N° RG 20/03747 - N° Portalis DBV2-V-B7E-ITMF
COUR D'APPEL DE ROUEN
CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE
SECURITE SOCIALE
ARRET DU 23 FEVRIER 2023
DÉCISION DÉFÉRÉE :
Jugement du CONSEIL DE PRUD'HOMMES DE ROUEN du 13 Novembre 2020
APPELANTE :
S.A.S. STERNA
[Adresse 1]
[Localité 5]
représentée par Me Linda MECHANTEL de la SCP BONIFACE DAKIN & ASSOCIES, avocat au barreau de ROUEN
INTIMES :
Monsieur [J] [F]
[Adresse 3]
[Localité 6]
présent
représenté par Me Thierry LEVESQUES, avocat au barreau de ROUEN
Syndicat CFDT DES METIERS DU TRANSPORT DE HAUTE NORMANDIE
[Adresse 2]
[Localité 4]
représentée par Me Thierry LEVESQUES, avocat au barreau de ROUEN
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 805 du Code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 11 Janvier 2023 sans opposition des parties devant Madame BERGERE, Conseillère, magistrat chargé du rapport.
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente
Madame BACHELET, Conseillère
Madame BERGERE, Conseillère
GREFFIER LORS DES DEBATS :
M. GUYOT, Greffier
DEBATS :
A l'audience publique du 11 Janvier 2023, où l'affaire a été mise en délibéré au 23 Février 2023
ARRET :
CONTRADICTOIRE
Prononcé le 23 Février 2023, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,
signé par Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.
EXPOSÉ DU LITIGE
M. [J] [F] a été engagé par contrat à durée déterminée le 1er mars 2001 par la SA Transports Loheac de l'Ouest Parisien au poste de conducteur poids lourds. Son contrat s'est poursuivi à durée indéterminée.
En 2009, M. [F] a été élu délégué du personnel suppléant, puis délégué du personnel titulaire et membre du comité d'entreprise à partir de 2010.
Son contrat de travail a été transféré en janvier 2008 à la SA Lohéac. Le 1er juillet 2008, la SA LOHEAC a concédé en location gérance à la SAS Sterna une partie de son fonds relative à l'activité du transport citernes. Après plusieurs décisions administratives de refus, le Ministre du travail a autorisé le 30 mars 2009 le transfert du contrat de travail de Monsieur [F] à la SAS Sterna.
Par jugement du 31 octobre 2013, le conseil de prud'hommes de Rouen a condamné la SAS Sterna à lui verser la somme de 25 000 euros pour des faits de discrimination syndicale. Cette décision a été confirmée par la cour d'appel de Rouen dans son arrêt du 29 septembre 2015.
Le 29 octobre 2014, M. [F] a été victime d'un accident du travail ; alors qu'il procédait au chargement d'un camion de bitume au sein de la société Total, il a fait un malaise. M. [F] a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de Rouen d'une demande de reconnaissance de la faute inexcusable de la société.
Par jugement du 23 octobre 2018, le tribunal a dit que la faute inexcusable de l'employeur n'était pas caractérisée et a débouté M. [F] de ses demandes.
Cette décision a été infirmée par la cour d'appel de Rouen dans son arrêt du 11 décembre 2019 aux termes duquel elle dit que la société Sterna a commis une faute inexcusable à l'origine de l'accident dont a été victime M. [F], ordonné la majoration de la rente à son maximum à compter du 28 février 2015, fixé l'indemnisation du préjudice de M. [F] aux sommes suivantes :
- déficit fonctionnel temporaire : 500 euros,
- souffrances endurées : 2 500 euros,
dit que la caisse est tenue de faire l'avance des sommes dues à la victime en réparation de ses préjudices et qu'elle pourra en récupérer le montant auprès de la société Sterna, condamné la société Sterna à payer à M. [F] la somme de 1 200 euros sur le fondement de 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.
Parallèlement, suivant requête du 2 août 2017, M. [F] a saisi le conseil de prud'hommes de Rouen d'une demande principale de dommages et intérêts pour exécution défaillante, défectueuse et discriminatoire de son contrat de travail.
