relatifs aux demandes qu'elle énumérait, défère à la cour la connaissance des chefs de jugement expressément critiqués.
Elle ajoute qu'en tout état de cause, la seule sanction attachée à l'absence de mention des chefs de jugement critiqués consiste dans la nullité de l'acte pour vice de forme, que la cour d'appel ne peut dénier à l'appel tout effet dévolutif sans avoir caractérisé cette nullité ; qu'en toute hypothèse, les limitations apportées au droit d'accès au juge doivent être proportionnées à l'objectif visé.
Elle précise ensuite, sur ses préjudices patrimoniaux, qu'à la suite de l'accident dont M. [S] [Y] a été victime, elle n'a pas pu poursuivre son activité professionnelle comme gestionnaire hotline en raison de la détresse psychologique profonde qui l'a atteinte et de la nécessaire disponibilité pour aider celui-ci dans sa convalescence, sa rééducation, et son quotidien, que cette assistance a eu des répercussions sur sa santé qui l'ont contrainte à plusieurs arrêts maladie qui ont conduit à son licenciement et à une perte de revenus, conséquences directes et certaines de l'accident du 7 mai 2018 ; qu'étant devenue une victime directe, elle n'a pas à déduire de l'indemnisation de son préjudice économique l'indemnité reçue par M. [S] [Y] au titre de l'assistance par tierce personne ; qu'à titre subsidiaire, serait indemnisée sa perte de revenus subie entre la fin de son contrat de travail le 28 mars 2019 et la reprise d'une autre activité professionnelle comme ambulancière le 21 février 2021 sans déduction possible des allocations chômage.
Elle sollicite la majoration de l'indemnisation de son préjudice d'affection et de ses troubles dans les conditions d'existence car le tribunal a occulté les multiples bouleversements provoqués par l'accident dans sa vie.
Par dernières conclusions notifiées le 4 mars 2023, Mme [R] [G] et la Sa Maaf assurances demandent de voir en application des articles 542, 561, 562 et 901 du code de procédure civile :
à titre principal,
- dire que la cour d'appel n'est saisie d'aucun chef du dispositif du jugement rendu par le tribunal judiciaire d'Evreux le 14 décembre 2021,
- dire n'y avoir lieu de statuer sur l'appel interjeté par Mme [V] [O],
à titre subsidiaire,
- confirmer en toutes ses dispositions le jugement précité,
- débouter Mme [V] [O] de l'ensemble de ses demandes,
en tout état de cause,
- condamner cette dernière à leur payer ensemble la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, en plus des entiers dépens d'appel, dont distraction sera faite au profit de Me Marie-Christine Beignet sur le fondement de l'article 699 du même code.
Elles exposent que la cour d'appel ne peut être régulièrement saisie faute pour la déclaration d'appel d'énoncer les chefs du jugement critiqués tels que rédigés dans le dispositif de la décision querellée alors que l'appel de Mme [V] [O] ne tend pas à l'annulation du jugement, que l'effet dévolutif n'opère pas, que cette solution constante et classique a été rappelée par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt du 2 juillet 2020.
Elles précisent à titre subsidiaire que l'imputabilité directe, certaine, et exclusive des pertes de gains professionnels actuels et futurs alléguées par Mme [V] [O] à l'accident de son compagnon n'est pas démontrée, que celle-ci a eu des arrêts de travail antérieurs à cet accident, que ceux survenus postérieurement sont sans lien avec celui-ci ; que, subsidiairement, le calcul d'indemnités opéré par Mme [V] [O] est erroné, que doivent être déduites de ses prétendues pertes de gains en 2019 et 2020 les allocations chômage qu'elle a perçues et les indemnités reçues par M. [S] [Y] au titre de la tierce personne, qu'à défaut, le même préjudice serait indemnisé deux fois ; que la reconversion professionnelle de Mme [V] [O] est sans lien direct et certain avec l'accident de son compagnon.
Elles ajoutent que les pièces produites par l'appelante ne permettent pas d'infirmer les indemnités allouées en réparation des préjudices extrapatrimoniaux de celle-ci.
La clôture de l'instruction a été ordonnée le 6 mars 2023.
