N° RG 20/03647 - N° Portalis DBV2-V-B7E-ITF4
COUR D'APPEL DE ROUEN
CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE
SECURITE SOCIALE
ARRET DU 19 JANVIER 2023
DÉCISION DÉFÉRÉE :
Jugement du CONSEIL DE PRUD'HOMMES DE ROUEN du 26 Octobre 2020
APPELANTE :
Société AGENCE IMMOBILIERE COMMERCE - AGENCE DES PLATEAUX (AIC)
[Adresse 2]
[Localité 4]
représentée par Me Vincent MOSQUET de la SELARL LEXAVOUE NORMANDIE, avocat au barreau de ROUEN substituée par Me Amélie DE COLNET, avocat au barreau de ROUEN
INTIMEE :
Madame [U] [H] épouse [A]
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentée par Me Corinne BUHOT, avocat au barreau de ROUEN
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 805 du Code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 10 Novembre 2022 sans opposition des parties devant Madame POUGET, Conseillère, magistrat chargé du rapport.
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Madame BIDEAULT, Présidente
Madame ALVARADE, Présidente
Madame POUGET, Conseillère
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Mme WERNER, Greffière
DEBATS :
A l'audience publique du 10 Novembre 2022, où l'affaire a été mise en délibéré au 19 Janvier 2023
ARRET :
CONTRADICTOIRE
Prononcé le 19 Janvier 2023, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,
signé par Madame BIDEAULT, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.
EXPOSÉ DU LITIGE
Le 1er septembre 1995, Mme [U] [A] a été engagée en qualité de gestionnaire locative par la société Agence immobilière commerce (AIC, la société), créée par son père et son oncle, MM. [K] et [S] [H], dans le cadre d'un contrat de qualification de deux ans. Puis, la relation de travail s'est poursuivie en vertu d'un contrat à durée indéterminée non écrit.
Au cours de l'année 2008, la société a été cédée à MM. [X] et [F].
Par courrier en date du 22 janvier 2018, elle a reçu une convocation à un entretien préalable à une mesure de sanction disciplinaire pouvant aller jusqu'à un licenciement.
Le 15 février 2018, elle s'est vue notifier son licenciement pour cause réelle et sérieuse.
Le contestant, elle a saisi le conseil de prud'hommes de Rouen qui, par jugement du 26 octobre 2020, a :
- dit son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse,
- fixé son salaire brut moyen mensuel à la somme de 3 448,54 euros,
- condamné la société à lui régler les sommes suivantes :
3 203,57 euros au titre du solde de l'indemnité légale de licenciement,
46 500 euros de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la société à lui remettre les documents de fin de contrat dûment rectifiés et un certificat de travail faisant apparaître une ancienneté remontant au 1er octobre 1995, sous astreinte de 10 euros par jour et par document, à compter de la notification du jugement,
- dit qu'il se réservait le droit de liquider l'astreinte,
- «ordonné l'exécution provisoire sur ce qui est de droit»,
- débouté Mme [A] du surplus de ses demandes,
- débouté la société de sa demande reconventionnelle et condamné aux entiers dépens.
La société a relevé appel de ce jugement le 12 novembre 2020 et par conclusions remises le 21 juin 2021, demande à la cour de :
- le réformer sauf en ce qu'il a débouté la salariée du surplus de ses demandes,
- débouter Mme [A] de ses prétentions et de son appel incident,
- la condamner à lui payer la somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Par conclusions remises le 13 octobre 2022, Mme [A] demande à la cour de :
- confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a jugé que son licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse,
- le réformer partiellement en ce qui concerne le quantum du complément d'indemnité légale de licenciement, de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, de celle fondée sur l'article 700 du code de procédure civile et en ce qu'il l'a déboutée de ses autres demandes,
- statuant à nouveau,
- condamner la société à lui verser les sommes suivantes :
63 848,55 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse,
4 295,72 euros à titre de rappel de salaire au titre des heures supplémentaires,
429,57 euros à titre de congés payés y afférents,
7 499,29 euros à titre du solde d'indemnité légale de licenciement,
- ordonner la remise des documents de fin de contrat dûment rectifiés, sous une astreinte définitive de 70 euros par jour de retard et par document,
- débouter la société de toutes ses demandes,
- condamner la société à lui verser une somme complémentaire de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens de première instance et d'appel.
