N° RG 20/03291 - N° Portalis DBV2-V-B7E-ISPG
COUR D'APPEL DE ROUEN
CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE
SECURITE SOCIALE
ARRET DU 19 JANVIER 2023
DÉCISION DÉFÉRÉE :
Jugement du CONSEIL DE PRUD'HOMMES DE ROUEN du 16 Septembre 2020
APPELANT :
Monsieur [F] [H]
[Adresse 1]
[Localité 2]
présent
représenté par Me Solenn LEPRINCE de la SELARL EDEN AVOCATS, avocat au barreau de ROUEN substituée par Me Marion THOMAS, avocat au barreau de ROUEN
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2020/010970 du 02/11/2020 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de Rouen)
INTIMES :
Me [J] [W] en qualité de mandataire ad hoc de M. [T] [B]
[Adresse 3]
[Adresse 3]
[Localité 2]
n'ayant pas constitué avocat
régulièrement assigné par acte d'huissier en date du 17/12/2020
Association UNEDIC DELEGATION AGS CGEA [Localité 2]
[Adresse 4]
[Adresse 4]
[Localité 2]
représentée par Me Guillaume DES ACRES DE L'AIGLE de la SCP BONIFACE DAKIN & ASSOCIES, avocat au barreau de ROUEN substituée par Me Micheline HUMMEL-DESANGLOIS, avocat au barreau de ROUEN
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 805 du Code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 22 Novembre 2022 sans opposition des parties devant Madame BACHELET, Conseillère, magistrat chargé du rapport.
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente, rédactrice
Madame BACHELET, Conseillère
Madame BERGERE, Conseillère
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Mme WERNER, Greffière
DEBATS :
A l'audience publique du 22 Novembre 2022, où l'affaire a été mise en délibéré au 19 Janvier 2023
ARRET :
REPUTE CONTRADICTOIRE
Prononcé le 19 Janvier 2023, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,
signé par Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.
EXPOSÉ DU LITIGE
M. [F] [H] a été engagé par M. [T] [B], artisan exerçant en son nom propre, par contrat d'apprentissage du 7 septembre 2015 en vue de l'obtention d'un CAP 'installateur sanitaire'.
Par jugement du 30 janvier 2018, le tribunal de commerce de Rouen a prononcé la liquidation judiciaire de M. [T] [B] et désigné M. [J] [W] en qualité de mandataire liquidateur.
Par requête du 1er mars 2018, M. [F] [H] a saisi le conseil de prud'hommes de Rouen en paiement de rappels de salaire et d'indemnités.
Le 7 août 2018, la liquidation judiciaire a été clôturée pour insuffisance d'actif. Par ordonnance du 1er février 2019, M. [W] a été désigné en qualité de mandataire ad'hoc de M. [B].
Par jugement du 16 septembre 2020, le conseil de prud'hommes a déclaré irrecevables les demandes de M. [F] [H].
M. [F] [H] a interjeté un appel total le 16 octobre 2020.
Par conclusions remises le 14 décembre 2020, et signifiées à M. [J] [W] le 21 janvier 2021, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens, M. [F] [H] demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris,
statuant à nouveau,
- déclarer ses demandes recevables,
- condamner M. [J] [W], ès qualités, à lui verser les sommes suivantes :
rappels de salaire : 1 558,11 euros,
congés payés y afférent : 155,81 euros,
indemnité prévue par la convention collective en cas d'arrêt maladie : 1 954,52 euros,
dommages et intérêts : 5 777,56 euros,
- dire que M. [J] [W], ès qualités, devra lui remettre l'intégralité de ses bulletins de salaire, un certificat de travail, l'attestation Pôle emploi, son solde de tout compte,
- déclarer opposable à l'AGS CGEA de [Localité 2] le jugement à intervenir,
- ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir nonobstant appel, sur le fondement de l'article 515 du code de procédure civile,
- condamner M. [J] [W], ès qualités, à lui verser la somme de 2 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Par conclusions remises le 15 janvier 2021,signifiées à M. [J] [W], ès qualités, le 27 janvier 202, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens, l'AGS CGEA de [Localité 2] demande à la cour de :
- dire les demandes de M. [F] [H] inopposables à l'AGS et mettre hors de cause le CGEA de [Localité 2],
- en tout état de cause, débouter M. [F] [H] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
- dire que la demande formulée au titre de l'article 700 du code de procédure civile n'entre pas dans le champ d'application des garanties du régime, et par conséquent, mettre hors de cause le CGEA de [Localité 2] quant à cette demande,
- statuer ce que de droit quant aux dépens et frais d'instance sans qu'ils puissent être mis à la charge de l'association concluante.
