N° RG 20/03745 - N° Portalis DBV2-V-B7E-ITMC
COUR D'APPEL DE ROUEN
CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE
SECURITE SOCIALE
ARRET DU 23 FEVRIER 2023
DÉCISION DÉFÉRÉE :
Jugement du CONSEIL DE PRUD'HOMMES DE ROUEN du 13 Novembre 2020
APPELANTE :
S.A.S. STERNA
[Adresse 2]
[Localité 6]
représentée par Me Linda MECHANTEL de la SCP BONIFACE DAKIN & ASSOCIES, avocat au barreau de ROUEN
INTIMES :
Monsieur [K] [V]
[Adresse 1]
[Localité 4]
présent
représenté par Me Thierry LEVESQUES, avocat au barreau de ROUEN
Syndicat CFDT DES METIERS DU TRANSPORT DE HAUTE NORMANDIE
[Adresse 3]
[Localité 5]
représentée par Me Thierry LEVESQUES, avocat au barreau de ROUEN
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 805 du Code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 11 Janvier 2023 sans opposition des parties devant Madame BERGERE, Conseillère, magistrat chargé du rapport.
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente
Madame BACHELET, Conseillère
Madame BERGERE, Conseillère
GREFFIER LORS DES DEBATS :
M. GUYOT, Greffier
DEBATS :
A l'audience publique du 11 Janvier 2023, où l'affaire a été mise en délibéré au 23 Février 2023
ARRET :
CONTRADICTOIRE
Prononcé le 23 Février 2023, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,
signé par Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.
EXPOSÉ DU LITIGE
M. [K] [V] a été engagé par la SAS [H] en qualité de conducteur poids lourd par contrat du contrat de travail à durée déterminée du 13 juin 2000, puis par contrat de travail à durée indéterminée.
Depuis 2008, M. [V] est membre titulaire du Comité d'entreprise, membre du CHSCT et délégué du personnel. Le 22 novembre 2016, il a été désigné délégué syndical CFDT.
Le 1er juillet 2008, la société [H] a concédé en location gérance à la SAS Sterna l'activité de transport de citernes. Le 3 octobre 2008, l'inspecteur du travail a refusé le transfert du contrat de travail de M. [V]. Le 30 mars 2009, le Ministre du travail a autorisé ce transfert ainsi que celui d'autres salariés protégés.
Le 21 décembre 2009, M. [V] s'est vu notifier son licenciement.
Par arrêt du 15 juin 2010, la cour d'appel de Rouen a constaté la nullité du licenciement de M. [V] en l'absence de saisine de l'autorité administrative pour autorisation et en l'absence de l'avis du comité d'entreprise, M. [V] étant un salarié protégé. La cour a ordonné sa réintégration au sein de la SAS Sterna et le reversement de ses salaires depuis le 12 novembre 2010. Elle a également condamné la SAS Sterna à verser à M. [V] la somme de 2 500 euros de provision à valoir sur son préjudice.
Par arrêt prononcé le 10 mai 2012, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi de la SAS Sterna.
Parallèlement, le 1er juin 2010, M. [V] a établi une déclaration de maladie professionnelle au titre d'une hernie discale lombaire gauche.
Par jugement du 28 juin 2013, le tribunal des affaires de sécurité sociale de l'Eure a dit que la maladie professionnelle dont M. [V] est atteint résulte de la faute inexcusable de la société Sterna, et, en conséquence, dit que la rente versée à M. [V] doit être majorée à son taux maximum, cette majoration lui étant versée directement par la caisse, ordonné une expertise médicale confiée au docteur [T] avec notamment mission de dire si la maladie professionnelle de M. [V] pouvait être due à un état pathologique préexistant, rappelé que la caisse pourra récupérer les sommes avancées à la victime par la société Sterna, sursis à statuer sur la demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par arrêt du 3 février 2015, la cour d'appel de Rouen a confirmé cette décision sauf en ce qu'elle a donné mission à l'expert de dire si la maladie professionnelle de M. [V] est due à un état pathologique préexistant.
