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06/04/2023 | FRANCE | N°21/00857

France | France, Cour d'appel de Rouen, Chambre sociale, 06 avril 2023, 21/00857


N° RG 21/00857 - N° Portalis DBV2-V-B7F-IWKF

N° RG 21/04557 - N° Portalis DBV2-V-B7F-I6EK





COUR D'APPEL DE ROUEN



CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE



ARRET DU 06 AVRIL 2023











DÉCISION DÉFÉRÉE :





Jugements du CONSEIL DE PRUD'HOMMES DE ROUEN des 20 Janvier 2021 et 12 Novembre 2021





APPELANT :





Monsieur [Z] [T]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

[Adresse 1]



représenté par

Me Nathalie VALLEE de la SCP VALLEE-LANGUIL, avocat au barreau de ROUEN substituée par Me Pauline SIMÉON, avocat au barreau de ROUEN









INTIMÉE :





S.A.S. COCA-COLA EUROPEAN PARTNERS FRANCE

[Adresse 2]

[Adresse 2]

[Adre...

N° RG 21/00857 - N° Portalis DBV2-V-B7F-IWKF

N° RG 21/04557 - N° Portalis DBV2-V-B7F-I6EK

COUR D'APPEL DE ROUEN

CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE

ARRET DU 06 AVRIL 2023

DÉCISION DÉFÉRÉE :

Jugements du CONSEIL DE PRUD'HOMMES DE ROUEN des 20 Janvier 2021 et 12 Novembre 2021

APPELANT :

Monsieur [Z] [T]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

représenté par Me Nathalie VALLEE de la SCP VALLEE-LANGUIL, avocat au barreau de ROUEN substituée par Me Pauline SIMÉON, avocat au barreau de ROUEN

INTIMÉE :

S.A.S. COCA-COLA EUROPEAN PARTNERS FRANCE

[Adresse 2]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

représentée par Me Florence DROUIN, avocat au barreau de ROUEN substitué par Me Jean-Philippe LAFAGE, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR  :

En application des dispositions de l'article 805 du Code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 01 Mars 2023 sans opposition des parties devant Madame BACHELET, Conseillère, magistrat chargé du rapport.

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente

Madame BACHELET, Conseillère

Madame BERGERE, Conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

M. GUYOT, Greffier

DEBATS :

A l'audience publique du 01 Mars 2023, où l'affaire a été mise en délibéré au 06 Avril 2023

ARRET :

CONTRADICTOIRE

Prononcé le 06 Avril 2023, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

signé par Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.

EXPOSÉ DU LITIGE

M. [Z] [T] a été engagé par la société Coca-cola european partners France en qualité d'attaché commercial par contrat de travail à durée indéterminée le 11 mai 2009.

Déclaré inapte par le médecin du travail le 21 décembre 2017, il a été licencié pour inaptitude d'origine professionnelle et impossibilité de reclassement le 26 mars 2018.

Par requête du 22 août 2018, M. [T] a saisi le conseil de prud'hommes de Rouen en contestation du licenciement, ainsi qu'en paiement d'indemnités.

Par jugement du 20 janvier 2021, le conseil de prud'hommes a débouté M. [T] de sa demande de nullité de l'avis d'inaptitude du 21 décembre 2017, s'est déclaré en partage des voix pour le surplus des demandes et dit que les parties seraient convoquées ultérieurement par le greffe à une audience tenue sous la présidence du juge départiteur.

M. [T] a interjeté appel de cette décision le 25 février 2021.

Par conclusions remises le 21 mai 2021, auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé de ses moyens, M. [T] demande à la cour de réformer le jugement en ce qu'il l'a débouté de sa demande de nullité de l'avis d'inaptitude, statuant à nouveau, juger que cet avis d'inaptitude est nul et en conséquence, dire son licenciement nul, et en tout état de cause sans cause réelle ni sérieuse et condamner la société Coca-cola au paiement de la somme de 48 327,84 euros au titre des dommages et intérêts pour licenciement nul, ou en tout état de cause, pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse, ainsi qu'au paiement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

Par conclusions remises le 18 janvier 2023, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens, la société Coca-cola demande à la cour de confirmer le jugement en ce qu'il a débouté M. [T] de sa demande de nullité de l'avis d'inaptitude du 21 décembre 2017, et par conséquent, débouter M. [T] de l'ensemble de ses demandes et le condamner à lui verser la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture de la procédure a été rendue le 2 février 2023.