L'ordonnance de clôture a été fixée au 20 octobre 2022.
Il est renvoyé aux écritures des parties pour l'exposé détaillé de leurs moyens et arguments.
MOTIFS DE LA DÉCISION
1) Sur les heures supplémentaires
En application de l'article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées, aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.
En l'espèce, Mme [A] sollicite le paiement de 149,50 heures supplémentaires pour la période de septembre 2015 à janvier 2018, en produisant des tableaux de bord mensuels précisant les heures supplémentaires prétendument accomplies certains jours et celles récupérées, notamment pour des rendez-vous médicaux. Elle fournit également des mails adressés à son employeur où elle lui indique les jours ou demi-journées prises à déduire du «nombre d'heures cumulées» dont elle précise le quantum.
Ces éléments sont suffisamment précis pour permettre à l'employeur d'y répondre.
Celui-ci ne justifie pas des heures réellement effectuées par la salariée mais indique qu'il avait accepté que cette dernière « travaille plus certains jours pour bénéficier d'un crédit d'heures » pour des rendez-vous personnels.
Ainsi, la société ne discute pas le principe de la réalisation d'heures de travail supplémentaires par Mme [A] mais en conteste le quantum et soutient que celles-ci ont été récupérées. Elle produit, à cet effet, de multiples mails échangés avec la salariée et relève des incohérences concernant ses jours d'absence pour congés de maladie de janvier 2018 pour laquelle la salariée reconnaît avoir commis des erreurs.
De plus, il s'infère, notamment, des mails des 25 août 2016, 6 et 8 février 2017, 25 janvier 2018, que la salariée a récupéré des heures qui n'ont pas été déduites de son décompte. Pour autant ces incohérences ne peuvent avoir pour conséquence de la débouter de l'intégralité de sa demande, eu égard aux éléments produits dont certains ne sont pas utilement contestés.
Aussi, sans qu'il soit besoin d'une mesure d'instruction, la cour a la conviction au sens du texte précité que Mme [A] a bien effectué des heures supplémentaires non rémunérées. Compte tenu des incohérences relevées, du taux horaire et des majorations applicables, il sera fait droit à la demande de la salariée à hauteur de 1 637,83 euros, outre les congés payés y afférents.
La décision déférée est infirmée sur ce chef.
2) Sur le licenciement
Conformément aux dispositions de l'article L.1232-1 du code du travail, le licenciement pour motif personnel doit être justifié par une cause réelle et sérieuse, laquelle implique qu'elle soit objective, établie et exacte et suffisamment pertinente pour justifier la rupture du contrat de travail.
Il appartient au juge d'apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, en formant sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.
Si un doute subsiste, il profite au salarié.
La lettre de licenciement du 15 février 2018 est motivée comme suit :
« Les griefs sont les suivants :
1- Vous assurez les fonctions de responsable du département « gérance » an sein de notre structure depuis quasiment votre entrée dans les effectifs, soit dix-huit années ; vous êtes assistée d'une collaboratrice.
Vous avez été en arrêt maladie à compter du 4 janvier midi pendant plusieurs jours. Cet arrêt maladie coïncide avec le changement de logiciel de traitement des données informatiques du département dont vous avez la charge, pour lequel vous avez été associée dans le calendrier de transfert des données.
Ainsi que vous le savez, le logiciel jusqu'alors utilisé depuis de nombreuses années dénommé TETRAWIN a été remplacé par un logiciel ARAMIS-HZI, installé par la société éponyme.
Or, à l'occasion de la bascule informatique qui devait s'opérer précisément à 15h30 le vendredi 5 janvier 2018 (la base informatique étant à nouveau accessible à partir du lundi matin suivant), nous nous sommes malheureusement rendus compte que la préparation dont vous avez la charge, n'avait pas été réalisée. Dès lors, nous avons dû en urgence dépêcher l'une de vos collègues pour que le travail que vous auriez dû accomplir en amont, puisse être fait.
