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12/01/2023 | FRANCE | N°20/03160

France | France, Cour d'appel de Rouen, Chambre sociale, 12 janvier 2023, 20/03160


N° RG 20/03160 - N° Portalis DBV2-V-B7E-ISGJ





COUR D'APPEL DE ROUEN



CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE



ARRET DU 12 JANVIER 2023











DÉCISION DÉFÉRÉE :





Jugement du CONSEIL DE PRUD'HOMMES DE BERNAY du 07 Septembre 2020





APPELANTE :





Madame [K] [P]

[Adresse 4]

[Adresse 4]

[Localité 1]



représentée par Me Valérie-Rose LEMAITRE de la SCP LEMAITRE, avocat au barreau de l'E

URE









INTIMEE :





S.E.L.A.R.L. PHARMACIE DE LA RISLE

[Adresse 3]

[Localité 2]



représentée par Me Vincent MOSQUET de la SELARL LEXAVOUE NORMANDIE, avocat au barreau de ROUEN substituée par Me Christelle PREVOST,...

N° RG 20/03160 - N° Portalis DBV2-V-B7E-ISGJ

COUR D'APPEL DE ROUEN

CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE

ARRET DU 12 JANVIER 2023

DÉCISION DÉFÉRÉE :

Jugement du CONSEIL DE PRUD'HOMMES DE BERNAY du 07 Septembre 2020

APPELANTE :

Madame [K] [P]

[Adresse 4]

[Adresse 4]

[Localité 1]

représentée par Me Valérie-Rose LEMAITRE de la SCP LEMAITRE, avocat au barreau de l'EURE

INTIMEE :

S.E.L.A.R.L. PHARMACIE DE LA RISLE

[Adresse 3]

[Localité 2]

représentée par Me Vincent MOSQUET de la SELARL LEXAVOUE NORMANDIE, avocat au barreau de ROUEN substituée par Me Christelle PREVOST, avocat au barreau de ROUEN

COMPOSITION DE LA COUR  :

En application des dispositions de l'article 805 du Code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 16 Novembre 2022 sans opposition des parties devant Madame ALVARADE, Présidente, magistrat chargé du rapport.

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente

Madame ALVARADE, Présidente

Madame BACHELET, Conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Mme DUBUC, Greffière

DEBATS :

A l'audience publique du 16 Novembre 2022, où l'affaire a été mise en délibéré au 12 Janvier 2023

ARRET :

CONTRADICTOIRE

Prononcé le 12 Janvier 2023, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

signé par Madame ALVARADE, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.

EXPOSÉ DU LITIGE

Mme [K] [P] a été engagée par la l'Eurl Pharmacie Desprez en qualité de pharmacien assistant suivant contrat de travail à durée indéterminée du 1er juillet 2002. Elle occupait en dernier lieu les fonctions de pharmacien adjoint au sein de la Selarl Pharmacie de la Risle, dirigée par M. [C], des suites d'un transfert de son contrat de travail à compter du 1er septembre 2013.

Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale de la Pharmacie d'officine.

La Selarl Pharmacie de la Risle employait habituellement au moins onze salariés au moment du licenciement.

Mme [P] a été placée en arrêt maladie de façon discontinue à compter de 2013.

Le 20 novembre 2017, la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées (CDAPH) a reconnu à Mme [P] le statut de travailleur handicapé pour la période du 20 novembre 2017 au 30 novembre 2022.

Son contrat de travail faisait l'objet de suspensions du 6 au 16 décembre 2017 et du 9 au 14 avril 2018, puis à compter du 23 avril 2018.

Après avoir été convoquée à un entretien préalable fixé le 8 juin 2018, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 15 juin 2018, Mme [P] a été licenciée pour faute grave.

Suivant requête du 19 mars 2019, Mme [P] a saisi le conseil de prud'hommes en contestation de son licenciement, ainsi qu'en paiement de rappel de salaire, d'indemnités et de dommages et intérêts.

