La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

09/03/2023 | FRANCE | N°21/00053

France | France, Cour d'appel de Rouen, Chambre sociale, 09 mars 2023, 21/00053


N° RG 21/00053 - N° Portalis DBV2-V-B7F-IUWA





COUR D'APPEL DE ROUEN



CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE



ARRET DU 09 MARS 2023











DÉCISION DÉFÉRÉE :





Jugement du CONSEIL DE PRUD'HOMMES DE ROUEN du 14 Décembre 2020





APPELANTE :





Madame [M] [Y]

[Adresse 1]

[Localité 2]



représentée par Me Constance JOURDAIN, avocat au barreau de ROUEN











INTIMEE :





S.A.S. ANDELLE

[Adresse 4]

[Localité 3]



représentée par Me Emmanuelle BOURDON de la SELARL EMMANUELLE BOURDON-CÉLINE BART AVOCATS ASSOCIÉS, avocat au barreau de ROUEN





































COMPOSITION DE LA COUR  :

...

N° RG 21/00053 - N° Portalis DBV2-V-B7F-IUWA

COUR D'APPEL DE ROUEN

CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE

ARRET DU 09 MARS 2023

DÉCISION DÉFÉRÉE :

Jugement du CONSEIL DE PRUD'HOMMES DE ROUEN du 14 Décembre 2020

APPELANTE :

Madame [M] [Y]

[Adresse 1]

[Localité 2]

représentée par Me Constance JOURDAIN, avocat au barreau de ROUEN

INTIMEE :

S.A.S. ANDELLE

[Adresse 4]

[Localité 3]

représentée par Me Emmanuelle BOURDON de la SELARL EMMANUELLE BOURDON-CÉLINE BART AVOCATS ASSOCIÉS, avocat au barreau de ROUEN

COMPOSITION DE LA COUR  :

En application des dispositions de l'article 805 du Code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 12 Janvier 2023 sans opposition des parties devant Madame POUGET, Conseillère, magistrat chargé du rapport.

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame BIDEAULT, Présidente

Madame ALVARADE, Présidente

Madame POUGET, Conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Mme WERNER, Greffière

DEBATS :

A l'audience publique du 12 Janvier 2023, où l'affaire a été mise en délibéré au 09 Mars 2023

ARRET :

CONTRADICTOIRE

Prononcé le 09 Mars 2023, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

signé par Madame BIDEAULT, Présidente et par Mme DUBUC, Greffière.

EXPOSÉ DU LITIGE 

A compter du 21 novembre 2005, Mme [M] [Y] (la salariée) a été engagée en qualité d'employée commerciale (niveau II) par la société Andelle (la société), exploitant un supermarché Intermarché à [Localité 3], dans le cadre d'un contrat initiative emploi à durée déterminé puis la relation de travail s'est poursuivie dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée à compter du 20 mai 2007.

La relation contractuelle était soumise à la convention collective nationale du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire.

Le 4 janvier 2018, le médecin du travail a rendu l'avis suivant : « inaptitude à la reprise de son poste et à tous postes comportant des sollicitations répétées ou forcées du rachis et des membres supérieurs. Reclassement envisageable sur des tâches de type administratif, nécessitant des formations adaptées. Contre-indication : aux montées et descentes d'escalier ».

Par courrier du 22 février 2018, la salariée a été licenciée pour impossibilité de reclassement et inaptitude.

Contestant cette décision, elle a saisi le conseil de prud'hommes de Rouen qui, par jugement en date du 14 décembre 2020, l'a déboutée de ses demandes, condamnée aux dépens et a rejeté les prétentions de la société.