Une réunion à l'entreprise a eu lieu le 2 novembre 2017 avec des intervenants de la société H2I ayant pour vocation de vous expliquer, notamment, la phase d'analyse des données dont vous aviez la gestion et le travail en amont nécessaire pour que ladite « bascule » s'opère dans de bonnes conditions. Vous aviez notamment pour mission de purger le logiciel en place des données obsolètes, de traiter le compte fournisseur, de façon à alléger les opérations de transfert informatique.
Vous n'avez pas effectué le travail attendu.
Votre assistante a dès lors été missionnée pour le faire.
Mais, plus encore, à l'occasion du travail réalisé par votre collègue, un certain nombre d'anomalies ont été détectées comme par exemple et par sondage, des comptes toujours en fonction alors que les propriétaires n'étaient plus gérés par notre structure, de nombreuses erreurs de saisie ou encore des comptes obsolètes suite à des ventes intervenues antérieurement.
Nous avons également noté que le compte concernant le dépôt de garantie des propriétaires se trouvait, pour nombre d'entre eux, être en débit par imputation de factures, pourtant et par définition, à la charge du locataire sortant ; c'est inconcevable !
Par conséquent, d'une part, vous n'avez pas exécuté le travail qui vous avait été confié pour permettre une bascule informatique dans de bonnes conditions et d'autre part, cette bascule a révélé de nombreuses défaillances qui vous sont directement imputables.
2 ' M. [F] a dû lors de votre arrêt maladie reprendre en urgence votre poste et traiter le courant. Il s'est aperçu que votre boîte mail professionnelle n'était pas correctement traitée et qu'un certain nombre de chèques était en attente d'encaissement sans explication logique.
Vous avez tenté d'expliquer que les mails étaient en grande partie des spams et que d'autres pourtant traités restaient notés comme non lus. Une bonne gestion de votre boîte implique nécessairement que celle-ci soit régulièrement nettoyée pour ne contenir que les emails d'importance et que ceux-ci soient notés comme ayant été traités.
C'est la démonstration d'un travail négligé.
3- Plus encore et plus grave, chaque année nous sommes contrôlés par notre assurance [M] qui audite les comptes pour prévenir les sinistres, notamment par une mauvaise gestion de l'agence.
S'agissant du département gérance, un certain nombre d'anomalies ont été relevées suite à l'audit réalisé le 8 novembre 2017 et dont nous avons eu connaissance du rapport au mois de janvier 2018.
Ces anomalies confirment malheureusement celles qui ont été révélées durant votre absence.
Le rapport cristallise des défauts dans les états de rapprochement bancaire, mettant en évidence des écritures non comptabilisées qui ont des conséquences sur les propriétaires et les locataires, qui peuvent dès lors engager notre responsabilité professionnelle.
Le rapport relève également par sondage, des erreurs de gestion par des encaissements de loyers enregistrés à tort sur certain compte de locataire, ou encore, des comptes propriétaires débiteurs et inactifs en gestion ou pour lesquels des lots sont vacants depuis plusieurs mois, ce qui évidemment n'est pas admissible ainsi que vous le savez, notamment dans le cadre réglementaire de la loi HOGUET.
L'auditeur conclut qu'il ne peut pas être en mesure de se prononcer favorablement quant à la représentation des fonds mandants détenus en cette matière « compte tenu du nombre important de suspens présents sur le rapprochement bancaire du mois de 08/2017, et du niveau des mandants débiteurs anormalement élevé sur la période de 12/2016 à 08/2017».
Le rapport relève en conclusion un risque d'insuffisance de trésorerie mandant important.
Sur ces points, vos explications sont relativement évasives en indiquant qu'en substance vous seriez débordée pour accomplir convenablement vos fonctions.
Cette explication n'est pas recevable dans la mesure où vous êtes assistée d'une collaboratrice expérimentée, ce qui en nombre de personnels exigés pour votre département est conforme aux standards. De plus, nous déplorons malheureusement une baisse significative du chiffre d'affaires réalisé, par un départ anormal de propriétaires lié à vos insuffisances.
