N° RG 21/03735 - N° Portalis DBV2-V-B7F-I4M4
COUR D'APPEL DE ROUEN
1ERE CHAMBRE CIVILE
ARRET DU 8 MARS 2023
DÉCISION DÉFÉRÉE :
19/00777
Tribunal judiciaire du Havre du 1er juillet 2021
APPELANT :
Monsieur [G] [W]
né le 20 juillet 1984 à [Localité 5]
[Adresse 1]
[Localité 4]
représenté et assisté par Me Patricia RIQUE-SEREZAT de la SELARL SELARL RIQUE-SEREZAT THEUBET, avocat au barreau du Havre
INTIMEE :
SCI LA MALOUINIERE
RCS de Saint Malo n° 521 710 509
[Adresse 3]
[Localité 2]
représentée et assistée par Me Edouard POIROT-BOURDAIN de la SELARL HERCE MARCILLE POIROT-BOURDAIN, avocat au barreau de Rouen
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 4 janvier 2023 sans opposition des avocats devant M. Jean-François MELLET, conseiller, rapporteur,
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour composée de :
Mme Edwige WITTRANT, présidente de chambre
M. Jean-François MELLET, conseiller
Mme Magali DEGUETTE, conseillère
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Mme [T] [E],
DEBATS :
A l'audience publique du 4 janvier 2023, où l'affaire a été mise en délibéré au 8 mars 2023
ARRET :
CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 8 mars 2023, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
signé par Mme WITTRANT, présidente et par Mme CHEVALIER, greffier présent lors de la mise à disposition.
*
* *
Par acte notarié du 19 février 2018, M. [G] [W] a signé avec la Sci la Malouinière une promesse unilatérale d'achat portant sur un immeuble à Octeville-sur-mer au prix de 430 000 euros, sous condition suspensive notamment d'obtention d'un prêt bancaire. La somme de 15 000 euros a été versée à titre de dépôt de garantie.
La vente n'ayant pas été régularisée, la Sci la Malouinière a, par acte d'huissier du 8 avril 2019, fait assigner M. [G] [W] devant le tribunal de grande instance du Havre aux fins de solliciter le versement à son profit de la clause pénale.
Par jugement du 1er juillet 2021, le tribunal judiciaire du Havre a :
- dit que la condition suspensive d'obtention d'un financement avait défailli du fait de M. [G] [W] ;
- constaté la caducité au 10 avril 2018 de la promesse unilatérale d'achat notariée signée le 19 février 2018 ;
- condamné M. [G] [W] à payer à la Sci la Malouinière à titre de clause pénale, la somme de 15 000 euros correspondant au montant du dépôt de garantie d'ores et déjà versé, et dit qu'elle serait remise directement à la Sci la Malouinière par le notaire ou l'entité entre les mains duquel elle a été consignée, et assortie des intérêts au taux légal à compter du 8 avril 2019 sur simple présentation d'une expédition de la présente décision ;
- condamné M. [G] [W] à payer à la Sci la Malouinière la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné M. [G] [W] aux entiers dépens ;
- débouté les parties du surplus de leurs demandes ;
- ordonné l'exécution provisoire.
Par déclaration reçue au greffe le 27 septembre 2021, M. [W] a interjeté appel de la décision.
EXPOSE DES PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Par dernières conclusions notifiées le 7 juin 2022, M. [W] demande à la cour, au visa des articles 1589-1 du code civil et 1304-3 du code civil, d'infirmer le jugement et statuant à nouveau de :
- prononcer la nullité de la promesse d'achat signée entre M. [W] et la Sci la Malouinière,
- condamner la Sci la Malouinière à lui verser la somme de 15 000 euros avec intérêts de retard à compter du dépôt de cette somme entre les mains du notaire soit au 3 février 2018,
subsidiairement,
- prononcer la caducité de la promesse d'achat,
- débouter la Sci la Malouinière de toutes ses demandes,
- condamner la Sci la Malouinière à verser à la Sci [W] la somme de 15 000 euros au titre de la restitution du dépôt de garantie avec intérêts moratoires à compter de la mise en demeure du 30 août 2018,
- débouter la Sci la Malouinière de son appel incident,
en tout état de cause,
- condamner la Sci la Malouinière à lui payer la somme de 5 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la Sci la Malouinière en tous les dépens de première instance et d'appel,
- dire que ceux d'appel pourront être recouvrés directement par la Selarl Rique-Serezat-Theubet, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Il soutient en substance ce qui suit :
- la promesse d'achat est nulle, sur le fondement de l'article 1589-1 du code civil, puisqu'elle prévoit un dépôt de garantie de 15 000 euros ;
- il justifie de deux attestations de refus de prêt ;
- il a dépassé ses obligations contractuelles en déposant quatre autres demandes de prêt pour des sommes inférieures afin de favoriser l'obtention du crédit ;
- il a informé le notaire de l'avancement de ses démarches ;
- l'intimée ne peut se plaindre d'aucun préjudice dès lors que le délai d'immobilisation était prévu au contrat et qu'elle a été libérée dès le 22 mai 2018.