Le 5 janvier 2021, Mme [Y] a relevé appel de cette décision et par conclusions remises le 25 avril 2022, elle demande à la cour de :

- infirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Rouen en date du 14 décembre 2020 en ce qu'il a débouté Mme [Y] de ses demandes,

- fixer son salaire de référence à la somme de 1 461euros brut,

- juger que son inaptitude est d'origine professionnelle,

- condamner la société à lui verser les sommes suivantes :

indemnité équivalente à l'indemnité compensatrice de préavis : 2 697,24 euros,

solde d'indemnité spéciale de licenciement : 4 035,07 euros,

juger que son licenciement est dénué de cause réelle et sérieuse et condamner la société à lui verser les sommes suivantes :

indemnité compensatrice de préavis : 2 697,24 euros,

congés payés y afférents : 269,72 euros,

dommages et intérêts pour licenciement sans de cause réelle et sérieuse : 16071,06 euros,

rappel de salaire des 4 et 23 février 2018 : 103,74 euros, outre les congés payés afférents : 103,79 euros,

dommages et intérêts pour irrégularité de la procédure de reclassement : 1 461 euros,

dommages et intérêts pour irrégularité de la procédure de convocation à l'entretien préalable à licenciement : 1 461 euros,

article 700 du code de procédure civile : 3 000 euros,

- ordonner l'exécution provisoire,

- intérêts au taux légal,

- condamner la société à lui remettre le certificat de travail et l'attestation Pôle emploi conformes au « jugement », sous astreinte de 20 euros par document et par jour de retard,

- condamner la société aux entiers dépens.

Par conclusions remises le 1er juillet 2021, la société demande à la cour de :

- confirmer le jugement déféré,

- débouter Mme [M] [Y] de l'ensemble de ses demandes,

à titre infiniment subsidiaire,

- ramener le montant des dommages intérêts à de plus juste proportions compte tenu de la nature de ce licenciement et dire et juger que l'indemnité pour irrégularité et pour licenciement abusif ne se cumulent pas,

- condamner la salariée aux entiers dépens de la présente procédure.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 15 décembre 2022.

Il est renvoyé aux conclusions des parties pour l'exposé détaillé de leurs moyens et arguments.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la violation de l'obligation de reprise du paiement du salaire

Aux termes de l'article L. 1226-4 du code du travail, lorsque, à l'issue d'un délai d'un mois à compter de la date de l'examen médical de reprise du travail, le salarié déclaré inapte n'est pas reclassé dans l'entreprise ou s'il n'est pas licencié, l'employeur lui verse, dès l'expiration de ce délai, le salaire correspondant à l'emploi que celui-ci occupait avant la suspension de son contrat de travail.

En l'espèce, la salariée a été déclarée inapte par le médecin du travail lors de l'examen médical du 4 janvier 2018, de sorte qu'à compter du 5 février, et non du 4 février comme elle le soutient, et jusqu'au 23 février suivant, l'employeur était tenu de lui payer son salaire.

Il ressort du bulletin de salaire du mois de février 2018 que la société a placé l'appelante en position de congés payés du 1er au 23 février et a porté au débit puis au crédit la somme de 1 089,12 euros, de sorte qu'elle ne peut prétendre qu'un tel montant ait été réglé à la salariée.

Toutefois, cette dernière reconnaît que la société a régularisé, en septembre 2018, la somme de 934,12 euros au titre de la période du 5 au 22 février, lequel montant ne l'a remplie pas de ses droits puisqu'il omet la journée du 23 février, le temps de pause rémunéré et les congés payés afférents sur la période considérée.

Par conséquent, il convient de lui accorder la somme de 51,87 euros à titre de rappel de salaire et celle de 98,60 euros au titre des congés payés.

La décision déférée est infirmée sur ce chef.

Sur l'origine de l'inaptitude

Les règles protectrices applicables aux victimes d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle s'appliquent dès lors que l'inaptitude du salarié, quel que soit le moment où elle est constatée ou invoquée, a, au moins partiellement, pour origine cet accident ou cette maladie et que l'employeur avait connaissance de cette origine professionnelle au moment du licenciement, l'application des dispositions de l'article L. 1226-10 du code du travail n'étant pas subordonnée à la reconnaissance par la caisse primaire d'assurance-maladie du lien de causalité entre l'accident et l'inaptitude.

Après avoir rappelé que la caisse primaire d'assurance maladie avait pris en charge sa maladie professionnelle au titre du tableau 57, le 6 décembre 2012, puis sa rechute le 17 octobre 2013 ainsi que son travail mi-temps thérapeutique de janvier à octobre 2014, Mme [Y] indique qu'elle a repris le 1er novembre suivant, bénéficié de trois semaines de congés payés et qu'à compter de janvier 2015, elle a été placée en arrêt de travail et n'a jamais repris son activité. Elle ajoute que les termes de l'avis d'inaptitude démontrent qu'elle ne pouvait plus occuper un poste comportant des sollicitations des membres supérieurs, de sorte que l'inaptitude trouvait, au moins partiellement, son origine dans la maladie professionnelle.