4 - Ensuite, nous avons reçu des plaintes de clients qui ont indiqué ne jamais être rappelés alors que des messages sont envoyés via le standard par mail. Il s'agit d'un manquement qui cristallise un climat d'agacement des autres départements vers vous.
Les clients, globalement, se plaignent du département dont vous êtes responsable.
Pour exemple, nous avons été alertés par écrit au mois de janvier par la société BDM immobilier sur les insuffisances du département gestion et donc de votre propre travail.
Ces graves erreurs dans l'accomplissement de vos fonctions sont liées de toute évidence à un comportement désinvolte et votre manque criant d'application dans votre travail allant jusqu'à dénier l'autorité de la direction.
Ce comportement vous avait déjà été reproché en 2014 ; aucune suite n'avait été donnée. Notamment compte tenu de votre ancienneté et du fait de vos liens forts avec les anciens propriétaires de la société.
La direction avait fait preuve de clémence à l'époque en espérant que vous prendriez la mesure des observations qui vous avaient été faites pour que le département gérance puisse fonctionner à nouveau normalement.
Malheureusement, vous ne vous êtes pas remise en question et pis, vous avez de toute évidence considérer que votre ancienneté vous permettrait de travailler comme bon vous semble sans réelle gestion d'ailleurs de vos horaires tout en prenant une liberté incompatible avec la nature de vos fonctions.
Or, votre ancienneté, vos compétences professionnelles évidemment acquises pendant toutes ces années, votre niveau de rémunération (identique à un statut cadre que vous avez refusé) constituaient un ensemble de garanties sur la qualité de votre travail.
Ces errements constituent dès lors des fautes directement imputables à votre désinvolture préjudiciable à l'entreprise.
Outre le préjudice financier, l'image du département gérance est-elle aussi impactée durablement.
La rupture de votre contrat de travail s'avère dès lors inévitable. Elle n'interviendra néanmoins qu'à l'expiration d'un préavis de deux mois (...)".
Il convient de rappeler que la lettre de licenciement fixe les limites du litige, si bien qu'il n'appartient pas à la cour de se prononcer sur les griefs développés dans les conclusions de l'employeur ou par renvoi au rapport d'audit, dès lors que ceux-ci ne sont pas expressément repris dans celle-ci. En outre, elle doit faire état de faits précis, matériellement vérifiables et imputables à la salariée à raison des fonctions exercées.
Or, la cour relève qu'il n'est produit ni contrat de travail, ni fiche de poste concernant le périmètre de la fonction occupée par la salariée, laquelle conteste avoir eu la qualité de responsable du département gérance indiquée dans le courrier de congédiement.
Ses bulletins de salaire portent les mentions suivantes : « employée administrative (catégorie), gestionnaire locative (qualification), niveau AM2, coefficient 335 », ce qui correspond à un poste d'agent de maîtrise selon l'annexe 1 de la convention collective nationale de l'immobilier. Il s'infère de ce texte que de par sa classification professionnelle, la salariée «peut avoir la responsabilité technique du travail réalisé par du personnel de qualification inférieure». Toutefois, l'animation et la responsabilité de tâches complexes relèvent de la classification de cadre dont l'employeur se limite à alléguer qu'elle a été proposée à la salariée, qui l'aurait refusée, ce qu'elle réfute.
Dans ces conditions, pour justifier du périmètre des fonctions de la salariée et, partant, lui imputer les griefs ci-dessus énumérés, l'employeur produit principalement les attestations de Mme [W], responsable administrative engagée le 12 septembre 2016, et de Mme [I], gestionnaire locative engagée en remplacement de Mme [A].
La première qui indique être comptable copropriété, a produit deux attestations. La seconde où elle indique, notamment, que Mme [A] assurait « le suivi administratif, technique et comptable des SCI » et une seconde où elle précise que les « rapprochements bancaires de la gestion » n'étaient pas réalisés depuis février 2016 en imputant la responsabilité à la salariée.
