N° RG 20/03832 - N° Portalis DBV2-V-B7E-ITRF
COUR D'APPEL DE ROUEN
CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE
SECURITE SOCIALE
ARRET DU 23 FEVRIER 2023
DÉCISION DÉFÉRÉE :
Jugement du CONSEIL DE PRUD'HOMMES DU HAVRE du 17 Novembre 2020
APPELANTE :
Me VINCENT Catherine (SELARL CATHERINE VINCENT) - Mandataire liquidateur de la S.A.S. ROYAL KEBAB
[Adresse 1]
[Localité 5]
représenté par Me Nicolas CHATAIGNIER de la SELAS MAZARS SOCIETE D'AVOCATS, avocat au barreau du HAVRE substituée par Me Linda MECHANTEL, avocat au barreau de ROUEN
INTIMES :
Monsieur [J] [W]
[Adresse 2]
[Localité 5]
représenté par Me Elisa HAUSSETETE de la SCP GARRAUD OGEL LARIBI HAUSSETETE, avocat au barreau du HAVRE
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2020/013602 du 12/01/2021 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de Rouen)
AGS - CGEA DE ROUEN
[Adresse 3]
[Adresse 6]
[Localité 4]
n'ayant pas constitué avocat
régulièrement assigné par acte d'huissier en date du 28/03/2022
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 805 du Code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 07 Décembre 2022 sans opposition des parties devant Madame ALVARADE, Présidente, magistrat chargé du rapport.
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente
Madame ALVARADE, Présidente
Madame BACHELET, Conseillère
GREFFIER LORS DES DEBATS :
M. GUYOT, Greffier
DEBATS :
A l'audience publique du 07 Décembre 2022, où l'affaire a été mise en délibéré au 26 Janvier 2023, date à laquelle le délibéré a été prorogé au 23 Février 2023
ARRET :
REPUTE CONTRADICTOIRE
Prononcé le 23 Février 2023, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,
signé par Madame ALVARADE, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.
FAITS ET PROCÉDURE
M. [J] [W], de nationalité tunisienne, a été engagé par la SAS Royal Kebab en qualité d'employé polyvalent suivant contrat à durée déterminée à temps partiel à raison de 20 heures par mois, du 19 octobre 2018 au 18 avril 2019.
La relation s'est poursuivie sans contrat de travail écrit à compter du 19 avril 2019.
Le 23 octobre 2019, a été conclu un contrat de travail à durée indéterminée à temps complet, moyennant une rémunération mensuelle de 1 521,25 euros brut.
Le 16 janvier 2020, la société a fait l'objet d'un contrôle de police durant lequel l'autorisation de travail de M. [W] n'a pu être présentée.
Par lettre du 30 mars 2020, M. [W] a pris acte de la rupture de son contrat de travail.
M. [W] a saisi la juridiction prud'homale suivant requête du 25 mai 2020 afin d'obtenir la requalification de son contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée, voir dire que la prise d'acte de la rupture de son contrat de travail produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamner la société au paiement de diverses sommes à titre de salaires, d'indemnité et de dommages et intérêts.
Par jugement du 17 novembre 2020, le conseil de prud'hommes du Havre a requalifié le contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée, constaté les manquements de l'employeur, jugé que la prise d'acte de M. [W] est aux torts de l'employeur et produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, et a en conséquence condamné la société à payer à M. [W] les sommes suivantes :
1 405,29 euros brut au titre de rappel de salaire,
140,52 euros brut au titre des congés payés afférents,
1 521,25 euros brut au titre de l'indemnité de préavis,
152,12 euros brut au titre des congés payés afférents,
585 euros bruts au titre de l'indemnité de licenciement,
23 879,33 euros au titre des heures complémentaires,
2 387,93 euros au titre des congés payés afférents,
2 331,68 euros au titre de l'indemnité de requalification,
2 331,68 euros au titre de l'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse,
9 127,50 euros au titre des dommages et intérêts pour travail dissimulé,
1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
En outre, le conseil de prud'hommes a :
- dit que les intérêts légaux commenceront à courir à compter de la réception par le défendeur de la convocation devant le bureau de jugement, soit le 28 mai 2020, pour les éléments de salaire et à compter de la notification du présent jugement pour les autres sommes ;
- rappelé que l'exécution provisoire est de droit pour les salaires et accessoires de salaire ;
- condamné la société à remettre à M. [W] un bulletin de salaire, l'attestation Pôle emploi, le certificat de travail et le reçu pour solde de tout compte rectifiés, sous astreinte de 5 euros par jour de retard et par document à partir du 15ème jour suivant la notification du présent jugement, astreinte dont le conseil se réserve la liquidation ;
- fixé la moyenne des trois derniers mois de salaire de M. [W] à la somme de 1 521,15 euros brut ;
- condamné la société aux éventuels dépens et frais d'exécution du présent jugement.
