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09/03/2023 | FRANCE | N°20/03903

France | France, Cour d'appel de Rouen, Chambre sociale, 09 mars 2023, 20/03903


N° RG 20/03903 - N° Portalis DBV2-V-B7E-ITWF





COUR D'APPEL DE ROUEN



CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE



ARRET DU 09 MARS 2023











DÉCISION DÉFÉRÉE :





Jugement du CONSEIL DE PRUD'HOMMES DE ROUEN du 02 Novembre 2020





APPELANT :





Monsieur [Y] [J]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

[Adresse 1]



présent



représenté par Me Hélène QUESNEL de la SELARL MOLINERO QUESNEL STR

ATEGIES, avocat au barreau de ROUEN









INTIMEE :





S.A.S. BUTAGAZ

[Adresse 2]

[Adresse 2]



représentée par Me Vincent MOSQUET de la SELARL LEXAVOUE NORMANDIE, avocat au barreau de ROUEN substituée par Me Alain LERICHE, avocat...

N° RG 20/03903 - N° Portalis DBV2-V-B7E-ITWF

COUR D'APPEL DE ROUEN

CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE

ARRET DU 09 MARS 2023

DÉCISION DÉFÉRÉE :

Jugement du CONSEIL DE PRUD'HOMMES DE ROUEN du 02 Novembre 2020

APPELANT :

Monsieur [Y] [J]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

présent

représenté par Me Hélène QUESNEL de la SELARL MOLINERO QUESNEL STRATEGIES, avocat au barreau de ROUEN

INTIMEE :

S.A.S. BUTAGAZ

[Adresse 2]

[Adresse 2]

représentée par Me Vincent MOSQUET de la SELARL LEXAVOUE NORMANDIE, avocat au barreau de ROUEN substituée par Me Alain LERICHE, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR  :

En application des dispositions de l'article 805 du Code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 25 Janvier 2023 sans opposition des parties devant Madame BACHELET, Conseillère, magistrat chargé du rapport.

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente

Madame BACHELET, Conseillère

Madame BERGERE, Conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Mme DUBUC, Greffière

DEBATS :

A l'audience publique du 25 Janvier 2023, où l'affaire a été mise en délibéré au 09 Mars 2023

ARRET :

CONTRADICTOIRE

Prononcé le 09 Mars 2023, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

signé par Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente et par Mme DUBUC, Greffière.

EXPOSÉ DU LITIGE

M. [Y] [J] a été engagé par la société Butagaz en qualité d'ouvrier d'exploitation GPL par contrat de travail à durée indéterminée à compter du 1er janvier 2006.

Les relations contractuelles des parties étaient soumises à la convention collective nationale de l'industrie du pétrole.

Il a été licencié pour faute le 12 juillet 2016 par courrier rédigé dans les termes suivants :

'(...) Par conséquent, nous vous informons que nous avons décidé de vous licencier pour faute pour les motifs suivants :

- Vous avez tenu des propos irrévérencieux et impolis à l'égard de votre hiérarchie et de l'assistante médicale du médecin du travail en violation de l'article 21 du règlement intérieur du site de [Localité 3] qui indique qu'il est interdit de 'tenir des propos, irrévérencieux ou des comportements discriminants, impolis ou incivils'.

- Vous avez critiqué et dénigré avec véhémence et de façon répétée votre hiérarchie, en violation à l'article 21 du règlement intérieur du site de [Localité 3] qui indique qu'il est interdit de 'tenir des propos, irrévérencieux ou des comportements discriminants, impolis ou incivils'.

Ci-dessous, vous trouverez un rappel des faits qui ont motivé notre décision :

1. Comportement impoli et agressif à l'égard de l'assistante médicale du médecin du travail à l'occasion de la visite médicale du 29 février 2016

Le 27 avril 2016, le médecin du travail nous a informé que lors de votre rendez-vous programmé le 29 février 2016 pour le rencontrer, vous avez tenu de façon agressive des propos impolis à l'égard de l'assistante médicale du médecin du travail au motif que ce dernier était en retard pour votre rendez-vous.

Lors de notre entretien, vous avez justifié ce comportement par le fait que vous aviez un autre rendez-vous et qu'un taxi vous attendait.

Un tel comportement ne peut être admis, il est contraire à l'article 21 du règlement intérieur du site de [Localité 3] qui indique qu'il est interdit de tenir des propos, irrévérencieux ou des comportements discriminants, impolis ou incivils.