La cour relève que Mme [W] appartenait à un autre service que celui de Mme [A] et se limite, étonnamment, à témoigner des seules fonctions qui cristallisent une partie du litige. Par ailleurs, ce témoignage est contredit par ceux produits par la salariée dont il ressort qu'elle n'exerçait aucun suivi juridique des SCI, domaine qui relevait de M. [F] et de son assistante, Mme [V] et ne disposait d'aucune compétence pour effectuer des tâches en matière comptable et notamment, celle relative au rapprochement bancaire. Bien qu'alléguant le contraire, l'employeur ne justifie ni de compétences comptables de la salariée, ni ne démontre lui avoir assuré une quelconque formation à ce titre durant les vingt années de la relation contractuelle.
Ce dernier produit également une attestation de Mme [I], gestionnaire locative engagée le 25 avril 2018 pour remplacer l'intimée. Au-delà du fait que l'auteur ne peut valablement témoigner des fonctions réellement exercées par Mme [A] puisqu'elle n'a jamais travaillé avec elle, la cour relève que les deux salariées ne bénéficiaient pas de la même classification. En effet, il résulte du contrat de travail de Mme [I] qu'elle relevait de la classification C1 de la convention collective applicable, soit celle de cadre. Or, comme cela a été précédemment indiqué, la mission confiée en vertu de ce statut ne peut être assimilée à celle reconnue à la salariée, sauf à démontrer que cette dernière avait les responsabilités d'un cadre, ce que l'employeur échoue à établir. Enfin, la teneur et les termes employés dans l'attestation par son auteur («j'ai été consternée de découvrir qu'il était possible de tenir aussi mal ses dossiers»), laquelle n'a été témoin d'aucun fait et qui pourtant, ne manque pas d'imputer à son prédécesseur des «retards», des «défauts de contrôle préalable», dénient, pour ces raisons, toute valeur probante à son écrit.
Par conséquent, il convient d'examiner les griefs reprochés à la salariée dont le périmètre exact des fonctions n'est pas établi par l'employeur et alors qu'elle ne disposait pas du statut de cadre mais de celui d'agent de maîtrise.
2-1) Sur le premier grief
À ce titre, l'employeur reproche à l'intimée plusieurs manquements.
En premier lieu, il fait grief à Mme [A] de ne pas avoir préparé la bascule informatique rendue nécessaire par le nouveau logiciel en n'effectuant pas un travail en amont consistant à purger le logiciel en place des données obsolètes et à traiter le compte fournisseur.
Il doit être relevé que la bascule informatique devait être effectuée le 5 janvier à 15h30. Pour autant, aucune des nombreuses pièces produites ne justifie d'une part, de ce qu'il avait été demandé à la salariée de traiter le compte fournisseur, alors qu'elle dénie que cette mission lui ait été confiée et d'autre part, qu'il lui avait été fixé une date limite, nécessairement antérieure à son arrêt de travail pour maladie (du 3 au 16 janvier 2018), pour effectuer le travail de «purge des dossiers», limite qu'elle n'aurait pas respecté.
Si l'arrêt de travail de la salariée a effectivement pu impacter l'organisation du service, il n'est toutefois pas permis de le lui reprocher et encore moins, de lui imputer un manquement à ce titre pour les raisons précédemment rappelées. Ceci est d'autant plus exact qu'elle indique, sans être utilement contredite, que le travail restant à accomplir portait sur une dizaine de dossiers sur un total de 450 et que le pointage des loyers ne pouvait intervenir qu'au cours du mois de la migration afin de s'assurer de l'exactitude des montants renseignés entre décembre 2017 et janvier 2018, lesquels étaient susceptibles de varier en raison de dispositions légales ou contractuelles.
En second lieu, au terme de la lettre de licenciement, la société reproche à la salariée les anomalies suivantes : des comptes toujours en fonction alors que les propriétaires n'étaient plus gérés par l'entreprise, de nombreuses erreurs de saisie ou encore des comptes obsolètes suite à des ventes intervenues antérieurement ainsi que le caractère débiteur de certains comptes de dépôt de garantie de propriétaires du fait de l'imputation de factures.
