La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

09/03/2023 | FRANCE | N°20/04074

France | France, Cour d'appel de Rouen, Chambre sociale, 09 mars 2023, 20/04074


N° RG 20/04074 - N° Portalis DBV2-V-B7E-IUBL





COUR D'APPEL DE ROUEN



CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE



ARRET DU 09 MARS 2023











DÉCISION DÉFÉRÉE :





Jugement du CONSEIL DE PRUD'HOMMES DE BERNAY du 27 Novembre 2020





APPELANTE :





Madame [T] [V] épouse [Z]

[Adresse 3]

[Localité 2]



représentée par Me David ALVES DA COSTA de la SELARL DAVID ALVES DA COSTA AVOCAT, avocat au barre

au de ROUEN











INTIMEE :





SELARL VETERINAIRE [6] venant aux droits de la CLINIQUE VETERINAIRE [5]

[Adresse 4]

[Localité 1]



représentée par Me Élise VATINEL de la SELARL DBF ET ASSOCIÉS, avocat au barrea...

N° RG 20/04074 - N° Portalis DBV2-V-B7E-IUBL

COUR D'APPEL DE ROUEN

CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE

ARRET DU 09 MARS 2023

DÉCISION DÉFÉRÉE :

Jugement du CONSEIL DE PRUD'HOMMES DE BERNAY du 27 Novembre 2020

APPELANTE :

Madame [T] [V] épouse [Z]

[Adresse 3]

[Localité 2]

représentée par Me David ALVES DA COSTA de la SELARL DAVID ALVES DA COSTA AVOCAT, avocat au barreau de ROUEN

INTIMEE :

SELARL VETERINAIRE [6] venant aux droits de la CLINIQUE VETERINAIRE [5]

[Adresse 4]

[Localité 1]

représentée par Me Élise VATINEL de la SELARL DBF ET ASSOCIÉS, avocat au barreau de ROUEN

COMPOSITION DE LA COUR  :

En application des dispositions de l'article 805 du Code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 25 Janvier 2023 sans opposition des parties devant Madame BACHELET, Conseillère, magistrat chargé du rapport.

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente

Madame BACHELET, Conseillère

Madame BERGERE, Conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Mme DUBUC, Greffière

DEBATS :

A l'audience publique du 25 Janvier 2023, où l'affaire a été mise en délibéré au 09 Mars 2023

ARRET :

CONTRADICTOIRE

Prononcé le 09 Mars 2023, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

signé par Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente et par Mme DUBUC, Greffière.

EXPOSÉ DU LITIGE

Mme [T] [V] a été engagée par la Clinique vétérinaire [5] en qualité d'assistante vétérinaire par contrat de travail à durée déterminée le 3 janvier 2014, puis par contrat de travail à durée indéterminée à compter du 11 juin 2015.

Les relations contractuelles des parties étaient soumises à la convention collective du personnel salarié des cabinets et cliniques vétérinaires.

Par requête du 12 décembre 2019, Mme [V] a saisi le conseil de prud'hommes de Bernay en résiliation judiciaire de son contrat de travail, ainsi qu'en paiement de rappels de salaire et indemnités.

Par jugement du 27 novembre 2020, le conseil de prud'hommes, avec le bénéfice de l'exécution provisoire, a :

- dit que les demandes de Mme [V] étaient recevables et bien fondées,

- débouté Mme [V] de ses demandes au titre des heures supplémentaires, des repos compensateurs et des congés payés afférents, ainsi que de sa demande d'indemnité pour travail dissimulé,

- fixé la moyenne du salaire mensuel brut à 1757,54 euros,

- condamné la Clinique vétérinaire [5] à verser Mme [V] la somme de 1 euro à titre de dommages et intérêts en raison du harcèlement moral subi,

- débouté Mme [V] de sa demande de résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts et griefs de l'employeur et dit que le contrat de travail devait se poursuivre,

- débouté Mme [V] de ses demandes d'indemnité spécifique de licenciement, indemnité de préavis, congés payés afférents et dommages et intérêts pour rupture nulle,

- ordonné à la Clinique vétérinaire [5] de remettre à Mme [V] les bulletins de salaire des mois d'avril et mai 2019 sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter de la décision et par document, un mois après la notification du jugement, le conseil se réservant la liquidation de l'astreinte,

- débouté la Clinique vétérinaire [5] de sa demande formulée en application de l'article 700 du code de procédure civile et l'a condamnée à payer à Mme [V] la somme de 1 500 euros sur ce même fondement, ainsi qu'aux dépens et dit qu'en cas de recours à un huissier de justice pour l'exécution du jugement, les frais seraient de la charge de la Clinique vétérinaire [5].