La société a interjeté appel le 25 novembre 2020.
Par jugement du 26 novembre 2021 du tribunal de commerce du Havre, une procédure de liquidation judiciaire a été ouverte à l'encontre de la société et la Selarl Catherine Vincent, désignée en qualité de liquidateur.
Suivant assignations des 30 décembre 2021 et 28 mars 2022, la Selarl Catherine Vincent, ès qualités, et l'AGS CGEA ont respectivement été appelées en la cause.
Par conclusions remises le 31 octobre 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens, la Selarl Catherine Vincent, ès qualités, demande à la cour de :
- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a constaté les manquements commis par l'employeur, jugé que la prise d'acte est aux torts de l'employeur, jugé que la prise d'acte produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamné la société à verser à M. [W] diverses sommes avec intérêts légaux, condamné la société à remettre à M. [W] divers documents rectifiés sous astreinte ;
Statuant à nouveau,
- dire et juger que la créance de M. [W] éventuellement fixée au passif de la liquidation judiciaire de la société ne saurait excéder la seule somme de 1 521,25 euros au titre d'une indemnité de requalification du contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée ;
- déclarer irrecevables et, à titre subsidiaire, mal fondées toutes les autres demandes de M. [W] ;
En conséquence,
- rejeter toutes les autres demandes de M. [W] ;
- si la cour confirme le jugement entrepris et ordonne la remise des documents, l'infirmer en ce qu'il a prononcé une astreinte et, statuant à nouveau, dire et juger n'y avoir lieu d'ordonner une astreinte, la demande d'astreinte n'étant ni justifiée ni recevable ;
- condamner M. [W] aux entiers dépens.
Par conclusions remises le 11 avril 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens, M. [W] demande à la cour de :
- confirmer le jugement en ce qu'il a requalifié le contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée et lui a alloué une indemnité de requalification de 2 331,68 euros ;
- confirmer le jugement en ce qu'il a constaté les manquements commis par l'employeur, dit que la prise d'acte est aux torts de l'employeur et qu'elle produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
- constater les manquements graves de l'employeur à ses obligations contractuelles ;
- juger que la prise d'acte produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
- confirmer le jugement en ce qu'il a constaté l'accomplissement d'heures complémentaires et en ce qu'il lui a alloué la somme de 23 873,33 euros, outre 2 387 euros au titre des congés payés ;
- confirmer le jugement en ce qu'il a constaté le travail dissimulé et lui a alloué la somme de 9 127,50 euros ;
- fixer les créances suivantes au passif de la société :
1 405,29 euros bruts au titre de rappel de salaire,
140,52 euros bruts au titre des congés payés afférents,
1 521,25 euros bruts au titre de l'indemnité de préavis,
152,12 euros bruts au titre des congés payés afférents,
585 euros bruts au titre de l'indemnité de licenciement,
23 879,33 euros au titre des heures complémentaires,
2 387,93 euros au titre des congés payés afférents,
2 331,68 euros au titre de l'indemnité de requalification,
2 331,68 euros au titre de l'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse,
9 127,50 euros au titre des dommages et intérêts pour travail dissimulé,
1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la Selarl Catherine Vincent, ès qualités, aux entiers dépens ;
- déclarer l'arrêt opposable et commun à l'AGS.
L'UNEDIC AGS CGEA n'a pas constitué avocat.