Par ailleurs, par jugement du 31 octobre 2013, le conseil de prud'hommes de Rouen, estimant que M. [V] était victime de discrimination syndicale, a condamné la SAS Sterna à lui verser la somme de 50 000 euros de dommages et intérêts, le syndicat CFDT des métiers du transport de Normandie obtenant également 1 euro de dommages et intérêts.
Par arrêt du 29 septembre 2015, la cour d'appel de Rouen a confirmé cette décision.
Suivant requête du 2 août 2017, M. [V] a saisi le conseil de prud'hommes de Rouen d'une demande principale de dommages et intérêts pour nouvelle exécution défaillante, défectueuse et discriminatoire de son contrat de travail.
Le syndicat CFDT des métiers du transport de Normandie est intervenu volontairement à cette instance pour solliciter le paiement de dommages et intérêts.
Par jugement du 13 novembre 2020, le conseil de prud'hommes, en sa formation de départage, a déclaré recevable l'intervention du syndicat CFDT des Métiers du Transport de Normandie, condamné la société Sterna à verser M. [V] la somme de 12 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral et financier pour des faits de discrimination, outre celle de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, condamné la société Sterna à verser au syndicat CFDT des métiers du transport de Normandie la somme de 150 euros à titre de dommages et intérêts, outre celle de 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, débouté la société Sterna de sa demande de remboursement de salaire, dit n'y avoir lieu à l'exécution provisoire du jugement et condamné la société Sterna aux entiers dépens de l'instance.
La SAS Sterna a interjeté appel de cette décision le 19 novembre 2020.
Parallèlement, M. [V] a été licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement le 27 novembre 2019.
Par jugement du 11 juillet 2022, le conseil de prud'hommes de Rouen a prononcé la nullité du licenciement et ordonné la réintégration de M. [V] en condamnant la société Sterna à lui payer la somme de 96 760 euros au titre de l'indemnité compensatrice et forfaitaire de salaire depuis son licenciement.
La société Sterna a interjeté appel de cette décision.
Par conclusions remises le 19 février 2021, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens, la SAS Sterna demande à la cour d' infirmer le jugement en toutes ses dispositions,
statuant à nouveau, à titre principal, déclarer les demandes de M. [V] irrecevables, M. [V] ayant déjà été indemnisé de ses préjudices devant les juridictions de sécurité sociale, à titre subsidiaire, déclarer les demandes de M. [V] irrecevables puisque déjà invoqués dans un précédent contentieux prud'homal et en tout état de cause prescrites à la date de la saisine du conseil, à titre infiniment subsidiaire, débouter M. [V] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions, débouter le syndicat CFDT de l'ensemble de ses demandes, condamner M. [V] à verser la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens de l'instance, encore plus subsidiairement, réduire le montant des dommages et intérêts à de plus justes proportions, en tout état de cause, condamner M. [V] à procéder au remboursement de la somme brute de 1 945,93 euros qui lui a été allouée à titre provisionnel, par ordonnance du 24 juillet 2018.
Par conclusions remises le 13 décembre 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens, M. [V] et le syndicat CFDT des métiers du transport de Normandie demandent à la cour de confirmer le jugement entrepris, y ajoutant, condamner la SAS Sterna à verser à M. [V] une somme de 36 000 euros de dommages et intérêts pour exécution défaillante, défectueuse et discriminatoire du contrat de travail, outre celle de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, condamner la SAS Sterna à verser au syndicat CFDT des métiers du transport de Normandie une somme de 2 000 euros à titre de dommages et intérêts et 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, condamner la SAS Sterna aux entiers dépens.
L'ordonnance de clôture de la procédure a été rendue le 15 décembre 2022.
MOTIFS DE LA DÉCISION
I - Sur la recevabilité de l'action de M. [V]
Aux termes de l'article 122 du code de procédure civile, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer son adversaire irrecevable en sa demande sans examen au fond pour défaut de droit d'agir, tel la prescription ou l'autorité de chose jugée.