M. [J] [W], ès qualités, n'a pas constitué avocat.
L'ordonnance de clôture de la procédure a été rendue le 3 novembre 2022.
MOTIFS DE LA DÉCISION
I - Sur la recevabilité des demandes
Le moyen tiré de l'irrecevabilité des demandes n'est plus soutenu devant la cour dès lors que par ordonnance rendue le 3 décembre 2020 par le président du tribunal de commerce de Rouen, M. [W] a été désigné comme mandataire judiciaire pour représenter M. [T] [B] sur la présente procédure.
Aussi, il convient d'infirmer le jugement entrepris ayant déclaré les demandes irrecevables.
II - Sur les rappels de salaire
M. [F] [H] soutient ne plus avoir été rémunéré à compter de novembre 2016, de sorte qu'il sollicite un rappel de salaire jusqu'à son arrêt maladie à compter du 3 janvier 2017.
L'Unedic délégation AGS CGEA de [Localité 2] qui indique ne disposer d'aucun élément, s'en rapporte à justice sur ce point.
Alors qu'il appartient à l'employeur d'établir la réalité du paiement des salaires, qu'en l'espèce cette preuve fait défaut, compte tenu du décompte précis et non critiqué produit, la cour accorde à M. [F] [H] la somme de 1 558,11 euros à titre de rappel de salaire, ainsi que les congés payés afférents.
III - Sur l'indemnité due en cas de maladie
M. [F] [H], qui a été en arrêt maladie à compter du 3 janvier 2017, sollicite le bénéfice des dispositions conventionnelles applicables dans cette hypothèse au titre du maintien de salaire dès lors qu'il en remplissait les conditions, précisant qu'il n'a jamais pu obtenir le versement des indemnités journalières versées par l'organisme social, en l'absence de tout bulletin de paie et de déclaration de l'employeur.
L'Unedic délégation AGS CGEA de [Localité 2] s'oppose en l'état à la demande au motif que les dispositions conventionnelles prévoient que l'indemnité versée par l'employeur complète les indemnités journalières, ce qui implique que le salarié accomplisse au préalable une démarche auprès de M. [W] ès qualités pour obtenir ses bulletins de paie pour obtenir le versement de ses indemnités journalières, pour ensuite obtenir le complément.
Selon l'article 6.121, en cas d'indisponibilité pour accident ou maladie, professionnels ou non, les ouvriers sont indemnisés dans les conditions fixées ci-dessous s'ils justifient au moment de l'arrêt de travail :
- pour les jeunes ouvriers âgés de moins de 25 ans et pour les apprentis sous contrat, de 1 mois d'ancienneté dans l'entreprise ;
- pour les ouvriers âgés d'au moins 25 ans :
- soit de 3 mois d'ancienneté dans l'entreprise ;
- soit de 1 mois d'ancienneté dans l'entreprise, s'ils ont au moins acquis 750 points de retraite CNRO (1) calculés selon les dispositions prévues au règlement de cette institution, dans les 10 dernières années précédant le jour où se produit l'arrêt de travail.
Pour l'application des dispositions de l'article 6.121, par ancienneté dans l'entreprise, il convient d'entendre le temps écoulé depuis la date du dernier embauchage sans que soient exclues les périodes pendant lesquelles le contrat a été suspendu.
Les conditions d'ancienneté prévues à l'alinéa 6.121 ne sont pas exigées en cas d'indisponibilité supérieure à 30 jours et due à un accident ou une maladie couverts par la législation de sécurité sociale relative aux accidents du travail et maladies professionnelles.