2. Reproches réitérés, critiques fréquentes et dénigrements vis à vis de votre hiérarchie et de vos collègues

A plusieurs reprises vous avez dénigré avec véhémence vos supérieurs hiérarchiques et critiqué vos collègues.

Ainsi, lors d'un entretien qui a eu lieu le 1er juin 2016 avec votre responsable hiérarchique,

M. [B] [N], vous l'avez expressément traité de menteur. Vous avez également remis en question ses compétences de manager en lui indiquant son inaptitude à gérer le personnel et avez également remis fortement en question les compétences de vos collègues employés comme remplaçants dans les postes de chargement au vrac.

Ces propos ont été tenus avec beaucoup d'agressivité à tel point que M. [B] [N] s'est dit incapable de vous faire retrouver votre calme pour poursuivre un dialogue constructif avec vous.

Suite à cet incident, le 9 juin 2016, vous vous êtes rendu sur votre lieu de travail alors même que vous étiez en arrêt maladie. Malgré l'insistance du directeur technique adjoint, M. [P] [G], qui s'étonnait de votre présence, vous avez tenu à rester pour assister à une réunion d'information portant sur la sécurité et son respect sur le lieu de travail.

Devant l'ensemble de vos collègues réunis, vous avez affirmé avec force, à plusieurs reprises, que l'encadrement de [Localité 3] n'avait pas un bon comportement en matière de sécurité, qu'il n'était pas exemplaire, et avez accusé ouvertement votre supérieur hiérarchique, M. [B] [N], d'avoir été négligent sur la gestion d'un accident il y a quelques années et sur la gestion des points de rassemblement.

M. [P] [G] vous a demandé de ne pas mobiliser la parole car la réunion devait permettre un échange collectif. Vous lui avez alors tenu tête en l'accusant d'avoir un comportement empreint de partialité à l'égard de l'encadrement du site sur cette question.

Vos collègues de travail sont alors intervenus pour vous demander de ne pas perturber la réunion.

L'ensemble de ces comportements sont contraires à l'article 21 du règlement intérieur du site de [Localité 3] qui indique qu'il est interdit de tenir des propos, irrévérencieux ou des comportements discriminants, impolis ou incivils.

Pour rappel, vous avez déjà été sanctionné en juillet 2011 par un avertissement pour abandon de poste et en juillet 2012 par une mise à pied notamment pour dégradation du matériel de l'entreprise : poubelle cassée, boisson jetée et déplacement d'une rangée de placards dans le vestiaire et départ de votre poste avant la fin de vos horaires de travail.

Compte tenu de l'ensemble des ces éléments, nous vous informons par les présentes que nous sommes contraints de procéder à votre licenciement pour cause réelle et sérieuse aux motifs suivants :

Critiques réitérées et dénigrements vis à vis de vos supérieurs hiérarchiques et de vos collègues, perturbant le bon fonctionnement dans l'entreprise et rendant ainsi impossible votre maintien dans l'entreprise. (...)'.

Par requête du 26 août 2019, M. [J] a saisi le conseil de prud'hommes de Rouen en contestation du licenciement, ainsi qu'en paiement de rappels de salaire et indemnités.

Par jugement du 2 novembre 2020, le conseil de prud'hommes a dit que le contrat de travail avait été exécuté loyalement par la société Butagaz et que le licenciement de M. [J] avait bien une cause réelle et sérieuse, a débouté M. [J] de l'ensemble de ses demandes et la société Butagaz du surplus de ses demandes et laissé les dépens de l'instance à la charge de M. [J].

M. [J] a interjeté appel de cette décision le 1er décembre 2020.

Par conclusions remises le 29 décembre 2022, auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé de ses moyens, M. [J] demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris et, statuant à nouveau, de :

- dire que la société Butagaz a manqué à son obligation d'exécution de bonne foi du contrat de travail et la condamner à lui verser la somme de 5 000 euros nets à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi,

- dire que le licenciement est nul, et à titre subsidiaire, sans cause réelle et sérieuse, et condamner en conséquence la société Butagaz à lui verser la somme de 45 000 euros nets à titre de dommages et intérêts,

- en tout état de cause, condamner la société Butagaz à lui verser la somme de 2 500 euros au titre des frais irrépétibles exposés tant en première instance qu'en appel, ainsi qu'aux dépens, en ce compris les honoraires et frais d'exécution de l'arrêt.