Parallèlement, par jugement du 12 novembre 2021, le conseil de prud'hommes, en sa formation de départage, a :

- dit que le licenciement de M. [T] notifié le 26 mars 2018 reposait sur une cause réelle et sérieuse et l'a débouté de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- condamné la société Coca-cola à payer à M. [T] la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité, avec intérêts au taux légal à compter du jugement,

- fixé la moyenne des trois derniers mois de salaires de M. [T] à 2 013,66 euros et rappelé les dispositions de l'article R. 1454-28 du code du travail relatif à l'exécution provisoire de droit,

- condamné la société Coca-cola à payer à M. [T] la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

M. [T] a interjeté appel de cette décision le 1er décembre 2021.

Par conclusions remises le 29 août 2022, auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé des moyens, M. [T] demande à la cour de :

- infirmer le jugement en ce qu'il a dit que son licenciement reposait sur une cause réelle et sérieuse et l'a débouté de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, statuant à nouveau, juger son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et condamner la société Coca-cola à lui payer la somme de 48 327,84 euros à titre de dommages et intérêts,

- confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société Coca-cola à lui payer la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à son obligation de sécurité avec intérêts au taux légal à compter du jugement,

- condamner la société Coca-cola à lui payer la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions remises le 30 mai 2022, auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé des moyens, la société Coca-cola demande à la cour d'infirmer le jugement sauf en ce qu'il a dit que le licenciement de M. [T] reposait sur une cause réelle et sérieuse et l'a débouté de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, en conséquence, débouter M. [T] de l'ensemble de ses demandes et le condamner à lui payer la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture de la procédure a été rendue le 23 février 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Il est d'une bonne administration de la justice, s'agissant du même litige, d'ordonner la jonction des dossiers 21/04557 et 21/00857.

Sur la demande de nullité de l'avis d'inaptitude et en conséquence du licenciement

Invoquant la modification de la législation depuis le 1er janvier 2017, laquelle ne permet plus que la contestation des éléments de nature médicale devant le juge des référés comme en témoigne d'ailleurs l'intervention du législateur le 1er janvier 2018 pour tenir compte de la difficulté,

M. [T] soutient qu'il appartient à la société Coca-cola de justifier que le médecin du travail a effectué l'ensemble des démarches prévues par l'article R. 4624-42 du code du travail avant de délivrer l'avis d'inaptitude, et ce, quand bien même leur réalisation est mentionnée sur l'avis d'inaptitude.

En réponse, la société Coca-cola fait valoir que, quelque soit la législation applicable, M. [T] aurait dû saisir le conseil de prud'hommes, statuant en sa formation de référé, pour contester l'avis d'inaptitude, en ce compris, les démarches réalisées par le médecin du travail

Selon l'article L. 4624-4 du code du travail, dans sa version en vigueur depuis le 1er janvier 2017, après avoir procédé ou fait procéder par un membre de l'équipe pluridisciplinaire à une étude de poste et après avoir échangé avec le salarié et l'employeur, le médecin du travail qui constate qu'aucune mesure d'aménagement, d'adaptation ou de transformation du poste de travail occupé n'est possible et que l'état de santé du travailleur justifie un changement de poste déclare le travailleur inapte à son poste de travail. L'avis d'inaptitude rendu par le médecin du travail est éclairé par des conclusions écrites, assorties d'indications relatives au reclassement du travailleur.

Par ailleurs, il résulte de l'article R. 4624-42, en vigueur également depuis le 1er janvier 2017, que le médecin du travail ne peut constater l'inaptitude médicale du travailleur à son poste de travail que :

1° S'il a réalisé au moins un examen médical de l'intéressé, accompagné, le cas échéant, des examens complémentaires, permettant un échange sur les mesures d'aménagement, d'adaptation ou de mutation de poste ou la nécessité de proposer un changement de poste ;

2° S'il a réalisé ou fait réaliser une étude de ce poste ;

3° S'il a réalisé ou fait réaliser une étude des conditions de travail dans l'établissement et indiqué la date à laquelle la fiche d'entreprise a été actualisée ;

4° S'il a procédé à un échange, par tout moyen, avec l'employeur.