L'ordonnance de clôture de la procédure a été rendue le 17 novembre 2022.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur demande de requalification du contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée
Il sera constaté que ce chef de dispositif n'est pas critiqué, étant seulement sollicité l'infirmation du jugement quant au montant de l'indemnité de requalification que la Selarl Vincent souhaite voir fixer à la somme de 1521,15 euros, soit un mois de salaire. (ci-après).
Sur les demandes au titre de l'exécution du contrat de travail
Sur le rappel de salaires de novembre 2019 à mars 2020
Le salarié fait valoir que l'employeur s'est abstenu de lui verser le salaire convenu à compter du 1er novembre 2019, puisqu'il a perçu les sommes de 165,41 euros en novembre 2019 et de 158 euros en décembre 2019, qu'en janvier 2020, il ne lui a été versé aucune somme, aucun bulletin de salaire ne lui ayant été délivré,
que postérieurement au contrôle de police opéré en janvier 2020, il ne lui a plus fourni de travail, le contraignant à prendre acte de la rupture de son contrat de travail par lettre du 30 mars 2020.
La selarl Vincent fait valoir que les salaires de novembre et décembre 2019 avaient déjà été réglés et que celui du mois de janvier 2020 avait été réglé lors de l'audience, par la remise d'un chèque de 5 071 euros qui comprenait le salaire du mois de janvier et l'indemnité forfaitaire de fin de contrat,
que le salarié n'ayant pas repris son poste postérieurement au 16 janvier 2020 ne peut prétendre au règlement des salaires jusqu'en mars 2020, date de son courrier de prise d'acte.
Selon l'article 1353 du code civil, celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré, doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.
L'employeur prétend que postérieurement au contrôle de police, le salarié ne s'est plus présenté sur son lieu de travail, ce que conteste ce dernier qui soutient qu'il ne lui a plus été fourni de travail des suites de ce contrôle et que l'employeur n'a fait aucune démarche aux fins d'obtenir une autorisation de travail auprès de la Direccte.
Il revient toutefois à l'employeur, tenu de payer sa rémunération et de fournir du travail au salarié qui se tient à sa disposition, de prouver que celui-ci a refusé d'exécuter son travail ou ne s'est pas tenu à sa disposition, preuve non rapportée en l'espèce.
Nonobstant sa situation personnelle, dès lors qu'un étranger engagé sans être muni d'un titre l'autorisant à être employé comme salarié en France est assimilé, à compter de la date de son embauche, à un travailleur régulièrement engagé en ce qui concerne les obligations de l'employeur relatives à la réglementation du travail, le salarié est fondé à solliciter les salaires des mois de novembre 2019 à mars 2020, après déduction des sommes déjà versées et de la somme de 5071,99 euros remise en cours de procédure, somme qui ne saurait être qualifiée d'indemnité forfaitaire de fin de contrat.
Le jugement sera confirmé en ce qu'il a alloué au salarié les sommes de 1 405,29 euros et de 140,52 euros au titre des congés payés y afférents.
Sur le rappel au titre des heures complémentaires et supplémentaires entre octobre 2018 et octobre 2019
En cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail effectuées, en vertu de l'article L. 3171-4 du code du travail, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments.
Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.
Le salarié fait valoir qu'il a été amené à effectuer de nombreuses heures complémentaires qui ne lui ont pas été payées,
que son contrat de travail mentionnait une durée mensuelle de 20 heures, soit 5 heures par semaine du 19 octobre 2018 au 18 avril 2019,
qu'à compter du 19 avril 2019, il a travaillé dans le cadre d'un contrat verbal à durée indéterminée sur la base de 151 h 67 par mois,
qu'il effectuait des horaires de travail allant bien au-delà des horaires contractuels puisqu'il travaillait tous les jours de la façon suivante, pour un total de 59 heures hebdomadaires :
- le lundi de 11h à 15h et de 18h à 23h (9 heures)
- le mardi de 11 h à 14h et de 18h à 23h (8 heures)
- le mercredi de 11h à 15h et de 18h à 23h (9 heures)
- le jeudi de 11h à 14h et de 18h à 23h (8 heures)
- le vendredi de 11 h à 15 h et de 18 h à minuit (10 heures)
- le samedi de 18h à minuit (6 heures)
- le dimanche de 11 h à 15 h et de 18h à 23h (9 heures).