Par conclusions remises le 8 juin 2021, auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé de ses moyens, la société Butagaz demande à la cour de confirmer le jugement, en conséquence, de débouter M. [J] de ses demandes, et subsidiairement, si la cour considérait que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse, dire que l'indemnité ne pourrait être supérieure à la somme de 18 371,76 euros, en tout état de cause, condamner M. [J] au paiement d'une indemnité de 2 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.

L'ordonnance de clôture de la procédure a été rendue le 5 janvier 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la demande de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail

M. [J] explique avoir bénéficié au début de la relation contractuelle de tâches polyvalentes, mais, qu'ayant eu un accident du travail en 2007 lui occasionnant des lésions au dos, il a commencé à subir à son retour dans l'entreprise des réflexions et brimades, avec mise à l'écart, qu'ainsi, ses tâches ont été limitées sans que les restrictions émises par le médecin du travail ne le justifient, que des formations lui ont été refusées, notamment celle de pompiste qu'il avait pourtant réclamée lors d'un entretien d'évaluation. Il explique par ailleurs, alors qu'il souffrait d'obésité, ne pas avoir obtenu de vêtements de travail à sa taille, le contraignant ainsi à travailler avec ses propres vêtements qu'il était régulièrement obligé de changer. Enfin, il relève que durant ses arrêts de travail, liés à un état dépressif connu de la société Butagaz, cette dernière transmettait avec retard les attestations de salaires.

En réponse, la société Butagaz conteste toute mise à l'écart ou toutes brimades à l'égard de M. [J], mettant en avant qu'elle lui a transmis les attestations de salaires dans les délais habituels, que la diminution de sa polyvalence n'est liée qu'aux restrictions médicales qu'elle se devait de respecter et qu'il n'a jamais sollicité la formation pompiste via le formulaire prévu à cet effet au sein de la société quand bien même il l'avait évoquée au cours d'entretiens d'évaluation. Par ailleurs, s'agissant des tenues de travail, elle explique que son fournisseur ne pouvait lui proposer de vêtements adaptés à la taille de M. [J], qu'elle a alors entrepris des recherches auprès d'une autre société, ce qui lui a permis de passer commande en 2014, sans que celle-ci ne soit cependant utile dans la mesure où, à cette date, M. [J] avait déjà subi une intervention chirurgicale dénommée 'sleeve' lui ayant fait perdre du poids. Elle conteste en tout état de cause que M. [J] ait porté ses propres vêtements dès lors que le port de vêtements conformes à la norme ATEX est obligatoire et qu'elle fournissait à cet effet un tee-shirt normal, un tee-shirt ATEX et une veste ATEX.

Selon l'article L. 1222-1 du code du travail, le contrat de travail est exécuté de bonne foi.

A titre liminaire, il convient de relever qu'il n'est pas justifié de la tardiveté de la remise des attestations de salaire dès lors que la société Butagaz produit une telle attestation datée du 13 août 2012 pour l'arrêt de travail de juillet 2012.

De même, s'il n'est pas contesté que M. [J] avait émis le souhait de suivre une formation pompiste lors d'entretiens annuels d'évaluation, il n'est cependant pas justifié de la moindre formalisation d'une telle demande, aussi, ne peut-il être reproché un quelconque refus à la société Butagaz.

Pour le surplus, à l'appui de sa demande, M. [J] produit une attestation de M. [M] qui indique que depuis son embauche, jusqu'à environ 2014, il n'a pas eu de bleu de travail à sa taille et a travaillé avec des vêtements lui appartenant notamment des tee-shirts déchirés et un jean, ce qui est corroboré par deux comptes-rendus du CHSCT de juin et septembre 2012 aux termes desquels il est évoqué un vêtement de travail inadapté à la taille d'une personne et la possibilité de faire du sur-mesure.

Or, si la société Butagaz remet en cause la réalité des faits énoncés dans cette attestation, il ressort de ses propres conclusions qu'elle n'a pu fournir de vêtements de travail adaptés à la taille de M. [J] antérieurement à 2014 dans la mesure où son fournisseur n'était pas en capacité de les lui procurer, sans que cette allégation ne soit cependant corroborée par aucune pièce, seule une commande de 2014 relative à des vêtements de travail grande taille étant produite aux débats, sachant qu'à cette date, M. [J] n'en avait plus l'utilité pour avoir perdu du poids suite à une opération.