Le syndicat CFDT des métiers du transport de Normandie est intervenue volontairement à l'instance pour solliciter le paiement de dommages et intérêts.
Par jugement du 13 novembre 2020, le conseil de prud'hommes, en sa formation de départage, a déclaré recevable l'intervention du syndicat CFDT des Métiers du Transport de Normandie, condamné la société Sterna à verser M. [F] les sommes de 12 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral et financier pour des faits de discrimination, et de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, condamné la société Sterna à verser au syndicat CFDT des métiers du transport de Normandie la somme de 150 euros à titre de dommages et intérêts, outre celle de 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, dit n'y avoir lieu à l'exécution provisoire du présent jugement et condamné la société Sterna aux entiers dépens de l'instance.
La SAS Sterna a interjeté appel de cette décision le 19 novembre 2020.
Par conclusions remises le 19 février 2021, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens, la SAS Sterna demande à la cour d' infirmer le jugement en toutes ses dispositions,
statuant à nouveau, à titre principal, déclarer les demandes de M. [F] irrecevables, M. [F] ayant déjà été indemnisé de ses préjudices devant les juridictions de sécurité sociale, à titre subsidiaire, déclarer les demandes de M. [F] irrecevables puisque déjà invoqués dans un précédent contentieux prud'homal et en tout état de cause prescrites à la date de la saisine du conseil, à titre infiniment subsidiaire, débouter M. [F] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions, débouter le syndicat CFDT de l'ensemble de ses demandes, condamner M. [F] à verser la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens de l'instance, encore plus subsidiairement, réduire le montant des dommages et intérêts à de plus justes proportions.
Par conclusions remises le 12 décembre 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens, M. [F] et le syndicat CFDT des métiers du transport de Normandie demandent à la cour de confirmer le jugement entrepris, y ajoutant, condamner la SAS Sterna à verser à M. [F] les sommes de 36 000 euros de dommages et intérêts pour exécution défaillante, défectueuse et discriminatoire du contrat de travail et 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, condamner la SAS Sterna à verser au syndicat CFDT des métiers du transport de Normandie les sommes de 2 000 euros à titre de dommages et intérêts, et de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, condamner la SAS Sterna aux entiers dépens.
L'ordonnance de clôture de la procédure a été rendue le 15 décembre 2022.
Par conclusions remises le 5 janvier 2023, la société Sterna demande sur le fondement des articles 15 et 16 du code de procédure civile, de rabattre l'ordonnance de clôture et de renvoyer le dossier à une audience ultérieure ou rejeter des débats les conclusions et pièces signifiées tardivement par M. [F] le 12 décembre 2022, en tout état de cause, statuer, pour le surplus, et au fond, ainsi que précédemment requis par la société Sterna.
MOTIFS DE LA DÉCISION
I - Sur la demande de révocation de l'ordonnance de clôture et la communication tardive des pièces
A titre liminaire, il convient de rappeler qu' aux termes de l'article 802 du code de procédure civile, après l'ordonnance de clôture, aucune conclusion ne peut être déposée ni aucune pièce produite aux débats, à peine d'irrecevabilité prononcée d'office. Sont cependant recevables les demandes en intervention volontaire, les conclusions relatives aux loyers, arrérages, intérêts et autres accessoires échus et aux débours faits jusqu'à l'ouverture des débats, si leur décompte ne peut faire l'objet d'aucune contestation sérieuse, ainsi que les demandes de révocation de l'ordonnance de clôture.
En application de cette disposition, les conclusions postérieures à l'ordonnance de clôture, par lesquelles une partie demande la révocation de cette ordonnance ou le rejet des débats des conclusions ou productions de dernière heure de l'adversaire sont recevables.
Aux termes de l'article 15 du code de procédure civile, les parties doivent se faire connaître mutuellement en temps utile les moyens de fait sur lesquels elles fondent leurs prétentions, les éléments de preuve qu'elles produisent et les moyens de droit qu'elles invoquent, afin que chacun soit à même d'organiser sa défense.
L'article 16 du même code précise que le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction. Il ne peut retenir, dans sa décision, les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d'en débattre contradictoirement.