Enfin, en vertu de l'article R 4624-45 du code du travail, dans sa version applicable du 12 mai au 18 décembre 2017, en cas de contestation portant sur les éléments de nature médicale justifiant les avis, propositions, conclusions écrites ou indications émis par le médecin du travail mentionnés à l'article L. 4624-7, la formation de référé est saisie dans un délai de quinze jours à compter de leur notification. Les modalités de recours ainsi que ce délai sont mentionnés sur les avis et mesures émis par le médecin du travail.

En l'espèce, le 21 décembre 2017, le médecin du travail a délivré un avis d'inaptitude au poste à M. [T], lequel précisait les voies et délais de recours prévus par l'article R. 4624-45 du code du travail.

Si la rédaction de l'article R. 4624-45 du code du travail a été modifiée par décret du 15 décembre 2017, avec application des nouvelles dispositions aux instances introduites à compter du 1er janvier 2018, en prévoyant désormais qu'en cas de contestation portant sur les avis, propositions, conclusions écrites ou indications reposant sur des éléments de nature médicale émis par le médecin du travail mentionnés à l'article L. 4624-7, le conseil de prud'hommes statuant en la forme des référés est saisi dans un délai de quinze jours à compter de leur notification, il n'en résulte cependant pas que la version préalable avait pour effet de limiter les contestations possibles aux seuls éléments médicaux stricto sensu.

En effet, et alors que les obligations mises à la charge du médecin du travail n'ont pour seul objet que de lui permettre d'émettre un avis éclairé sur l'inaptitude du salarié et sur les préconisations qu'il émet, il n'appartient pas au juge judiciaire, saisi d'une contestation afférente à la licéité du licenciement d'un salarié déclaré inapte à son poste de travail, de se prononcer sur le respect par le médecin du travail des obligations ainsi mises à sa charge.

Dès lors, et alors que l'avis d'inaptitude mentionnait les voies de recours prévues par l'article R. 4624-45 du code du travail, à défaut d'avoir engagé la procédure prévue par l'article L. 4624-7 du code du travail, il convient de dire que le licenciement de M. [T] repose sur un avis d'inaptitude régulièrement délivré et il ne peut sur ce fondement être considéré que le licenciement serait nul.

Sur l'obligation de reclassement

Au-delà d'indiquer qu'il appartiendra à la société Coca-cola de prouver qu'elle a régulièrement consulté les délégués du personnel, M. [T] soutient que l'obligation de reclassement n'a pas été loyalement et sérieusement respectée, qu'ainsi, le mail envoyé à onze interlocuteurs ne comporte pas la moindre mention relative à ses emplois, compétences et curriculum-vitae et ne permet pas de s'assurer que le périmètre de reclassement a été respecté, étant par ailleurs noté qu'il résulte des échanges avec le médecin du travail que la société Coca-cola ne voulait pas le conserver dans ses effectifs et a manifesté la volonté d'obtenir une inaptitude alors que des aménagements du poste étaient possibles.

En tout état de cause, il relève que si la société Coca-cola explique qu'elle avait identifié deux postes disponibles, elle ne les lui a pourtant jamais proposés, pas plus qu'elle ne lui a proposé les postes disponibles tels qu'ils ressortent du registre unique du personnel produit suite à une injonction du conseil de prud'hommes, et ce, alors qu'elle ne justifie pas qu'il ne s'agirait pas de postes similaires, sachant qu'elle ne les a même pas évoqués lors de la consultation des délégués du personnel.

En réponse, la société Coca-cola fait valoir qu'elle a mis en oeuvre la recherche de reclassement dès réception de l'avis d'inaptitude, lequel ne nécessitait ni précisions supplémentaires, ni ne permettait un aménagement du poste. A cet égard, elle indique avoir transmis un mail apportant toutes les informations nécessaires quant au parcours de M. [T] aux services ressources humaines des deux seules sociétés du groupe situées en France, tout en interrogeant, pour optimiser les chances de reclassement, les différents services de la société CCEP, sans cependant obtenir de réponses positives.