La cour constate que l'employeur ne discute pas les éléments factuels ci-dessus repris, pas plus qu'il ne conteste que l'inaptitude constatée avait, au moins partiellement, une origine professionnelle dont il avait connaissance au moment du licenciement. D'ailleurs, il ressort de l'intitulé de la lettre de licenciement que celui-ci fait « suite à une inaptitude d'origine professionnelle ».

Dans ces conditions, la décision déférée est infirmée sur ce point et, eu égard au caractère professionnel de l'inaptitude, il est fait droit aux demandes en paiement de l'indemnité équivalente à l'indemnité compensatrice de préavis et de solde de l'indemnité spéciale de licenciement dont les montants ne sont pas discutés.

Sur le constat d'inaptitude

L'article R. 4624-42 du code du travail dans sa version applicable au litige, dispose que le médecin du travail ne peut constater l'inaptitude médicale du travailleur à son poste de travail que :
1° S'il a réalisé au moins un examen médical de l'intéressé, accompagné, le cas échéant, des examens complémentaires, permettant un échange sur les mesures d'aménagement, d'adaptation ou de mutation de poste ou la nécessité de proposer un changement de poste ;
2° S'il a réalisé ou fait réaliser une étude de ce poste ;
3° S'il a réalisé ou fait réaliser une étude des conditions de travail dans l'établissement et indiqué la date à laquelle la fiche d'entreprise a été actualisée ;
4° S'il a procédé à un échange, par tout moyen, avec l'employeur.
Ces échanges avec l'employeur et le travailleur permettent à ceux-ci de faire valoir leurs observations sur les avis et les propositions que le médecin du travail entend adresser.

Si Mme [Y] relève qu'il n'a pas été procédé à l'étude de ses conditions de travail puisque la date de celle-ci n'est pas renseignée sur l'avis d'inaptitude, les autres diligences ne sont pas discutées.

Pour autant, la cour constate que le conseil de prud'hommes n'a pas été saisi en vertu de l'article L. 4624-7 dans sa version applicable au litige, relatif à la contestation de l'avis du médecin du travail. Or, c'est dans le cadre de la procédure accélérée au fond prévue par ce texte que la juridiction peut utilement examiner tous les éléments ayant conduit à cet avis et, partant, considérer qu'ils sont insuffisants voir ordonner, par conséquent, une mesure d'instruction confiée au médecin-inspecteur du travail, comme le premier texte lui en laisse la possibilité. Cette lecture est corroborée par la nouvelle rédaction de ce texte, lequel précise dorénavant que la contestation peut porter sur « les avis, propositions, conclusions écrites ou indications émis par le médecin du travail ».

Aussi, faute d'avoir agi dans ce cadre procédural spécifique, la salariée n'est plus fondée à contester devant la juridiction prud'homale saisie d'une contestation de son licenciement, une contestation relative à l'avis d'inaptitude du médecin du travail.

Dès lors, ce moyen doit être considéré comme inopérant.

Sur l'obligation de reclassement

En présence d'une inaptitude d'origine professionnelle et conformément à l'article L. 1226-10 du code du travail dans sa version applicable au litige, les délégués du personnel doivent être consultés, après que l'inaptitude de l'intéressé ait été constatée dans les conditions prescrites à l'article R 4624-31 du code du travail mais avant la proposition à l'intéressé, d'un poste de reclassement approprié à ses capacités. L'employeur doit fournir aux délégués du personnel toutes les informations nécessaires quant à l'état de santé du salarié et la recherche de reclassement du salarié inapte pour leur permettre de donner un avis en connaissance de cause.

En l'espèce, l'employeur indique qu'il n'avait aucune obligation à ce titre en l'absence de délégués du personnel au sein de l'entreprise.