En outre, et si elle soutient que l'attestation de M. [M] est un faux dans la mesure où le port de vêtement de norme ATEX est obligatoire et que les supérieurs hiérarchiques de M. [J] n'auraient pas accepté une telle situation, il n'est là encore produit aucune attestation tendant à corroborer ses dires.

Il convient en conséquence de retenir que la société Butagaz n'a pas fourni à M. [M] de tenues adaptées à sa morphologie antérieurement à 2014.

Par ailleurs, s'il est exact qu'à compter de 2010, M. [J] a fait l'objet d'avis d'aptitude systématiquement accompagnés de restrictions, impliquant inévitablement une limitation à sa polyvalence, il convient néanmoins d'examiner plus particulièrement la question de son aptitude à exercer un poste au vrac dès lors qu'il résulte des pièces du dossier que c'est cette affectation qu'il revendiquait plus particulièrement.

Or, outre qu'il résulte de l'avis de janvier 2012 qu'il était expressément mentionné une aptitude au poste du vrac, il ne peut qu'être relevé qu'aucun des autres avis médicaux ne font état d'une inaptitude à ce poste, sachant que les restrictions mentionnées ultérieurement restaient très similaires à celles de janvier 2012, à savoir 'pas de manutention lourde supérieure ou égale à 15 kgs et pas de torsion répétitive du dos' avec ajout de la nécessité de prévoir des rotations sur les différents postes compatibles avec des restrictions.

Dès lors, il appartient à la société Butagaz qui affirme que ce poste n'était pas compatible avec l'état de santé de M. [J] d'en justifier, ce qu'elle ne fait pas, aucune demande n'ayant été formulée auprès du médecin du travail pour que celui-ci se prononce précisément sur l'aptitude à cette fonction, le mail transmis à la médecine du travail le 19 juillet 2012 aux termes duquel il est indiqué 'Il aimerait pouvoir occuper d'autres postes que ceux actuellement permis mais nous savons bien qu'il faut respecter sa restriction d'aptitude car il a rapidement mal au dos s'il est trop sollicité' ne permet en aucune manière de considérer que le médecin du travail aurait été interrogé sur cette question compte tenu du flou entourant la formulation.

Enfin, l'avertissement dont M. [J] a été l'objet le 29 juillet 2011 en raison d'un comportement inadapté alors qu'il exerçait la fonction de pompiste et que lui avait été confié la responsabilité du chargement vrac gaz et le suivi du remplissage, permet de s'assurer, qu'au-delà de la faute commise, il avait les compétences lui permettant d'exercer cette activité, ce qui est encore confirmé par l'entretien annuel d'évaluation d'avril 2016 qui mentionne qu'il y a été affecté de 2007 à 2011.

Aussi, la société Butagaz ne peut se contenter d'expliquer qu'en tout état de cause cette activité a été l'objet d'une réduction d'effectif rendant ainsi indisponible tout poste de pompiste, ce, d'autant que la période visée date de 2015 et que les difficultés relatives à cette perte de polyvalence ont commencé très antérieurement.

Il convient en conséquence d'infirmer le jugement, de retenir que la société Butagaz a exécuté le contrat de travail de manière déloyale et de la condamner à payer à M. [J] la somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail, M. [J] justifiant être suivi pour un état dépressif, quand bien même celui-ci ne saurait être uniquement mis en lien avec les difficultés rencontrées sur son lieu de travail compte tenu des autres problèmes de santé qu'il rencontrait.

Sur la contestation du licenciement

M. [J] explique que les conditions déloyales dans lesquelles son contrat de travail s'est exécuté l'ont amené à se plaindre, ce qui lui a été majoritairement reproché lors de l'entretien préalable. Il indique ainsi ne pas fonder sa demande de nullité sur le harcèlement moral subi mais en raison de ce que ce licenciement est intervenu alors qu'il se plaignait de ses conditions de travail et que la société Butagaz, qui ne savait plus que faire de lui au regard de ses problèmes de santé sans que le médecin du travail ne le déclare inapte, lui a fait grief de dénoncer du harcèlement moral. En tout état de cause, il soutient que ce licenciement ne repose pas sur une cause réelle et sérieuse.