I - a) Sur l'autorité de chose jugée
L'article 1355 du code civil dispose que l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité.
En l'espèce, c'est en vain que la société Sterna soutient que M. [V] ayant déjà été indemnisé des préjudices résultant des conséquences de sa maladie professionnelle notamment par l'arrêt rendu le 3 février 2015 par la cour d'appel de Rouen, cette décision faisant obstacle à la recevabilité de sa demande indemnitaire au titre de l'exécution défectueuse et discriminatoire de son contrat de travail, notamment en raison de son état de santé résultant de cet accident du travail.
En effet, si le présent litige oppose les mêmes parties, seule cette condition de la triple identité requise pour caractériser l'autorité de chose jugée est remplie, l'actuelle action de M. [V] n'ayant ni la même cause, ni le même objet que celle qu'il avait antérieurement introduite devant le tribunal des affaires de sécurité sociale. Alors qu'il s'agissait pour le salarié d'obtenir devant cette dernière juridiction l'indemnisation des conséquences de sa maladie professionnelle causée par une faute inexcusable de l'employeur, la présente action porte sur une demande d'indemnisation au titre du préjudice subi pour une exécution discriminatoire du contrat de travail; il ne s'agit donc pas de la même cause. De même, la société Sterna ne peut soutenir que les deux actions ont le même objet, les conséquences préjudiciables de la maladie professionnelle de M. [V] consistant en une hernie discale étant parfaitement distinctes de celles du traitement discriminant dont il se plaint, quand bien même ce comportement discriminant porterait pour partie sur son état de santé.
Par ailleurs, certes, M. [V] ne conteste pas l'existence d'une identité de partie et de cause avec sa précédente action ayant conduit à l'arrêt rendu par la cour d'appel de Rouen le 29 septembre 2015, puisque ses demandes indemnitaires sont effectivement fondées sur la même pratique déloyale et discriminatoire en raison de son appartenance syndicale que celle qu'il dénonçait dans ladite instance.
Toutefois, et ainsi qu'il le fait justement remarqué, les deux instances n'ont pas le même objet, puisque la première instance visait le comportement de l'employeur antérieur à 2015 et que la présente instance vise à obtenir une indemnisation pour la persistance de ce comportement discriminatoire postérieurement à la décision susvisée.
En conséquence, il convient de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté la fin de non-recevoir fondée sur l'autorité de chose jugée.
II - b) Sur la prescription
La société Sterna soutient qu'en application de l'article L. 1471-1 du code du travail, M. [V] ne peut se prévaloir d'un quelconque manquement de son employeur antérieurement au 2 août 2015, soit deux ans avant sa saisine du conseil de prud'hommes.
Dans la mesure où les demandes indemnitaires de M. [V] portent sur la période d'exécution du contrat de travail postérieure au 29 septembre 2015, cette fin de non-recevoir est inopérante, aucune prescription n'étant encourue quant bien même il serait retenu l'application de l'article L. 1471-1 du code du travail, étant néanmoins fait observer que le délai prévu spécialement pour l'action en réparation du préjudice résultant d'une discrimination n'est pas de deux ans mais de cinq ans conformément à l'application de l'article L. 1134-5 du code du travail.
II - Sur l'exécution défectueuse et discriminatoire du contrat de travail
En application des articles L. 1132-1 et L. 2141-5 du code du travail, il est interdit à l'employeur de prendre en considération l'état de santé ou l'appartenance à un syndicat ou l'exercice d'une activité syndicale pour arrêter ses décisions en matière notamment de recrutement, de conduite et de répartition du travail, de formation professionnelle, d'avancement, de rémunération et d'octroi d'avantages sociaux, de mesures de discipline, et de rupture du contrat de travail.
L'article L. 1134-1 du code du travail prévoit qu'en cas de litige survenant en raison d'une méconnaissance des règles de non discrimination, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte au sens du droit communautaire.