La Selarl Vincent répond que le salarié se borne à produire un document établi pour les besoins de la cause, qui ne constitue ni un décompte, ni un état précis des horaires qui auraient effectivement été accomplis et qu'il ne justifie pas avoir réclamé durant la relation salariale le paiement d'heures de travail qui n'auraient pas été rémunérées.
Le salarié présente toutefois des éléments suffisamment précis quant aux heures qu'il estime avoir accomplies qui n'auraient pas été rémunérées et à l'existence d'heures complémentaires impayées pour permettre à l'employeur de répliquer utilement, alors qu'il a la charge du contrôle de son temps de travail, l'employeur ne produisant aucun élément précis venant contredire ceux présentés par le salarié, le fait que le décompte soit établi par l'intéressé lui-même et qu'il n'ait pas formé de réclamation durant l'exécution du contrat de travail n'étant pas de nature à le priver de son droit au paiement des heures de travail accomplies ni à exonérer l'employeur de son obligation de prouver les horaires de travail de son salarié.
Le jugement sera en conséquence confirmé quant aux montants accordés à titre de rappels de salaire et de congés payés.
Sur les demandes au titre de la rupture du contrat de travail
Sur la prise d'acte de la rupture du contrat de travail
Il est constant que la prise d'acte permet au salarié de rompre le contrat de travail en cas de manquement suffisamment grave de l'employeur empêchant la poursuite du contrat de travail.
C'est au salarié qu'il incombe de rapporter la preuve des manquements invoqués à l'encontre de son employeur.
Lorsqu'un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, cette rupture, qui entraîne la cessation immédiate du contrat de travail, produit les effets soit d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient, soit, dans le cas contraire, d'une démission.
En l'espèce le salarié, qui a déclaré prendre acte de la rupture du contrat de travail aux torts de l'employeur par lettre du 26 mars 2020, lui reproche les manquements développés ci-avant, tenant au non-paiement des salaires de novembre 2019 à mars 2020 et des heures complémentaires entre octobre 2018 et octobre 2019, y ajoutant par suite l'absence de fourniture de travail à compter de janvier 2020.
La selarl Vincent fait valoir que lors de son embauche, le salarié s'est présenté à son futur employeur comme ayant la nationalité italienne d'après la pièce d'identité qu'il a fournie,
qu'il n'y avait donc pas lieu d'obtenir une autorisation de travail pour un ressortissant européen, pour lequel par ailleurs ont été effectuées des déclarations préalables à l'embauche les 19 octobre 2018 et 24 mai 2019,
qu'aucun manquement grave ne peut être retenu à l'encontre de l'employeur qui a manifestement été trompé par son salarié sur sa prétendue nationalité, ce dernier ne s'étant plus représenté à son poste de travail à la suite du contrôle de police,
que l'employeur, jugeant son salarié de bonne foi, ne peut pas être responsable si ce dernier ne détient pas un document conforme à l'article R. 5221-3 du code du travail,
que la rupture ne doit pas être requalifiée en un licenciement sans cause réelle et sérieuse et la prise d'acte de rupture du contrat de travail ne peut que produire les effets d'une démission,
qu'à titre subsidiaire, s'il était retenu que le salarié se trouvait en situation irrégulière et ne pouvait travailler en France, il conviendrait de faire application de l'article L.8252-2 du code du travail, qui prévoit qu'en cas de rupture du contrat de travail, le salarié étranger a droit à une indemnité forfaitaire égale à trois mois de salaire ou, si elles sont plus favorables, à l'indemnité légale ou conventionnelle de licenciement et à l'indemnité compensatrice de préavis, sans pourvoir cumuler cette indemnisation avec l'indemnité forfaitaire de l'article L. 8223-1 lorsqu'une situation de travail dissimulé est caractérisée,
que cette indemnité forfaitaire s'applique dans toutes les hypothèses de rupture de contrat de travail, sans qu'il y ait lieu de distinguer là où la loi ne distingue pas.