Elle explique avoir néanmoins poursuivi ses recherches et identifié deux postes disponibles correspondant aux compétences de M. [T], à savoir un poste d'assistant commercial et un poste de gestionnaire service client SAP, tous deux dans les Hautes de Seine, qu'informé téléphoniquement de ces possibilités, M. [T] a répondu ne pas être mobile géographiquement.

Enfin, elle constate que le registre unique du personnel qu'elle a produit dès qu'il le lui a été demandé permet de s'assurer qu'il n'existait pas de postes disponibles compatibles avec les compétences de M. [T], le poste de manager des ventes impliquant des responsabilités en terme d'action commerciale et de management des équipes qui ne correspondent pas à celles d'un attaché commercial.

Selon l'article L. 1226-10 du code du travail, lorsque le salarié victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle est déclaré inapte par le médecin du travail, en application de l'article L. 4624-4, à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités, au sein de l'entreprise ou des entreprises du groupe auquel elle appartient le cas échéant, situées sur le territoire national et dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel.

Cette proposition prend en compte, après avis du comité économique et social, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu'il formule sur les capacités du salarié à exercer l'une des tâches existant dans l'entreprise. Le médecin du travail formule également des indications sur l'aptitude du salarié à bénéficier d'une formation le préparant à occuper un poste adapté.

L'emploi proposé est aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, aménagements, adaptations ou transformations de postes existants ou aménagement du temps de travail.

Pour l'application du présent article, la notion de groupe désigne le groupe formé par une entreprise appelée entreprise dominante et les entreprises qu'elle contrôle dans les conditions définies à l'article L. 233-1, aux I et II de l'article L. 233-3 et à l'article L. 233-16 du code de commerce.

Il résulte de l'article L. 1226-10 du code du travail que l'avis des délégués du personnel sur le reclassement du salarié doit être recueilli après que l'inaptitude du salarié en conséquence d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle a été constatée, dans les conditions prévues par l'article R. 4624-31 du code du travail, et avant la proposition à l'intéressé d'un poste de reclassement approprié à ses capacités.

En l'espèce, par avis du 21 décembre 2017, le médecin du travail a déclaré M. [T] inapte à son poste avec les précisions suivantes : 'Mutation de poste à rechercher : le salarié pourrait occuper un poste sans manutention supérieure à 10 kg de façon répétitive et sans déplacement en véhicule au delà de 100 km/jour (et sans déplacement tous les jours : 1 jour sur 2 maximum), avec mise à disposition d'un véhicule avec assise haute, renfort lombaire et adapté à la taille du salarié. Le salarié pourrait bénéficier d'une formation professionnelle.'

Par mail envoyé le 22 décembre 2017 à onze destinataires, Mme [Y], manager employée relations de la société Coca-cola european partners, reprenant intégralement l'avis d'inaptitude et précisant l'ancienneté de M. [T], son lieu d'habitation et son poste, les a sollicités afin qu'ils l'informent avant le 22 janvier 2018 des postes répondant aux caractéristiques de l'avis d'inaptitude et disponibles dans leurs établissements.

Enfin, il était précisé dans la note d'information accompagnant la convocation des délégués du personnel pour le 14 février 2018, la situation de M. [T], et ce, en mentionnant son poste, son ancienneté, sa formation, son âge et les termes précis de l'avis d'inaptitude, mais aussi le fait que celui-ci, alors que deux postes disponibles avaient été repérés, à savoir assistant commercial et gestionnaire service client SAP, situés dans le 92, leur avait fait savoir par mail du 1er février 2018 qu'il n'était pas mobile au-delà de son bassin d'emploi et qu'elle se trouvait donc dans l'impossibilité de lui proposer un poste correspondant à ses capacités et restrictions médicales.