Par jugement du 7 septembre 2020, le conseil de prud'hommes de Bernay a :

au titre de l'exécution du contrat de travail,

- condamné la Selarl Pharmacie de la Risle à verser à Mme [P] la somme de 70 euros brut à titre de rappel de prime conventionnelle d'équipement pour l'année 2015,

- constaté que la Selarl Pharmacie de la Risle a réglé 142 euros brut de prime conventionnelle d'équipement au titre des années 2016, 2017 et 2018 à Mme [P],

- débouté Mme [P] de sa demande de nullité de son licenciement pour discrimination en raison de son état de santé,

au titre de la rupture du contrat de travail, à titre principal,

- dit que le licenciement de Mme [P] n'est pas nul pour discrimination,

- débouté Mme [P] de l'ensemble de ses demandes tendant à voir dire et juger que son licenciement est discriminatoire et nul comme étant lié à son état de santé,

- débouté Mme [P] de ses demandes subséquentes tendant à voir condamner la Selarl Pharmacie de la Risle à lui verser une indemnité compensatrice de préavis, une indemnité de congés payés sur préavis, une indemnité légale de licenciement et une indemnité au titre du caractère illicite du licenciement,

à titre subsidiaire,

- dit que le licenciement de Mme [P] pour faute grave est bien fondé,

- débouté Mme [P] de l'ensemble de ses demandes tendant à voir dire et juger que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse,

- débouté Mme [P] de ses demandes subséquentes tendant à voir condamner la Selarl Pharmacie de la Risle à lui verser une indemnité compensatrice de préavis, une indemnité des congés payés sur préavis, une indemnité légale de licenciement et une indemnité au titre des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- ordonné à la Selarl Pharmacie de la Risle de remettre à Mme [P] un bulletin de salaire complémentaire et une attestation Pôle Emploi rectifiée et conforme pour les condamnations ayant le caractère de salaire ou d'accessoire de salaire,

- condamné Mme [P] à verser à la Selarl Pharmacie de la Risle la somme de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté Mme [P] de sa demande tendant à voir condamner la Selarl Pharmacie de la Risle à lui verser la somme de 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- laissé les dépens à la charge des parties chacune pour leur part respective,

- dit qu'à défaut de règlement spontané des condamnations prononcées par la décision, le montant des sommes retenues par l'huissier chargé de l'exécution forcée au titre de l'article 10 du décret 96 1080 du 12 décembre 1996 (tarif des huissiers), modifié par le décret 2001 du 8 mars 2001, devra être supporté par Mme [P] en sus de l'indemnité mise à sa charge sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Mme [P] a interjeté appel de cette décision dans des formes et délais qui ne sont pas critiqués.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 20 octobre 2022.

MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Par conclusions notifiées par voie électronique le 4 janvier 2021 auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé de ses moyens, Mme [P], appelante, demande à la cour de :

- voir infirmer le jugement en ce qu'il l'a déboutée de ses demandes relatives, à titre principal, à la nullité de son licenciement et, subsidiairement, à l'absence de cause réelle et sérieuse de licenciement et l'a condamnée à verser à la Selarl Pharmacie de la Risle la somme de 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

statuant de nouveau,

à titre principal,

- dire que son licenciement, fondé sur son état de santé, est discriminatoire et nul,

- condamner la Selarl Pharmacie de la Risle à lui verser les sommes suivantes :

indemnité compensatrice de préavis : 9261,27 euros brut,

congés payés sur préavis : 926,12 euros brut,

indemnité légale de licenciement : 14 063,41 euros net,

indemnité au titre du caractère illicite du licenciement : 74 090,16 euros net de toutes charges et contributions sociales,

- ordonner à la Selarl Pharmacie de la Risle de lui remettre des documents de fin de contrat (certificat de travail et attestation Pôle emploi) rectifiés, conformes au jugement, ainsi qu'un bulletin de salaire pour celles des condamnations ayant le caractère de salaire ou accessoire de salaire,

subsidiairement,

- dire que son licenciement ne repose pas sur une faute grave, et est dépourvu de cause réelle et sérieuse,