Mme [V] a interjeté appel de cette décision le 14 décembre 2020.

Elle a été licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement le 26 avril 2022.

Par conclusions remises le 3 janvier 2023, auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé de ses moyens, Mme [V] demande à la cour d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions sauf celles relatives à l'article 700 du code de procédure civile, aux dépens et à la remise des documents sous astreinte et, statuant à nouveau, de :

- prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts et griefs de l'employeur et dire que la rupture du contrat ainsi intervenue est nulle, et en tout état de cause, sans cause réelle et sérieuse,

- dire que le licenciement pour inaptitude est nul et, en tout état de cause, sans cause réelle et sérieuse,

- fixer la moyenne des salaires à la somme de 1 939,98 euros,

- en conséquence, condamner la Clinique [6], venant aux droits de la Clinique vétérinaire [5], au paiement des sommes suivantes :

heures supplémentaires non payées de décembre 2016 au mois de juillet 2018 : 5 029,14 euros

congés payés afférents : 502,91 euros

indemnité au titre du repos compensateur afférent : 110,45 euros

congés payés sur repos compensateur : 11 euros

indemnité forfaitaire de travail dissimulé : 11 639,88 euros

dommages et intérêts en raison du harcèlement moral : 10 000 euros

indemnité de préavis : 3 879,96 euros

congés payés afférents : 388 euros

reliquat d'indemnité de licenciement : 1 465,87 euros

dommages intérêts pour rupture nulle et, en tout cas sans cause réelle et sérieuse : 20 000 euros

indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile : 2 500 euros

- dire que les sommes à caractère de salaire porteront intérêts de retard à compter de la date de saisine du conseil et les autres sommes à compter de l'arrêt,

- ordonner la production sous astreinte de 50 euros par jour de retard de l'attestation Pôle emploi, du certificat de travail et du solde de tout compte correspondant et dire que la cour se réservera la liquidation de l'astreinte,

- rejeter la demande reconventionnelle formulée par la Clinique [6], venant aux droits de la Clinique vétérinaire [5], au titre des frais irrépétibles, la condamner aux dépens et dire que s'il est recouru à un huissier de justice pour l'exécution de ladite décision, ses frais seront à la charge la société succombante.

Par conclusions remises le 23 décembre 2022, auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé de ses moyens, la Clinique vétérinaire [6], venant aux droits de la Clinique vétérinaire [5], demande à la cour de :

- fixer le salaire moyen à 1 757,54 euros et l'ancienneté à 5,5 ans,

- débouter Mme [T] [V] de ses demandes,

- confirmer la décision en ce qu'elle a débouté Mme [V] de ses demandes au titre des heures supplémentaires, des congés payés afférents et du repos compensateur afférent, ainsi que de sa demande au titre du travail dissimulé,

- infirmer la décision portant sur le harcèlement et, statuant à nouveau, débouter Mme [V] de ses demandes an titre du harcèlement moral, tant sur le principe que sur le montant des dommages et intérêts sollicités, à titre subsidiaire, sur ce chef de demande, confirmer la décision en ce qu'elle l'a condamnée à un euro de dommages et intérêts au titre du harcèlement moral,

- confirmer la décision en ce qu'elle a débouté Mme [V] de sa demande au titre de la résiliation judiciaire de son contrat de travail et, en conséquence, de toutes ses demandes indemnitaires au titre de la rupture abusive du contrat, à savoir, indemnité de licenciement, indemnité de préavis, dommages et intérêts,