MOTIFS
Sur la saisine de la cour d'appel
L'article 901 du code de procédure civile dans sa rédaction actuelle applicable aux instances en cours précise que la déclaration d'appel est faite par acte, comportant le cas échéant une annexe, contenant, outre les mentions prescrites par les 2° et 3° de l'article 54 et par le cinquième alinéa de l'article 57, et à peine de nullité, notamment les chefs du jugement expressément critiqués auxquels l'appel est limité, sauf si l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible.
L'article 542 du même code mentionne que l'appel tend, par la critique du jugement rendu par une juridiction du premier degré, à sa réformation ou à son annulation par la cour d'appel.
En vertu de l'article 562 du même code, l'appel défère à la cour la connaissance des chefs de jugement qu'il critique expressément et de ceux qui en dépendent. La dévolution ne s'opère pour le tout que lorsque l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible.
En outre, seul l'acte d'appel opère la dévolution des chefs critiqués du jugement.
Il en résulte que, lorsque la déclaration d'appel tend à la réformation du jugement sans mentionner les chefs de jugement qui sont critiqués, l'effet dévolutif n'opère pas, quand bien même la nullité de la déclaration de l'appel n'aurait pas été sollicitée par l'intimé.
Par ailleurs, la déclaration d'appel affectée d'une irrégularité, en ce qu'elle ne mentionne pas les chefs du jugement attaqués, peut être régularisée par une nouvelle déclaration d'appel, dans le délai imparti à l'appelant pour conclure au fond conformément à l'article 910-4 alinéa 1er du code de procédure civile.
Ces règles encadrant les conditions d'exercice du droit d'appel dans les procédures dans lesquelles l'appelant est représenté par un professionnel du droit sont dépourvues d'ambiguïté et concourent à une bonne administration de la justice en assurant la sécurité juridique de cette procédure. Elles ne portent donc pas atteinte, en elles-mêmes, à la substance du droit d'accès au juge d'appel.
En l'espèce, la déclaration d'appel de Mme [O] a été rédigée en ces termes : 'Appel total en ce qu'il n'a pas condamné in solidum Madame [R] [G] et la Société MAAF à payer à Madame [V] [O] la somme de 277372,09 € au titre de ses préjudices patrimoniaux et la somme de 30000 € au titre de ses préjudices extra-patrimoniaux, en ce qu'il n'a pas condamné in solidum Madame [R] [G] et la Société MAAF à payer à Madame [V] [O] la somme de 1 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.'.
Cette déclaration d'appel ne sollicite pas la réformation, ni l'annulation, du jugement du 14 décembre 2021.
De plus, elle se borne à énumérer les demandes de l'appelante formulées devant le premier juge, sans faire référence aux chefs du jugement critiqué, ce qui rend inopérant le moyen de celle-ci tendant à apprécier l'existence des chefs qui en dépendent et qui sont la conséquence d'un chef de jugement expressément critiqué.
Dès lors, en l'absence d'effet dévolutif de l'appel de Mme [O] la cour d'appel n'est saisie d'aucun chef du dispositif du jugement entrepris et ne peut pas statuer sur celui-ci.
Sur les demandes accessoires
Les dépens d'appel seront supportés par Mme [O]. Le bénéfice de distraction sera accordé au profit de l'avocat qui en a fait la demande.
Il n'est pas inéquitable de la condamner à payer à Mme [G] et à la Sa Maaf assurances prises ensemble la somme de 2 000 euros au titre de leurs frais non compris dans les dépens exposés pour cette instance d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe,
Constate l'absence d'effet dévolutif de la déclaration d'appel de Mme [V] [O], la cour d'appel n'étant saisie d'aucun chef du dispositif du jugement entrepris,
Dit en conséquence n'y avoir lieu à statuer sur l'appel formé,
Condamne Mme [V] [O] à payer à Mme [R] [G] et à la Sa Maaf assurances prises ensemble la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre de cette procédure d'appel,
Condamne Mme [V] [O] aux dépens d'appel, avec bénéfice de distraction au profit de Me Marie-Christine Beignet, avocate, en application de l'article 699 du code de procédure civile.
Le greffier, La présidente de chambre,