C'est au vu de ces éléments, qu'il incombe à l'employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments étrangers à toute discrimination, précision faite que des faits peuvent être en soi discriminatoires, notamment des faits de harcèlement discriminatoire sans que l'employeur ne puisse les justifier par des éléments objectifs.
En l'espèce, il est constant que M. [V] bénéficie depuis 2008 de mandats de représentation des salariés et depuis 2016 d'un mandat de délégué syndical. Il est également acquis que M. [V] connaît depuis 2010 une dégradation de son état de santé liée à une maladie professionnelle pour laquelle la faute inexcusable de l'employeur a été judiciairement reconnue de manière définitive. Enfin, l'employeur ne conteste pas que depuis le mois de septembre 2015, M. [V] n'a accompli aucune prestation de travail, qu'il n'a pas perçu la prime BENAC et les primes semestrielles et de vacances mais soutient que ces faits sont indifférents à toute discrimination, ce qu'il lui revient d'établir, puisque ces éléments constants laissent incontestablement présumer une situation de discrimination syndicale et en raison de l'état de santé. Il en est de même de la position méprisante du dirigeant de la société évoquée par M. [V].
II- a) Sur l'absence de fourniture de travail et de formation
A titre liminaire, il y a lieu de rappeler que seule la situation de M. [V] postérieure au 29 septembre 2015 doit être examinée. Toutefois, il convient de rappeler les deux éléments antérieurs suivants, ayant des incidences sur cette période :
- suivant avis du 20 mai 2015, le médecin du travail a déclaré M. [V] apte à la reprise de son poste avec les restrictions suivantes : reprise sur tournées de livraisons de gaz (citerne) inter centres (pas d'efforts de tractions ni de port de charge), au départ, limitation impérative du kilométrage à 200 km/jour.
- bien que M. [V] ne l'expose pas explicitement, il est néanmoins établi au vu des documents produits par la société Sterna que ce dernier a bénéficié de septembre 2015 à mai 2016 d'une formation de cuisinier dans le but de l'obtention d'un CAP, étant précisé que M. [V] a présenté sa demande aux termes d'un courrier en date du 16 mars 2015.
Au vu de ces éléments, aucune discrimination fondée sur l'absence de fourniture de travail et l'absence de formation ne peut être retenue sur la période allant de septembre 2015 à mai 2016.
À l'issue de cette période de formation, qui manifestement n'a pas abouti à une reconversion de M. [V], le médecin du travail a émis un nouvel avis d'aptitude le 8 juin 2016 rédigé en des termes identiques à celui de mai 2015, à savoir : 'apte avec aménagement de poste : maintien sur tournées de livraisons de gaz (citerne) inter centres (pas d'efforts de tractions ni de port de charge) suite reprise d'activité au limitation impérative du kilométrage à 200km/jour.'
Or, s'il résulte de l'avis du médecin du travail du 19 septembre 2016, que dès le 24 juin 2016, la société Sterna a indiqué que de telles restrictions ne permettaient pas le maintien d'une activité professionnelle du salarié dans l'entreprise, le médecin du travail, dans son avis du 22 février 2017, a exprimé, après examen des fiches de poste établies par l'employeur, un avis contraire, indiquant : 'suite à la lecture des fiches de postes transmises par l'employeur : reprise sur tournées de livraisons de gaz (citerne) inter centres (pas de manutention) et sur gros porteur bouteilles de gaz : pour les approvisionnements des dépôts (pas de manipulation de bouteilles/déplacements à la journée). Véhicule à boîte automatique. Sur un périmètre journalier de départ de 300 km (à réévaluer par la suite).'
La société Sterna n'a jamais contesté cet avis. En outre, il résulte des échanges de mails produits aux débats qu'à la suite de cet avis, en mars 2017, l'employeur a proposé à M. [V] de venir récupérer ses équipements pour obtenir un poste de travail. Toutefois, cette proposition n'a pas été suivie d'effet, puisque dans un premier temps, M. [V] n'avait plus de carte de conducteur valide, puis dans un second temps, après avoir fait sa formation FCO et récupéré sa carte, ne pouvait prendre la route au volant d'un camion citerne, sa formation ADR n'étant plus valable depuis le 13 septembre 2015, sans que l'employeur ne remédie à cette situation, malgré des demandes par courrier du salarié.