Concernant ces derniers faits et pour d'autres griefs reprochés à la salariée, l'employeur se fonde sur le rapport [M] (page 21) indiquant la date de réalisation de l'audit, soit le 8 novembre 2017, mais dont il est démontré qu'il lui a été adressé le 8 janvier 2018. S'il est vrai que l'auditeur a présenté, à la fin de sa mission, ses conclusions à l'employeur, soit des données d'ordre général, ce dernier n'a cependant eu une connaissance complète et précise des divers constats effectués que lors de la remise du rapport de 36 pages.
Dès lors, eu égard aux dates en présence et à celles de la procédure de licenciement, la salariée ne peut valablement opposer le délai de deux mois de l'article L. 1332-4 du code du travail. Ce moyen est, par conséquent, rejeté.
Si l'audit a rappelé que les mandants débiteurs étaient strictement interdits par la réglementation, il précise qu'il s'agit essentiellement de comptes « propriétaires » débiteurs en raison de factures et de charges de copropriété financées par la société, alors qu'elle ne dispose pas de la totalité des fonds appelés. Or, aucune pièce ne justifie de ce que la salariée disposait de procuration bancaire ou de la signature de la société lui permettant d'effectuer de tels règlements pour le compte d'AIC, de sorte que ce grief ne peut lui être imputé.
Il en est de même de celui tiré des erreurs de saisies, reprises dans le rapport d'audit, dans la mesure où le service comprenait trois personnes. Au surplus, il n'est pas utilement contesté par l'employeur de ce que la recommandation du cabinet d'audit concernant l'enregistrement des mandats de location dans un registre différent (transaction immobilière) de celui habituel (gestion immobilière) présente un caractère de nouveauté, puisque cette préconisation n'avait pas été émise lors du précédent rapport. Dans ces conditions, aucune faute ne peut reprochée à la salariée à ce titre.
Enfin, il a été également relevé que des comptes « propriétaires » étaient soit inactifs (2 comptes), soit actifs mais les lots avaient été vendus (3 comptes). Sans être utilement contredite, la salariée explique que pour les deux premiers comptes, il s'agissait de sommes extournées sur l'année N+1 pour régulariser l'année N, de sorte qu'aucun reproche ne peut lui être fait, étant observé, au surplus, que les sommes considérées sont minimes (237 et 119 euros). Quant aux autres comptes, ils concernent des SCI dans lesquelles M. [F], dirigeant d'AIC, était associé, eu égard aux pièces de l'intimée. Or, les précédents développements n'ont pas permis d'établir que ceux-ci relevaient de la compétence de Mme [A] mais au contraire, qu'ils étaient, en partie, gérer par ce dernier et son assistante.
Pour l'ensemble de ces raisons, le premier grief n'est pas établi.
2-2) Le second grief
L'employeur reproche également à la salariée une mauvaise gestion de sa boîte mail ainsi que le non-encaissement de chèques, ce qui, selon lui, caractériserait un travail négligé.
Toutefois, la cour relève qu'il n'est justifié d'aucune directive de l'employeur ou de charte concernant le traitement des boîtes de courriels professionnels. Aussi, seules les conséquences éventuelles de cette « mauvaise gestion » des emails peuvent être reprochées à la salariée, ce que fait d'ailleurs l'employeur dans le dernier point de la lettre de licenciement concernant les plaintes de clients.
Quant au non-encaissement de chèques, la cour constate que ce grief n'est pas explicité par des éléments précis permettant d'identifier les chèques et les montants concernés et ce, alors que la salariée le conteste et apporte des explications, non utilement contredites, concernant certains chèques.
Par conséquent, la matérialité de ce deuxième grief n'est pas, non plus, établie.
2-3) Le 3ème grief
Se fondant sur le rapport d'audit, l'employeur reproche à la salariée les faits précis suivants :
- des défauts dans les états de rapprochement bancaire,
- des erreurs de gestion par des encaissements de loyers enregistrés à tort sur certains comptes de locataire, ou encore, des comptes propriétaires débiteurs et inactifs en gestion ou pour lesquels des lots sont vacants depuis plusieurs mois,
- une baisse du chiffre d'affaires du fait du départ « anormal » de propriétaires du fait de ses insuffisances.