La société Butagaz rappelle que non seulement l'exécution déloyale du contrat de travail ne constitue pas en soi un harcèlement moral et qu'au surplus, en l'espèce, une telle qualification ne peut être retenue à défaut de toute exécution déloyale du contrat de travail. Elle indique par ailleurs que lors de l'entretien préalable à licenciement, au regard des faits reprochés, lesquels ne sont pas contestés, M. [J] a tenté de les justifier par un prétendu harcèlement moral, ce qui explique que cet entretien ait été orienté en ce sens, sans que cela ne lui ait jamais été reproché. Enfin, elle conteste ne plus avoir su que faire de M. [J], qui, seul, ne supportait plus les restrictions médicales.

Conformément aux dispositions de l'article L.1232-1 du code du travail, le licenciement pour motif personnel doit être justifié par une cause réelle et sérieuse, laquelle implique qu'elle soit objective, établie et exacte et suffisamment pertinente pour justifier la rupture du contrat de travail.

Il convient à titre liminaire de noter que, conformément à l'article L. 1332-5 du code du travail, les sanctions antérieures évoquées dans la lettre de licenciement ne peuvent être prises en compte pour être antérieures de plus de trois à l'engagement de la procédure de licenciement.

A l'appui du licenciement, la société Butagaz produit une attestation de M. [N], contremaître principal, qui explique les conditions de l'entretien du 1er juin 2016 et notamment, le fait que M. [J] est venu dans son bureau en fermant la porte pour exiger de travailler au vrac alors même que le médecin du travail avait indiqué qu'il ne pouvait y travailler, qu'il lui a reproché avec agressivité d'avoir vérifié le poids d'un bras de chargement et ce, sans l'en informer, qu'après qu'il lui ait dit que ses restrictions médicales ne permettait pas de l'affecter au vrac, il lui a alors dit qu'il était un menteur et qu'il n'était même pas capable de gérer le personnel du site, qu'il a ensuite dénigré les compétences du personnel employé dans les remplacements au vrac et menacé de saisir l'inspection du travail, que n'ayant rien à se reprocher, M. [N] indique l'avoir invité à le faire, puis avoir mis fin à l'entretien dans un certain climat de tension.

En ce qui concerne la réunion du 9 juin relative à une information sur le thème de la sécurité, laquelle réunissait l'ensemble de l'équipe, M. [N] explique que M. [J] s'y est présenté alors qu'il était en arrêt maladie et a alors accusé M. [G] de négligences en matière de sécurité, a affirmé que lui-même avait mal géré un accident et ne savait pas s'occuper des points de rassemblement, qu'il a ainsi lourdement perturbé le déroulement de la réunion accusant M. [G] de défendre l'encadrement et d'avoir une politique de sanctions différentes pour les cols bleus, que la tension était telle que ses collègues sont intervenus pour lui demander de se taire et de changer de comportement.

Le déroulement de cette réunion tel que décrit par M. [N] est confirmé par M. [G], directeur des sites industriels Butagaz, qui indique qu'alors que le but de cette réunion était d'échanger, M. [J] a pris la parole à maintes reprises, considérant qu'il était trop vite passé sur les sujets, qu'il a alors tenu des propos négatifs sur le comportement HSSE de l'encadrement de [Localité 3], qu'il l'a accusé de négligences en termes de sécurité, qu'il a également accusé M. [N] d'avoir mal géré un accident, qu'il a tenté de le calmer mais qu'il l'a alors accusé de défendre l'encadrement, que cette intervention commençait à générer des tensions, que les collègues lui ont demandé de se taire et qu'il s'est calmé.

Face à ces témoignages, M. [J] produit l'attestation de deux collègues présents lors de cette réunion qui indiquent pour l'un qu'il n'a pas été agressif ou impoli et pour l'autre qu'il levait la main pour intervenir, qu'il a simplement fait des remarques à M. [N] sur la gestion d'un accident et qu'il ne parlait pas particulièrement fort même s'il a un peu élevé la voix lorsque M. [G] lui a coupé la parole pour l'empêcher de parler.

Si ces différentes attestations permettent d'établir une certaine réactivité de M. [J], sans cependant le moindre comportement violent ou menaçant, serait-ce verbalement, cette attitude doit être mise en lien avec le contexte précédemment décrit qui a permis de mettre en lumière que sa situation n'avait pas été examinée par la société Butagaz avec la loyauté nécessaire, notamment s'agissant de sa possible affectation sur le vrac, ce qui ne peut que conduire à relativiser les propos tenus à l'égard de M. [N] qui lui affirmait qu'il ne pouvait y être affecté en raison des avis médicaux.