- condamner la Selarl Pharmacie de la Risle à lui verser les sommes suivantes :

indemnité compensatrice de préavis : 9 261,27 euros brut,

congés payés sur préavis : 926,12 euros brut,

indemnité légale de licenciement : 14 063,41 euros net,

dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 40 132,17 euros net de toutes charges et contributions sociales,

- ordonner à la Selarl Pharmacie de la Risle de lui remettre des documents de fin de contrat (certificat de travail et attestation Pôle emploi) rectifiés, conformes au jugement, ainsi qu'un bulletin de salaire pour celles des condamnations ayant le caractère de salaire ou accessoire de salaire,

- condamner la Selarl Pharmacie de la Risle à lui verser la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la Selarl Pharmacie de la Risle aux entiers dépens.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 2 avril 2021 auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé de ses moyens, la Selarl Pharmacie de la Risle, intimée, demande à la cour de :

- constater qu'elle a procédé au règlement des condamnations mises à sa charge par jugement rendu le 7 septembre 2020 par le conseil au titre du rappel de prime conventionnelle d'équipement pour l'année 2015 à hauteur de 70 euros bruts et a adressé un bulletin de salaire complémentaire et les documents de fin de contrat conformes au jugement prononcé,

- confirmer le jugement en ses autres dispositions en ce qu'il a :

constaté que la société a réglé 142 euros brut à Mme [P] au titre de la prime conventionnelle d'équipement au titre des années 2016, 2017 et 2018,

dit que le licenciement de Mme [P] est dépourvu de discrimination et de nullité,

débouté Mme [P] de l'ensemble de ses demandes tendant à voir dire et juger que son licenciement est discriminatoire et nul comme étant lié à son état de santé,

débouté Mme [P] de ses demandes subséquentes tendant à voir condamner la société à lui verser une indemnité compensatrice de préavis, une indemnité de congés payés sur préavis, une indemnité légale de licenciement et une indemnité au titre du caractère illicite du licenciement, dit que le licenciement de Mme [P] pour faute grave est bien fondé, débouté Mme [P] de l'ensemble de ses demandes tendant à voir dire et juger que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse,

débouté Mme [P] de ses demandes subséquentes tendant à voir condamner la société à lui verser une indemnité compensatrice de préavis, une indemnité de congés payés sur préavis, une indemnité légale de licenciement et une indemnité au titre des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

condamné Mme [P] à verser à la société la somme de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la première instance,

débouté Mme [P] de sa demande tendant à voir condamner la société à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la première instance,

- débouter Mme [P] de toutes ses demandes,

- sur le fondement de l'article 696 du code de procédure civile,

condamner Mme [P] aux entiers dépens,

- sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

condamner Mme [P] à lui verser la somme de 3500 euros,

- à défaut de règlement spontané des condamnations prononcées dans l'arrêt, condamner Mme [P] à lui verser le montant des sommes retenues par l'huissier chargé de l'exécution forcée au titre de l'article 10 du décret n° 96-1080 du 12 décembre 1996 (tarif des huissiers), modifié par le décret n°2001-212 du 8 mars 2001, en sus de l'application de l'article 700 du code de procédure civile.

MOTIFS

1 - Sur les demandes au titre de la rupture du contrat de travail:

La lettre de licenciement en date du 15 juin 2018 est ainsi motivée :

« ' nous vous notifions, par la présente, votre licenciement pour faute grave pour les motifs suivants :

Le 23 avril 2018, vous êtes passée à l'officine déposer votre arrêt maladie après vous être rendue à la médecine du travail suite à une demande de votre part.

Vous êtes arrivée énervée à l'officine en raison du fait que le médecin du travail n'avait pas pu vous recevoir.

Vous avez rencontré Mme [C], surprise de votre énervement, elle vous a demandé pourquoi vous étiez arrêtée. Vous avez alors eu un comportement violent et agressif à son égard en l'insultant copieusement, pendant un long moment.