- à titre subsidiaire sur le licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse, débouter Mme [V] de toutes ses demandes relatives à la rupture abusive du contrat, à savoir, indemnité de licenciement, indemnité de préavis, dommages et intérêts,

- en conséquence, débouter Mme [V] de sa demande de reliquat d'indemnité de licenciement, et si la cour entrait en voie de condamnation, limiter les dommages et intérêts à 5 272,62 euros en application du barème de l'article 1235-3 du code du travail,

- infirmer la décision en ce qu'elle l'a condamnée au paiement de la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et condamner Mme [V] au paiement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture de la procédure a été rendue le 19 janvier 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION

A titre liminaire, il convient de relever qu'aucune des parties ne sollicite l'infirmation du jugement en ce qu'il a ordonné à l'employeur de remettre les bulletins de salaire des mois d'avril et mai 2019 sous astreinte.

1. Sur la demande au titre des heures supplémentaires, des repos compensateurs et du travail dissimulé

Mme [V] explique qu'elle travaillait quatre jours par semaine dix heures par jour, ce qui représentait 40 heures par semaine, sachant qu'elle faisait parfois 50 heures par semaine mais que, pour autant, elle ne sollicite des heures supplémentaires qu'à hauteur de 40 heures par semaine, sachant qu'il n'existait aucun accord d'entreprise permettant la récupération des heures ainsi effectuées.

En réponse, la Clinique vétérinaire [6] relève que, contrairement à ce qu'affirme Mme [V], l'article L. 3121-33 du code du travail permet la récupération d'heures supplémentaires dès lors que celle-ci est prévue par une convention ou un accord de branche, ce qui est le cas de la convention collective nationale du personnel salarié vétérinaire. Or, elle note que toutes les heures supplémentaires effectuées par Mme [V] ont été récupérées avec l'application de la majoration liée aux heures supplémentaires, ce que confirment tous les salariés de la clinique, sans qu'il ne puisse être apporté force probante aux attestations produites par Mme [V], lesquelles émanent de personnes qui ne se trouvaient pas en permanence au sein de la clinique.

Aux termes de l'article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.

Il résulte des articles L. 3171-2 à L. 3171-4 du code du travail, qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.

En l'espèce, en précisant qu'elle travaillait de 8h30 à 12h30 et de 14h à 20h, sur quatre jours, ce qui représentait 40 heures par semaine, et en produisant l'attestation de deux anciennes salariées qui indiquent qu'il leur arrivait régulièrement de faire des heures supplémentaires, Mme [V] présente des éléments suffisamment précis permettant utilement à la Clinique vétérinaire [6] d'y répondre utilement.

A cet égard, elle invoque l'article L. 3121-33 du code du travail qui dispose qu'une convention ou un accord collectif d'entreprise ou d'établissement ou, à défaut, une convention ou un accord de branche peut prévoir qu'une contrepartie sous forme de repos est accordée au titre des heures supplémentaires accomplies dans la limite du contingent, de même que peut être prévu le remplacement de tout ou partie du paiement des heures supplémentaires, ainsi que des majorations, par un repos compensateur équivalent.

Aussi, et alors que l'article 20 de la convention collective applicable prévoit qu'au lieu du paiement prévu à l'article qui précède et par accord entre l'employeur et les intéressés, les heures supplémentaires en sus de l'horaire habituel pourront être compensées par un repos spécial dit compensateur à prendre dans le délai de 2 mois et que pour calculer la durée de ce repos, il est tenu compte d'une majoration de temps identique à celle prévue pour la rémunération des heures supplémentaires (exemple : 1 heure supplémentaire effectuée correspondant à 1 h 15 de repos compensateur), c'est à juste titre que la Clinique vétérinaire [6] fait valoir la récupération des heures qu'elle avait mise en place au profit de ses salariés effectuant des heures supplémentaires, laquelle résulte des différentes auditions et attestations des salariés.

Ainsi, outre que devant les services de gendarmerie, Mme [V] a expliqué faire des semaines de 38 heures et non de 40 heures comme elle le soutient devant la cour, Mme [P], également entendue dans ce cadre a indiqué qu'en cas d'heures supplémentaires réalisées, celles-ci étaient notées et rattrapées en repos, ce dont elle a également attesté dans le cadre de la présente procédure, tout comme neuf autres salariées, en précisant que ce repos était pris conformément à la convention collective.