En l'espèce, il est exact que M. [F] a signifié de nouvelles conclusions le 12 décembre 2022 ainsi que les six nouvelles pièces suivantes :
- pièce n°81 : tableau actualisé des salaires et défaut de primes
- pièce n°82 : bulletins de salaire 2020 et rapports d'activités
- pièce n°83 : bulletins de salaire 2021 et rapports d'activités
- pièce n°84 : bulletins de salaire 2022 et rapports d'activités
- pièce n°85 : décompte caisse de congés payés 2015-2022
- pièce n°86 : justificatifs suivi psychiatrique et traitement anti-dépresseur
ce qui représente une communication volumineuse de 92 pages.
Toutefois, ce seul volume de pièces ne permet pas de considérer que ces éléments n'ont pas été communiqués en temps utile par M. [F], de sorte qu'il aurait contrevenu aux principes édictés par les articles 15 et 16 sus-visés.
En effet, il convient de relever que les nouvelles écritures de l'intimé ne contiennent aucune demande reconventionnelle nouvelle ni aucun moyen nouveau, M. [F] se contentant d'actualiser sa situation en précisant que le comportement qu'il dénonce et pour lequel son employeur a été condamné en première instance perdure, malgré la décision du conseil de prud'homme. Certes, il en tire comme conséquence que son préjudice s'accroît, mais pour autant, il n'a pas augmenté le montant de sa demande indemnitaire.
Quant aux six nouvelles pièces litigieuses, s'agissant, à l'exception des trois pages de justificatifs de suivi psychiatriques et de traitement anti-dépresseur, de documents nécessairement connus de la société Sterna, puisqu' émis par cette dernière, ou de rappels d'une situation avérée et constante actualisée s'agissant de l'absence de paiement des primes, le court délai de trois jours avant l'ordonnance de clôture dans lequel elles ont été communiquées doit être regardé comme étant un temps utile de sorte qu'aucune violation de l'article 15 ou de l'article 16 du code de procédure civile n'est caractérisée.
En conséquence, il convient de rejeter les demandes de la société Sterna tendant à révoquer l'ordonnance de clôture pour lui permettre de répondre à ces écritures et pièces litigieuses ou à les écarter des débat.
II - Sur la recevabilité de l'action de M. [F]
Aux termes de l'article 122 du code de procédure civile, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer son adversaire irrecevable en sa demande sans examen au fond pour défaut de droit d'agir, tel la prescription ou l'autorité de chose jugée.
I - a) Sur l'autorité de chose jugée
L'article 1355 du code civil dispose que l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité.
En l'espèce, c'est en vain que la société Sterna soutient que M. [F] ayant déjà été indemnisé des préjudices résultant des conséquences de son accident du travail notamment par l'arrêt rendu le 11 décembre 2019 par la cour d'appel de Rouen, cette décision fait obstacle à la recevabilité de sa demande indemnitaire au titre de l'exécution défectueuse et discriminatoire de son contrat de travail, notamment en raison de son état de santé résultant de cet accident du travail.
En effet, si le présent litige oppose les mêmes parties, seule cette condition de la triple identité requise pour caractériser l'autorité de chose jugée est remplie, l'actuelle action de M. [F] n'ayant ni la même cause, ni le même objet que celle qu'il avait antérieurement introduite devant le tribunal des affaires de sécurité sociale. Alors qu'il s'agissait pour le salarié d'obtenir devant cette dernière juridiction l'indemnisation des conséquences préjudiciables de son accident du travail causé par une faute inexcusable de l'employeur, la présente action porte sur une demande d'indemnisation au titre du préjudice subi pour une exécution discriminatoire du contrat de travail. Il ne s'agit donc pas de la même cause. De même, la société Sterna ne peut soutenir qu'il s'agit du même objet, les conséquences de l'accident du travail de M. [F] consistant en un malaise survenu le 29 octobre 2014 ne recouvrant pas celles du traitement discriminant dont il se plaint, quand bien même ce comportement discriminant porterait pour partie sur son état de santé postérieur à cet accident.