La société Sterna ne justifie d'aucune démarche ou action quelconque jusqu'à un mail du 26 septembre 2017 adressé au médecin du travail, dans lequel elle écrit : 'cher Docteur, à notre demande, vous avez revu Mr [V] [K] en date du 22/02/2017 pour lequel vous avez prescrit textuellement : reprise sur tournées de livraisons de gaz (citerne) inter centres ( pas de manutention) et sur gros porteur bouteilles de gaz : pour les approvisionnements des dépôts (pas de manipulation de bouteilles/déplacements à la journée). Véhicule à boîte automatique. Sur un périmètre journalier de départ de 300 km.
Ces préconisations nous interdisent toute utilisation de Mr [V] dans son emploi de conducteur PL. Nous vous avons signalé à plusieurs reprises que Mr [V] ne pouvait effectuer des livraisons de gaz en citerne intercentre, en effet ces transports partent de la région havraise. C'est donc intentionnellement que Mr [V] vous indique une activité où on ne peut l'utiliser. C'est à juste titre que courant avril Mr [V] s'est abrité derrière cette restriction pour refuser des livraisons engrais liquide qui respectait la distance de 300 kms. Cette situation est intolérable et nous comptons sur vous pour y mettre fin le plus tôt possible.'
Le médecin du travail a répondu le 8 novembre 2017 en ces termes : 'compte tenu de votre courrier et de l'examen de ce jour, je ne vois qu'une solution de sortie de cette situation qui je vous le rappelle remonte au premier avis du Dr [B] qui date du 30 novembre 2007 (sachant que le périmètre alors préconisée était de 210 km), c'est de demander à votre salarié s'il accepterait d'être muté au Havre; quant à votre affirmation '... c'est donc intentionnellement que MR [V] vous indique une activité où on ne peut l'utiliser, je m'inscris en faux contre une telle assertion. À ce propos pouvez vous me préciser le périmètre dans lequel évolue les livraisons de gaz en citerne Inter-centres. Je propose également que ce périmètre puisse être réévalué à la lumière d'une reprise du travail que ce soit sur les livraisons de gaz en citerne Inter-centres ou sur les livraisons en engrais liquide.'
La société Sterna a répondu le lendemain en faisant les observations suivantes : 'Bonjour Docteur, nous faisons suite à votre mail du mercredi 8 novembre. Nous vous précisons que les seules relations que nous avons en livraison citerne gaz intercentre se font au départ du Havre et provoqueraient un déplacement.
- [Localité 7] - [Localité 9] en val totalise un aller-retour de 585 kms
- [Localité 7] - [Localité 8] A/R 476 kms
Les livraisons en engrais liquide ne sont qu'occasionnelles. Il faudrait que Mr [V] reprenne une activité locale en produit blanc (huile, carburant). Nous n'avons pas d'autres transports à proposer à Mr [V].'
Toutefois, aucune autre démarche n'est justifiée après cet échange jusqu'au mois d'avril 2018 où l'employeur a sollicité un nouvel avis du médecin du travail, si ce n'est que parallèlement, par courrier du 13 novembre 2017, M. [V] a postulé au poste de moniteur au sein de la société [H] et qu'il ne lui a pas été donné de réponses à cette candidature.
Le médecin du travail n'a pas statué sur l'aptitude du salarié en avril 2018, mais a rendu un nouvel avis le 18 mai 2018 concluant encore une fois à l'aptitude avec restriction du salarié en ces termes : 'reprise sur tournées de livraisons de gaz (citerne) intercentre (pas de manutention) proposition de l'employeur (23 mars 2018) avec véhicule équipé d'une boîte automatique dans un rayon de 300 km. Prière d'indiquer au médecin du travail par écrit et en retour ce qui peut poser obstacle à la mise en place de ces propositions d'aménagements.'