Ainsi, au regard des éléments apportés par les parties, la cour a la conviction que Mme [V] n'a réalisé aucune heure supplémentaire non récupérée avec majoration et il convient en conséquence de la débouter de sa demande de rappel d'heures supplémentaires, et en conséquence de sa demande au titre des repos compensateurs, l'article 20 de la convention collective précisant que les heures supplémentaires récupérées ne sont pas comptabilisées au titre du contingent annuel d'heures supplémentaires.

Il résulte également de ces constats qu'il ne peut être reproché aucun travail dissimulé à la société Clinique vétérinaire [5] et il convient de débouter Mme [V] de sa demande d'indemnité pour travail dissimulé.

2. Sur la demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral

Mme [V] explique que le 7 août 2018, ayant osé mettre en doute le diagnostic posé par le Dr [L] sur un de ses chiots, celui-ci s'est emporté et lui a dit de 'dégager', que suite à cet événement, il lui a remis un courrier aux fins de lui reprocher des propos injurieux qui consistaient en réalité en la simple remise en cause de ses diagnostics, qu'elle a alors dû être placée en arrêt de travail du 10 au 19 août, qu'à son retour après ses congés, le 7 septembre, elle a vu qu'elle avait été retirée de la page facebook de la clinique et était convoquée pour envisager avec elle, soit une rupture amiable, soit son licenciement pour faute grave, qu'ayant fait un compte-rendu de cet entretien, celui-ci a été affiché à la vue de tous, qu'elle a ainsi été replacée en arrêt de travail dès le 8 septembre et, qu'à son retour le 8 octobre, la situation s'est encore aggravée puisqu'elle a été de nouveau convoquée, prévue sur un planning de cinq jours et non plus de quatre jours, puis reléguée au ménage de la clinique, sans aucun droit de s'occuper des animaux, ce qui a conduit à un nouvel arrêt à compter du 15 octobre, sans qu'elle ne revienne jamais avant son licenciement en avril 2022.

En réponse, la Clinique vétérinaire [6] relève que Mme [V], alors que M. [L] n'avait commis aucune erreur de diagnostic, s'est emportée le 7 août 2018 de manière démesurée, allant jusqu'à jeter un mug par terre, qu'elle a en outre décidé de mener une vengeance à son égard en contactant des clients pour leur faire part de son incompétence, qu'à cette même époque, une alerte a été donnée par une cliente quant à un accès de violence sur son chien, ce qui a conduit, le temps d'élucider cette question, à ne la mettre en contact ni avec les animaux, ni avec les clients, étant par ailleurs précisé que sa photo affichée sur un mur à l'accueil, avec celle des autres membres de la clinique n'a été retirée qu'en raison d'un cadre cassé, de même que son profil n'a été suspendu sur facebook que pour lui éviter d'être dérangée pendant son arrêt-maladie.

Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

L'article L. 1154-1 du même code prévoit qu'en cas de litige, le salarié concerné présente des éléments de faits laissant supposer l'existence d'un harcèlement et il incombe à l'employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

A titre liminaire, il convient de rappeler qu'il importe peu que la plainte déposée par Mme [V] ait été classée sans suite, cette décision ne liant nullement la cour, d'autant qu'en l'espèce ce classement est motivé par l'existence d'autres poursuites ou sanctions de nature non pénales.

A l'appui de sa demande, Mme [V] produit la plainte qu'elle a déposée le 14 octobre 2018 aux termes de laquelle, après avoir relaté l'origine du différend, à savoir un diagnostic de teigne réfuté par M. [L] sur un de ses animaux ayant eu pour conséquence une propagation de la maladie à l'ensemble des chiens de son élevage, elle explicite les faits de harcèlement dont elle serait l'objet depuis, lesquels correspondent à ceux décrits dans ses conclusions.