Concernant les erreurs dans les états de rapprochement bancaire, les précédents développements ont démontré que cette tâche ne relevait pas des missions de la salariée mais de celle de la comptable du service de gestion locative, laquelle a été en arrêt pour maladie en avril 2016 et n'a pas été remplacée, de sorte que Mme [A] explique avoir « fait de son mieux » et ce, alors qu'aucune formation comptable ne lui a été assurée pour ce faire. Dans ces conditions, l'employeur n'est pas fondé à lui reprocher de fautes à ce titre.
Quant au second point, la cour observe qu'il reprend des reproches énoncés dans le premier grief et sur lesquels elle s'est déjà prononcée, de sorte qu'ils n'ont pas lieu d'être de nouveau développés.
Concernant les erreurs relatives à des encaissements de loyers enregistrés sur les mauvais comptes, il ressort du rapport que cela ne concerne, en réalité, que deux opérations datant des 1er et 22 septembre 2016 dont la matérialité n'est pas contestée par la salariée. Toutefois, cette dernière indique qu'elles ont été rectifiées avant l'audit et elle fait remarquer, à juste titre, que sur la période auditée, cela représente deux erreurs sur 3600 encaissements, ce chiffre n'étant pas utilement contesté par la société.
Enfin, comme il le fait dans la lettre de congédiement, l'employeur n'est pas fondé à imputer à la salariée les conclusions défavorables de l'audit concernant la gestion immobilière (point 5.2.2 du rapport, page 31), puisque, pour les raisons précédemment évoquées, celles-ci sont justifiées d'une part, par les états de rapprochement bancaire qui ne relevaient pas de sa compétence, et d'autre part, par le montant total des mandants débiteurs pour lesquels elle ne disposait d'aucun pouvoir d'engagement bancaire de la société.
Sur ce dernier point encore, la cour observe que sur le montant total retenu par l'auditeur (61 K€ de mandants débiteurs), celui-ci met en évidence un mandant débiteur « direction » concernant la SCI PV-LH pour un montant de 20 K€ (cf. balance de synthèse, pièce 14-&). Or, il est établi que cette société est détenue par les dirigeants de la société, MM. [O] [F] et [B] [R], et, au surplus, que cette anomalie avait déjà été identifiée dans le précédent audit. Dès lors, l'employeur est mal venu à reprocher à sa salariée sa propre turpitude ainsi que les conséquences éventuelles de celle-ci sur sa garantie financière.
Enfin, si le rapport d'audit constate une baisse du chiffre d'affaires 2017, il ne l'explique pas par un départ massif de propriétaires insatisfaits mais par le fait que le cabinet a renoncé à des honoraires de gestion (pour une période d'un an à titre commercial) pour une trentaine de logements.
Ainsi, seul le grief tiré des deux erreurs d'encaissement de loyers est matériellement établi et imputable à l'intimée.
2-4) Le quatrième grief
L'employeur fait valoir des plaintes de clients indiquant ne jamais être rappelés, notamment la société BDM immobilier, ainsi qu'un climat d'agacement des autres départements envers Mme [A], ajoutant que ce comportement lui avait déjà été reproché.
Toutefois, la cour relève qu'aucune pièce ne justifie de l'existence d'une ambiance tendue entre la salariée et les autres services de l'entreprise.
Quant aux plaintes de clients, l'employeur produit, notamment, un courrier de la société BDM dont il n'y a pas lieu de tenir compte dans la mesure où il n'est ni signé, ni daté et dénué d'éléments permettant de s'assurer de la personne de son auteur. Ceci est d'autant plus exact que les deux mails de cette société se limitent à solliciter des documents auprès de la salariée sans qu'il y soit fait mention de relance ou d'une quelconque plainte de leur auteur.
La société fournit également de nombreux mails de la secrétaire de la société, envoyés à Mme [A] afin de lui indiquer les clients qu'elle doit rappeler.
