N° RG 21/00396 - N° Portalis DBV2-V-B7F-IVLJ
COUR D'APPEL DE ROUEN
1ERE CHAMBRE CIVILE
ARRET DU 8 MARS 2023
REOUVERTURE DES DEBATS
DÉCISION DÉFÉRÉE :
17/01095
Tribunal judiciaire d'Evreux du 12 janvier 2021
APPELANT :
Monsieur [U] [I] [J]
né le 30 mai 1967 à [Localité 11] (Turquie)
[Adresse 1]
[Adresse 1]
représenté et assisté par Me Yannick ENAULT de la SELARL YANNICK ENAULT-CHRISTIAN HENRY, avocat au barreau de Rouen
INTIMES :
Monsieur [H] [L]
né le 8 novembre 1982 à [Localité 11] (Turquie)
[Adresse 15]
[Adresse 15]
[Adresse 15] (Turquie)
représenté par Me Mylène ZELKO, avocat au barreau de l'Eure et assisté de Me Clément ABITBOL de la société AARPI SEYES, avocat au barreau de Paris plaidant par Me Eloïse PILI
Société de droit étranger
MOTOROLA SOLUTIONS CREDIT COMPANY LLC
[Adresse 10]
[Adresse 10] (Etats Unis d'Amérique)
représentée par Me Jamellah BALI de la SCP BALI COURQUIN JOLLY PICARD, avocat au barreau de l'Eure
[M]. T. IMAR BANKASI T.A.S. IFLAS IDARESI
ès qualités de liquidateur de la banque T.IMAR BANKAZI T.A.S.
[Adresse 8]
[Adresse 8] (Turquie)
représentée par Me Emmanuelle MENOU de la SCP RSD AVOCATS, avocat au barreau de l'Eure et assistée de Me Julie VENOT de la Selas ARCHIPEL, avocat au barreau de Paris
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 4 janvier 2023 sans opposition des avocats devant M. Jean-François MELLET, conseiller, rapporteur,
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour composée de :
Mme Edwige WITTRANT, présidente de chambre
M. Jean-François MELLET, conseiller
Mme Magali DEGUETTE, conseillère
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Mme Catherine CHEVALIER,
DEBATS :
A l'audience publique du 4 janvier 2023, où l'affaire a été mise en délibéré au 8 mars 2023
ARRET :
CONTRADICTOIRE
prononcé publiquement le 8 mars 2023, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
signé par Mme WITTRANT, présidente et par Mme CHEVALIER, greffier présent lors de la mise à disposition.
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* *
EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE
Le 11 avril 2014, M. [H] [L] a signé l'acte d'acquisition d'une propriété située [Adresse 2], moyennant le prix de 822 000 euros.
Par acte d'huissier du 8 mars 2017, M. [U] [I] [J] a fait assigner M. [H] [L] devant le tribunal de grande instance d'Evreux en expliquant que
M. [T] était son prête-nom et en revendiquant la propriété de l'immeuble.
Par conclusions notifiées le 23 avril 2018, la société Motorola, indiquant exercer l'action paulienne, est intervenue volontairement à la cause en qualité de créancière de M. [J].
Par conclusions notifiées le 24 avril 2018, le liquidateur de la banque IMAR est intervenu volontairement à la cause.
Par jugement du 12 janvier 2021, le tribunal judiciaire d'Evreux a :
- déclaré recevables les interventions volontaires du liquidateur de la banque IMAR et de la société Motorola ;
- débouté M. [U] [I] [J] de son action en revendication du bien immobilier situe [Adresse 2] et acquis par M. [H] [L] selon acte authentique du 11 avril 2014 ;
- débouté M. [U] [I] [J] de sa demande en paiement formulée au titre d'une convention de prête-nom le liant à M. [H] [L] ;
- débouté M. [U] [I] [J] de sa demande en paiement formulée au titre du remboursement d'un prêt consenti au profit de M. [H] [L] ;
- débouté M. [U] [I] [J] de sa demande en paiement formulée au titre de l'enrichissement sans cause ;
- débouté le liquidateur de la banque IMAR et la société Motorola de leur action en simulation ;
- débouté le liquidateur de la banque IMAR et la société Motorola de leur action paulienne ;
- débouté M. [H] [L] de sa demande de dommages et intérêts ;
- débouté les parties de leurs plus amples demandes ;
- débouté les parties de leur demande formulée au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné M. [U] [I] [J] aux dépens.