En état de sidération, Mme [C] n'a pas répliqué à vos insultes.

Cette scène s'est déroulée devant des salariées de l'officine qui ont été particulièrement choquées par la violence verbale dont vous avez fait preuve.

Cette attitude est totalement inadmissible. Un tel comportement ne peut être toléré au sein de notre officine.

A ces faits s'ajoute un précédent comportement agressif de votre part.

Le 4 avril 2018, vous avez manifesté vivement votre colère en raison du fait qu'un ensemble de produit de la gamme GALDERMA (que vous aviez commandé) avait été retourné au laboratoire. Ce retour était justifié par le fait que l'officine était déjà en possession du même type de ces produits dans une marque concurrente, ce que vous saviez.

Mécontente, vous avez fait un esclandre devant vos collègues de travail en dénigrant la Direction.

Une fois de plus, vous avez encore fait preuve d'agressivité sur votre lieu de travail.

Vos excès de colère réguliers perturbent le fonctionnement de l'officine.

Plusieurs de vos collègues nous ont d'ailleurs fait part qu'elles ressentent un sentiment de malaise en votre présence.

De plus, votre comportement de dénigrement et vos insultes envers le Direction de l'officine sont totalement inacceptables.

Lors de l'entretien, vous avez totalement occulté les faits qui vous sont reprochés sans prendre conscience de la gravité de vos actes, en indiquant que vous n'aviez fait que rétorquer à une agression, alors que vous êtes venue chercher la confrontation. Vous nous avez dit que vous n'aviez aucun regret au sujet de vos paroles.

Ces faits sont constitutifs d'une faute grave.

En conséquence, nous vous notifions, par la présente, votre licenciement pour faute grave' »

Mme [P] poursuit la nullité de son licenciement au motif qu'il revêt un caractère discriminatoire en raison de son état de santé.

Par application de l'article L.1132-1 du code du travail, dans sa version applicable au litige, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, en raison notamment de son état de santé.

Selon l'article L.1134-1 du même code, lorsque survient un litige en raison d'une telle mesure discriminatoire, le salarié doit présenter au juge des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1er de la loi nº 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations.

Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

Le juge forme alors sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Mme [P] fait valoir que son licenciement est nul alors qu'elle a été victime de discrimination de la part de son employeur en raison de son état de santé, expliquant que de longue date, elle rencontre des problèmes de santé, qu'en 2013, le diagnostic d'endométriose a été posé, qu'elle a subi de nombreuses interventions chirurgicales en lien avec cette pathologie, ainsi qu'une hystérectomie, qu'indépendamment de la nature de sa pathologie, ce sont les conséquences de son état de santé sur l'exécution de son contrat de travail, et en particulier les arrêts maladie réguliers qui ont déterminé la Selarl Pharmacie de la Risle à prendre la décision de la licencier, les pièces médicales postérieures à son licenciement, n'étant produites qu'aux fins d'éclairer la juridiction sur la réalité de son état de santé,

qu'elle a été placée en arrêt maladie dès 2013,

que lors de sa reprise de poste le 4 juin 2014, le médecin du travail a préconisé une reprise à mi-temps thérapeutique du 4 juin 2014 au 6 janvier 2015,

que son contrat de travail a été suspendu pour maladie à compter du 7 janvier 2015 jusqu'au 3 octobre 2016, cet arrêt de travail ayant été suivi d'un congé maternité, puis de congés annuels jusqu'au 13 mars 2017,

qu'elle reprendra son poste à 80 %, son temps de travail devant être réparti sur 4 jours selon l'avis du médecin du travail du 6 mars 2017, ledit avis ayant été reconduit le 25 octobre 2017,

qu'elle a par suite été placée en arrêt maladie en raison de sa pathologie du 6 au 16 décembre 2017, puis du 9 au 14 avril 2018, et à compter du 23 avril 2018 en prévision d'une intervention chirurgicale qu'elle devait subir,