Aussi, la société Butagaz ayant concouru par son propre comportement à la fragilité ainsi exprimée par M. [J], il ne peut être considéré que les griefs qui lui sont ainsi faits pour les journées des 1er et 9 juin seraient fautifs.

Dès lors, le premier grief relatif à son attitude à l'occasion d'une visite auprès du médecin du travail ne peut être retenu dans la mesure où cet incident date du 29 février 2016, soit plus de deux mois avant l'engagement de la procédure sans que la société Butagaz ne justifie qu'elle n'en aurait eu connaissance que le 27 Avril 2016.

Bien au contraire, il résulte du courrier émanant de la directrice générale de l'AMSN, sollicitée par la société Butagaz le 8 septembre 2016, que M. [J] s'est rendu dans leurs locaux le 29 février 2016 pour une visite médicale et que, le médecin ayant un peu de retard, M. [J] s'est énervé dans la salle d'attente, parlant fort, qu'il a conservé son agressivité envers leur équipe médicale ce qui les a conduit à alerter la société Butagaz de ce comportement très discourtois et perturbateur par téléphone après cette visite.

Aussi, outre que ce courrier reste particulièrement imprécis sur la manifestation de cette agressivité, en tout état de cause, ce fait est prescrit pour avoir été porté à la connaissance de la société Butagaz plus de deux mois avant l'engagement des poursuites.

S'il résulte de ces développements que le licenciement ne repose sur aucune cause réelle et sérieuse, il ne ressort cependant pas du courrier de licenciement qu'il aurait été reproché à M. [J] d'avoir dénoncé des agissements de harcèlement moral, seule son attitude agressive étant mise en cause, sans que l'attestation de M. [O], conseiller salarié l'ayant assisté lors de l'entretien préalable, ne permette de modifier cette analyse à défaut de toute clarté quant à la teneur de cet entretien, M. [O] indiquant ainsi que 'pour les griefs retenus contre lui, le motif de harcèlement moral lui a été reproché', 'le principal sujet de l'entretien étant basé sur les accusations précédentes de harcèlement moral exercé sur M. [J]'.

Il convient en conséquence de confirmer le jugement en ce qu'il n'a pas retenu la nullité du licenciement mais de l'infirmer en ce qu'il a dit le licenciement fondé et de dire le licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Conformément à l'article L. 1235-3, dans sa version applicable au litige, compte tenu de l'ancienneté de M. [J], du montant de son salaire de l'ordre de 3 060 euros et des justificatifs qu'il produit quant à la perception de l'allocation de solidarité spécifique en 2019, il convient de condamner la société Butagaz à lui payer la somme de 25 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Conformément à l'article L 1235-4 du code du travail, il convient d'ordonner à la société Butagaz de rembourser à Pôle emploi les indemnités chômage versées à M. [J] du jour de son licenciement au jour de la présente décision, dans la limite de six mois.

Sur les dépens et frais irrépétibles

En qualité de partie succombante, il y a lieu de condamner la société Butagaz aux entiers dépens, y compris ceux de première instance, de la débouter de sa demande formulée en application de l'article 700 du code de procédure civile et de la condamner à payer à M. [J] la somme de 2 500 euros sur ce même fondement.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Statuant contradictoirement et publiquement, par arrêt mis à disposition au greffe,

Infirme le jugement sauf en ce qu'il a rejeté la demande de nullité de licenciement et débouté la SAS Butagaz de sa demande formulée en application de l'article 700 du code de procédure civile;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Dit que le licenciement ne repose pas sur une cause réelle et sérieuse ;

Condamne la SAS Butagaz à payer à M. [Y] [J] les sommes suivantes :

dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail : 3 000 euros

dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 25 000 euros

Ordonne à la SAS Butagaz de rembourser à Pôle emploi les indemnités chômage versées à M. [Y] [J] du jour de son licenciement au jour de la présente décision, dans la limite de six mois ;

Condamne la SAS Butagaz aux entiers dépens de première instance et d'appel ;

Condamne la SAS Butagaz à payer à M. [Y] [J] la somme de 2 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Déboute la SAS Butagaz de sa demande formulée en application de l'article 700 du code de procédure civile.

La greffière La présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rouen
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 20/03903
Date de la décision : 09/03/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-03-09;20.03903 ?
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