Surtout, elle verse aux débats les auditions qui ont été réalisées dans ce cadre par les services de gendarmerie, et notamment celles de Mmes [U] et [P], auxquelles la cour accorde une force probante toute particulière compte tenu de leur positionnement qui démontre une neutralité certaine, toutes deux faisant part de ce qu'elles appréciaient tant Mme [V], forte de caractère, que M. [L], plus réservé et d'une très grande gentillesse, faisant toujours en sorte de faire régner une bonne ambiance et une cohésion au sein de l'équipe.

Ainsi, Mme [U], vétérinaire salariée, explique que, quelques temps auparavant, Mme [V] lui avait présenté un chat qui semblait présenter des signes de teigne, hypothèse que M. [L] n'avait pas retenue, que le jour de l'altercation, alors que Mme [V] avait amené un chiot présentant les mêmes signes à la clinique pour le montrer à M. [L], elle l'a entendue dire en pleurs à ce dernier 'qu'est ce que je vais faire avec mon élevage'', ce à quoi il a répliqué 'vous ne pensez qu'à l'argent', 'casse toi', 't'es virée', certains propos dits plusieurs fois de suite, qu'il est ensuite venu la voir en lui disant' Tu lui dis de se barrer', que le ton et la tension étaient tellement forts qu'elle n'a rien fait, ni dit, qu'ensuite M. [L] est parti et Mme [V] est restée travailler, que le soir, il a lu une lettre à Mme [V] lui signifiant qu'elle avait manqué de respect à sa hiérarchie, que Mme [V] lui a demandé si elle était virée, qu'il ne lui a pas répondu, qu'à son retour après ses vacances et un arrêt maladie, elle n'avait plus le droit de toucher aux animaux, qu'elle devait uniquement faire le ménage, précisant que si chacun fait le ménage le soir, jamais personne ne le fait seul toute la journée.

Quant à Mme [P], assistante vétérinaire depuis 33 ans dans la clinique, si elle indique n'avoir pas entendu les propos tenus le jour de l'altercation dans la mesure où elle était à l'accueil et qu'elle avait fermé la porte pour éviter que les clients n'entendent, elle explique que lorsque Mme [V] est revenue de son arrêt-maladie, elle a dû faire le ménage de la clinique, que c'était le grand nettoyage, qu'elle ne faisait que ça et que si en tant qu'assistante vétérinaire, le ménage doit être fait et qu'il arrive de bloquer une journée pour le faire à plusieurs, là, c'était toute la semaine et seule.

Elle confirme par ailleurs avoir assisté à un entretien, en tant que témoin comme cela le lui avait été demandé, lors duquel M. [L] et Mme [R], associés, ont évoqué avec Mme [V] un licenciement pour faute ou une rupture conventionnelle.

Enfin, toutes deux expliquent que, sans avoir reçu aucune consigne en ce sens, au regard du malaise qui régnait, elles n'arrivaient plus à parler vraiment à Mme [V] qui a pu légitimement avoir le sentiment d'être exclue, étant au surplus relevé qu'elles confirment que son profil facebook avait été retiré du site de la clinique, de même que le cadre accroché à l'accueil et contenant sa photo, l'une situant cet acte le soir ou le lendemain du conflit, et l'autre, sans certitude, après le premier entretien.

Au-delà de l'altercation, et s'il n'est pas justifié de l'affichage du compte-rendu de l'entretien du 8 septembre, ni du planning organisé sur cinq jours à compter d'octobre, le fait d'interdire à Mme [V] de toucher les animaux, alors qu'il s'agit de son coeur de métier, de ne l'affecter qu'au ménage et de retirer tant son profil facebook que sa photo au niveau de l'accueil, constituent des faits, bien qu'intervenus sur de très courtes périodes compte tenu des arrêts-maladie pour syndrome anxio-dépressif qui ont émaillé la relation de travail à compter du 7 août 2018, de nature à laisser supposer l'existence d'un harcèlement moral et il appartient à la Clinique vétérinaire [6] de justifier que ses décisions reposaient sur des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement moral.

Pour ce faire, la Clinique vétérinaire [6] produit le compte-rendu d'un expert diligenté par sa compagnie d'assurance, lequel, après un examen sur pièce, conclut à l'absence de faute dans le diagnostic posé sur les animaux de Mme [V], étant néanmoins relevé que cette expertise n'a pas été menée contradictoirement et ne repose que sur les éléments fournis par M. [L].