L'article 6.124 précise que pour pouvoir bénéficier de l'indemnisation, l'ouvrier doit :
- avoir justifié de son absence par la production du certificat médical visé à l'alinéa 6.111 ;
- justifier qu'il est pris en charge par la sécurité sociale ou la mutualité sociale agricole. Par ailleurs, l'indemnisation est subordonnée à la possibilité, pour l'employeur, de faire vérifier la réalité de l'indisponibilité de l'ouvrier conformément à la législation en vigueur.
Selon l'article 6-13, l'indemnité est versée après un délai de 3 jours d'arrêt de travail qui joue à chaque nouvelle indisponibilité, sous réserve des dispositions prévues à l'alinéa ci-dessous.
Ce délai n'est pas applicable lorsque l'indisponibilité est due à un accident ou une maladie couverts par la législation de sécurité sociale relative aux accidents du travail et aux maladies professionnelles (à l'exclusion des accidents de trajet générant un arrêt de travail d'une durée inférieure ou égale à 30 jours).
L'indemnité est calculée sur la base de 1/30 du dernier salaire mensuel précédant l'arrêt de travail, pour chaque jour, ouvrable ou non, d'arrêt de travail.
Le salaire mensuel pris en considération comprend tous les éléments constitutifs du salaire, à l'exclusion des indemnités ayant le caractère d'un remboursement de frais.
L'indemnité complète les indemnités journalières de la sécurité sociale et, éventuellement, toute autre indemnité ayant le même objet, perçue par l'ouvrier à l'occasion de son arrêt de travail, dans les conditions suivantes (voir tableaux ci-annexés).
1. Pour un accident ou une maladie non professionnels :
- jusqu'à concurrence de 100 % du salaire de l'intéressé, pendant 45 jours à partir de l'expiration du délai déterminé à l'alinéa 6.131 ;
- jusqu'à concurrence de 75 % du salaire de l'intéressé, après ces 45 jours et jusqu'au 90e jour inclus de l'arrêt de travail ; ......
Il n'est pas discuté que M. [F] [H] remplissait la condition liée à l'ancienneté pour être éligible au dispositif conventionnel.
Il produit le certificat médical prescrivant son arrêt pour un motif non professionnel à compter du 3 janvier 2017.
S'il n'est pas justifié qu'il a été pris en charge par la sécurité sociale au titre de cet arrêt, néanmoins, il communique un écrit de la caisse primaire d'assurance maladie affirmant qu'elle a reçu une demande relative à ses arrêts de travail mais aucune attestation de salaire de son employeur.
Aussi, si le salarié ne peut en application des dispositions conventionnelles ne réclamer que l'indemnité complémentaire qu'il aurait reçue si l'employeur n'avait pas manqué à ses obligations, pour le surplus, seule la réparation du préjudice résultant du manquement de son employeur peut être sollicitée.
Compte tenu de son dernier salaire d'un montant de 744,58 euros, du montant des indemnités journalières dues à hauteur de 39 % du smic en vigueur représentant une somme mensuelle de 577,31 euros et donc 865,96 euros pour 45 jours, du salaire qui aurait été perçu par le salarié sur la même période s'élevant à 1 116,87 euros, alors que l'indemnité se calcule sur un complément à hauteur de 100 % pour les 45 premiers jours, puis de 75 % pour les 45 jours suivants, l'employeur est redevable de la somme de 250,91 euros.
IV - Sur la demande de dommages et intérêts
M. [F] [H] sollicite des dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant du manquement de l'employeur qui l'a privé du versement des indemnités journalières en n'adressant pas à l'organisme social les documents nécessaires à leur calcul, alors qu'il aurait dû percevoir 3 777,56 euros, passé la période au cours de laquelle il bénéficiait du complément en application des dispositions conventionnelles, soit entre le 7 mars et et août 2017, à laquelle il ajoute 2 000 euros en réparation de son préjudice moral.
L'Unedic délégation AGS CGEA de [Localité 2] s'y oppose au motif qu'il appartient à la partie qui invoque un préjudice de prouver son existence et son étendue, qu'en tout état de cause, M. [F] [H] bénéficiera d'une régularisation de ses droits dès qu'il aura obtenu du mandataire ad'hoc ses bulletins de salaire.