Par ailleurs, certes, M. [F] ne conteste pas l'existence d'une identité de partie et de cause avec sa précédente action ayant conduit à l'arrêt rendu par la cour d'appel de Rouen le 29 septembre 2015, puisque ses demandes indemnitaires sont effectivement fondées sur la même pratique déloyale et discriminatoire en raison de son appartenance syndicale que celle qu'il dénonçait dans ladite instance.
Toutefois, et ainsi qu'il le fait justement remarqué, les deux instances n'ont pas le même objet, puisque la première instance visait le comportement de l'employeur antérieur à la décision de 2015 et que la présente instance vise à obtenir une indemnisation pour la persistance de ce comportement discriminatoire postérieurement à la décision susvisée.
En conséquence, il convient de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté la fin de non-recevoir fondée sur l'autorité de chose jugée.
II - b) Sur la prescription
La société Sterna soutient qu'en application de l'article L. 1471-1 du code du travail, M. [F] ne peut se prévaloir d'un quelconque manquement de son employeur antérieurement au 2 août 2015, soit deux ans avant sa saisine du conseil de prud'hommes.
Dans la mesure où les demandes indemnitaires de M. [F] porte sur la période d'exécution du contrat de travail postérieure au 29 septembre 2015, cette fin de non-recevoir est inopérante, aucune prescription n'étant encourue quant bien même il serait retenu l'application de l'article L. 1471-1 du code du travail, étant néanmoins fait observer que le délai prévu spécialement pour l'action en réparation du préjudice résultant d'une discrimination n'est pas de deux ans mais de cinq ans conformément à l'application de l'article L. 1134-5 du code du travail.
III - Sur l'exécution défectueuse et discriminatoire du contrat de travail
En application des articles L. 1132-1 et L. 2141-5 du code du travail, il est interdit à l'employeur de prendre en considération l'état de santé ou l'appartenance à un syndicat ou l'exercice d'une activité syndicale pour arrêter ses décisions en matière notamment de recrutement, de conduite et de répartition du travail, de formation professionnelle, d'avancement, de rémunération et d'octroi d'avantages sociaux, de mesures de discipline, et de rupture du contrat de travail.
L'article L. 1134-1 du code du travail prévoit qu'en cas de litige survenant en raison d'une méconnaissance des règles de non discrimination, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte au sens du droit communautaire.
C'est au vu de ces éléments, qu'il incombe à l'employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments étrangers à toute discrimination, précision faite que des faits peuvent être en soi discriminatoires, notamment des faits de harcèlement discriminatoire sans que l'employeur ne puisse les justifier par des éléments objectifs.
En l'espèce, il est constant que M. [F] bénéficie depuis 2008 d'un mandat de délégué du personnel affilié au syndicat CFDT. Il est également acquis que depuis cette même année, consécutivement à un premier accident du travail du 11 juin 2008, le médecin du travail a constaté une dégradation de son état de santé justifiant une aptitude à son poste avec restrictions, limitations dont le périmètre a été étendu par le médecin du travail à la suite du second accident du travail du 28 octobre 2014. Enfin, l'employeur ne conteste pas que depuis le mois de septembre 2015, M. [F] n'a accompli aucune prestation de travail, qu'il n'a pas perçu la prime BENAC mais soutient que ces faits sont indifférents à toute discrimination, ce qu'il lui revient d'établir, puisque ces éléments constants laissant incontestablement présumer une situation de discrimination syndicale et en raison de l'état de santé.
II- a) Sur l'absence de fourniture de travail
À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que seule la situation de M. [F] postérieure au 29 septembre 2015 doit être examinée. Toutefois, il convient de rappeler que le 4 février 2015, le médecin du travail a déclaré le salarié apte à la reprise de son poste de travail avec les restrictions suivantes: 'affectation d'un véhicule avec boîte automatique, citerne sans moteur auxiliaire de dépotage à corde, pas de conteneurs, éviction croche/décroche de remorque, éviction de chargement/déchargement de carburants. Contre-indication du port de charges supérieur à 15 kg, pour les produits noirs et engrais : port obligatoire et impératif d'un masque à cartouche et lunette pendant les chargements et déchargements, pas de couchage, rentre tous les jours.'