Il résulte de l'analyse de ces pièces qu'il n'est effectivement repris dans le mail du 22 décembre 2017 ni l'âge, ni les diplômes, ni le curriculum-vitae de M. [T], mais qu'il n'est surtout pas justifié que les cinq destinataires n'ayant pas répondu à cette sollicitation auraient été relancés, et ce, alors même que les six autres avaient tous répondu négativement à la demande, que les délégués du personnel, réunis le 14 février 2018, avaient émis, à l'unanimité, un avis défavorable à la procédure de reclassement exposée par la société Coca-cola et que celle-ci s'estimait dans l'impossibilité de proposer le moindre poste de reclassement à M. [T] malgré ses effectifs et ses nombreux établissements situés en France.

En outre, et s'il peut être tenu compte des limitations géographiques indiquées par le salarié dans le cadre de la recherche de reclassement, il ne peut néanmoins, au regard de l'enjeu de ce choix, être considéré qu'un simple mail aux termes duquel il est écrit 'Suite à notre échange téléphonique de ce jour, je t'informe que je ne suis pas mobile concernant le reclassement', puisse satisfaire à la loyauté et au sérieux devant présider au reclassement dès lors que l'on ne connaît pas le contenu de l'échange préalable.

Enfin, et alors qu'il appartient en tout état de cause à la société Coca-cola de justifier de l'absence de postes disponibles, il doit être relevé que si elle explique avoir transmis le registre unique du personnel au juge départiteur et fournit à cet effet le courrier alors envoyé ainsi que la pièce numérotée 26 en première instance correspondant à 'une version retraitée du registre unique du personnel' isolant l'ensemble des embauches sur les mois de décembre 2017 à mars 2018, elle ne produit pas, comme elle l'avait pourtant fait en première instance, le registre unique du personnel plus complet, lequel l'est cependant par M. [T].

Or, la 'version retranchée', informatisée, démontre, à elle seule, les possibilités existantes pour la société Coca-cola de ne fournir que des données parcellaires, ainsi, en l'espèce, n'est il répertorié que les postes 'business', comme en témoigne la comparaison avec le registre fourni par M. [T], alors même que le reclassement doit être proposé sur l'ensemble des postes.

Par ailleurs, et si M. [T] produit le registre unique du personnel plus complet, là encore, il est informatisé et ne liste pas les salariés par ordre d'arrivée dans la société, ce qui ne permet pas davantage de s'assurer de son caractère complet et exhaustif, à défaut de connaître les données initialement rentrées pour éditer ledit registre.

En outre, à supposer même qu'il soit exhaustif, en transmettant un tel registre, lequel représente 65 pages avec 36 salariés par page, sans aucune logique quant au classement ainsi fait des salariés, la société Coca-cola ne met ni les parties, ni la cour en mesure d'exploiter sérieusement les données qui y sont répertoriées, sachant qu'il n'est même pas mentionné le lieu d'affectation des salariés sur tel ou tel établissement de la société mais uniquement leur lieu de résidence.

A cet égard, si la société Coca-cola fait valoir que Mme [S], déléguée commerciale, a été engagée antérieurement à l'avis d'inaptitude de M. [T], soit le 4 décembre 2017 et ce, pour une durée déterminée en remplacement d'une salariée en congé maternité, outre qu'elle ne produit en aucun cas le contrat à durée déterminée qui permettrait de s'assurer de cette affirmation et qu'elle ne précise pas le nom de la salariée remplacée, il ne peut qu'être relevé que ce contrat a pris fin le 20 mars 2018, soit exactement durant la période de reclassement, et que, très peu de temps après, soit le 2 mai 2018, un autre salarié habitant dans la même région a été recruté, et ce, sans mention de son emploi.

Or, seule la production d'un registre unique du personnel traditionnel, classant les salariés par ordre d'arrivée, serait de nature à s'assurer qu'il n'existait pas un poste disponible au 20 mars 2018, comblée par l'arrivée d'un nouveau salarié au 2 mai 2018.

Aussi, au regard des développements qui précèdent, il ne peut être considéré que la société Coca-cola aurait sérieusement et loyalement respecté son obligation de reclassement et il convient en conséquence d'infirmer le jugement et de dire le licenciement de M. [T] sans cause réelle et sérieuse.