M. [V] a été placé en arrêt du travail du 22 mai au 24 juin 2018, mais la situation est demeurée en l'état jusqu'au 9 novembre 2018, date à laquelle M. [V] a, à nouveau, été déclaré apte à la reprise de son poste de chauffeur PL 44 T semi-remorque citerne par le médecin du travail avec les réserves suivantes : reprise sur tournées de livraisons de gaz (citerne) inter-centre (pas de manutention) avec attribution d'un véhicule équipé d'une boîte automatique sur des tournées ne dépassant pas 300 km.
Un nouvel avis a été rendu le 25 janvier 2019 en ces termes : 'suite à l'étude de poste sur l'activité de gros porteur gaz, réalisé avec le moniteur de l'entreprise le 8 janvier 2019, le salarié ne peut être affecté sur cette activité en raison de difficultés à manoeuvrer le bras de chargement et à supporter une position assise pendant la conduite du véhicule poids lourds.
Le salarié peut être affecté sur un poste sans conduite poids lourds, sans tâches nécessitant la manutention ou la manipulation de charges lourdes et encombrantes (flexibles ou bras de chargement par exemple) Prière d'indiquer au médecin du travail par écrit et en retour ce qui peut poser obstacle à la mise en place de ces propositions d'aménagements.'
À la suite de cet avis, il a été proposé à M. [V] le poste d'employé service cour au sein de la société [H]. Par courrier du 13 février 2019, le salarié a accepté sous réserve de son aptitude à ce poste et d'une absence de modification de son contrat de travail et du montant de son salaire qu'il ne souhaite pas inférieur à son salaire actuel. Par courrier du 18 mars 2019 et après avis favorable du médecin du travail, M. [V] indique à son employeur qu'il concède que l'absence de modification de son contrat de travail n'est pas envisageable, de sorte qu'il ne maintient plus qu'une seule condition à son acceptation, à savoir le maintien de son salaire actuel, ce qui a été refusé par courrier du 25 avril 2019, puisque ce poste était rémunéré sur la base de 151,67 heures par mois et non sur la base de 200 heures par mois comme le poste actuel de M. [V]. Ce dernier a alors demandé à son employeur, pour ce poste, un salaire au niveau de ceux proposés à MM. [M], [X] et [C], ce à quoi l'employeur a répondu par la négative, au motif que le salaire de M. [X] se justifiait par l'indemnité de déplacement incluse dans sa rémunération et que le salaire des autres avaient été imposé par l'inspection du travail et qu'il refusait donc un tel alignement. L'employeur considérant que la situation équivalait à un refus de sa proposition de reclassement, le licenciement de M. [V] est intervenu le 26 novembre 2019.
Au regard de l'ensemble de ces éléments, s'il est incontestable que l'état de santé de M. [V] imposait de nombreuses restrictions limitant la variété de missions qui pouvaient lui être confiées et plaçant l'employeur dans une situation difficile, il n'en demeure pas moins que la société Sterna a manqué de diligence et de loyauté dans le traitement de cette situation, puisqu'elle n'a jamais contesté les avis du médecin du travail, qu'elle n'a jamais établi qu'elle était dans l'impossibilité de fournir du travail à M. [V] que ce soit sur des postes de conduite ou sur des postes plus administratifs ou sédentaires, cette dernière ne répondant pas à sa candidature sur un poste de moniteur, les études de poste n'ayant été sérieusement réalisées qu'au début de l'année 2019.
De plus et ainsi que l'ont justement relevé les premiers juges, la société Sterna, sur qui pèse une obligation de formation et notamment à l'égard des salariés souffrant d'un handicap, tel M. [V] reconnu travailleur handicapé à partir de 2018, n'a effectué aucun bilan de compétence, aucun entretien pour savoir si M. [V] avait les compétences requises pour d'autres postes existants dans le groupe, s'il avait besoin de formations pour pouvoir se reconvertir et si des aménagements de poste étaient nécessaires pour qu'il puisse retravailler, notamment sur les postes administratifs qui se sont libérés et qui ont été pourvus en externe sur la période litigieuse, ainsi que cela ressort de l'analyse des registres du personnel produits aux débats.