La société Sterna ne produit aucun document faisant état d'une contestation de cet avis, d'échanges avec le médecin du travail lui indiquant qu'elle n'était pas en capacité d'adapter le poste de travail de M. [F] conformément aux restrictions formulées, ni qu'elle a tenté de proposer un autre poste à son salarié.
Consécutivement à cet avis médical, le premier élément manifestant la position de l'employeur est un courrier du 14 juin 2017, par lequel l'employeur indique au médecin du travail que le fait de préciser « éviction de croche et de décroche de remorque » empêche d'affecter M. [F] aux conteneurs et au transport d'hydrocarbures en citerne et par suite lui demande de revoir le salarié en visite médicale pour revoir les restrictions ou le déclarer inapte. Il demandait au médecin du travail de revoir en visite médicale Monsieur [F] afin soit de revoir l'étendue des restrictions soit de le déclarer inapte.
À la suite de ce courrier et de mails de relance des 26 septembre et 3 octobre 2017, le médecin du travail a rendu, le 10 novembre 2017, un nouvel avis d'aptitude avec les préconisations suivantes : 'affectation d'un véhicule avec boîte automatique, pas de découchés, pas de charge supérieures à 15 kg, porte d'un masque à cartouche pour le chargement et le déchargement des bitumes et fiouls lourds, citerne sans moteur auxiliaire de dépotage à corde (bitumes et engrais); éviction croche/décroche de remorque sans caillebotis (risque de glissade) Eviction de chargement déchargement en dôme du fuel (y compris GNR) et du carburant diesel (risque de glissade) peut faire du transport de produits noirs et d'engrais si les préconisations (masque, cailleboitis et citerne compressible) sont mises en place.'
Or, bien que le médecin du travail ait expressément indiqué dans cet avis qu'il invitait l'employeur à lui indiquer en retour par écrit ce qui pouvait poser obstacle à la mise en place de ces aménagements de poste, la société Sterna ne s'est pas manifestée et ne lui a adressé aucun écrit en ce sens.
Le médecin du travail a réitéré sa position dans on avis du 5 août 2019. Là encore, l'employeur ne justifie aucunement avoir manifesté la moindre contestation, ni avoir adressé au médecin du travail le moindre écrit pour indiquer en quoi la quasi-totalité des missions de conducteurs poids lourds composant son activité était incompatible avec ces restrictions, étant au demeurant relevé qu'elle ne le fait toujours pas dans le cadre de cette présente instance, se contentant de procéder par simples affirmations.
En outre, si la société Sterna produit aux débats des échanges entre M. [R] et M. [F] qui montrent une très mauvaise entente entre ces deux salariés, M. [R] reprochant à M. [F] de ne pas vouloir travailler, ces pièces établissent également et sans que la société Sterna ne s'explique sur ce point, que M. [F] a refusé, à plusieurs reprises, de prendre la route, objectant que ses formations professionnelles obligatoires n'étaient pas à jour.
Parallèlement, alors que M. [F] s'est porté candidat au poste de formateur disponible dans l'entreprise le 16 octobre 2017 et au poste de moniteur le 20 novembre 2017, aucune réponse ne lui a été apportée, qu'elle soit positive ou négative.
Au regard de l'ensemble de ces éléments, s'il est incontestable que l'état de santé de M. [F] imposait de nombreuses restrictions limitant la variété de missions qui pouvaient lui être confiées et plaçant l'employeur dans une situation difficile, il n'en demeure pas moins que la société Sterna a manqué de diligence et de loyauté dans le traitement de cette situation, puisqu'elle n'a jamais contesté les avis du médecin du travail, qu'elle n'a jamais établi qu'elle était dans l'impossibilité de fournir du travail à M. [F] que ce soit sur des postes de conduite ou sur des postes plus administratifs ou sédentaires, qu'elle n'a pas non interpellé le médecin du travail sur les éventuelles difficultés à trouver les EPI adaptés à la situation de son salarié, ne réalisant à cet égard aucune étude de poste et refusant, par ailleurs et sans explication, ses candidatures au poste de moniteur et formateur.
