N° RG 23/00007 - N° Portalis DBV2-V-B7H-JIXD
COUR D'APPEL DE ROUEN
JURIDICTION DU PREMIER PRÉSIDENT
ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ
DU 8 MARS 2023
DÉCISION CONCERNÉE :
Décision rendue par le conseil de prud'hommes - formation paritaire de Rouen en date du 22 décembre 2022
DEMANDEURS :
Madame [M] [I]
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée par Me Virginie FAUCHERRE de la SELARL 3A AVOCATS d'AFFAIRES ASSOCIES, avocat au barreau de Rouen
Monsieur [V] [I]
[Adresse 1]
[Localité 4]
représenté par Me Virginie FAUCHERRE de la SELARL 3A AVOCATS D'AFFAIRES ASSOCIES, avocat au barreau de Rouen
DÉFENDEUR :
Monsieur [U] [G]
né le 20 octobre 2000 à [Localité 4]
[Adresse 2]
[Localité 3]
représenté par Me Orianne CAFFEAU, avocat au barreau de Rouen
DÉBATS :
En salle des référés, à l'audience publique du 8 février 2023, où l'affaire a été mise en délibéré au 8 mars 2023, devant Mme Edwige WITTRANT, présidente de chambre à la cour d'appel de Rouen, spécialement désignée par ordonnance de la première présidente de ladite cour pour la suppléer dans les fonctions qui lui sont attribuées,
Assistée de Mme Catherine CHEVALIER, greffier,
DÉCISION :
Contradictoire
Prononcée publiquement le 8 mars 2023, par mise à disposition de l'ordonnance au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
signée par Mme WITTRANT, présidente de chambre et par Mme CHEVALIER, greffier présent lors de la mise à disposition.
*****
M. [V] [I] et Mme [M] [I] ont recruté M. [U] [G] dans le cadre d'un contrat portant sur la garde de leurs deux enfants.
Par jugement contradictoire du 22 décembre 2022, le conseil des prud'hommes de Rouen a essentiellement :
- condamné solidairement M. et Mme [I] à payer à M. [G] les sommes suivantes :
. 427,36 euros bruts à titre de rappel de salaires sur la période du 21 septembre au 31 décembre 2020,
. 42,73 euros bruts à titre de congés payés sur rappel de salaires,
. 42,73 euros bruts à titre d'indemnité de précarité,
- constaté que la rupture du contrat à durée déterminée de M. [G] est intervenue d'un commun accord entre les parties,
- constaté que M. et Mme [I] se sont rendus coupables de travail dissimulé,
en conséquence,
- condamné solidairement M. et Mme [I] à verser à M. [G] une somme de 3 008,94 euros à titre d'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé,
- ordonné à M. et Mme [I] de remettre à M. [G] divers documents sous astreinte,
- condamné solidaiement M. et Mme [I] à payer à M. [G] la somme de
1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens,
et ce en ordonnant l'exécution provisoire du jugement.
Par déclaration reçue au greffe le 9 janvier 2023, M. et Mme [I] ont formé appel du jugement.
Par assignation en référé délivrée le 23 janvier 2023 puis conclusions notifiées le 7 février 2023, ils sollicitent, au visa des articles 517-1 et 514-3 du code de procédure civile, R. 1454-28 du code du travail, l'arrêt de l'exécution provisoire du jugement et la condamnation de M. [G] au paiement de la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Après avoir rappelé le montant des condamnations prononcées soit 5 021,76 euros, ils invoquent des moyens sérieux de réformation de la décision et des conséquences manifestement excessives de l'exécution provisoire en application de l'article 517-1 du code de procédure civile.
Ils font valoir qu'une erreur de leur comptable s'est produite sur la fiche de paie de septembre 2020 à hauteur de 5 euros bruts ; que pour le trimestre suivant, M. [G] a omis de faire état de ses absences et qu'en réalité, le rappel de salaire dû sur le mois d'octobre 2020 s'élève à la somme de 8,51 euros bruts, sur le mois de novembre 2020 à 14,06 euros, décembre 2020 à 11,01 euros bruts soit en définitive un total de
38,58 euros bruts, un montant très inférieur à celui qui a été retenu par la juridiction.
Ils contestent l'existence d'un travail dissimulé et expliquent les raisons pour lesquelles l'Urssaf n'a pas pu enregistré le contrat, l'incomplétude des informations portées dans le dossier et se prévalent de l'attestation de l'expert-comptable qui vient au soutien de l'argumentation sur le retard pris dans l'enregistrement de la déclaration d'embauche et non son absence.
Ils décrivent leur situation familiale et financière personnelle ainsi que les charges de l'entreprise qui doit supporter des dettes d'un montant de 82 281 euros, d'une trésorerie insuffisante pour assumer le paiement des condamnations prononcées. Ils rappellent que M. [G] est étudiant et ne présente pas de gages de solvabilité s'il lui était imposé de restituer les fonds perçus dans le cadre de l'infirmation de la décision.