que la Selarl Pharmacie de la Risle ne peut prétendre avoir ignoré le caractère invalidant de la pathologie dont elle souffre, alors qu'elle éprouvait de vives douleurs qu'il lui était impossible de dissimuler et qui la conduisait parfois à quitter le comptoir pour aller s'asseoir, ces douleurs étant à l'origine de retards, d'absences, et d'arrêts de travail,

que du reste l'ensemble des membres de l'officine, et même les clients ont été témoins des douleurs éprouvées,

qu'elle a toujours prévenu l'employeur de ses retards et de ses absences, et n'a d'ailleurs jamais fait l'objet de la moindre sanction, alors qu'il était convenu avec ce dernier des régularisations par la pose de congés,

que les époux [C] ont à plusieurs reprises manifesté leur mécontentement à l'annonce de ses arrêts de travail, ainsi que cela résulte du compte rendu d'entretien préalable du 8 juin 2018, M. [C] n'ayant pas hésité à se rapprocher de son médecin traitant en lui adressant un SMS pour connaître les raisons de son arrêt du 9 avril 2018, ainsi qu'en atteste le docteur [N],

qu'aucune mesure n'a été prise pour assurer l'effectivité de l'aménagement de son poste pour lui permettre de s'asseoir, alors qu'elle a dû se procurer elle-même un tabouret en l'absence d'acquisition d'un tabouret ergonomique adapté par l'employeur et intervenir auprès de ses collègues pour faire respecter les préconisations du médecin du travail,

que M. [A], travaillant au sein du Sameth, est également intervenu auprès de l'employeur pour faire un point sur sa situation dans l'emploi.

Elle produit aux fins d'établir la réalité de son état de santé et la connaissance de cet état par l'employeur :

- diverses pièces médicales, dont une synthèse de son parcours médical et divers comptes-rendus opératoires et d'examens réalisés entre le 31 mai 2007 et le 14 juin 2018,

- la fiche de visite médicale du 17 juin 2014 mentionnant les conclusions suivantes : «  apte avec aménagement de poste, ¿ thérapeutique »

- la fiche de visite médicale du 6 mars 2017 indiquant : « temps de travail réparti sur quatre jours, avec possibilité de s'asseoir. À revoir dans un mois »

- la fiche de visite du 25 octobre 2017 réitérant l'avis du 6 mars 2017, et prescrivant une visite dans six mois,

- la lettre de la maison départementale des personnes handicapées du 20 novembre 2017 notifiant la décision de reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé du 20 novembre 2017 au 30 novembre 2022,

- la convocation de la médecine du travail du 23 avril 2018,

- l'attestation de paiement des indemnités journalières de sécurité sociale pour la période du 2 janvier 2013 au 15 juin 2018, démontrant que son contrat de travail a été suspendu à plusieurs reprises au cours de la relation travaillée,

- les SMS échangés avec M. [C] entre août 2017 et avril 2018, l'informant de ses retards et absences (SMS du 25 juillet 2017, « ' Désolé mais je suis pas du tout en état de venir travailler aujourd'hui... tension 9-6 grosses douleurs d'endo et d'estomac... » SMS du 9 octobre 2017 «  désolé mais je suis incapable de travailler aujourd'hui. Nuit terrible et règles hémorragiques je suis HS... te tiens au courant », SMS du 17 novembre 2017 « à tout hasard pourrait tu me relayer... je n'en peux plus de douleurs ! »

- le compte-rendu d'entretien préalable au licenciement du 8 juin 2018, indiquant concernant les faits du 23 avril 2018 «M. [C] demande ce qui s'est passé le lundi 23 avril après-midi pour que Mme [P] se mette dans un état second. 