Par déclaration reçue au greffe le 28 janvier 2021, M. [J] a interjeté appel de la décision.
EXPOSE DES PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Par dernières conclusions notifiées le 5 octobre 2021, M. [U] [I] [J] demande à la cour d'appel, au visa des articles 1201, 1240, 1353 et 1341,1984 du code civil, 1134 et 1147 anciens 1875, 1359 et 1360 du code civil,1303 du code civil, d'infirmer le jugement et,
à titre principal de :
- constater la qualité de propriétaire de M. [J] concernant le bien sis [Adresse 2] ;
en conséquence,
- ordonner l'inscription de M. [U] [I] [J] au service de la publicité foncière en qualité de propriétaire du bien immobilier « [Localité 13] » à [Localité 9], correspondant à une propriété comprenant une maison de maître, une maison de gardien, un terrain à usage de parc, jardin potager et fruitier, ainsi qu'une piscine, figurant au cadastre sous les références section [Cadastre 7], numéros [Cadastre 3],[Cadastre 4], [Cadastre 5], [Cadastre 6], lieudit [Localité 13], surfaces respectives 00ha 05a 18ca, 00ha 29a 20ca, 01ha 78a 65ca et 00ha 19a 87ca ;
- ordonner l'inscription de M. [U] [I] [J] au service de la publicité foncière en qualité de propriétaire du bien immobilier « [Localité 12] » à [Localité 9], correspondant à une parcelle de terrain figurant au cadastre sous les références section [Cadastre 14], lieudit [Localité 12], Surface respective 00ha 51a 70ca ;
- condamner M. [L] à payer à M. [J] la somme de 500 000 euros au titre du préjudice subi ;
à titre subsidiaire,
- constater la violation par M. [L] du contrat de prête-nom conclu avec
M. [J] ;
et en conséquence,
- condamner M. [L] à payer à M. [J] la somme de 822 000 euros correspondant au prix d'achat de la demeure située [Adresse 2], en réparation du préjudice subi ;
- condamner M. [L] à payer à M. [J] la somme de 136 831,30 euros en remboursement des sommes versées au titre des travaux ;
à titre très subsidiaire,
- constater que M. [J] a fait l'avance des fonds à M. [L] pour lui permettre l'acquisition du bien immobilier sis [Adresse 2] ainsi que pour réaliser les travaux au sein de la demeure ;
et en conséquence,
- condamner M. [L] à payer à M. [J] la somme de 822 000 euros en remboursement des sommes ayant permis l'achat de la demeure située [Adresse 2] ;
- condamner M. [L] à payer à M. [J] la somme de 136 831,30 euros en remboursement des sommes versées au titre des travaux ;
à titre infiniment subsidiaire,
- constater que M. [L] s'est enrichi au détriment de M. [J] ;
et en conséquence,
- condamner M. [L] à payer à M. [J] la somme de 822 000 euros correspondant au prix d'acquisition de la demeure située [Adresse 2] ;
- condamner M. [L] à payer à M. [J] la somme de 136 831,30 euros correspondant aux sommes versées par M. [J] au titre des travaux ;
et en tout état de cause,
- débouter la société Motorola de l'ensemble de ses demandes ;
- condamner M. [L] le liquidateur de la banque IMAR ([M]. T. Imar Bankasi T.A.S Iflas Idaresi) ainsi que la société Motorola à lui verser une somme de
80 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
Il soutient en substance ce qui suit :
- il doit, depuis 2003, et en raison des poursuites infondées engagées par le régime turc à son encontre, vivre dans la plus grande discrétion à l'étranger ;
- l'acquéreur 'Ten cities investment' a réglé le prix, directement entre les mains de M. [L], par chèque à son ordre ;
- 2 chèques, d'un montant total de 2 407 560 dollars jordaniens (soit environ
3 213 393,75 euros), ont été établis à l'ordre de M. [H] [L] et encaissés par lui pour le compte de M. [J], le 7 février 2014 ;
- une action en revendication peut valablement être étayée par des preuves autres qu'un titre et le titre peut céder devant d'autres modes de preuve ;
- M. [L], prête-nom, n'est pas en mesure d'expliquer l'origine des fonds qu'il a employés ;
- M. [J] s'est comporté comme le seul et véritable propriétaire sans que jamais
M. [L] ne revendique cette qualité ;
- il a lui même financé d'importants travaux d'aménagement.