Par conclusions notifiées le 31 janvier 2023 soutenues à l'audience du 8 février 2023, M. [U] [G] demande, au visa de l'article 517-1 du code de procédure civile, que M. et Mme [I] soient déboutés de leurs demandes, condamnés solidairement à lui payer la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et aux dépens.
Il décrit les difficultés pour obtenir la régularisation d'un contrat de travail moyennant un salaire net de 10 euros de l'heure à raison de 11 heures par semaine soit une rémunération mensuelle nette de 382,76 euros ou 483,81 euros bruts et pour la période du 21 septembre 2020 au 2 juillet 2021 et les aléas auxquels il a été soumis en raison d'un temps de travail réduit nonobstant les horaires initialement fixés pour tendre à 10 heures par semaine jusqu'à la rupture du contrat par lettre du 17 décembre 2020 par ses employeurs. Il souligne qu'en février 2021, sa situation n'était pas encore régularisée auprès de l'Urssaf alors qu'aucun bulletin de paie et aucun document de fin de contrat ne lui avaient été communiqués de sorte qu'il a dû solliciter son conseil en mars 2021. Après mise en demeure, il recevra partie des pièces réclamées en avril 2021.
Il demande un rappel de salaires conforme au contrat, les fiches de paie fournies démontrant notamment que les horaires fixés par contrat n'ont pas été respectés par M. et Mme [I] et rappelle que ces derniers exploitent deux boulangeries-pâtisseries et emploient une dizaine de salariés : ils connaissent dès lors parfaitement les règles du droit du travail. Les critères du travail dissimulé sont caractérisés.
Il commente les éléments financiers versés aux débats par M. et Mme [I] pour mettre en évidence leur faculté de s'acquitter de la condamnation au regard de leur patrimoine personnel et professionnel, de leurs ressources, faisant obstacle à l'obtention d'un arrêt de l'exécution provisoire de la condamnation.
MOTIFS
Sur le fondement de la demande
M. et Mme [I] visent, pour fondement de leur demande, l'article 517-1 du code de procédure civile.
Dans le cadre de l'exécution provisoire facultative, ce texte dispose que lorsque l'exécution provisoire a été ordonnée, elle ne peut être arrêtée, en cas d'appel, que par le premier président et dans les cas suivants : ...
2° Lorsqu'il existe un moyen sérieux d'annulation ou de réformation de la décision et que l'exécution risque d'entraîner des conséquences manifestement excessives ; dans ce dernier cas, le premier président peut aussi prendre les mesures prévues aux articles 517 et 518 à 522.
Cependant, l'article R. 1454-28 du code du travail précise que sont de droit exécutoires à titre provisoire le jugement qui ordonne la remise d'un certificat de travail, de bulletins de paie ou de toute pièce que l'employeur est tenu de délivrer, le jugement qui ordonne le paiement de sommes au titre des rémunérations et indemnités mentionnées au 2° de l'article R. 1454-14, dans la limite maximum de neuf mois de salaire calculés sur la moyenne des trois derniers mois de salaire.
Dans l'hypothèse de l'exécution provisoire de droit, le texte applicable est l'article 514-3 du code de procédure civile qui pose le principe selon lequel en cas d'appel, le premier président peut être saisi afin d'arrêter l'exécution provisoire de la décision lorsqu'il existe un moyen sérieux d'annulation ou de réformation et que l'exécution risque d'entraîner des conséquences manifestement excessives.
En l'espèce, le jugement prononcé est mixte en ce qu'il relève pour la partie relative au rappel de salaires, aux congés payés et indemnité de précarité de l'exécution provisoire de droit et pour le surplus de l'exécution provisoire facultative.
Les conditions exigées pour le prononcé de l'arrêt de l'exécution provisoire étant similaires, il n'y a pas lieu d'ordonner la réouverture des débats au visa de ces dispositions, les parties s'étant amplement expliquées sur les critères devant être mis en oeuvre.
Sur l'arrêt de l'exécution provisoire
Les conditions tenant au moyen sérieux de réformation de la décision critiquée et au risque de conséquences manifestement excessives de l'exécution provisoire du jugement sont cumulatives.
Pour établir leur impossibilité d'exécuter le jugement, M. et Mme [I] rapportent les éléments suivants.
- A titre personnel
Ils sont mariés et parents de deux enfants de moins de douze ans. Ils ont déclaré au titre de l'année fiscale 2021, des revenus en qualité d'associés ou gérants chacun
12 000 euros soit ensemble 24 000 euros pour l'année, ou 2 000 euros par mois. Aucun document plus récent n'est fourni afin de connaître la totalité des ressources perçues sur l'année 2022, ne serait-ce que sur six mois.