Mme [P] répond qu'elle n'était pas dans un état second mais plutôt réactif face à la réaction de Mme [C] qui lui a demandé si elle se foutait du monde ' » et qui a poursuivit en disant « t'es pas malade là, tu peux travailler là ' tu te fous de la gueule du monde ! »

M. [C] ayant contesté ces paroles car il était aussi présent et en affirmant que Mme [C] avait simplement dit « tu es encore en arrêt »

À propos du SMS adressé par M. [C] à son médecin traitant, « Mme [P] a demandé une explication sur le texto envoyé au Docteur [N] ' M. [C] a répondu : ça devient ingérable ! »

- le courriel qui lui a été adressé le 5 mars 2019 par M. [A] du Sameth retraçant l'historique des démarches entreprises auprès de la Selarl Pharmacie de la Risle indiquant notamment « que l'employeur déclarait avoir aménagé le temps de travail conformément aux recommandations de la médecine du travail (80 %) et de vos souhaits » , avoir fait le constat « d'une grande exigence de votre part pour occuper un pupitre ...même si une collègue était déjà poste...

Une action de type sensibilisation fut alors proposée à l'employeur. Un besoin de communication a minima semblait nécessaire. » qu'il était Clairement exprimé que » l'employeur est responsable devant la loi de la santé et de la sécurité des salariés dans son entreprise. Il est tenu à une obligation de sécurité '.Dans le cadre de l'aménagement de la situation de travail, plusieurs axes avaient été envisagés :

une liste de fournisseurs du siège assis debout a été communiquée par le Sameth

une évolution du pupitre devait être associée afin de permettre une station assise adaptée, à l'initiative de l'employeur, intervention jugée simple et non onéreuse...

Malgré les relances, il n'y a pas eu de suite apporter de la part de votre employeur pour votre maintien dans l'emploi dans l'entreprise... »

- les attestations rédigées par :

M. [N], son médecin depuis 2015, qui indique l'avoir régulièrement reçue en raison de sa maladie qui a provoqué des séquelles irréversibles, son état de santé s'étant stabilisé le temps de sa grossesse en 2016,

Mme [B], salariée de l'officine déclarant « Mme [P] était mal installé (assise de travers sur sons tabouret)

Mme [C] en faisait exprès de l'enlever dès que Mme [P] était plus la. Et tout les jours Mme [P] était obliger de le rechercher au bout de la pièce' »

Mme [Z], cliente ajoutant « j'ai constaté plusieurs fois qu'elle n'avait pas accès à «son» comptoir où se trouvait son tabouret car d'autres l'utilisaient. »

S'il est constant que la faute grave résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputable au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail d'une importance telle qu'elle rend immédiatement impossible le maintien de l'intéressé dans l'entreprise, il incombe à l'employeur qui l'invoque d'en apporter la preuve.

Concernant la valeur probante des témoignages produits par l'employeur, il y a lieu de rappeler qu'en matière prud'homale, la preuve est libre et dès l'instant que la partie à qui sont opposées des attestations a pu en contester la force probante, notamment en faisant valoir que les auteurs des attestations étaient soumis à un lien de subordination avec l'employeur, il appartient au juge saisi de cette contestation d'apprécier souverainement la valeur et la portée des dites attestations.

Le juge ne peut, par principe, dénier toute valeur probante à une attestation émanant d'un salarié soumis à un lien de subordination avec son employeur sans un examen préalable du contenu de l'attestation et des circonstances de l'espèce.

Aux termes de la lettre de licenciement citée ci-avant, il est reproché à la salariée d'avoir :

- le 23 avril 2018 eu un comportement violent et agressif à l'égard de Mme [C] en l'insultant copieusement, pendant un long moment,

- le 4 avril 2018 d'avoir manifesté vivement sa colère en raison du fait qu'un ensemble de produits de la gamme Galderma avait été retourné au laboratoire et fait un esclandre devant ses collègues de travail, faisant preuve d'agressivité et dénigrant la direction.