Ainsi, l'employeur ne prouve pas que l'inactivité totale de M. [V] entre mai 2016 et novembre 2019 soit justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, que celle-ci soit liée à l'état de santé de M. [V] ou à ses activités syndicales.
II- b) Sur la suppression des primes BENAC, semestrielles et de vacances
Si M. [V] a continué à percevoir son salaire sur la base de 200 heures, alors même qu'il ne travaillait pas, il est constant qu'il n'a pas perçu la prime BENAC, ni la prime semestrielle, ni la prime de vacances.
La société Sterna fait valoir que ces primes ne sont pas dues au salarié en l'absence de travail effectif. Toutefois, ainsi que l'ont justement retenu les premiers juges, dans la mesure où il est établi que cette absence totale d'activité est imputable à l'employeur, il ne saurait se prévaloir de sa propre turpitude pour justifier de façon objective et indépendamment de toute volonté discriminatoire le non paiement des primes.
II- c) Sur le mépris affiché
Il n'est pas contesté que M. [H], gérant de la société, a insulté M. [V] de « connard » lors de la réunion du comité d'entreprise du 26 avril 2018.
La société Sterna verse aux débats l'attestation de Mme [O], assistante RH, qui explique le contexte dans lequel cet incident est survenu comme suit : 'le jour de la réunion du comité d'entreprise du 26 avril 2018, alors que Mr [H] s'entretenait calmement avec Mr [X], membre suppléant du CE, sur les comptes des différentes sociétés du groupe et notamment sur le recul important des chiffres d'affaires enregistrés par celle-ci, Mr [V] n'a eu de cesse d'interrompre leur conversation de façon totalement incorrecte et sur un ton moqueur. Après plusieurs interruptions indélicates dans le seul but d'empêcher toute discussion constructive, Mr [H] a un en mot malheureux qui était à la hauteur du comportement de Mr [V]. Je tiens en effet à préciser qu'en ma qualité d'assistante RH, j'assiste à toutes les réunions des représentants du personnel depuis maintenant près de 4 ans. Or, depuis cette date, je déplore l'attitude belliqueuse, négative, dévalorisante, irrespectueuse voire agressive de certains représentants du personnel à l'égard de Mr [H].'
Si cette attestation ne permet pas de caractériser le 26 avril 2018 une insulte gratuite à l'encontre de M. [V] uniquement liée à ses fonctions syndicales et à sa situation professionnelle, il n'en demeure pas moins qu'elle confirme le climat tendu et délétère existant entre les dirigeants de l'entreprise et les représentants du personnel et que cette situation, contrairement à ce que tente d'expliquer Mme [O], ne peut être décorrélée des mauvaises conditions de travail imposées à M. [V] et à d'autres représentants syndicaux ou de personnel pour l'employeur. Il s'en suit que sans en être la cause exclusive, l'attitude discriminatoire caractérisée dans les motifs adoptés précédemment, est à l'origine de cette attitude méprisante, et par suite, participe nécessairement à la discrimination dénoncée par M. [V].
Ainsi, au vu de l'ensemble de ces éléments, il est établi de manière incontestable que M. [V] a été victime d'exécution défectueuse de son contrat de travail par discrimination en raison de son état de santé et de son appartenance syndicale.
Outre le préjudice financier résultant de la non perception des primes (de l'ordre de 50 euros maximum par mois pour la prime BENAC et de l'ordre de 300 euros maximum par an pour les deux autres primes, la prime de vacances ayant succédé à l'ancienne prime semestrielle), s'ajoute le préjudice moral subi par M. [V], l'inactivité qui lui a été imposée ayant provoqué un syndrome dépressif qui a été reconnu comme maladie professionnelle le 11 octobre 2018. En outre, cette inactivité prolongée entre mai 2016 et novembre 2019, date de son licenciement, entraîne nécessairement une perte de pratique professionnelle et de formation, préjudiciable à ses perspectives professionnelles.