Par dernières conclusions notifiées le 4 janvier 2022, M. [H] [L] demande à la cour d'appel de confirmer le jugement en date du 12 janvier 2021, en ce qu'il a : - débouté M. [J] de son action en revendication du bien immobilier situé [Adresse 2] et acquis par M. [L] selon acte authentique du 11 avril 2014,
- débouté M. [J] de sa demande en paiement formulée au titre de la convention de prête-nom le liant à M. [L],
- débouté M. [J] de sa demande en paiement formulée au titre du remboursement d'un prêt consenti au profit de M. [L],
- débouté M. [J] de sa demande en paiement formulée au titre de l'enrichissement sans cause,
- débouté le liquidateur de la banque IMAR et la société Motorola de leur action en simulation,
- débouté le liquidateur de la banque IMAR et la société Motorola de leur action paulienne,
- condamné M. [J] aux entiers dépens,
et y ajoutant,
- condamner M. [J] à verser la somme de 80 000 euros au titre des dommages et intérêts ;
- condamner solidairement M. [J], la société Motorola et le liquidateur de la banque IMAR ([M]. T. Imar Bankasi T.A.S Iflas Idaresi) à la somme de
50 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.
Il soutient en substance ce qui suit :
- M. [J] revendique un droit de propriété sans produire d'élément de preuve lui permettant de corroborer une telle affirmation ;
- il a déjà acquis de manière régulière, sans passer par des prête-noms ;
- M. [J] a volontairement falsifié le contrat de cession de parts ainsi que les chèques bancaires qu'il verse aux débats ;
- les trois attestations produites par M. [J] sont rédigées par ses employés ;
- il ne verse aucune facture d'achat de matériaux ou d'entretien de la maison.
Par dernières conclusions notifiées le 30 mai 2022, la société Motorola solutions crédit company LLC demande à la cour d'appel, au visa des articles 548 et suivants du code de procédure civile, 1341-2 et 1201 nouveaux du code civil, d'infirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société Motorola de son action paulienne et de son action en simulation ;
statuant à nouveau,
à titre principal,
- juger que la société Motorola disposait d'une créance certaine en son principe au jour où a été acquis l'immeuble situé [Adresse 2] ;
- juger que M. [J] a délibérément aggravé son insolvabilité apparente en acquérant de manière occulte la propriété de l'immeuble situé [Adresse 2] ;
en conséquence,
- juger la société Motorola bien fondée à agir sur le fondement de l'action paulienne ;
- juger inopposable à la société Motorola la convention de prête-nom par laquelle
M. [L] a acquis la propriété du bien immobilier situé [Adresse 2] en lieu et place de M. [J] ;
- juger que M. [J], débiteur de la société Motorola, est le véritable propriétaire du bien immobilier situé [Adresse 2] ;
à titre subsidiaire,
- constater l'existence d'une convention occulte de prête-nom en vertu de laquelle M. [L] apparaît comme le propriétaire du bien situé [Adresse 2] en lieu et place de M. [J] ;
en conséquence,
- juger inopposable à la société Motorola la convention occulte de prête-nom en vertu de laquelle M. [L] apparaît comme le propriétaire du bien situé [Adresse 2] en lieu et place de M. [J] ;
- juger que M. [J], débiteur de la société Motorola, est le véritable propriétaire du bien immobilier situé [Adresse 2];
en tout état de cause,
- condamner in solidum MM. [J] et [L] à verser à la société Motorola une somme de 30 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- les condamner in solidum aux entiers dépens de l'instance dont distraction au profit de Me Jamellah Bali, avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Par dernières conclusions notifiées le 4 janvier 2022, M. [M] T. Imar Bankasi T.A.S. Iflas Idaresi, liquidateur de la banque T. Imar Bankasi T.A.S., représenté par [K] [F] [Z], demande à la cour d'appel, au visa des articles 330 du code de procédure civile, 1201 et 1341-2 du code civil d'infirmer le jugement et statuant à nouveau de :
- constater la simulation par interposition de personnes ;
- dire que M. [I] [J] est le véritable propriétaire l'immeuble situé [Adresse 2], cadastré section [Cadastre 7], [Cadastre 3], [Cadastre 4], [Cadastre 5], [Cadastre 6], et section [Cadastre 14] ;
- dire que l'acquisition par M. [H] [L] de l'immeuble sis [Adresse 2], cadastré section [Cadastre 7], [Cadastre 3], [Cadastre 4], [Cadastre 5], [Cadastre 6], et section [Cadastre 14] a été effectuée en fraude des droits du liquidateur de la banque Imar ;
- déclarer inopposable à l'égard du liquidateur de la banque Imar, la convention de prête-nom conclue entre M. [I] [J] et M. [H] [L] relative à l'immeuble sis [Adresse 2], cadastré section [Cadastre 7], [Cadastre 3], [Cadastre 4], [Cadastre 5], [Cadastre 6], et section [Cadastre 14] ;
- ordonner la publication du jugement à intervenir au service de publicité foncière compétent ;
- condamner in solidum M. [I] [J] et M. [H] [L] au paiement des dépens, en ce compris notamment les frais de publication du jugement à intervenir ;
- condamner in solidum M. [I] [J] et M. [H] [L] au paiement d'une somme de 10 000 euros au titre des frais irrépétibles.