Toutefois, il n'est pas discuté que l'entreprise qui emploie environ 40 salariés, avait procédé à des élections des représentants du personnel le 4 avril 2013, qu'à l'issue du mandat de quatre ans, il n'a été ni procédé à de nouvelles élections, ni dressé un procès-verbal de carence. En effet, celui produit date du 8 janvier 2019 pour des élections organisées le 20 décembre 2018, soit plus de dix mois après le constat d'inaptitude de la salariée.

Faute de procès-verbal de carence couvrant la période postérieure à la constatation de l'inaptitude, l'employeur ne pouvait s'affranchir de l'obligation de consultation des délégués du personne.

Par conséquent, à défaut d'avoir respecté la disposition légale considérée, le licenciement intervenu dans ces conditions est sans cause réelle et sérieuse et sans qu'il y ait de se prononcer sur le non-respect de l'obligation de reclassement, la cour infirme le jugement entrepris.

La salariée sollicitant la seule application des dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail, il convient de lui allouer la somme 15 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

En revanche, elle n'est pas fondée à solliciter une indemnité sur le fondement de l'article L. 1226-2-1 du même code, lequel est inapplicable à l'inaptitude d'origine professionnelle et d'autant, qu'il est constant que l'indemnité pour cause réelle et sérieuse est exclusive de celle pour violation de l'obligation de notification de l'impossibilité de reclassement.

De plus, l'article L. 1235-2 alinéa 5 du code du travail dispose que lorsqu'une irrégularité a été commise au cours de la procédure, notamment si le licenciement d'un salarié intervient sans que la procédure requise aux articles L. 1232-2, L. 1232-3, L. 1232-4, L. 1232-11, L. 1232-12 et L. 1232-13 ait été observée ou sans que la procédure conventionnelle ou statutaire de consultation préalable au licenciement ait été respectée, mais pour une cause réelle et sérieuse, le juge accorde au salarié, à la charge de l'employeur, une indemnité qui ne peut être supérieure à un mois de salaire.

Par conséquent, l'autre irrégularité soutenue par la salariée sur le fondement des dispositions de l'article L. 1232-4 du même code ne pourrait être sanctionnée que si le licenciement est fondé sur une cause réelle et sérieuse, dans le cas contraire, les indemnités ne peuvent se cumuler.

La décision déférée est confirmée en ce qu'elle a rejeté ces deux dernières prétentions.

Enfin, il appartiendra à la société Andelle de remettre à la salariée un certificat de travail et une attestation Pôle emploi conformes au présent arrêt, sans qu'il y ait lieu d'assortir cette remise d'une astreinte.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

En qualité de partie succombante, la société est condamnée aux dépens de première instance et d'appel.

Pour le même motif, elle est condamnée à payer à la salariée la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour ses frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Statuant par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

Infirme le jugement du conseil de prud'hommes de Rouen du 14 décembre 2020, sauf en ce qu'il a rejeté les prétentions formées au titre des irrégularités de procédure de reclassement et de convocation à l'entretien préalable,

Statuant à nouveau dans cette limite et y ajoutant,

Dit que l'inaptitude médicalement constatée a une origine professionnelle ;

Dit que le licenciement de Mme [M] [Y] est dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

Condamne la société Andelle à payer à Mme [M] [Y] les sommes suivantes :

51,87 euros à titre de rappel de salaire et celle de 98,60 euros à titre de rappel de congés payés,

2 697,24 euros à titre d'indemnité équivalente à l'indemnité compensatrice de préavis,

4 035,07 euros de solde d'indemnité spéciale de licenciement :

15 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code procédure civile ;

Rappelle que les sommes à caractère salarial produiront intérêt au taux légal à compter de la convocation de l'employeur devant le bureau de conciliation et les sommes à caractère indemnitaire à compter du présent arrêt ;

Ordonne à la société Andelle de remettre à la salariée un certificat de travail et une attestation Pôle emploi conformes au présent arrêt ;

Dit qu'il n'y a pas lieu d'assortir cette remise d'une astreinte ;

Déboute les parties du surplus de leurs demandes ;

Condamne la société Andelle aux dépens de première instance et d'appel.

La greffière La présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rouen
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 21/00053
Date de la décision : 09/03/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-03-09;21.00053 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award