Ils justifient de différents emprunts obtenus à titre personnel :
- l'emprunt souscrit auprès du Crédit agricole à hauteur de 150 733 euros le 27 janvier 2020 est remboursable depuis, par mensualités de 1 076,11 euros ;
- l'emprunt dit 'automobile' souscrit en septembre 2022 à hauteur de 30 000 euros auprès du Crédit agricole est remboursable depuis, par mensualités de 414,17 euros.
Ils ne produisent que le tableau d'amortissement et non le contrat de prêt de
150 733 euros : il n'est pas possible d'en vérifier l'affectation. L'intitulé du tableau portant le nom des époux, la dette leur est rattachée, ce d'autant plus qu'il ne discute pas la propriété de leur immeuble d'habitation sans parler de son financement. Ils se dispensent de tout document sur la création ou le rachat des fonds de commerce.
En conséquence, ces éléments ne sont pas cohérents entre eux, en l'état des pièces fournies, puisque l'endettement personnel dont il est justifié soit 1 490,28 euros ne laisserait pour vivre au foyer sur un revenu mensuel de 2 000 euros qu'une somme de 509,72 euros ou moins de 130 euros par membre du foyer.
Si M. et Mme [I] fournissent l'attestation du père de l'épouse sur l'aide qu'il apporte régulièrement au foyer pour vivre, l'endettement visé ne peut avoir été souscrit sur ces seuls revenus.
- A titre professionnel
Ils ne versent pas l'extrait K bis des sociétés qu'ils dirigent alors que M. [G] évoque l'importance des fonds de commerce de boulangerie-pâtisserie, deux établissements distincts : ce dernier a édité les informations du site société.com démontrant que chaque époux gère une boulangerie-pâtisserie.
Ils communiquent le relevé du compte bancaire ouvert auprès du Cic par :
- la Sarl Léon Rose à [Localité 5] portant en définitive, sur les opérations du 2 octobre 2022 au 30 décembre 2022, un solde créditeur de 4 727,24 euros (permettant de vérifier le paiement régulier de quatre salaires pour un montant supérieur au Smic et un salaire ponctuel correspondant à un temps partiel) ;
- la Sarl Lms portant sur la même période et en définitive au 31 décembre 2022 un solde créditeur de 7 614,55 euros (permettant de vérifier le paiement régulier de deux salaires pour un montant supérieur au Smic et un salaire aléatoire au profit de la gérante, et de 750 euros en décembre 2022).
Pour les comptes personnels, le Crédit agricole atteste le 1er février 2023 que le prêt à la consommation de 30 000 euros a servi à alimenter la Sarl Lms de juillet à décembre 2022.
Pour les comptes professionnels de la Sarl Léon Rose, le Cic atteste le 12 janvier 2023 de rejets de prélèvements, d'un moratoire de 6 mois pour le paiement de l'emprunt relatif à l'acquisition du fonds de commerce, d'un apport de M. [I] de 10 000 euros.
L'expert-comptable apporte aussi des éléments partiels quant au fonctionnement des sociétés ou paiement effectué aux gérants. Sont produits les comptes de résultat arrêtés au 30 juin 2022 mettant en évidence un résultat positif pour la Sarl Léon Rose et négatif pour la Sarl Lms.
En toutes hypothèses, M. et Mme [I] disposent chacun d'un fonds de commerce et donc d'une activité professionnelle, qui, à défaut pour les sociétés d'être en cessation des paiements au début de l'année 2023, leur apportent des revenus et ce, en fonction de leur investissement et de leur choix de gestionnaires.
Ils ne démontrent pas être dans l'incapacité totale d'assumer les condamnations prononcées au regard d'obligations impératives envers un salarié.
Si M. [G] est étudiant en sciences pharmaceutiques, le montant total des sommes lui revenant n'est pas d'une importance telle qu'un défaut de recouvrement des sommes soit encouru dans l'hypothèse d'une infirmation qui en outre, pourrait n'être que partielle. De plus, il justifie d'un contrat de travail à temps partiel dans une officine.
En conséquence, la demande d'arrêt de l'exécution provisoire est rejetée sans qu'il y ait lieu d'examiner la seconde condition tirée des moyens sérieux de réformation.
M. et Mme [I] supporteront les dépens et seront condamnés en équité à payer à M. [G] la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
statuant par ordonnance contradictoire, mise à disposition au greffe,
Déboute M. [V] [I] et Mme [M] [I] de leurs demandes,
Condamne solidairement M. [V] [I] et Mme [M] [I] à payer
M. [U] [G] la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne solidairement M. [V] [I] et Mme [M] [I] aux dépens.
Le greffier, La présidente de chambre,