Sur ce point, l'intimée ne peut reprocher à son employeur d'avoir accéder à sa boîte mail durant son absence et de produire certains de ses mails, alors qu'il s'agit de courriels professionnels, non identifiés comme personnels et qu'elle ne justifie pas de dispositions restrictives dans le règlement intérieur l'en empêchant.
Ce moyen tiré du défaut de légalité du mode de preuve ne peut qu'être rejeté.
Il ressort de l'examen de ces courriels que nombre d'entre eux ne peuvent être constitutifs de manquements de la salariée dans la mesure où il s'agit de relances de clients ayant appelé le jour même voire dans les 48 heures ou encore durant son absence pour congés payés ou de maladie. En outre, Mme [A] explique que certains de ces mails ne la concernaient pas (charges de copropriété, rédaction d'avenant, modification de statuts...) car ils ne relevaient pas de ses fonctions mais du service juridique, ce qui n'est pas utilement contredit par les pièces produites.
La cour observe encore que certains de ces mails étaient également adressés en copie à l'employeur de Mme [A], lequel ne justifie pas y avoir donné de suite jusqu'à la présente procédure. De plus, alors qu'il allègue que ce comportement de la salariée était récurrent, il ne justifie pour autant d'aucune sanction disciplinaire prise à son encontre durant plus de 20 ans de travail.
Enfin, alors que la société se prévaut de l'insatisfaction des clients de la salariée par les éléments ci-dessus discutés, cette dernière produit des témoignages de certains d'entre eux, attestant de leur satisfaction quant à la qualité de son travail.
Ainsi, sans qu'il y ait lieu de rentrer dans le détail des pièces (notamment de la volumineuse pièce n° 48) et des arguments de l'employeur concernant le comportement de la salariée postérieurement à son licenciement, lequel fait l'objet d'un contentieux commercial entre les parties, la cour constate que le seul fait matériellement établi et imputable à Mme [A] (deux erreurs d'encaissement de loyers) n'est pas suffisamment sérieux pour fonder une décision de licenciement.
Par conséquent, c'est à bon droit que les premiers juges ont considéré que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Eu égard au salaire de référence le plus favorable, reconstitué en tenant compte du rappel de salaire au titre des heures supplémentaires, et aux dispositions de l'article R.1234-2 du code du travail dans sa version applicable au litige, il était dû à la salariée la somme de 23 887,59 euros à titre d'indemnité légale de licenciement. Or, il lui a été versé la somme de 17 916,64 euros, de sorte qu'il lui reste dû celle de 5 970,95 euros, la décision déférée étant infirmée sur ce chef.
L'article L.1235-3 du code du travail dans sa version en vigueur, fixe l'indemnité du salarié ayant plus de 22 ans d'ancienneté entre 3 et 16,5 mois de salaire.
Eu égard à l'âge de la salariée au moment de la rupture (49 ans), à son salaire brut de référence (3 568,27 euros), à son ancienneté et à sa situation postérieure à son licenciement (auto-entrepreneur depuis le 24 juin 2018), il convient de considérer que la somme allouée par les premiers juges répare l'entier préjudice subi par Mme [A] au titre de son licenciement.
La décision déférée est confirmée sur ce chef et en sa disposition relative à la remise de documents de fin de contrat rectifiés.
3) Sur les dépens et les frais irrépétibles
En qualité de partie succombante, la société est condamnée aux dépens et déboutée de sa demande formée au titre des frais irrépétibles.
Pour le même motif, elle est condamnée à payer à Mme [A] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
LA COUR
par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
Confirme le jugement du 26 octobre 2020 du conseil de prud'hommes de Rouen, sauf en ses dispositions relatives aux heures supplémentaires et au solde de l'indemnité légale de licenciement,
Statuant à nouveau dans cette limite et y ajoutant,
Condamne la société Agence immobilière commerce (AIC) à payer à Mme [U] [A] les sommes suivantes :
1 637,83 euros au titre des heures supplémentaires, outre celle de 163,78 euros au titre des congés payés y afférents,
5 970,95 euros au titre du solde de l'indemnité légale de licenciement,
2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Déboute les parties du surplus de leurs demandes,
Condamne la société Agence immobilière commerce (AIC) aux dépens.
La greffière La présidente