Elle produit par ailleurs l'attestation de Mme [O], collègue de Mme [V], laquelle indique que le 7 août, elle a tout de suite vu que Mme [V] était de très mauvaise humeur, qu'elle s'est adressée de manière très sèche et, à son sens, très irrespectueuse, à M. [L] en lui disant 'Y'a mon chien qui est là et vous allez poser un diagnostic là', que M. [L], alors qu'elle s'attendait à ce qu'il réagisse, a eu la gentillesse de l'ausculter, qu'ils sont allés dans une autre pièce, que Mme [V] est revenue en trombe en criant sur un ton très agressif 'de toutes façons, vous faites de la merde! Vous n'en avez rien à foutre! Vous faîtes de la merde', que M. [L] lui a demandé gentiment de se calmer et au besoin d'aller prendre l'air mais elle était hors d'elle et alors M. [L] lui a demandé de quitter la structure, qu'elle a jeté le mug qu'elle tenait au sol de toutes ses forces en disant 'de toutes façons, ça ne va pas se passer comme ça, je suis éleveuse, moi', qu'elle semblait dans une rage incontrôlable, précisant qu'elle était choquée et que cela l'aurait tout autant choquée si elle s'était adressée ainsi à une collègue sans lien hiérarchique.

Sans remettre en cause la force probante de cette attestation et en conséquence la véhémence de Mme [V] le 7 août 2018, cette attestation reste cependant manifestement taisante sur la réalité de la réaction finale de M. [L], telle qu'elle a pu être décrite par Mme [U], mais aussi, dans une moindre mesure, par M. [L] lui-même, celui-ci ayant reconnu devant les services de gendarmerie lui avoir dit 'Tu dégages, t'es virée'.

Aussi, outre que l'audition de Mme [U] permet de s'assurer que M. [L] a perdu ce jour-là son sang froid, en tout état de cause, et peu important par ailleurs la réalité ou la fausseté du grief émis par Mme [V] à l'encontre de M. [L] quant à ses préconisations suite aux symptômes présentés par ses animaux, la question du harcèlement moral se pose en réalité postérieurement à cette altercation suite à laquelle s'il a été organisé une réunion pour évoquer une rupture amiable ou un licenciement, il n'a en tout état de cause pas été choisi de recourir à cette solution, ce qui impliquait de reprendre une relation de travail normale avec Mme [V].

Aussi, il appartient à la société Clinique vétérinaire [5] de justifier que la mise à l'écart dont a été l'objet Mme [V] postérieurement à cette altercation reposait sur des décisions objectives étrangères à tout harcèlement moral.

Or, s'il résulte de l'audition de Mme [R], vétérinaire associée, que Mme [V] n'a pas été affectée spécialement au ménage mais a uniquement eu interdiction de toucher aux animaux à son retour en raison, non pas de l'altercation du mois d'août, mais en raison d'une plainte d'une cliente datant de début septembre 2018, faite auprès de M. [L], laquelle, selon ses souvenirs, avait écrit avoir vu Mme [V] malmener son chien en le maintenant vigoureusement, en le plaquant contre la table et en le secouant, ce que confirme M. [L], il est uniquement produit un courrier de cette personne daté du 14 septembre, sans aucune attestation ni carte d'identité, et surtout sans aucune datation des faits ainsi reprochés, sachant qu'il est en outre simplement évoqué un essuyage trop vif compte tenu des problèmes de peau du chien et le fait qu'elle tirait fortement sur la laisse.

Au-delà du caractère particulièrement opportun de ce courrier parvenu le 14 septembre alors que les salariés de la clinique se sont accordés pour dire que Mme [V] était une bonne professionnelle, il ne peut en tout état de cause lui être accordé aucune force probante à défaut de précision sur une datation des faits, serait-elle approximative.