Le salarié répond que la position de l'employeur est en totale contradiction avec celle adoptée en première instance alors qu'il avait produit une demande d'autorisation de travail à déposer auprès de l'administration, qui en réalité n'a jamais été déposée, ni validée par celle-ci, ledit document mentionnant qu'il était de nationalité tunisienne, pièce ne figurant plus du reste sur le bordereau de pièces en cause d'appel, que c'est aussi cette même nationalité qui figure sur le contrat à durée déterminée signé le 19 octobre 2018 et sur l'avenant au contrat de travail du 23 octobre 2019.
Au vu des observations formulées par le salarié et des pièces du dossier, il ne peut être soutenu que l'employeur ignorait que son salarié était de nationalité tunisienne ou qu'il a été trompé par ce dernier.
En considération des développements précités, il ne peut être discuté que les griefs à l'endroit de l'employeur sont établis et empêchaient la poursuite du contrat de travail. Par ailleurs, au moment de l'embauche, le salarié n'était pas muni d'un titre l'autorisant à exercer une activité salariée, si bien que la rupture intervenue dans ces conditions ne résulte que du comportement fautif initial de l'employeur.
Dès lors, la prise d'acte de la rupture du contrat de travail produira les effets d'un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, sous réserve des dispositions relatives à l'emploi des travailleurs étrangers.
Sur les conséquences financières de la rupture du contrat de travail
Aux termes de l'article L.8252-2-2º du code du travail, le salarié étranger a droit, au titre de la période d'emploi illicite, en cas de rupture de la relation de travail, à une indemnité forfaitaire égale à trois mois de salaire, à moins que l'application des règles figurant aux articles L. 1234-5, L. 1234-9, L. 1243-4 et L. 1243-8 ou des stipulations contractuelles correspondantes ne conduise à une solution plus favorable, ces dispositions ne faisant pas obstacle au droit du salarié de demander en justice une indemnisation supplémentaire s'il est en mesure d'établir l'existence d'un préjudice non réparé par ces dispositions.
Compte tenu des dispositions légales ci-dessus et de celles de l'article L.8252-1 du code du travail, le salarié ne peut prétendre à des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
L'indemnité forfaitaire équivalent à trois mois de salaire se fixant à 4 563,45 euros, soit une somme supérieure au montant de l'indemnité compensatrice de préavis et de l'indemnité de licenciement, il lui sera alloué l'indemnité forfaitaire minimale, toutefois limitée au montant de sa demande d'indemnité globale se chiffrant à la somme de 4.437,93 euros, le jugement étant infirmé de ce chef, étant observé que le salarié n'a formé aucune demande au titre de l'indemnisation supplémentaire prévue par l'article L.8252-2-2º du code du travail et qu'il ne démontre aucun préjudice au sens de ce texte.
Sur l'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé
L'article L.8221-1 du code du travail prohibe le travail dissimulé défini et exercé dans les conditions des articles L.8221-3 et L.8221-5 du même code.
Aux termes de l'article L.8223-1 du code du travail, le salarié auquel l'employeur a recours dans les conditions de l'article L.8221-3 ou en commettant les faits prévus à l'article L.8221-5 du même code relatif au travail dissimulé a droit, en cas de rupture de la relation de travail, à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.
Au cas d'espèce, l'employeur a fait travailler le salarié, alors qu'il n'ignorait pas qu'il était dépourvu de titre lui permettant d'exercer une activité salariée, sans qu'il justifie disposer d'une autorisation de travail, le salarié ayant en outre été amené à effectuer de nombreuses heures complémentaires sur une longue période, soit à raison en moyenne de 59 heures hebdomadaires.
Toutefois, le salarié se trouvant en situation irrégulière alors qu'une situation de travail dissimulé est par ailleurs caractérisée, l'article L.8252-2 du code du travail énonce que l'étranger dans une telle hypothèse bénéficie soit des dispositions de l'article L. 8223-1, soit des dispositions du présent chapitre si celles-ci lui sont plus favorables.
Le cumul des sommes allouées à titre de rappel de salaire et d'indemnité forfaitaire de rupture (égale à 3 mois de salaire) étant plus favorable au travailleur étranger que l'indemnité forfaitaire de travail dissimulé égale à 6 mois de salaire, il sera débouté de ce chef de demande, le jugement étant infirmé de ce chef.