Il soutient en substance ce qui suit :
- il est bien fondé à faire déclarer inopposable la convention de prête-nom occulte conclue entre M. [H] [L] et M. [I] [J], en vertu de laquelle le premier devait acquérir l'appartement litigieux pour le compte du second, tant sur le fondement de la simulation que sur le fondement de l'action paulienne ;
- M. [L] ne produit pas ses relevés de comptes bancaires sur la période correspondante, ni ne justifie de l'origine des fonds qui lui auraient permis d'acquérir l'immeuble litigieux comptant, sans l'assistance d'un établissement de crédit ;
- il n'explique pas plus les circonstances dans lesquelles il a acquis l'immeuble litigieux en justifiant par exemple avoir contacté l'ancien propriétaire.
Pour un plus ample exposé des faits, moyens et prétentions des parties, il est renvoyé aux écritures visées ci-dessus conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 28 janvier 2021.
Par message électronique du 2 février 2023, la cour a indiqué aux parties qu'elle entendait surseoir à statuer pour une bonne administration de la justice dans l'attente de l'issue de la procédure d'information en cours.
L'appelant M. [U] [I] [J] a indiqué ne pas s'opposer au sursis à statuer.
M. [H] [L] a indiqué être favorable à cette même mesure, remarquant qu'au regard de la commission rogatoire internationale en cours, l'issue de la procédure d'information était soumise à des délais incompressibles.
La société Motorola solutions credit company LLC a indiqué s'en remettre à justice.
Le liquidateur de la banque Imar s'oppose au sursis à statuer au motif qu'il ne serait pas nécessaire compte tenu des pièces du dossier et qu'il serait susceptible de porter atteinte à son droit d'être entendu dans un délai raisonnable.
MOTIFS
Etant chargé de veiller au bon déroulement de l'instance en application de l'article 3 du code de procédure civile, le juge dispose du pouvoir d'ordonner d'office un sursis à statuer dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice.
Aux termes de l'article 377 du code de procédure civile, il apprécie l'opportunité de cette mesure discretionnairement.
Il ressort du dossier que la preuve de la propriété revendiquée dépend en grande partie de l'authenticité de plusieurs pièces versées dans la présente procédure, notamment le contrat du 8 décembre 2013 intitulé 'acknowledgement and mutual release' passé entre M. [J] et la société Ten cities investment (pièce 4.1), ainsi que les chèques libellés à l'ordre de M. [L] (pièce appelant 4.3 et 4.4). Ces pièces font l'objet d'une procédure d'information ouverte devant le juge d'instruction du tribunal judiciaire de Paris des chefs de faux, usage de faux, escroquerie au jugement et tentative d'escroquerie au jugement, selon plainte avec constitution de partie civile du 11 décembre 2017 et dont M. [L] donne la référence RG 2018164.
Il est d'une bonne administration de la justice d'ordonner le rabat de clôture, la réouverture des débats, et de surseoir à statuer dans l'attente de l'issue de la procédure pénale issue de cette information.
Les demandes et dépens sont réservés.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe,
Ordonne le rabât de la clôture et la réouverture des débats ;
Sursoit à statuer dans l'attente de l'issue de la procédure pénale ouverte selon plainte avec constitution de partie civile reçue le 15 décembre 2018 référencée RG 2018164 ;
Invite les parties à fournir à la cour tout justificatif relatif à l'état de la procédure pénale pour le 20 septembre 2023 et à ses perspectives d'achèvement, sous peine de radiation ;
Réserve les demandes et les dépens.
Le greffier, La présidente de chambre,