Par dernières conclusions notifiées le 4 mars 2022, la Sci Malouinière demande à la cour, au visa des articles 1304-3 et suivants du code civil de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a jugé que la clause pénale était défaillie par la faute de M. [W] et de :
- débouter M. [G] [W] de toutes ses demandes ;
- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a limité à 15 000 euros la condamnation de M. [G] [W] au titre de la clause pénale,
et, statuant à nouveau, de :
- condamner M. [G] [W] au paiement de la somme de 43 000 euros au titre de la clause pénale assortie des intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 6 septembre 2018 ;
- condamner M. [W] au paiement de la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner M. [G] [W] en tous les dépens.
Elle soutient en substance ce qui suit :
- l'acte comporte des obligations réciproques, dont la principale est de rendre totalement indisponible le bien pour le bénéficiaire, si bien que la nullité n'est pas encourue ;
- une seule demande est conforme aux prescriptions contractuelles et a donné lieu à un refus le 15 avril 2018 ;
- les demandes ont été déposées au plus tôt le 23 février 2018 soit 6 jours avant l'expiration de la date prévue contractuellement, ce qui ne laissait pas un temps suffisant aux banques pour étudier le dossier ;
- aucune notification n'a jamais été faite par courrier recommandé avec accusé de réception permettant de donner date certaine à celles-ci, alors que l'acte le prévoyait.
Pour un plus ample exposé des faits, moyens et prétentions des parties, il est renvoyé aux écritures visées ci-dessus conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 14 décembre 2022.
Par message RPVA du 3 février 2023, la cour a invité les parties à conclure sur l'irrecevabilité éventuelle de la demande en restitution du dépôt de garantie formée sur le fondement subsidiaire par la Sci [W], qui n'est pas partie à l'instance.
La Sci la Malouinière conclut à l'irrecevabilité de la demande.
M. [W] conclut que le subsidiaire présenté par erreur au nom de la Sci [W] constitue non une demande en soit mais le motif pour lequel il est demandé le déboutement de la Sci la Malouinière, et que la restitution du dépôt de garantie sera encourrue en cas de déboutement de cette dernière.
MOTIFS
Sur la validité de la promesse de vente
En application de l'article 1589-1 du code civil, tout engagement unilatéral souscrit en vue de l'acquisition d'un bien immobilier est nul s'il prévoit un versement de la part de celui qui s'engage.
L'appelant soulève la nullité de l'acte signé le 19 février 2019, qui est intitulé 'promesse unilatérale d'achat' au motif qu'il prévoyait le versement d'une somme de 15 000 euros à titre de dépôt de garantie.
La convention par laquelle une personne s'engage définitivement à acquérir, dès qu'auront été remplies à une certaine date, les obligations à la charge du promettant, ôte toute faculté d'option au bénéficiaire, et doit s'analyser en promesse synallagmatique.
Malgré son titre, la promesse signée par les parties constitue bien un acte synallagmatique, dès lors qu'au paragraphe objet du contrat, il est précisé que le 'promettant s'engage à acquérir les biens désignés, ce que le bénéficiaire, futur vendeur accepte. L'engagement d'acquérir est définitif' sous réserve de la réalisation des conditions suspensives et ne lui laisse pas d'option.
La demande en nullité sera donc rejetée, l'article 1589-1 du code civil n'étant pas applicable.
Sur la condition suspensive
Le tribunal a rappelé qu'en application de l'article 1304-3 du code civil, la condition suspensive est réputée accomplie si celui qui y avait intérêt en a empêché l'accomplissement.
Il a relevé que la promesse prévoyait une condition suspensive d'octroi d'un prêt de 485 925 euros pour une durée maximale de 20 ans au taux de 1, 8% ; que M. [W] devait déposer au moins deux demandes conformes dans un délai de 10 jours à compter de la promesse et en justifier, l'obtention du ou des prêts devant intervenir au plus tard le 10 avril 2018, sous peine de caducité.
Il revient au bénéficiaire d'une promesse sous condition suspensive de prouver qu'il a déposé la ou les demandes de prêt conformes aux caractéristiques définies dans l'acte.