Au vu de l'ensemble de ces éléments, il convient d'apprécier plus justement le préjudice subi par M. [V] en lui allouant à titre de dommages et intérêts pour l'ensemble des faits d'exécution défectueuse discriminatoire du contrat de travail, la somme de 8 000 euros, le jugement entrepris étant ainsi infirmé.
III - Sur le remboursement de la provision allouée à M. [V]
Suivant ordonnance du 24 juillet 2018, le conseil de prud'hommes statuant en sa formation de référé, a condamné la société Sterna à régler à M. [V] une provision de 1 945, 93 euros correspondant à son salaire sur la période allant du 13 avril 2018 au 22 mai 2018, au cours de laquelle la société Sterna, considérant que M. [V] faisait l'objet d'une inaptitude médicale à son poste, a suspendu le contrat de travail et consécutivement le paiement du salaire.
Il ressort des pièces produites par la société Sterna, qu'à sa demande, le médecin du travail a reçu
M. [V] le 13 avril 2018. À la suite de cette visite, le médecin du travail a adressé à M. [D], responsable RH de la société, un mail lui indiquant que 'suite à l'examen pratiqué ce jour et compte tenu de son état de santé, je ne l'ai pas autorisé à prendre la conduite et donc orienté vers son médecin traitant'. Contrairement à ce que soutient la société Sterna, ce mail ne constitue aucunement un avis d'inaptitude.
Au demeurant, les pièces que la société Sterna produit elle-même aux débats montrent qu'elle ne pouvait ignorer cette situation. En effet, dès le 18 avril 2018, M. [D] a adressé un mail au médecin du travail l'informant que le médecin traitant de M. [V] n'avait pas pris d'arrêt de travail, le salarié ayant donc informé son employeur qu'il était en mesure de travailler. Il se plaignait également de ne pas avoir reçu l'avis d'inaptitude du 13 avril 2018. Or, dix minutes plus tard, M. [D] a reçu une réponse du médecin du travail lui indiquant qu'il n'avait pas statué sur 'l'aptitude' de M. [V], qu'il s'était contenté de renvoyer M. [V] vers son médecin traitant.
En l'absence d'avis d'inaptitude, c'est donc à tort que la société Sterna a considéré que le contrat de travail de M. [V] était suspendu pour la période allant du 13 avril 2018 au 22 mai 2018, de sorte qu'il convient de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté la demande tendant à obtenir le remboursement de la provision allouée le 24 juillet 2018.
IV - Sur la demande indemnitaire du syndicat CFDT des métiers du transport de Normandie
L'atteinte à l'exercice du droit syndical a justement été évaluée et indemnisée par les premiers juges. En, conséquence, il convient de confirmer la décision entreprise sur ce point.
V - Sur les dépens et frais irrépétibles
En qualité de partie succombante, il y a lieu de condamner la société Sterna aux entiers dépens, de la débouter de sa demande formulée en application de l'article 700 du code de procédure civile et de la condamner à payer à M. [V] la somme de 1 200 euros au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel. En revanche, il n'y a pas lieu de faire droit à la demande présentée à ce titre par le syndicat CFDT des métiers du transport de Normandie.
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Statuant publiquement par arrêt contradictoire rendu par mise à disposition au greffe,
Infirme le jugement entrepris sur le quantum des dommages et intérêts alloués à M. [K] [V] ;
Statuant à nouveau,
Condamne la SAS Sterna à payer à M. [K] [V] la somme de 8 000 euros à titre de dommages et intérêts pour l'ensemble des faits d'exécution défectueuse discriminatoire du contrat de travail ;
Confirme pour le surplus la décision entreprise ;
Y ajoutant,
Condamne la SAS Sterna aux entiers dépens ;
Déboute la SAS Sterna et le syndicat CFDT des métiers du transport de Normandie de leur demande respective au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la SAS Sterna à payer à M. [K] [V] la somme de 1 200 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
La greffière La présidente