La Selarl Pharmacie de la Risle fait valoir pour sa part que Mme [P] a attendu neuf mois après avoir été licenciée avant de saisir la juridiction prud'homale d'une demande de nullité de son licenciement au motif que celui-ci est fondé sur un motif discriminatoire lié à son état de santé, et que subsidiairement son licenciement serait dépourvu de cause réelle et sérieuse,

que la lecture de la lettre de licenciement ne laisse aucun doute quant à la réalité du motif du licenciement, prononcé en raison de faits fautifs particulièrement graves consistant en un comportement violent et agressif adopté par la salariée à l'endroit de Mme [C], qu'elle considérait comme n'ayant pas sa place dans l'officine,

que la salariée avait coutume de défier l'autorité de cette dernière,

qu'elle ne justifie aucunement avoir été licenciée en raison de son état de santé,

qu'à toutes fins, elle s'est conformée aux préconisations de la médecine du travail, lui fournissant un tabouret ergonomique réglable en hauteur et lui réservant un comptoir de vente de déplacement, comme attesté par Mme [H], salariée de l'officine.

Aux fins d'établir la réalité des griefs allégués, la Selarl Pharmacie de la Risle produit, s'agissant de ceux du 23 avril 2018, les attestations rédigées par :

Mmes [L] et [M] séparément et conjointement, le 22 mai 2018, témoignant du fait que le 23 avril vers 15 heures, Mme [P] est arrivée très énervée à la pharmacie , alors « qu'elles travaillaient en back office hors zone client, avoir entendu le ton monter avec Mme [C], que Mme [P] s'est emportée avec une violence extrême et de multiples injures « grosses conne, connasse », continuant à proférer ces injures alors qu'elle se dirigeait vers elles, leur disant qu'elle était prête à aller dehors avec Mme [C] pour s'expliquer, et faisant part de leur surprise de l'ampleur de la dispute ;

Mme [O] [C], le 28 mai 2019 indiquant : « s'être rendu à l'officine et avoir trouvé son mari en back office une ordonnance en main que Mme [P] lui a demandé où était ses lunettes de soleil ! qu'elle lui a demandé pourquoi de nouveau en arrêt ' qu'elle est partie dans une colère furieuse avec un vocabulaire hyper violent qu'elle a donc reculé par peur »

Mme [M], le 9 juin 2020, réitérant ses précédentes déclarations tout en précisant les circonstances de l'altercation, insistant sur le fait qu'elle était présente le jour en cause et ajoutant que quelques jours après, alors que Mme [P] venait chercher des médicaments, elle lui a fait remarquer qu'elle était allée trop loin et risquait une sanction, à quoi celle-ci a répondu « je m'en fous ils ont qu'à me virer... ».

Relativement aux faits du 7 avril 2018, elle produit les attestations rédigées par Mmes [J] et [L].

Sur le premier grief,

Mme [P] conteste la valeur probante des attestations produites, faisant valoir que celles de Mmes [L] et [M] sont rédigées en termes rigoureusement identiques, qu'elles sont incomplètes en ce qu'elles ne rapportent pas l'attitude et les propos provocateurs de Mme [C] à l'annonce de son arrêt de travail et en ce qu'elles affirment qu'elle est arrivée énervée à la pharmacie, alors qu'elle n'avait aucune raison de l'être, et que celle établie par Mme [C], épouse du gérant, ne peut qu'être écartée en raison de la communauté d'intérêts avec la Selarl Pharmacie de la Risle.

Elle ajoute que les faits se sont déroulés en présence des seuls époux [C], M. [C], s'étant par suite éloigné, que tout au plus, ces témoins n'ont pu que constater que le ton était monté entre elle et la gérante.

Mme [P] reconnaît qu'une altercation a bien eu lieu entre elle et Mme [C].

Mmes [L] et Mme [M] indiquent toutes deux qu'elles ont entendu le ton monté, la salariée s'emporter avec violences et proférer des insultes, qu'elle est revenue vers elles, continuant à proférer des injures, indiquant vouloir en découdre avec Mme [C] à l'extérieur de l'officine. Ces attestations circonstanciées seront retenues, l'identité des déclarations n'apparaissant pas surprenante dès lors que les témoins ont assisté à la même scène et qu'aucun élément ne permet de mettre en doute leur sincérité.