Sur l'indemnité de requalification
Le salarié est fondé en sa demande, dès lors que l'indemnité de requalification équivalente a un mois de salaire est calculée en fonction du nombre d'heures réellement effectuées. La somme allouée, soit 2.331,68 euros, sera confirmée.
Sur les autres demandes
Sur la fixation des créances
La Selarl Vincent fait valoir que toutes demandes de condamnation dirigée contre la société et le liquidateur sont irrecevables en vertu des articles L 641-3 et L 622-21 du code de commerce, interdisant toute action en justice de la part des créanciers tendant à la condamnation du débiteur au paiement d'une somme d'argent à compter du jugement d'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire.
Il est acquis que la procédure ne peut tendre qu'à la fixation du montant des créances qui sont soumises au régime de la procédure collective. Les créances qui sont dues au salarié seront fixées au passif de la liquidation judiciaire de la société Royal Kebab, ainsi qu'il le sollicite.
Sur les intérêts au taux légal
En application des dispositions de l'article L 622-28 du code du commerce, le cours des intérêts légaux s'arrête au jour de l'ouverture de la procédure collective.
Sur la remise des documents sociaux
La cour ordonnera à la Selarl Vincent de remettre au salarié les documents de fin de contrat rectifiés : l'attestation destinée au Pôle emploi, le certificat de travail, le reçu de solde de tout compte et un bulletin de salaire conformes à la présente décision.
Il n'est pas nécessaire d'assortir cette obligation d'une astreinte.
Sur les frais du procès
La Selarl Vincent qui succombe pour l'essentiel de ses prétentions doit supporter les dépens et il y a lieu de la condamner à payer au salarié une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile qu'il est équitable de fixer à la somme de 1000 euros.
PAR CES MOTIFS
La Cour, après en avoir délibéré, statuant par arrêt réputé contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe, en matière prud'homale,
Confirme le jugement en ses dispositions soumises à la cour, sauf en ce qu'il a condamné la SAS Royal Kebab à payer à M. [J] [W] les sommes de :
1 521,25 euros brut au titre de l'indemnité de préavis, outre 152,12 euros brut au titre des congés payés afférents,
585 euros brut au titre de l'indemnité de licenciement,
2 331,68 euros à titre d'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse,
9 127,50 euros au titre des dommages et intérêts pour travail dissimulé,
et à préciser qu'il conviendra de fixer les créances de M. [J] [W] au passif de la liquidation judiciaire de la SAS Royal Kebab ;
Statuant à nouveau des chefs infirmés,
Fixe les créances de M. [J] [W] au passif de la liquidation judiciaire de la SAS Royal Kebab aux sommes suivantes :
1 405,29 euros brut au titre de rappel de salaire,
140,52 euros brut au titre des congés payés afférents,
23 879,33 euros au titre des heures complémentaires,
2 387,93 euros au titre des congés payés afférents,
2 331,68 euros au titre de l'indemnité de requalification,
4 437,93 euros à titre d'indemnité forfaitaire pour rupture du contrat de travail,
1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
1 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel,
Déboute M. [J] [W] de ses demandes d'indemnité compensatrice de préavis, outre des congés payés afférents, d'indemnité de licenciement, de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et d'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé,
Y ajoutant,
Ordonne à la Selarl Vincent de remettre à M. [J] [W] les documents de fin de contrat rectifiés : l'attestation destinée au Pôle emploi, le certificat de travail, le reçu de solde de tout compte et un bulletin de salaire conformes à la présente décision, sans qu'il y ait lieu à astreinte,
Déclare le présent arrêt opposable à l'AGS dans la limite de ses garanties légales et réglementaires,
Déclare l'Unedic AGS CGEA délégation de [Localité 4] tenue à garantie pour ces sommes dans les termes des articles L.3253-8 et suivants du code du travail, en l'absence de fonds disponibles,
Dit que les dépens d'appel seront inscrits au passif de la liquidation judiciaire de la SAS Royal kebab,
Déboute les parties du surplus de leurs prétentions.
La greffière La présidente