De plus et ainsi que l'ont justement relevé les premiers juges, la société Sterna sur qui pèse une obligation de formation, n'a effectué aucun bilan de compétence, aucun entretien pour savoir si M. [F] avait les compétences requises pour d'autres postes existants dans le groupe, s'il avait besoin de formations pour pouvoir se reconvertir et si des aménagements de poste étaient nécessaires pour qu'il puisse retravailler, notamment sur les postes administratifs qui se sont libérés et qui ont été pourvu en externe sur la période litigieuse, ainsi que cela ressort de l'analyse des registres du personnel produit aux débats.
Ainsi, l'employeur ne prouve pas que l'inactivité totale de M. [F] entre septembre 2015 et janvier 2022 soit justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, que celle-ci soit liée à l'état de santé de M. [F] à ses activités syndicales.
II- b) Sur la suppression des primes BENAC et semestrielles
Si M. [F] a continué à percevoir son salaire de base, alors même qu'il ne travaillait pas, il est constant qu'il n'a pas perçu la prime BENAC, ni la prime semestrielle.
La société Sterna fait valoir que ces primes ne sont pas dues au salarié en l'absence de travail effectif. Toutefois, ainsi que l'ont justement retenu les premiers juges, dans la mesure où il est établi que cette absence totale d'activité est imputable à l'employeur, il ne saurait se prévaloir de sa propre turpitude pour justifier de façon objective et indépendamment de toute volonté discriminatoire le non paiement des primes.
Ainsi, au vu de l'ensemble de ces éléments, il est établi de manière incontestable que M. [F] a été victime d'exécution défectueuse de son contrat de travail par discrimination en raison de son état de santé et de son appartenance syndicale.
Au préjudice financier résultant de la non perception des primes (de l'ordre de 50 euros maximum par mois pour la prime BENAC et de l'ordre de 300 euros maximum par an pour la prime semestrielle), s'ajoute le préjudice moral subi par M. [F], l'inactivité qui lui a été imposée ayant provoqué un syndrome dépressif qui a été reconnu comme maladie professionnelle le 11 avril 2019. En outre, cette inactivité prolongée entre septembre 2015 et janvier 2022 entraîne nécessairement une perte de pratique professionnelle et de formation, préjudiciable à ses perspectives professionnelles.
Au vu de l'ensemble de ces éléments, il convient d'apprécier plus justement le préjudice subi par M. [F] en lui allouant à titre de dommages et intérêts pour l'ensemble des faits d'exécution défectueuse discriminatoire du contrat de travail, la somme de 8 000 euros, le jugement entrepris étant ainsi infirmé.
IV - Sur la demande indemnitaire du syndicat CFDT des métiers du transport de Normandie
L'atteinte à l'exercice du droit syndical a justement été évaluée et indemnisée par les premiers juges. En, conséquence, il convient de confirmer la décision entreprise sur ce point.
V - Sur les dépens et frais irrépétibles
En qualité de partie succombante , il y a lieu de condamner la société Sterna aux entiers dépens, de la débouter de sa demande formulée en application de l'article 700 du code de procédure civile et de la condamner à payer à M. [F] la somme de 1 200 euros au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel. En revanche, il n'y a pas lieu de faire droit à la demande présentée à ce titre par le syndicat CFDT des métiers du transport de Normandie.
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Statuant publiquement par arrêt contradictoire rendu par mise à disposition au greffe,
Rejette les demandes de la société Sterna tendant à révoquer l'ordonnance de clôture pour lui permettre de répondre à ces écritures et pièces ou à les écarter des débats ;
Infirme le jugement entrepris sur le quantum des dommages et intérêts alloués à M. [J] [F] ;
Statuant à nouveau,
Condamne la SAS Sterna à payer à M. [J] [F] la somme de 8000 euros à titre de dommages et intérêts pour l'ensemble des faits d'exécution défectueuse discriminatoire du contrat de travail ;
Confirme pour le surplus la décision entreprise ;
Y ajoutant,
Condamne la SAS Sterna aux entiers dépens ;
Déboute la SAS Sterna et le syndicat CFDT des métiers du transport de Normandie de leur demande respective au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la SAS Sterna à payer à M. [J] [F] la somme de 1 200 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
La greffière La présidente