Le compte-rendu établi par le délégué du personnel à la suite de l'entretien préalable au licenciement le 8 juin 2018 permet en outre de corroborer cette version des faits, alors que Mme [P] ne dénie pas avoir été « réactive » expliquant son comportement par « la réaction de Mme [C] ». Quand bien même Mme [C] aurait tenu les propos que la salariée lui prêtent, « t'es pas malade là, tu peux travailler là ' tu te fous de la gueule du monde !' », alors que M. [C] indique qu'il était présent et que son épouse aurait simplement dit « tu es encore en arrêt '», il n'en résultait pas pour autant une provocation justifiant un tel comportement.

Les faits sont en conséquence établis tant dans leur matérialité que leur imputabilité à la salariée.

Sur le second grief,

Mme [P] fait valoir que la Selarl Pharmacie de la Risle est défaillante à établir la matérialité du second grief, alors qu'elle produit aux débats de nombreuses attestations de clients témoignant de son caractère égal.

Si l'attestation établie par Mme [J] n'apporte aucun élément au soutien du grief allégué, Mme [L] vient témoigner du tempérament colérique de Mme [P], qui ne trouvant pas les produits qu'elle recherchait, « a juré, coléreuse » ajoutant qu' « elle savait que les produits avaient été retournés sans oser lui dire vu sa colère et son comportement ».

Ce grief ne repose certes que sur les déclarations d'un seul témoin, toutefois non utilement combattues par Mme [P].

Il n'est cependant pas démontré qu'à cette occasion, Mme [P] aurait dénigré son employeur.

Il résulte de l'ensemble des éléments exposés que les griefs subsistants justifiaient le licenciement pour faute grave rendant impossible le maintien de la salariée dans l'entreprise.

Si la réalité des problèmes de santé de la salariée n'est pas sérieusement discutable au regard des pièces médicales produites, le contrat de travail de Mme [P] ayant fait l'objet de plusieurs suspensions au cours de l'exécution de la relation travaillée, et si la connaissance par l'employeur de ces difficultés (avis réguliers de la médecine du travail, aménagement de son poste de travail, intervention du Sameth) et particulièrement de la nature de sa pathologie, n'apparaît pas non plus contestable ainsi que cela ressort des courriels échangés avec M. [C]. les 25 juillet 2017, 9 octobre 2017 et 17 novembre 2017, alors qu'elle n'est du reste pas contestée, l'employeur indiquant seulement ignorer la gravité de son état ainsi que les motifs pour lesquels les arrêts de travail ont été délivrés, ni la réalité de la maladie, ni la connaissance qu'a pu en avoir l'employeur ne permettent d'établir l'existence d'une discrimination en raison de son état de santé.

Les faits reprochés par l'employeur dans la lettre de licenciement sont par ailleurs sans lien avec l'état de santé de Mme [P], de sorte qu'il ne se déduit pas du prononcé de ce licenciement des éléments laissant supposer l'existence d'une discrimination à raison de son état de santé.

La cour confirme en conséquence le jugement en ce qu'il n'a pas retenu l'existence d'une discrimination et a débouté Mme [P] de sa demande tendant à prononcer la nullité de son licenciement et également en ce qu'il l'a déboutée de sa demande aux fins de voir dire le licenciement sans cause réelle et sérieuse, qui ne saurait prospérer au regard du caractère fondé des griefs.

2- Sur les frais du procès

En application des dispositions des articles 696 et 700 du code de procédure civile, Mme [P] sera condamnée aux dépens ainsi qu'au paiement d'une indemnité qu'il est équitable de fixer à la somme de 1 500 euros.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

après en avoir délibéré, statuant par arrêt contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe, en matière prud'homale,

Confirme le jugement en ses dispositions soumises à la cour,

Y ajoutant,

Condamne Mme [K] [P] aux dépens de la procédure d'appel,

Condamne Mme [K] [P] à payer à la Selarl Pharmacie de la Risle une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Rejette toute autre demande.

La greffière La présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rouen
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 20/03160
Date de la décision : 12/01/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-01-12;20.03160 ?
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