Dès lors, et alors qu'en vertu de l'article L. 1226-15 du code du travail, en cas de méconnaissance des dispositions relatives au reclassement du salarié déclaré inapte prévues aux articles L. 1226-10 à L. 1226-12, le juge octroie une indemnité au salarié dont le montant est fixé conformément aux dispositions de l'article L. 1235-3-1 du code du travail, soit une indemnité qui ne peut être inférieure à six mois de salaire, il convient, alors que M. [T] justifie avoir perçu 238 allocations journalières de Pôle emploi au 1er février 2019 et avoir par la suite été employé dans le cadre de missions intérimaires, néanmoins régulières, jusqu'en juin 2020 , de condamner la société Coca-cola à lui payer la somme de 17 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Sur le manquement à l'obligation de sécurité

M. [T] soutient que la société Coca-cola a manqué à son obligation de sécurité en l'affectant sur des hypermarchés et en ne lui mettant pas à disposition un véhicule adapté, et ce, en contravention avec les préconisations du médecin du travail, sachant qu'elle n'a pas pris son contact pour s'assurer de ce qu'il pouvait effectivement lui être attribué un véhicule non aménagé à compter de février 2016 alors que cette restriction était régulièrement émise.

En réponse, la société Coca-cola relève que dès l'avis d'aptitude avec restrictions émis par le médecin du travail le 20 octobre 2015, elle a immédiatement enjoint à M. [T] de ne plus se rendre dans les hypermarchés et lui a mis à disposition un véhicule conforme aux préconisations, sachant qu'elle a en outre par la suite régulièrement organisé des visites avec le médecin du travail pour s'assurer de l'évolution favorable de l'état de santé de M. [T] et qu'elle a continué à lui fournir les véhicules les plus confortables alors même que dès le mois de février 2016, il n'était plus évoqué d'aménagement spécial en lien avec le véhicule, cet aménagement n'ayant été réévoqué qu'en novembre 2016.

Selon l'article L. 4121-1 du code du travail, l'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent des actions de prévention des risques professionnels et de la pénibilité au travail, des actions d'information et de formation et la mise en place d'une organisation et de moyens adaptés. L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes.

En l'espèce, après avoir été en arrêt maladie du 2 mars au 18 octobre 2015 en raison d'une hernie discale reconnue depuis maladie professionnelle, M. [T] a été reçu par le médecin du travail le 20 octobre 2015, lequel a décidé d'une aptitude à la reprise à mi-temps thérapeutique avec aménagement de poste, ainsi, notamment, 'pas de travail en hypermarché ce mois' et mise à disposition d'un véhicule avec assise haute, renforcement lombaire et boîte automatique.

Revu le 1er décembre 2015, il a à nouveau été conclu à une aptitude à temps partiel thérapeutique à 60 % avec restrictions, et notamment, pas d'hypermarché et véhicule aménagé avec assise haute, boîte automatique et renforcement lombaire.

Par courrier du 12 janvier 2016, la société Coca-cola a écrit au médecin du travail afin de l'informer qu'elle avait procédé à la commande d'un véhicule avec boîte automatique, assise haute et renforts lombaires, tout en lui précisant qu'au regard des délais de livraison pouvant aller jusqu'à seize semaines, il avait été prévu un véhicule de location.

A nouveau revu par le médecin du travail le 14 janvier 2016, M. [T] a été déclaré inapte au poste en hypermarché, apte au poste en supermarché à temps partiel thérapeutique à 80 % avec véhicule aménagé, comprenant boîte automatique et renfort lombaire.

Enfin, le 27 janvier 2016, à l'occasion d'une réclamation de M. [T] quant à l'inadéquation des véhicules mis à sa disposition, le médecin du travail a réalisé une étude de poste aux termes de laquelle il a conclu que le véhicule Caddy van de Volkswagen assise haute avec boîte automatique et park pilote ne semblait pas compatible avec son état de santé et les préconisations émises sur la fiche d'inaptitude, à savoir qu'il n'offrait pas de renfort lombaire et entraînait une limitation de la mobilisation, notamment des jambes, et générait des contorsions.