Le tribunal a retenu comme conforme la demande formée le 23 février 2018 auprès du Cic pour un montant de 485 925 euros sur une durée de 240 mois. Il a toutefois considéré que les autres demandes de prêt ne répondaient pas aux caractéristiques définies dans l'acte.
L'appelant fait essentiellement plaider que le tribunal ne pouvait écarter la seule autre demande déposée dans le délai , soit le 22 février 2018, auprès du courtier UPF, pour le montant de 485 925 euros, ce montant correspondant au financement sous correction d'une erreur matérielle évidente.
Toutefois, outre que cette société n'est pas une banque mais un courtier, l'attestation d'UPF ne précise pas les caractéristiques de taux et de durée du financement demandé.
Il faut par ailleurs relever que la demande formée auprès du Cic ne précise pas le taux.
Les cinq autres demandes de prêt versées aux débats ne correspondent pas aux caractéristiques contractuelles, ainsi que l'a retenu le tribunal à l'issue d'une analyse qui n'appelle pas de critiques : les demandes ne sont pas datées ou sont nettement postérieures au délai de 10 jours ; elles ont été formées pour quatre d'entre elles, non pas au nom de M. [W], mais au nom d'une 'Sci [W]' , d'une 'Sci à constituer' et d'une société 'Pepergraphik', et aucune ne mentionne simultanément le montant, la durée et le taux d'emprunt conforme.
Il sera relevé que l'appelant ne démontre aucun accord de la Sci pour proroger la validité de la promesse
La décision n'appelle donc pas de critique en ce que le tribunal a jugé que M. [W] ne démontrait pas le respect de la condition de recherche d'emprunt, et que cette dernière était donc défaillie à raison de sa faute, et a constaté la caducité au 10 avril 2018.
Sur la clause pénale
Après avoir rappelé les termes de l'article 1231-5 du code civil, relatifs au pouvoir modérateur du juge en matière de clause pénale, et fait référence aux stipulations contractuelles, qui en fixe le montant à 43 000 euros sous déduction du dépôt de garantie de 28 000 euros, le tribunal a limité le montant alloué à 15 000 euros, correspondant au montant effectivement versé à titre de dépôt de garantie.
Il a estimé que la pénalité prévue était manifestement excessive, relevant que l'immobilisation avait couru sur une durée très limitée de deux mois entre la date de signature et la date de la caducité, a fortiori à une époque ou la Sci la Malouinière n'était elle-même que crédit preneuse avec option d'achat.
Ces motifs sont propres et n'appellent pas de critique. Dès lors que la Sci La Malouinière n'est finalement elle-même devenue propriétaire que le 26 juillet 2018, qu'elle n'a jamais manifesté son intention de se prévaloir de la caducité de la promesse après qu'elle a été acquise dès le 10 avril 2018, qu'elle n'explique pas pourquoi elle n'a pas remis en vente dès cette date, ni même après le 22 mai 2018, date à laquelle M. [W] a mis officiellement fin à ses recherches, qu'elle n'apporte pas de précisions sur l'ampleur de son préjudice en raison de l'immobilisation du bien, le montant accordé, en première instance apparaît lui même excessif, et devra être limité à 5 000 euros.
La Sci [W] n'est pas partie à l'instance ; M. [W] ne peut se substituer à la société. Il est irrecevable à solliciter, pour le compte de la Sci [W], la restitution du dépôt de garantie versé. Il ne s'agit pas, comme il le soutient, d'un moyen mais d'une demande formée dans le dispositif.
Sur les frais de procédure
Les dispositions du jugement relatives aux dépens et frais irrépétibles n'appellent pas de critique.
M. [W] succombe à l'instance et sera condamné aux dépens d'appel, dont distraction au bénéfice de la Selarl Rique-Serezat-Theubet.
L'équité commande de ne pas faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile. Bien qu'il ne rapporte pas la preuve d'avoir respecté la clause de financement, la bonne foi de M. [W] n'est pas en cause.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe,
Infirme le jugement en ce que le tribunal a condamné M. [G] [W] à payer à la Sci la Malouinière à titre de clause pénale, la somme de 15 000 euros correspondant au montant du dépôt de garantie d'ores et déjà versé ;
Le confirme pour surplus ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Déclare irrecevable la demande en restitution du dépôt de garantie formée par M. [G] [W] au profit de la Sci [W] ;
Rejette la demande en nullité de la promesse de vente ;
Condamne M. [G] [W] à payer à la Sci la Malouinière à titre de clause pénale, la somme de 5 000 euros ;
Déboute les parties pour le surplus des demandes ;
Condamne M. [G] [W] aux dépens d'appel, dont distraction au bénéfice de la Selarl Rique-Serezat-Theubet.
Le greffier, La présidente de chambre,