M. [F] [H] établit que M. [T] [B] n'a pas adressé les éléments lui permettant d'obtenir paiement de ses indemnités journalières en communiquant le courrier de la caisse primaire d'assurance maladie affirmant qu'elle avait reçu une demande relative à ses arrêts de travail mais aucune attestation de salaire de son employeur.
Par sa carence, l'employeur a privé le salarié de ses droits à l'égard de l'organisme social.
Néanmoins, dès lors que la situation au titre des indemnités journalières est régularisable quand M. [F] [H] aura obtenu du mandataire ad'hoc ses bulletins de paie en exécution de la présente décision, son préjudice est réduit aux différents tracas occasionnés par la défaillance de l'employeur, justifiant de lui allouer la somme de 500 euros à titre de dommages et intérêts
V - Sur la garantie de l'Unedic délégation AGS CGEA de [Localité 2]
L'AGS soutient que sa garantie est inapplicable dès lors qu'a été prononcée la clôture pour insuffisance d'actif de la liquidation judiciaire de M. [T] [B].
En application des dispositions de l'article L.643-11 du code de commerce, le jugement de clôture de liquidation judiciaire pour insuffisance d'actif ne fait pas recouvrer aux créanciers l'exercice individuel de leurs actions contre le débiteur, sauf si la créance résulte d'une condamnation pénale du débiteur ou de droits attachés à la personne du créancier.
Il est admis que la créance salariale ou indemnitaire d'un salarié résulte de droits attachés à la personne, de sorte qu'en cas de clôture pour insuffisance d'actif, le salarié recouvre l'exercice individuel de son action contre le débiteur, ce qui conduit à prononcer une condamnation.
Par ailleurs, en application de l'article L.3253-8 du code du travail, l'assurance de l'AGS couvre notamment les sommes dues aux salariés à la date du jugement d'ouverture de toute procédure de redressement ou de liquidation judiciaire, sans restriction liée aux suites données à ces procédures.
En conséquence, la garantie de l'AGS est due sous les seules limites fixées par les articles L.3253-8 et suivants du code du travail, à défaut de fonds disponibles, cette garantie n'incluant pas les sommes allouées au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
VI - Sur les autres points
M. [W], ès qualités, devra remettre à M. [F] [H] ses bulletins de paie à compter de novembre 2016, son certificat de travail et l'attestation Pôle emploi, tout autre document n'étant pas nécessaire.
L'arrêt étant exécutoire même en cas de pourvoi, la demande d'exécution provisoire est sans objet.
VII - Sur les dépens et frais irrépétibles
En qualité de partie principalement succombante, M. [J] [W] ès qualités est condamné aux entiers dépens y compris de première instance.
Bénéficiaire de l'aide juridictionnelle totale et ne justifiant pas de frais restés à sa charge, M. [F] [H] est débouté de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Statuant dans les limites de l'appel, publiquement par arrêt réputé contradictoire mis à disposition au greffe,
Infirme le jugement entrepris ayant déclaré les demandes de M. [F] [H] irrecevables ;
Statuant à nouveau,
Déclare M. [F] [H] recevable en ses demandes ;
Condamne M. [J] [W], ès qualités, à payer à M. [F] [H] les sommes suivantes :
rappel de salaire : 1 558,11 euros
congés payés afférents : 155,81 euros
indemnité complémentaire en cas de maladie : 250,91 euros
dommages et intérêts : 500,00 euros
Dit que l'Unedic délégation AGS CGEA de [Localité 2] devra sa garantie pour ces sommes dans les conditions fixées par les articles L.3253-8 et suivants du code du travail, à défaut de fonds disponibles ;
Ordonne la remise par M. [J] [W], ès qualités, des bulletins de paie à compter de novembre 2016, du certificat de travail et de l'attestation Pôle emploi ;
Rejette tout autre demande ;
Dit sans objet la demande d'exécution provisoire ;
Condamne M. [J] [W], ès qualités, aux entiers dépens de première d'instance et d'appel ;
Déboute M. [F] [H] de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.
La greffière La présidente