En outre, et si Mme [R] explique qu'il avait simplement été fait interdiction à Mme [V] de toucher aux animaux mais qu'elle aurait pu ranger des commandes, trier le courrier, ou faire des relances informatiques, il doit néanmoins être noté que ses collègues ne l'ont vu faire que du ménage et que tant Mme [P] que Mme [U] ne font nullement état de cette histoire de maltraitance sur un animal accueilli.

Enfin, si M. [L] explique que la photo de Mme [V] a été retirée de l'accueil en raison d'un cadre cassé et d'un manque de place pour y mettre une autre salariée de la clinique, cette explication ne saurait être sérieusement retenue au regard de la concomitance de ce retrait avec l'altercation, de même qu'il ne peut être sérieusement retenu que son profil face book n'aurait été retiré du site que pour respecter son droit à la déconnexion durant son arrêt-maladie, d'autant qu'il n'a en tout état de cause pas été rétabli à son retour, quand bien même celui-ci a été de courte durée.

Au vu de ces éléments, il convient de retenir que Mme [V] a fait l'objet d'un harcèlement moral, lequel sera justement réparé par la condamnation de la Clinique vétérinaire [6] à lui payer la somme de 1 000 euros, au regard de la très courte période sur laquelle il s'est exercé mais, pour autant, de manière très caractérisée et déstabilisante.

3. Sur la demande de résiliation judiciaire

Mme [V] soutient que les faits évoqués au soutien de sa demande de harcèlement moral sont constitutifs d'agissements graves justifiant le prononcé de la résiliation judiciaire, peu important qu'elle ait été placé en arrêt de travail dès lors que celui-ci lui a simplement permis de ne plus être confrontée à ces pratiques.

En réponse, rappelant que des manquements, même avérés, s'ils sont anciens, ne peuvent justifier une résiliation judiciaire, la Clinique vétérinaire [6] fait valoir que Mme [V] n'a saisi le conseil de prud'hommes qu'en décembre 2019, qu'elle a bénéficié en 2020 et 2021 d'un congé maternité, puis d'un congé parental d'un an avant d'être à nouveau placée en arrêt maladie.

Lorsqu'un salarié demande la résiliation judiciaire de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, tout en continuant à travailler à son service, et que ce dernier le licencie ultérieurement pour d'autres faits survenus au cours de la poursuite du contrat, le juge doit d'abord rechercher si la demande de résiliation du contrat était justifiée et celle-ci prend effet, si le juge la prononce, au jour du licenciement. C'est seulement dans le cas contraire que le juge doit se prononcer sur le licenciement notifié par l'employeur.

La résiliation judiciaire du contrat de travail peut être prononcée si les manquements reprochés à l'employeur sont d'une gravité suffisante pour empêcher la poursuite du contrat de travail et la juridiction qui a caractérisé des manquements de l'employeur antérieur à l'introduction de l'instance, peut tenir compte de leur persistance jusqu'au jour du licenciement pour en apprécier la gravité.

Compte tenu des développements précédents, il convient de retenir qu'il s'agit de manquements suffisamment graves pour justifier la résiliation judiciaire du contrat de travail, et ce, peu important l'ancienneté des faits dès lors qu'ils n'ont cessé qu'à raison de l'arrêt de travail de Mme [V].

Aussi, et alors qu'elle a été licenciée pour inaptitude le 26 avril 2022, il convient de prononcer la résiliation judiciaire à cette date, laquelle, justifiée par des faits de harcèlement moral, doit produire les effets d'un licenciement nul.

Compte tenu du salaire de Mme [V], à savoir 1 757,54 euros, il convient de condamner la Clinique vétérinaire [6] à lui payer la somme de 3 515,08 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre 351,51 euros au titre des congés payés afférents.

Par ailleurs, comme justement relevé par la Clinique vétérinaire [6], Mme [V], engagée à compter du 3 janvier 2014, a été en arrêt-maladie d'origine non professionnelle à compter du 15 octobre 2018, ce qui n'a pas ouvert de droits à l'ancienneté, qu'elle a cependant acquis ces droits durant son congé maternité, soit 16 semaines, ainsi que durant son congé parental de douze mois, et ce, à hauteur de moitié conformément à l'article L. 1225-54 du code du travail.