Au vu de cette chronologie, s'il est exact qu'à compter de l'avis du 2 février 2016, et ce, jusqu'à l'avis du 15 novembre 2016, le médecin du travail n'a plus mentionné la restriction relative à l'aménagement du véhicule, pour autant, le fait que le médecin du travail ait fait part de l'inadéquation du véhicule mis à la disposition de M. [T] une semaine avant l'avis du 2 février 2016, aurait dû conduire la société Coca-cola, sur qui pèse une obligation de sécurité, à prendre le contact du médecin du travail pour s'assurer qu'il n'y avait effectivement plus de restriction, et ce, d'autant que celui-ci, au regard du courrier du 12 janvier 2016, a pu légitimement pensé qu'un véhicule aménagé était commandé et que, dans l'attente, un véhicule conforme à ses préconisations avait été loué.

En tout état de cause, à compter du 15 novembre 2016, la société Coca-cola, sur qui pèse la preuve du respect de l'obligation de sécurité, ne justifie pas avoir mis à disposition de M. [T] un véhicule conforme aux préconisations du médecin du travail et ce, alors que ce dernier produit un sms daté d'août 2017 aux termes duquel il est encore recherché un véhicule adapté à sa situation, avec essai prévu les 6 et 7 septembre.

A cet égard, et à supposer, comme le prétend la société Coca-cola, qu'il s'agirait de la date de la capture d'écran et non de la date d'envoi du sms, cet argument est inopérant puisqu'il lui appartient de rapporter la preuve de ce qu'elle a mis à disposition de M. [T] un véhicule adapté, preuve qui n'est en l'espèce pas rapportée, aucun élément n'étant fourni sur les véhicules proposés à M. [T] postérieurement à novembre 2016.

Il est également justifié de quatre passages en intermarché les 10 novembre, 13 novembre, 18 novembre et 15 décembre 2015, et ce malgré l'interdiction posée par le médecin du travail, étant néanmoins relevé que ces manquements ont été très isolés et surtout, qu'il y a été remédié dès le 23 décembre 2015, la société Coca-cola, par courrier remis en mains propres, ayant demandé à M. [T] de ne pas faire de passage en hypermarché.

Au vu de ces éléments, et alors que le manquement relatif à l'absence de mise à disposition d'un véhicule aménagé n'a pu qu'avoir un impact négatif sur l'état de santé de M. [T], reconnu inapte le 21 décembre 2017, il convient de condamner la société Coca-cola à lui payer la somme de 1 000 euros à titre de dommages et intérêts, ce montant réparant plus justement le préjudice subi que celui alloué par les premiers juges.

Sur les dépens et frais irrépétibles

En qualité de partie succombante, il y a lieu de condamner la société Coca-cola aux entiers dépens, y compris ceux de première instance, de la débouter de sa demande formulée en application de l'article 700 du code de procédure civile et de la condamner à payer à M. [T] la somme de 1 000 euros, en plus de la somme allouée en première instance.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Statuant contradictoirement et publiquement, par arrêt mis à disposition au greffe,

Joint les dossiers n° 21/04557 et 21/00857 ;

Confirme le jugement du 20 janvier 2021 en ce qu'il a débouté M. [Z] [T] de sa demande de nullité de l'avis d'inaptitude du 21 décembre 2017 ;

Infirme le jugement du 12 novembre 2021 sauf en ses dispositions relatives à l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant ;

Déboute M. [Z] [T] de sa demande de nullité du licenciement ;

Dit que le licenciement de M. [Z] [T] ne repose pas sur une cause réelle et sérieuse ;

Condamne la SAS Coca-cola european partners France à payer à M. [Z] [T] la somme de 17 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse;

Condamne la SAS Coca-cola european partners France à payer à M. [Z] [T] la somme de 1 000 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité ;

Condamne la SAS Coca-cola european partners France aux entiers dépens ;

Déboute la SAS Coca-cola european partners France de sa demande formulée en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la SAS Coca-cola european partners France à payer à M. [Z] [T] la somme de 1 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

La greffière La présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rouen
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 21/00857
Date de la décision : 06/04/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-04-06;21.00857 ?
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