Aussi, tenant compte de l'indemnité légale de licenciement, plus favorable que l'indemnité conventionnelle, de la moyenne de salaires la plus favorable, soit 1 757,54 euros et d'une ancienneté de 5,75 ans, préavis compris, elle aurait dû percevoir 2 526,46 euros et elle a déjà perçu 2 616,17 euros lors de son licenciement, aussi, convient-il de la débouter de cette demande de rappel d'indemnité de licenciement.

Enfin, pouvant prétendre à une indemnisation ne pouvant être inférieure aux six derniers mois de salaire compte tenu de la nullité de la rupture, il convient au regard de l'ancienneté et du salaire de Mme [V], qui ne justifie cependant pas de sa situation professionnelle postérieurement à son licenciement, de condamner la Clinique vétérinaire [6] à lui payer la somme de 11 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul.

Conformément à l'article L 1235-4 du code du travail, il convient d'ordonner à la Clinique vétérinaire [6] de rembourser à Pôle emploi les indemnités chômage versées à Mme [V] du jour de son licenciement au jour de la présente décision, dans la limite de six mois.

4. Sur les intérêts

Les sommes allouées à caractère salarial porteront intérêts au taux légal à compter de la convocation de l'employeur en conciliation et celles à caractère indemnitaire à compter du jugement de première instance pour les dispositions confirmées et du présent arrêt pour les dispositions infirmées.

5. Sur la remise de documents

Il convient d'ordonner à la Clinique vétérinaire [6] de remettre à Mme [V] un certificat de travail, une attestation Pôle emploi et un solde de tout compte dûment rectifiés, sans que les circonstances de la cause justifient de prononcer une astreinte.

6. Sur les dépens et frais irrépétibles

En qualité de partie succombante, il y a lieu de condamner la Clinique vétérinaire [6] aux entiers dépens, y compris ceux de première instance, de la débouter de sa demande formulée en application de l'article 700 du code de procédure civile et de la condamner à payer à Mme [V] la somme de 1 000 euros sur ce même fondement, en plus de la somme allouée en première instance.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Statuant contradictoirement et publiquement, par arrêt mis à disposition au greffe,

Confirme le jugement sauf sur le montant des dommages et intérêts accordés pour harcèlement moral et en ce qu'il a débouté Mme [T] [V] de sa demande de résiliation judiciaire du contrat de travail et de ses demandes d'indemnité compensatrice de préavis, congés payés afférents et dommages et intérêts pour licenciement nul ;

Prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail de Mme [T] [V] à la date du 26 avril 2022 ;

Dit que cette résiliation judiciaire produit les effets d'un licenciement nul ;

Condamne la SELARL Clinique vétérinaire [6] à payer à Mme [T] [V] les sommes suivantes :

dommages et intérêts pour harcèlement moral : 1 000,00 euros

dommages et intérêts pour licenciement nul : 11 000,00 euros

indemnité compensatrice de préavis : 3 515,08 euros

congés payés afférents : 351,51 euros

Dit que les sommes allouées à caractère salarial porteront intérêts au taux légal à compter de la convocation de l'employeur en conciliation et celles à caractère indemnitaire à compter du jugement de première instance pour les dispositions confirmées et du présent arrêt pour les dispositions infirmées ;

Ordonne à la SELARL Clinique vétérinaire [6] de remettre à Mme [T] [V] un certificat de travail, une attestation Pôle emploi et un solde de tout compte dûment rectifiés ;

Dit n'y avoir lieu à astreinte ;

Ordonne à la SELARL Clinique vétérinaire [6] de rembourser à Pôle emploi les indemnités chômage versées à Mme [T] [V] du jour de son licenciement au jour de la présente décision, dans la limite de six mois ;

Condamne la SELARL Clinique vétérinaire [6] aux entiers dépens ;

Condamne la SELARL Clinique vétérinaire [6] à payer à Mme [T] [V] la somme de 1 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Déboute la SELARL Clinique vétérinaire [6] de sa demande formulée en application de l'article 700 du code de procédure civile.

La greffière La présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rouen
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 20/04074
Date de la décision : 09/03/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-03-09;20.04074 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award